C. LA MICROFILTRATION EST POURTANT LA CLÉ DE VOÛTE DU « PLAN DE TRANSFORMATION » QUE NESTLÉ WATERS DEMANDE AUX AUTORITÉS DE VALIDER DÈS 2021

Le « plan de transformation » de Nestlé Waters est le document par lequel l'entreprise a projeté, dès 2020, les étapes de sa mise en conformité progressive avec la règlementation.

Muriel Liénau, alors responsable Europe, Moyen Orient et Afrique du Nord de Nestlé Waters, l'a confirmé à la commission d'enquête lors de son audition sous serment le 17 mars 2025, où elle s'est présentée comme « architecte de la transformation de Nestlé Waters depuis 2020. » Elle a indiqué à la commission d'enquête : « C'est à la suite de ma prise de poste que, à la fin de l'année 2020, j'ai appris la présence de traitements non autorisés - ultraviolets et charbons actifs - sur nos sites du Gard et des Vosges [...] Dès que j'en ai été informée, j'ai souhaité engager un plan de transformation à différents niveaux afin de sortir de cette situation de non-conformité, d'arrêter ces traitements et de trouver des solutions nous permettant de produire en totale conformité avec la réglementation en vigueur. »

Bien que conçu dès 2020, les grandes lignes de ce plan de transformation ne sont portées à la connaissance des administrations centrales qu'en 2021. Les préfectures et les ARS sont, quant à elles, informées de ce plan de transformation lorsqu'elles sont mises au courant par l'exploitant de ses pratiques interdites. Ce plan de transformation est la pierre angulaire des relations entre Nestlé Waters et les administrations pendant près de deux ans. Il remonte même jusqu'au cabinet de la Première ministre : le 27 septembre 2022, Nicolas Bouvier, lobbyiste de Nestlé Waters, adresse les propositions du plan de transformation des deux sites, en prévision de l'échange à Matignon du jeudi 29 septembre 2022, à Mathilde Bouchardon, conseillère au cabinet de la ministre de l'industrie, qui les transmet à Cédric Arcos et Victor Blonde.

Que ce soit à Vergèze ou dans les Vosges, le plan de transformation repose sur une microfiltration plus fine que celle actuellement tolérée (à 0,8 micron) en contrepartie de l'arrêt des traitements interdits au charbon actif et aux UV, appelés « barrières de protection » :

- dans les Vosges, le plan présenté aux agents de l'ARS lors de l'inspection du 6 avril 2022 prévoit le maintien des filtrations à 0,2 micron, l'arrêt de l'utilisation du charbon actif le 12 avril 2022 et l'arrêt de l'utilisation des traitements UV fin mai ou début juin 2022 ;

- dans le Gard, le plan présenté le 3 novembre 2022 à l'ARS Occitanie prévoit le maintien des « barrières de protection » (lampes à UV et filtres à charbon actif, désinfectants), à titre transitoire pendant la durée du plan de transformation, et à titre permanent pour la production à destination des Etats-Unis, en parallèle du maintien des microfiltres à 0,2 micron.

Dans le Gard, le plan ne propose pas seulement une mise en conformité, mais une évolution des conditions d'exploitation du site : il prévoit en outre de séparer la production en deux flux : un pour la production française, dépourvue de traitements au charbon actif et aux UV, et un flux pour la production destinée au marché américain, pour laquelle ces traitements seraient maintenus.

Selon Muriel Liénau, ce sont effectivement près de 95 millions d'euros qui ont été investis au cours des cinq dernières années sur le site des Vosges et 150 millions d'euros sur le site de Vergèze.

Sauf à anticiper avec un degré élevé de certitude la légalité à venir de cette pratique de microfiltration sur laquelle repose le plan de transformation, comment expliquer qu'une entreprise, investisseur avisé, dépense des centaines de millions d'euros dans un plan de transformation qui repose essentiellement sur cette pratique encore non autorisée ?

Le compte-rendu d'une réunion entre les cabinets des ministres de la santé et de l'industrie le 24 octobre 2022 prend d'ailleurs en compte cette variable financière en précisant : « l'installation de filtres représente un investissement important, alors même que NWSE n'a pas la certitude de pouvoir utiliser ces filtres par la suite. »

Pour le rapporteur, le rôle central de la microfiltration dans le plan de transformation de Nestlé Waters soulève deux questions :

- comment expliquer que l'arrêt des traitements de désinfection, strictement interdits, au charbon actif et aux lampes à UV, soit compensé par le maintien de la microfiltration, sinon par le fait que la microfiltration constitue elle aussi une désinfection ?

- à l'inverse, comment s'assurer a priori de la sécurité sanitaire des eaux dès lors que la microfiltration ne constitue pas une barrière de protection totale à l'égard des bactéries, et n'agit pas contre le risque virologique ? L'autocontrôle a posteriori peut-il être considéré comme suffisant ?

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