C. LA MISE EN APPLICATION DE CES AVANCÉES SCIENTIFIQUES SE HEURTE À DE NOMBREUX OBSTACLES TANDIS QUE LEUR EFFICACITÉ RESTERA LIMITÉE SANS UNE MODIFICATION PROFONDE DES SYSTÈMES DE PRODUCTION

1. Des obstacles scientifiques et techniques

Les recherches présentées par les intervenants offrent des pistes prometteuses pour une agriculture à la fois plus résiliente et plus durable, mais de nombreux verrous scientifiques et techniques restent à lever.

Corinne Vacher a mentionné le caractère relatif de l'efficacité des biosolutions à base d'une seule souche microbienne pour protéger les plantes contre les maladies et augmenter leur croissance et leur tolérance à la sécheresse, ce qui entraîne une perte de confiance des agriculteurs à l'égard de ces produits. Il apparaît donc nécessaire non seulement d'améliorer les biosolutions existantes, notamment à travers une modification de leurs modalités d'application, mais également de concevoir des biosolutions multisouches, plus efficaces et plus résilientes aux variations environnementales que les produits monosouches.

Elle a également insisté sur la nécessité de promouvoir des programmes d'amélioration variétale pour sélectionner des variétés de plantes capables de mieux s'associer aux micro-organismes bénéfiques.

Selon elle, il est indispensable de développer des capteurs et des outils numériques pour surveiller les microbiotes des plantes et des sols. Actuellement, les diagnostics de microbiotes réalisés ne donnent qu'une image ponctuelle de la santé des sols et de la sensibilité des plantes à certaines maladies. Par ailleurs, des réseaux d'épidémiosurveillance basés sur des capteurs de spores évaluent quotidiennement les risques de maladie. L'enjeu technique est désormais de fusionner les deux approches afin de suivre en temps réel les microbiotes et intégrer ces données dans les programmes d'épidémiosurveillance pour mieux prédire les risques.

Didier Boichard a insisté sur l'urgence à connecter les bases génétiques avec les bases sanitaires afin de construire les outils génétiques permettant de rendre les animaux résistants aux maladies.

2. Des obstacles plus structurels

Des obstacles structurels auxquels se heurtent les innovations technologiques ont été évoqués.

· Les obstacles réglementaires

Plusieurs intervenants ont souligné les difficultés réglementaires rencontrées pour l'homologation de certaines innovations.

Selon Ené Leppik, la classification erronée des parfums sous forme de granulés développés par Agriodor dans la catégorie des phytosanitaires alourdit inutilement la procédure d'homologation : les substances sont soumises à des études écotoxicologiques sans rapport avec les modes d'action de cette innovation qui repousse olfactivement l'insecte sans lui porter atteinte. Il en résulte une perte de temps - entre 10 et 12 ans pour obtenir l'homologation - et de ressources puisque l'élaboration du dossier administratif est évaluée à 3 millions d'euros.

Corinne Vacher a également évoqué la nécessité de faire évoluer la réglementation pour faciliter l'homologation des biosolutions sous peine d'empêcher le développement de solutions alternatives aux pesticides.

· Des obstacles humains

La diffusion des innovations technologiques se heurte également à une formation insuffisante des acteurs du monde agricole.

Jacques Sainte-Marie a insisté sur le rôle de la formation continue aussi bien pour les jeunes démarrant leur carrière que pour les agriculteurs expérimentés afin qu'ils se familiarisent avec les nouveaux outils numériques.

Thierry Langouët a souligné les efforts entrepris par le ministère de l'agriculture pour former aux transitions à travers les deux plans successifs « Enseigner à produire autrement » mis en oeuvre entre 2014 et 2024.

Les référentiels de diplômes ont été rénovés pour mettre l'accent sur les savoirs agronomiques et économiques au service de systèmes agricoles résilients ; les approches systémiques et par compétences ont été privilégiées ; les initiatives des établissements pour les transitions ont été encouragées et valorisées ; les coopérations entre l'enseignement technique, l'enseignement supérieur et la recherche ont été favorisées afin d'adapter la formation des futurs agriculteurs aux innovations scientifiques.

