D. PLAN DE TRANSFORMATION INACHEVÉ ; INDUSTRIEL NI EN CONFORMITÉ NI SANCTIONNÉ : L'ENTRE-DEUX INCONFORTABLE DES SERVICES DE L'ÉTAT

1. Dans les Vosges, seule subsiste la demande de révision d'autorisation d'exploitation d'Hépar

La mise en oeuvre du plan de transformation de Nestlé s'avère moins complexe dans les Vosges que dans le Gard. Seule demeure à ce jour non tranchée la demande de modification des arrêtés préfectoraux autorisant le recours à la microfiltration à 0,2 micron pour Hépar.

Par arrêtés modificatifs du 4 juillet 2023, la préfète des Vosges a autorisé le recours à des filtres à 1,2 et à 0,45 micron pour les seules sources de Vittel98(*).

Par courrier du 31 octobre 2024 en réponse à la directrice générale de l'ARS Grand Est, Grégory Emery, directeur général de la santé, a indiqué qu'aux yeux du ministère de la santé la microfiltration à un seuil de coupure inférieur à 0,8 micron n'était autorisé qu'en présence d'une démonstration de l'absence de modification du microbisme de l'eau, afin que ce traitement ne s'apparente pas à de la désinfection. Enfin, dans un souci de cohérence avec les autres États-membres, le directeur général de la santé a préconisé de ne pas autoriser des filtres ayant des seuils de coupure inférieurs à 0,45 um.

2. Dans le Gard, l'instruction de la demande de révision d'autorisation d'exploitation de la source Perrier est toujours officiellement en cours

À ce jour, la demande de révision complète de l'autorisation d'exploitation de la source « Perrier » est toujours en cours d'instruction par les services de l'ARS. Elle est conditionnée à deux éléments :

- le respect par les eaux brutes de la source de la notion de « pureté originelle » ;

- la validité juridique de la demande de Nestlé Waters d'utiliser une microfiltration à 0,2 micron.

La microfiltration à 0,2 micron pose un double problème. Comme on l'a vu plus haut, il ne s'agit pas d'une pratique autorisée, mais tout au plus tolérée, dans les conditions très contestables qui ont été exposées. Au surplus, s'agissant du Gard, elle n'a pas été inscrite dans les arrêtés préfectoraux d'exploitation. Il en résulte que son usage est contraire à la réglementation. La simple application de cette dernière doit nous conduire à considérer que l'eau « Perrier » qui sort actuellement de l'usine de Vergèze ne devrait pas bénéficier de l'appellation « eau minérale naturelle ».

Nestlé Waters a déposé une demande de révision complète de l'arrêté d'autorisation le 13 octobre 2023. Après la prise de l'arrêté d'autorisation « provisoire » le 22 décembre 2023, les services de l'ARS se consacrent en janvier et février 2024 à l'étude du dossier et à cette fin, à l'exploitation des données de qualité des eaux brutes.

Le 6 février 2024, une réunion interne à l'ARS Occitanie et aux services préfectoraux aborde l'exploitation de données du contrôle sanitaire renforcé sur les sept forages de Vergèze depuis le retrait des traitements : son compte-rendu mentionne qu'« au regard de ces résultats, seul le captage Romaine VII répondrait à la définition d'une eau minérale naturelle au sens de la pureté originelle »99(*). En effet, l'ARS indique : « au regard des résultats d'analyses sur les 5 forages (..), l'eau ne peut répondre à la définition d'une eau minérale naturelle (...). La pureté ne peut être vérifiée et validée à partir des données présentées ce qui ferait perdre la reconnaissance d'eau minérale naturelle pour au moins 4 forages. Le retrait des dispositifs de traitement, aux robinets de prélèvements, a mis en lumière la présence de contaminations microbiologiques régulières des forages (...). La présence de traces de micropolluants confirment également une forme de vulnérabilité des aquifères captés (burdigaliens et hauteriviens) même si les résultats restent inférieurs aux valeurs limites réglementaires (métabolites de pesticides, PFAS, chlorate). »

Ces conclusions sont transmises au préfet le 20 mars 2024 par le biais d'une note du directeur général de l'ARS Occitanie. D'après le préfet du Gard, « L'ARS [l]'informe qu'en l'état, la nouvelle autorisation pour le mélange Perrier ne recevra sans doute pas une suite favorable. »

L'ARS préconise, après validation de la direction générale de la santé, de poursuivre l'instruction pour laisser l'opportunité à Nestlé Waters dans le Gard d'expliquer ces résultats, de nommer un hydrogéologue pour obtenir son avis et de mettre en oeuvre la surveillance renforcée préconisée le 16 octobre 2023.  Le 22 mars, l'ARS demande, via un courrier du préfet, des éléments complémentaires concernant l'instruction de la demande d'autorisation en cours. Ces éléments ne sont transmis que le 7 mai 2024. C'est donc seulement à cette date que l'ARS a considéré comme complet le dossier de demande de révision de Nestlé Waters.

