B. UNE RÉGLEMENTATION À RESTRUCTURER

1. Mettre en place un seuil normé pour la microfiltration
a) Porter la demande d'une modification juridique au niveau européenne auprès de la Commission européenne

Si la réglementation relative à la microfiltration est apparue claire au rapporteur, force est de constater que de nombreux acteurs se sont retranchés derrière un flou supposé pour justifier leurs actes.

La direction générale de la santé relevait ainsi que « la directive européenne 2009/54/CE repose sur des principes généraux et anciens qui ne permettent pas de déterminer, sans ambiguïté, la légalité de ce type de traitement d'autant que le seuil de coupure autorisé pour ces filtrations n'est pas défini réglementairement. Cette incertitude réglementaire rend plus complexe la mise en oeuvre de mesures coercitives tant que ce point n'est pas clarifié ».

Une fois ce constat posé, il convient de porter résolument au niveau européen sa modernisation, ce que le Gouvernement de 2021 à 2024 s'est bien gardé de faire avec vigueur en dépit de la volonté des administrations compétentes.

Par conséquent, la commission d'enquête souhaite que la France porte auprès des institutions communautaires des demandes de révision de la directive 2009/54/CE du 18 juin 2009 relative à l'exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles.

Les demandes de révision devront porter sur :

- les critères de qualification de la pureté originelle qui pourraient être précisés ;

- le statut et le seuil acceptable de la microfiltration qui doivent être précisés.

Ces demandes ont été évoquées par les autorités françaises au niveau administratif à l'occasion de l'audit de la Commission européenne en mars 2024 puis lors des séances du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l'alimentation animale (CPVADAAA) des 30 avril et 8 novembre 2024, ce comité réunissant la Commission et les représentants de l'ensemble des États membres.

Elles doivent désormais être portées au niveau politique. En effet, selon la direction générale de la santé, la Commission a répondu qu'elle ne prendrait pas l'initiative d'une révision de la directive. Une telle prise de position de la Commission est regrettable.

Selon la direction générale de la santé, une action commune visant à questionner de nouveau la Commission est en cours de construction associant la France à l'Espagne et à la Belgique qui souhaitent également une clarification du statut de la microfiltration.

La commission d'enquête ne comprend pas la réponse faite à ce stade par la Commission européenne et soutient par conséquent fortement l'initiative française consistant à l'interroger de nouveau pour faire avancer les indispensables révisions du droit de l'Union européenne dans le sens d'une consolidation de la notion de pureté originelle, notamment en fixant un seuil de microfiltration suffisamment haut pour garantir sa préservation.

b) Limiter le seuil de coupure à 0,45 micron au niveau national dans l'attente d'une clarification de la réglementation européenne

Dès lors que la Commission européenne paraît, à ce stade, réticente à se saisir à brève échéance de cette question, il convient d'adopter rapidement des règles claires au niveau national.

La clarification rapide de la réglementation et des procédures à mettre en oeuvre par les industriels minéraliers est cruciale car d'elle dépend la sécurité ex ante des eaux produites. Sans cette clarification, l'État en est réduit à adopter un mode de régulation ex post fondé sur le repérage et la destruction des lots de bouteilles contaminées. Ce mode est très insatisfaisant, non seulement car il présente le risque que des bouteilles contaminées ne passent entre les mailles du filet et soient commercialisées, mais aussi parce qu'il conduit à produire puis détruire de la production, ce qui est, écologiquement et économiquement, absurde.

La direction générale de la santé prépare à cet égard un projet d'instruction aux ARS et aux préfets qui fixerait ainsi la doctrine française sur la microfiltration en l'absence de règle harmonisée au niveau européen :

- « Pour le conditionnement d'une eau minérale naturelle ou d'une eau de source, le recours à des dispositifs de microfiltration avec des seuils de coupure inférieurs à 0,45 micron est interdit. Comme en Espagne ou en Belgique, en-dessous de ce seuil, ces technologies sont assimilées à des traitements de désinfection au sens de l'article 4 de la directive 2009/54/CE ;

- « L'industriel du conditionnement d'une eau minérale naturelle ou d'une eau de source qui souhaite utiliser des dispositifs de microfiltration avec des seuils de coupure compris entre 0,45 et 0,8 micron doit le déclarer au préfet et démontrer que le traitement n'a aucun impact sur le microbisme naturel de l'eau de la source autorisée eau minérale naturelle ou eau de source ».

