I. UN NEUVIÈME DYSFONCTIONNEMENT : L'ABSENCE DE VÉRIFICATIONS ET DE SUIVI DU DOSSIER PAR L'ÉTAT

Parmi les étapes importantes difficiles à ignorer de cette affaire figurent le déclenchement de la mission d'inspection Igas en novembre 2021, la concertation interministérielle dématérialisée de février 2023, la révélation de l'affaire par la presse en janvier 2024 et le début des travaux de la commission d'enquête en décembre 2024.

Et pourtant, la commission d'enquête n'a pu que constater avec stupéfaction que, dans un certain nombre de départements où se trouvent des sites de mise en bouteille d'eaux minérales, les autorités locales sont restées comme immobiles jusqu'à aujourd'hui.

Les auditions confirment cet immobilisme. S'agissant du Puy-de-Dôme, département de production de Volvic, par exemple, aux questions du rapporteur et du président sur la prise en compte des révélations sur l'affaire pour renforcer les contrôles, le préfet, Joël Mathurin, reconnaît ne jamais avoir échangé avec les préfets du Gard et des Vosges sur le sujet et indique en se retranchant derrière l'existence d'une procédure judiciaire, dont on a vu qu'elle n'avait rien donné en 5 ans : « je n'ai pas engagé de mesures particulières ni reçu d'instructions en ce sens, visant à renforcer les contrôles. Au demeurant, selon ma compréhension du dossier, les enjeux sanitaires sont seconds, puisqu'il est essentiellement question d'une tromperie du consommateur. Les services continuent ainsi d'assurer leurs contrôles de droit commun et m'en rendent compte si nécessaire ». Interrogé à nouveau par le président de la commission d'enquête qui marque son étonnement, le préfet confirme : « (...) pour préciser mon propos, je n'ai pas pris d'initiative de renforcement des contrôles. »

Yves Le Breton, préfet de Haute-Savoie, département dans lequel se trouvent les sites Évian du groupe Danone et une usine du groupe Alma (Thonon) reconnaît de la même façon ne pas avoir demandé d'accentuation des contrôles ni même de vérification de l'absence de traitements interdits dans les usines concernées. Ainsi répond-t-il au rapporteur : « À ma connaissance et jusqu'à présent, les contrôles ont été menés régulièrement et conformément aux pratiques en vigueur, sans manquement signalé. Dans ce contexte, nous n'avons identifié aucune situation justifiant une modification des modalités de contrôle. »

Or si les traitements ont pu perdurer pendant plusieurs décennies, c'est bien qu'ils étaient indécelables par les contrôles réguliers. Il résulte de ces éléments que les services de l'État sont à ce jour, dans l'incapacité de certifier que les traitements interdits sont éliminés dans la totalité du secteur des eaux minérales.

Comment expliquer cette situation, alors même que le rapport Igas, rendu public en 2024, évoquait, il est vrai dans une catégorie fourre-tout, plus de 30 % de non-conformité au sein des eaux minérales et de source commercialisées ?

L'échelon central semble, d'abord, n'avoir donné aucune instruction claire aux préfectures pour vérifier de manière exhaustive l'absence de traitements interdits dans les sites de production.

La direction générale de la santé n'a pas pris de mesures d'animation du réseau des préfets et des directeurs généraux d'ARS sur le sujet des eaux minérales pour purger la crise.

Cette abstention, conjuguée à un défaut d'initiative flagrant des préfectures et des ARS, a conduit à l'inexistence de partage d'expériences entre préfectures. Si les préfets du Gard et des Vosges ont, trop rarement, pris la peine de se joindre sur le sujet des eaux minérales, leurs collègues des autres départements à sites de production ne paraissent pas avoir pris l'initiative de les contacter, ne serait-ce que pour mieux apprécier les méthodes de dissimulation de Nestlé. Il aura ainsi fallu attendre le déplacement de la commission en Haute-Savoie et sa suggestion pour que les services de l'État de Haute-Savoie communiquent avec ceux du Gard. Dès lors, chaque préfecture, méconnaissant les techniques de tromperie, pouvait se sentir « à l'aveugle » sur ce sujet.

Il est probable que la fragilité des moyens des préfectures et des ARS n'est pas pour rien dans cette absence de réactivité.

Enfin, tout le dossier démontre, au niveau national comme local, une faille en termes de culture professionnelle : l'absence de culture du suivi des actions de l'État. Deux exemples très significatifs suffisent à s'en convaincre. Le 13 octobre 2022, en réponse à une note des conseillers au cabinet de la Première ministre, Victor Blonde et Cédric Arcos, le directeur de cabinet, Aurélien Rousseau, indique : « accord pour préconisations, signaler grande sensibilité aux ARS et préfectures ». Parmi ces préconisations, il y a celle de « demander à l'industriel de fournir sous un mois aux ARS toutes les données permettant d'évaluer l'effet du filtrage à 0,2 micron sur la qualité microbiologique de l'eau ». Lors de son audition du 30 avril 2025, interrogé sur ce point, Aurélien Rousseau reconnaît n'avoir jamais eu de retour sur ces données qui devaient être fournies sous un mois, alors même que de cette information dépendait tout le reste, et notamment l'autorisation d'user de la microfiltration.

Deuxième exemple, le bleu de Matignon de février 2023 « demande au Secrétariat général des affaires européennes de conduire une analyse de la situation de la microfiltration et des pratiques existantes dans les autres pays de l'Union afin, le cas échéant, d'envisager de solliciter la commission pour une évolution de la réglementation communautaire ou en vue d'une saisine de l'EFSA. ». Cette analyse ne sera jamais réalisée.

Dans les deux cas, nous sommes face à une décision du cabinet de la Première ministre. Dans les deux cas, la réponse peut avoir une influence déterminante sur les suites du dossier des eaux minérales. Et, dans les deux cas, la demande de Matignon ne fait l'objet d'aucun suivi. Elle est purement et simplement ignorée.

Recommandations

Libellé

Destinataire

Échéancier

Support

3

Donner instruction aux préfets, en lien avec les ARS, de vérifier, sur la base de l'expérience acquise dans les établissements Nestlé Waters et Alma, l'absence de traitements interdits, sur les sites minéraliers de France

Ministère de la santé, direction générale de la santé

Immédiat

Instruction

4

Animer régulièrement le réseau des contrôleurs des eaux minérales (préfets et services départementaux de l'État, ARS) pour partager, enjeux, évolutions et expériences

Ministère de la santé, direction générale de la santé

Immédiat

Conduite de l'action administrative

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