Néanmoins, l'évaluation récente du deuxième plan « Enseigner à produire autrement » conclut à un bilan mitigé. Seul un enseignant sur six a été formé aux transitions, soit 3 000 au total, et les pratiques des enseignants formateurs n'ont pas suffisamment évolué. Les raisons avancées sont des divergences d'engagement selon les enseignants et l'insuffisance des ressources et des outils pédagogiques à leur disposition.

Le rapport d'évaluation relève également que les profils sociologiques des apprenants, la distance entre les savoirs acquis au centre de formation et les « pratiques et discours du terrain », et les incertitudes agronomiques et économiques peuvent constituer de très forts obstacles à l'enseignement des transitions. Il regrette la persistance des cloisonnements entre l'enseignement technique, l'enseignement supérieur, la recherche, les professionnels et les conseils en agriculture qui ne permettent pas d'étayer suffisamment les pratiques et les organisations pédagogiques consacrées aux transitions.

· Des obstacles financiers

Selon Jacques Sainte-Marie, le coût des outils numériques, qu'il a estimé très réduit par rapport notamment à celui des équipements agricoles, n'est pas un obstacle à leur diffusion dans l'agriculture.

En revanche, il constitue un réel problème pour d'autres innovations. Ené Leppik a constaté que les innovations en matière d'alternatives aux pesticides s'avèrent trop chères sous la conjonction de deux phénomènes.

D'une part, elles sont en concurrence directe avec les pesticides qui servent de comparaison en matière de coût pour la protection des cultures. Or, ces derniers sont plus abordables financièrement en raison de leur large diffusion depuis des décennies et des économies de gamme résultant de leur large spectre d'action, ce qui a permis de réduire drastiquement leurs coûts marginaux de production.

D'autre part, contrairement à d'autres secteurs comme la santé ou la cosmétique, l'agriculture ne dispose pas de ressources suffisantes pour investir dans les innovations, les consommateurs n'étant pas prêts à en payer le prix. Ené Leppik a mentionné les produits biologiques dont la pertinence est reconnue par tous, mais dont personne ne veut assumer le coût.

Didier Boichard a également insisté sur les coûts qu'auront à supporter les éleveurs engagés dans la sélection génétique pour réduire les émissions de méthane des bovins. Sans politique incitative, cette innovation risque d'être un échec commercial car les agriculteurs n'auront pas d'intérêt financier à adopter cette solution technique.

De même, Corinne Vacher a mis en avant les coûts financiers associés au développement des biosolutions microbiennes.

3. L'efficacité de certaines avancées scientifiques restera limitée sans une modification plus profonde des systèmes de production

Corinne Vacher a souligné la nécessité de repenser les systèmes de culture en intégrant plus de mesures prophylactiques pour favoriser l'efficacité des biosolutions. La biodiversité végétale dans les parcelles et les paysages joue un rôle considérable pour favoriser la présence de micro-organismes bénéfiques.

L'un des défis scientifiques consiste donc à identifier les espèces végétales servant de réservoirs de micro-organismes bénéfiques pour les plantes cultivées, et à déterminer comment les intégrer dans les parcelles pour favoriser les flux de micro-organismes, grâce à la plantation de bandes enherbées, de haies et d'arbres.

Jacques Sainte-Marie a également reconnu que le numérique seul ne permettrait pas de rendre le système agricole plus durable. Il a rappelé que le premier axe du PEPR « Agroécologie et numérique » portait sur la nécessité de façonner un socio-écosytème propice à une recherche et à une innovation responsables. En effet, les innovations technologiques ne sont pas suffisantes pour accompagner les agriculteurs vers une transition réussie ; elles doivent être couplées avec des innovations d'ordre organisationnel, économique, institutionnel et politique.

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