G. UN SEPTIÈME DYSFONCTIONNEMENT : LA DISSIMULATION PAR L'ÉTAT DES INFORMATIONS ET DÉCISIONS CONCERNANT NESTLÉ WATERS

Si le manque de transparence de Nestlé Waters ne fait pas de doute pour la commission d'enquête, elle a aussi constaté celui dont a fait preuve l'État tout au long de la séquence, à la fois vis-à-vis des autorités locales et européennes et vis-à-vis des Français.

Ce sont les articles publiés dans Le Monde et France Info par Stéphane Foucart et Marie Dupin à compter du 29 janvier 2024 qui ont révélé au public les pratiques interdites des industriels embouteilleurs et leur information des services de l'État depuis le 31 août 2021.

C'est également par cette voie que les autorités européennes ont pris connaissance de ces pratiques. Entre le 31 août 2021 et le 29 janvier 2024, la Commission européenne n'a jamais été informée des pratiques de Nestlé Waters alors même que ses produits circulaient sur le marché intérieur et que le cadre juridique applicable est régi par une directive européenne qui impose d'informer la Commission européenne en cas de difficultés sur une eau minérale naturelle43(*).

Cette dissimulation aux autorités européennes relève d'une stratégie délibérée, abordée dès la première réunion interministérielle sur les eaux minérales naturelles le 14 octobre 2021 : son compte rendu indique que la question d'un éventuel contact au niveau UE a été soulevée, la DGS demandant si « le sujet ne pouvait pas être mis à l'ordre du jour du prochain comité permanent de la chaîne alimentaire où siège la DGCCRF », mais que la DGCCRF a répondu ne pas y être favorable « car cela risque d'ébruiter l'affaire avant qu'un diagnostic solide n'ait été établi ».

Le pire est que cet esprit de dissimulation a joué aussi à l'encontre des autorités locales. Elles ne sont sciemment pas informées des pratiques de Nestlé Waters remettant en cause l'étiquetage des bouteilles. Dès le 5 octobre 2021, un courriel de Corinne Feliers, cheffe du bureau de la qualité des eaux à la DGS, à Joëlle Carmes, sous-directrice, duquel est en copie Jérôme Salomon, le confirme : « Pour les cabinets (MSS et MEFR44(*)), le premier enjeu est de qualifier et de quantifier l'irrégularité : Les cabinets ne sont a priori pas favorables pour mobiliser les services déconcentrés sur cet aspect, ne souhaitant pas partager trop largement des éléments sur ce dossier pour l'instant et ils envisageraient ainsi de passer par nos services d'inspection centraux. »

Cette volonté de ne pas informer les autorités locales a conduit à maintenir les préfectures - et les ARS - concernées dans l'ignorance.

Aujourd'hui encore, malgré la divulgation de ces pratiques, largement documentées par les journalistes, l'État n'a pas fait toute la transparence sur cet épisode.

Les notes d'appui scientifique et les avis de l'Anses rendus au sujet de la microfiltration ne sont toujours pas accessibles sur le site de l'Anses. L'avis de l'Anses du 16 octobre 2023 préconisant une surveillance renforcée sur les sites de Nestlé Waters ne l'est pas non plus.

Quant au rapport de la mission menée par l'Igas, transmis aux ministres en juillet 2022, il n'a finalement été publié qu'en février 2024, à la suite des révélations de la presse.


* 43 Directive 2009/54/ce du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2009 relative à l'exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles, article 11.

* 44 MSS : ministère de la santé, MEFR : ministère de l'économie.

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