À cet égard, plutôt que de laisser chaque préfet et chaque ARS à nouveau seul face à la nécessité de recueillir les preuves de l'absence d'impact de la microfiltration entre 0,45 et 0,8 micron, la bonne démarche consisterait à solliciter un avis documenté par l'Anses.

Toutefois, il pourra toujours être opposé aux autorités qu'une instruction ne crée pas de droit. Par conséquent, dans l'attente d'une décision au niveau européen, la commission considère qu'une instruction, pour être bienvenue, ne suffit pas et qu'il revient au Gouvernement de prendre l'initiative et de clarifier l'arrêté du 14 mars 2007 relatif aux critères de qualité des eaux conditionnée.

Recommandations

N° 

Libellé

Destinataire

Échéancier

Support

15

Solliciter à nouveau la Commission européenne, y compris au niveau politique, pour obtenir une révision de la directive sur les eaux minérales naturelles afin de consolider la notion de pureté originelle, notamment en fixant un seuil de microfiltration suffisamment haut pour garantir sa préservation

puis

Engager une négociation au niveau européen pour réviser la directive de 2009 sans altérer la protection de la pureté originelle de l'eau minérale

Premier ministre, Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE)

Ministère de la santé, direction générale de la santé

Ministère chargé de l'Europe

2025

Sollicitation puis négociation diplomatique

16

Diffuser rapidement l'instruction interdisant la microfiltration avec des seuils de coupure inférieurs à 0,45 micron et conditionnant la microfiltration à des seuils compris entre 0,45 et 0,8 micron à la démonstration d'une absence d'impact sur le microbisme naturel de l'eau, sur la base d'un avis de l'Anses

puis

Modifier l'arrêté du 14 mars 2007 relatif aux critères de qualité des eaux conditionnée pour y insérer le même niveau de seuils

Ministère de la santé, direction générale de la santé

1er
semestre 2025

Instruction

2. Garantir la traçabilité de l'eau

Lors de leur visite du site de Vergèze, les membres de la commission d'enquête ont pris la mesure d'un enjeu essentiel, particulièrement perceptible sur ce site assurant la production de plusieurs types d'eau : celui d'assurer la traçabilité de l'eau.

De fait, trois types d'eau sont désormais produits à Vergèze : de l'eau minérale naturelle « Source Perrier », de l'eau de boisson qui peut subir des traitements aux UV et au charbon actif vendue sous la nouvelle marque « Maison Perrier » et de l'eau traitée pour l'exportation vers les Etats-Unis selon des méthodes exigées par les autorités américaines et qui ne correspondent pas aux normes européennes. Or, ces eaux utilisent, au moins en partie, des installations communes (cuves, canalisations, etc.).

Selon les explications des responsables du site, la production d'un type d'eau est programmée pendant plusieurs jours, avant une phase de nettoyage, puis la production d'un autre type d'eau, ces phases d'alternance se produisant à intervalles réguliers au fil du temps, mais étant gérées informatiquement.

Il est donc essentiel que les industriels se dotent des dispositifs de suivi et de traçabilité informatique nécessaires pour être capables d'indiquer aux services de contrôle quel était très précisément le type d'eau produite sur une ligne de production donnée à un moment donné.

Or, la lecture du rapport d'inspection des services de la DGCCRF en date du 13 juin 2024 sur le site de Vergèze, comme la visite de l'usine par la commission montrent ce contrôle reste très complexe. Lors de l'inspection, par exemple, les personnels de l'usine n'ont pas été en mesure de présenter en temps réel la traçabilité en amont d'une ligne de production. Comme l'écrivent à juste titre les inspecteurs, « cette scission de la traçabilité est d'autant plus problématique depuis le déclassement de deux forages en eau destinée à la consommation humaine et représente un point critique de loyauté ».

Des entretiens tenus, lors du déplacement à Vergèze, avec les services de l'État présents, le rapporteur retire la conclusion que la question de la traçabilité mérite une réflexion approfondie quant aux méthodes de contrôles à déployer. En effet, l'orientation, sur des lignes de production identiques, des flux des différentes qualités d'eaux dans une usine comme celle de Perrier est gérée de manière totalement informatisée. Dès lors, la traçabilité ne peut être contrôlée que grâce à des processus d'audit solides des systèmes d'information déployés dans l'usine. Or, il ne semble pas que les services de l'État disposent des compétences et de l'expérience nécessaires en ce domaine.