Le 15 juillet 2024, le préfet indique à Nestlé la poursuite de l'instruction administrative de sa demande, notamment avec la réquisition d'un hydrogéologique - compte tenu de la grève en cours- afin d'émettre un avis sanitaire règlementaire sur le dossier déposé en octobre 2023.

Le 6 septembre 2024, le rapport d'observations provisoires de l'ARS et des services préfectoraux à la suite de l'inspection menée sur le site de Vergèze le 30 mai 2024 met en évidence des écarts concernant la microfiltration et le non-respect des critères de pureté originelle. La note de synthèse indique néanmoins qu'en l'absence de texte, le retrait de la microfiltration ne peut être ordonné. Il est même écrit que ce retrait ferait peser un risque sanitaire. On retrouve ici l'inversion de normes déjà signalée. C'est l'industriel qui choisit un mode de production qui crée le risque en usant d'une eau régulièrement contaminée, mais sans la traiter pour que soit éradiquées les contaminations bactériologiques et virologiques, afin de conserver, pour des raisons économiques et financière, l'appellation d'eau minérale naturelle. Et ce sont les services de l'État qui s'interdisent d'imposer à cet industriel de respecter les textes.

Le 18 décembre 2024, le rapport définitif de l'ARS et des services préfectoraux à la suite de l'inspection menée sur le site de Vergèze le 30 mai 2024 met en évidence plusieurs écarts, notamment, comme l'écrit le directeur général de l'ARS Occitanie au préfet : « l'écart n° 4 qui avait conduit la mission d'inspection à considérer que les traitements de microfiltration à 0,2 micron utilisés sur l'ensemble du réseau de distribution d'eau minérale naturelle Perrier étaient non conformes aux exigences réglementaires. Ces traitements ont pour effet de modifier la composition de l'eau minérale naturelle ». »

Après plusieurs interrogations concernant la base juridique d'une demande de retrait de la microfiltration à 0,2 micron - en l'absence de texte mentionnant ce seuil de coupure -, le préfet du Gard demande, le 20 janvier 2025, à Nestlé Waters de démontrer sous deux mois que la microfiltration utilisée ne modifie pas le microbisme de l'eau de la « Source Perrier ».

Deux mois plus tard, le 20 mars 2025, Stefano Piscitelli, directeur de l'usine Perrier, transmet au préfet du Gard une note et une série de documents tendant à démontrer que la microfiltration à 0,2 micron est conforme à la règlementation et a des effets similaires à celle déjà autorisée avec 0,8 micron. Il transmet également un courrier en date du 7 mars demandant la saisine du Nestlé Research Center pour démontrer que la microfiltration à 0,2 micron ne modifie pas le microbisme de l'eau, conformément à l'injonction du préfet du Gard.

Comme on l'a vu plus haut, le processus proposé par le préfet, même s'il a le mérite d'imposer une clarification à l'industriel, ne correspond pas aux exigences de la directive de 2009. En d'autres termes, à supposer que les arguments de l'industriel soient validés par l'ARS, cela ne suffirait pas à autoriser la microfiltration à 0,2 microns en l'absence de saisine de la Commission européenne.

En outre, sur le fond, l'avis sanitaire des hydrogéologues concernant la demande de révision complète de l'autorisation d'exploitation de la « Source Perrier » rendu le 4 avril 2025 est défavorable à une exploitation en tant qu'eaux minérales naturelles et, selon toute vraisemblance, fait perdre son intérêt à ce débat sur la microfiltration, en tout cas pour le site Perrier. Il établit en effet clairement que les forages Romaine IV, IV bi, VI, VII et VIII ne satisfont pas aux exigences de pureté originelles fixées par l'arrêté du 14 mars 2007100(*). Leur qualité microbiologique ne permet pas, en effet, de respecter les limites règlementaires spécifiques aux eaux minérales naturelles, qui sont supposées pures à la source et protégées de toute pollution.

À la date où la commission d'enquête adopte ce rapport, Nestlé Waters n'est toujours pas en conformité avec la règlementation, plus de trois ans et demi après ses aveux au cabinet de la ministre de l'industrie. Pour autant, Nestlé n'a jamais été notifié d'un rejet de sa demande d'autorisation d'exploitation. Cela interroge quant à la temporalité de l'action publique, qui a validé un plan de transformation avant de disposer des analyses portant sur l'impact de la microfiltration demandée sur le microbisme de l'eau et avant de diligenter des analyses sur la pureté originelle des eaux de l'industriel.


* 98 Arrêté n° 2023-3461/ ARS/ DT88/ VSSE concernant Vittel « Bonnes sources », arrêté préfectoral n° 2023-3460/ARS/DT88/VSSE concernant Vittel « Grandes sources ».

* 99 Pour rappel, la « Source Perrier » est alors exploitée à partir des forages Romaine IV, IV bis, VI, VII et VIII.

* 100 Rapport des hydrologues, 4 avril 2025, p. 109.

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