III. LA QUALITÉ ET LA RÉSILIENCE DES RÉSEAUX DOIVENT FAIRE L'OBJET D'UNE ATTENTION RENFORCÉE À MESURE QUE LA GÉNÉRALISATION DE LA FIBRE SE RAPPROCHE

A. LE RECOURS AU MODE STOC POUR LE RACCORDEMENT FINAL A PERMIS UN TAUX DE PÉNÉTRATION PLUS RAPIDE DE LA FIBRE MAIS PRÉSENTE PLUSIEURS FACTEURS DE FRAGILISATION DE LA QUALITÉ DES RÉSEAUX

1. Le mode STOC a permis une pénétration rapide de la fibre jusqu'à l'abonné

Le raccordement final désigne plus particulièrement la construction du dernier segment du réseau, reliant le point de mutualisation (PM) à la prise terminale optique (PTO) située dans le local à raccorder.

Architecture d'un réseau de fibre opitque

Source : rapport de la Cour des comptes

Dans une décision du 2 juillet 2015, l'Arcep a validé le principe de la sous-traitance par l'opérateur d'infrastructures à un opérateur commercial, de la réalisation du raccordement final, conformément au souhait exprimé par les acteurs du marché. Ce mode de raccordement - couramment appelé mode STOC (sous-traitance à l'opérateur commercial) - est retenu dans la quasi-totalité des cas en France, l'ensemble de la filière s'étant organisée autour de cette partition des rôles entre opérateur d'infrastructures et opérateur commercial. Ce mode de raccordement est unique en Europe, ce dernier étant généralement effectué par le constructeur du réseau dans les autres pays.

Le recours au mode STOC a eu pour principal avantage de permettre une pénétration plus rapide de la fibre dans les territoires, les opérateurs commerciaux qui réalisent les raccordements pouvant alors démarcher directement les usagers.

2. Les lacunes du mode STOC font apparaitre des fragilités quant à la qualité des réseaux qui plaident pour de nouvelles mesures contraignantes à l'égard des opérateurs

La Cour des comptes met toutefois en évidence dans son rapport les dysfonctionnements du recours au mode STOC ainsi que leurs conséquences néfastes sur la qualité du réseau. Les rapporteurs spéciaux ont également porté une attention particulière à ce sujet lors de leurs travaux. D'après les personnes auditionnées, le recours au mode STOC se traduirait bien souvent par de la sous-traitance en cascade, impliquant le recours à une main-d'oeuvre peu qualifiée et exerçant dans des conditions de sécurité parfois désastreuses, ce qui nuit grandement à la qualité des réseaux.

D'après la Cour des comptes, ces problèmes de qualité se concentrent sur un nombre limité de réseaux, représentant environ 2 % des lignes. Ils occasionnent toutefois des désagréments importants pour les usagers, en provoquant des malfaçons sur les réseaux, des câbles emmêlés, des débranchements injustifiés et des coupures internet répétées. La Cour fait le constat d'un échec de la régulation du mode STOC, fondée sur la capacité de l'opérateur d'infrastructures à contrôler les opérateurs commerciaux intervenant sur son réseau. Cette régulation serait en effet inopérante faute d'outils permettant d'identifier l'auteur des dégradations. Les rapporteurs spéciaux souscrivent à la recommandation de la Cour visant à confier à l'Arcep « un pouvoir de sanction en cas de non-respect de ces prescriptions par les opérateurs commerciaux ».

La Cour des comptes rappelle toutefois la responsabilité pesant sur les opérateurs d'infrastructures, qui demeurent les premiers responsables de la qualité de leurs réseaux. Elle souligne à cet égard l'intérêt des audits réalisés par l'ANCT concernant le respect des exigences de qualité demandées aux opérateurs. Elle estime que l'Arcep devrait pouvoir réaliser ce type d'audits dans l'ensemble des zones, aux frais des opérateurs, comme elle le fait déjà pour les réseaux mobiles. Dans le cadre de leur déplacement à Clermont-Ferrand au RIP Auvergne numérique, les rapporteurs spéciaux ont constaté que la mise en place de tels audits de qualité pouvait également être réalisée directement par l'opérateur d'infrastructures à destination des opérateurs commerciaux, avec un certain succès.

Par ailleurs, les difficultés posées par le recours au mode STOC en termes de qualité des réseaux font également écho à plusieurs dispositions de la proposition de loi de notre collègue Patrick Chaize5(*), adoptée par le Sénat en mai 2023, mais dont l'examen par l'Assemblée nationale se fait toujours attendre. Plusieurs dispositions de cette proposition de loi s'inscrivent dans la même philosophie que les recommandations de la Cour, ce qui plaide d'autant plus pour une inscription rapide de ce texte à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Compte tenu de l'ampleur des désagréments impliqués par le dysfonctionnement du mode STOC pour les usagers, les rapporteurs spéciaux souscrivent plus particulièrement à la disposition de cette proposition de loi visant à renforcer les droits des consommateurs en cas d'interruption prolongée du service d'accès à internet.

Recommandation n° 3 : Renforcer les droits des consommateurs en cas d'interruption prolongée du service d'accès à internet, en instaurant une suspension du paiement de l'abonnement, une indemnisation du consommateur et un droit de résiliation sans frais de l'abonnement (Législateur).

3. Vers une remise en cause du mode STOC, à mesure de l'amélioration du taux de pénétration de la fibre ?

Face aux dysfonctionnements impliqués par le recours au mode STOC, la possibilité d'une remise en cause de ce modèle pourrait davantage être explorée. Compte tenu de la progression du taux de pénétration de la fibre, l'activité de raccordement se réduira à terme aux seuls cas où l'abonné changera d'opérateur commercial (opération de churn) et au raccordement des locaux neufs. L'opérateur d'infrastructures pourrait ainsi devenir le principal acteur intervenant sur son réseau.

La Cour des comptes ouvre la voie à la réintroduction progressive d'un raccordement final effectué par l'opérateur d'infrastructures pour les opérations de churn et les raccordements en zone entièrement fibrées, et par conséquent à une extinction progressive du mode STOC. Dans cette même logique, le Sénat a adopté, à l'article 3 de la proposition de loi précitée, une interdiction du recours au mode STOC dans les zones fibrées - c'est-à-dire les zones dans lesquelles 100 % des locaux sont déjà raccordables à la fibre.

D'après le rapport de la Cour, plusieurs collectivités ont déjà mis en place des expérimentations afin de tester des alternatives au mode STOC, tels que le recours au « mode opérateur d'infrastructures » (mode OI) - comme c'est par exemple le cas à Angres dans le département du Pas-de-Calais et à Le Mesnil-Saint-Denis dans le département des Yvelines - ou à des raccordements dits de service public. Les rapporteurs spéciaux souscrivent à ces initiatives, qui pourraient davantage être encouragées et accompagnées par l'État auprès des collectivités.

Recommandation n° 4 : Encourager et accompagner les collectivités locales dans leurs initiatives d'expérimentations de pratiques alternatives au mode STOC (sous-traitance à l'opérateur commercial) pour les raccordements finals à la fibre (ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, ministère de l'aménagement du territoire et de la décentralisation).


* 5 Proposition de loi visant à assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, adopté par le Sénat le 2 mai 2023.

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