Face à l'évolution rapide des process industriels, il est désormais impératif que les services de contrôle de l'État, DGCCRF et ARS notamment, mettent en place rapidement des programmes de recrutement et de formation d'agents capable de réaliser des audits des dispositifs informatisés de production pour vérifier qu'une « murailles de Chine » numérique existe à même d'assurer l'étanchéité des différentes filières de production et d'écarter le risque de réitération de la fraude. Une seconde étape sera de concevoir un plan d'audit de la traçabilité des eaux conditionnées dans les sites de production en France.

Comme on l'a vu, le code de la santé publique, à son article R. 1322-37-1, précise qu'une eau minérale naturelle (EMN) et une eau de source (ES) peuvent être conditionnées sur une même chaîne de conditionnement, sous réserve que l'exploitant soit en mesure d'apporter, à tout moment, la preuve de la nature de l'eau conditionnée au regard de la dénomination de vente figurant sur l'étiquetage. Un raisonnement a contrario laisse penser qu'à l'inverse une même chaîne ne peut conditionner deux eaux dont l'une ne serait ni EMN ni ES. C'était d'ailleurs sans doute la volonté des auteurs de l'article eu égard à la proximité des caractéristiques de ces deux catégories d'eau du point de vue des exigences de qualité microbiologique auxquelles elles doivent répondre. Pour autant, le code de la santé publique n'interdit pas formellement une même chaîne de conditionnement pour une eau minérale et une eau de boisson. On relèvera d'ailleurs à cet égard que les services de l'État n'ont pas fait valoir une telle interdiction pour l'usine de Vergèze alors que « Maison Perrier », eau de boisson qui n'est ni eau minérale ni eau de source qui partage la même ligne de conditionnement que l'eau minérale naturelle Perrier.

Pour renforcer la traçabilité de l'eau dans les installations de production, la commission propose que l'État établisse un cahier des charges de traçabilité des eaux qui impose des règles précises d'auditabilité informatique des dispositifs de gestion des flux d'eau et que, parallèlement, le ministère de l'économie consente un effort de recrutement, de rémunération et de formation de personnels en capacité de procéder à des audits informatiques des programmes de production.

Recommandations

Libellé

Destinataire

Échéancier

Support

17

Mettre en place un cahier des charges de traçabilité des eaux qui impose des règles précises d'auditabilité informatique des dispositifs de gestion des flux d'eau

Ministère de la santé, direction générale de la santé, agences régionales de santé

Ministère de l'économie, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, directions départementales de la protection des populations

2nd
semestre 2025

Cahier des charges

18

Créer un groupe de réflexion interservices pour instituer un programme de recrutement et de formation d'agents capable de réaliser des audits des dispositifs informatisés de production et concevoir un plan d'audit de la traçabilité des eaux conditionnées

Ministère de la santé, direction générale de la santé, agences régionales de santé

Ministère de l'économie, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, directions départementales de la protection des populations

2nd semestre 2025

Décision inter- ministérielle

19

Mener une campagne d'inspection des sites de production d'eau embouteillée portant spécifiquement sur la traçabilité des eaux minérales naturelles et/ou des eaux de source avant d'envisager une évolution, ou a minima une clarification, de la règlementation

Ministère de la santé, direction générale de la santé, agences régionales de santé

Ministère de l'économie, direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, directions départementales de la protection des populations

Immédiat

Instruction

3. Renforcer le contrôle des prélèvements

Compte tenu des enjeux en termes sanitaires, mais aussi financiers, la commission est étonnée de constater qu'un concept de base du contrôle interne, à savoir la séparation des tâches, ne soit pas mis en oeuvre dans l'activité de prélèvement des échantillons d'eaux dans les sites des minéraliers.

En effet, à l'heure actuelle, c'est un agent du laboratoire privé retenu par appel d'offres par l'ARS qui se rend, seul, sur place pour prélever un échantillon d'eau. Cette solitude est évidemment une faille en termes de protection contre la fraude et les erreurs.

Aussi apparaît-il nécessaire de mettre en place un dispositif permettant l'accompagnement de l'agent préleveur par un second personnel, qui pourrait relever des services de l'État. Le cas échéant, cette intervention serait à financer par l'industriel. Sans doute faut-il par ailleurs s'interroger sur la pertinence d'imposer aux industriels des dispositifs de forage conçus de telle sorte qu'ils soient aisément contrôlables.

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