B. LA TRADUCTION CONCRÈTE DU PLAN DE TRANSFORMATION DE NESTLÉ WATERS PAR LES AUTORITÉS LOCALES

1. Dans les Vosges, la régularisation tardive des arrêtés préfectoraux a permis la commercialisation d'eau minérale naturelle qui n'en était pas pendant plusieurs mois

Sollicitée par la commission d'enquête, la préfecture des Vosges a estimé qu'entre la découverte des traitements interdits au charbon actif et aux UV, le 6 avril 2022 et leur retrait par l'exploitant, les volumes suivants d'eaux avaient été prélevés :

- pour Essar (Hépar), 30 550 md'eau traitée aux lampes à UV ont été exploités entre le 6 avril 2022 et le 5 mai 2023, date de la mise à l'arrêt d'Essar et d'Hépar Nord ;

- pour Belle-Lorraine, Anger-Lorraine, Great Source, Reine Lorraine et Thierry Lorraine (Contrex), 394 907 m3, 105 780 m3 pour Belle-Lorraine, 45 155 m3 pour Thierry-Lorraine, 158 030 m3 pour Anger Lorraine, 48 358 m3 pour Great Source et 37 584 pour Reine Lorraine. d'eau ont été prélevés entre le 6 avril 2022 et le 28 novembre 2022, date de retrait des traitements interdits aux lampes à UV par Nestlé Waters ;

- pour Grande Source captage (Vittel), 15 000 md'eau ont été traités aux filtres à charbon actif entre le 6 avril 2022 et le 17 avril 2022, date de leur retrait par l'exploitant.

Soit un total de 439 857 mqui ont été commercialisés en tant qu'« eau minérale naturelle » sans pour autant en respecter les caractéristiques. Le tout pouvant être valorisé à environ 220 millions d'euros à raison de 0,5 €/litre.

a) Dans le Gard, le plan de transformation repose sur le déclassement de deux forages et le lancement d'une nouvelle gamme de boissons en contrepartie de l'arrêt des traitements interdits

Une réunion sur la mise en oeuvre du plan de transformation de Nestlé Waters a lieu le 26 juin 2023 à la délégation départementale de l'ARS Occitanie, en présence de Nestlé Waters. Il y est évoqué le retrait des traitements interdits d'ici le 17 juillet 2023. Le compte-rendu mentionne que « le retrait des barrières de protection sera compensé par les étapes de filtration à 0,2 micron » - conformément à ce qui a été acté durant la réunion du 2 juin 2023.

En vue de sécuriser son utilisation de la marque « Maison Perrier » pour commercialiser une eau qui ne serait désormais plus « minérale naturelle », Nestlé Waters sollicite le cabinet du ministère de l'industrie en vue d'obtenir un entretien avec la DGCCRF sur les risques juridiques associés. Cet entretien a lieu le 29 juin 2023.

Les conclusions de la DGCCRF sur ce sujet sont résumées dans une note-ministre de la DGCCRF du 6 octobre 2023. La DGCCRF estime « peu convaincants, compte tenu de la formulation des questions posées » les résultats de l'étude menée auprès de 77 consommateurs pour attester de l'absence de risque de confusion entre les marques « Perrier » et « Maison Perrier ». Elle estime que « le risque d'induire en erreur le consommateur sur la qualité des boissons de la marque Forever ne semble pas pouvoir être totalement écarté ». La note rappelle que « la création d'un biais de perception conduisant au final à induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques des produits est susceptible d'être qualifiée de pratique commerciale restrictive au sens de l'article L. 121-2 du code de la consommation (...) » Toujours dans cette note, la DGCCRF propose de suggérer à Nestlé Waters de minimiser ce risque en adaptant le packaging de cette gamme : « le risque ne résidant pas tant dans les contrôles de la DGCCRF que dans d'éventuels contentieux ou campagnes de communication par des concurrents ou associations de consommateurs ».

Lors d'une réunion d'étape du 24 juillet 2023 entre l'ARS, la préfecture et Nestlé Waters, l'ARS Occitanie propose d'intégrer la mention des traitements de microfiltration à 0,2 micron dans les nouveaux arrêtés d'autorisation d'exploitation qui seront proposés à la signature du préfet « fin 2023/début 2024 ».

À noter que l'ARS prévoit de s'affranchir de la consultation en amont du Coderst. Cette absence d'information a été actée lors de la réunion du 2 juin 2023 à laquelle participe Nestlé Waters, « compte tenu des enjeux commerciaux et de confidentialité liés au plan de transformation ». Dans la note du 24 juillet, l'ARS justifie cette procédure spécifique en minimisant la modification induite par la mention d'une microfiltration à 0,2 micron : « D'autres sites de conditionnement d'eau de la région utilisent ces traitements de microfiltration à 0,2um et les arrêtés préfectoraux ne les mentionnent pour le moment pas, dans l'attente de la clarification du ministère chargé de la santé sur l'usage de ces traitements et au regard des conclusions de la mission Igas qui n'ont pas été encore rendues publiques. De plus, les services juridiques de l'ARS Grand Est et de l'ARS Occitanie considèrent que la consultation du CODERST n'est pas réglementairement nécessaire dès lors que la modification n'est pas considérée comme notable : les arrêtés préfectoraux Perrier mentionnent déjà les traitements de microfiltration, mais avec des seuils de rétention plus élevés [...] ». L'argumentaires laisse perplexe : l'ARS GE, on l'a vu, a alerté sur le risque à la fois de désinfection par microfiltration et de sécurisation insuffisante. Comment, dans ces conditions, parler d'une modification qui ne serait pas notable ?

La demande d'autorisation d'exploitation des forages Romaine III et Romaine V pour la production d'une boisson rafraichissante sans alcool est déposée le 31 juillet 2023.

L'arrêt des traitements interdits a été constaté sur le site de Vergèze par l'ARS Occitanie le 9 août 2023, soit environ trois semaines après la date initialement envisagée par Nestlé Waters et communiquée à la préfète.

Des microfiltres à 0,2 micron sont alors installés tout au long du cycle de production. Sur les forages Romaine III et V, est installée une nouvelle filière de traitement par UV et charbon actif, destinée à la production des boissons « Maison Perrier ». Elle est mise en service fin décembre 2023. Pour les forages Romaine IV, IV bis, VI, VII et VIII, les traitements par UV et charbon actif sont bien retirés sauf pour les productions d'eau minérales naturelle Perrier destinée à l'exportation vers les Etats-Unis.

Le 22 décembre 2023, le préfet du Gard prend deux arrêtés de reconfiguration de l'exploitation des eaux minérales naturelles « Sources Perrier » :

i) L'arrêté du 22 décembre 2023 autorise provisoirement l'exploitation des forages Romaine IV, IV bis, VI, VII et VIII pour la production de l'eau minérale naturelle de la « Source Perrier » le temps de déposer une nouvelle demande d'autorisation ;

ii) L'arrêté du 22 décembre 2023 déclasse les forages Romaine III et V en « eau de boisson », retirée du mélange « Source Perrier » et commercialisée sous la désignation commerciale « Maison Perrier », avec interdiction d'utiliser la dénomination « eau minérale naturelle ».

Si la microfiltration à 0,2 micron est bien mentionnée dans l'arrêté d'autorisation d'exploitation des forages Romaine III et V, il n'en est rien pour l'autorisation - provisoire - de la source Perrier qui mentionne toujours les filtres entre 1 et 3 microns malgré l'installation de filtres à 0,2 micron tout au long du processus de production.

La demande de révision complète de cet arrêté, intégrant une microfiltration à 0,2 micron, est quant à elle déposée le 13 octobre 2023.

Globalement, selon la préfecture du Gard entre la découverte des traitements interdits et leur retrait 139 000 md'eau auraient été produits. Entre la découverte des microfiltration non autorisés par l'arrêté préfectoral et le 1er février 2025, plus de 410 000 mont été produits auxquels il faut ajouter 206 500 mpour les forages Romane III et V pour la période allant de la découverte des microfiltrations non autorisées au passage en eau de boisson « Maison Perrier ».

Au total, ce serait donc plus de 755 500 md'eau vendus comme eau minérale naturelle qui n'auraient pas dû avoir droit à cette appellation91(*). Le tout pouvant être valorisé à environ 375 millions d'euros, à raison de 0,5 €/litre.


* 91 A raison d'un volume journalier >500mselon l'hypothèse de la préfecture, il faudrait ajouter encore plus de 50 000 mà la date de publication du rapport.

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