C. UN CONTRÔLE DES COMPOSANTS DE L'EAU À ÉLARGIR D'URGENCE EN RAISON DES POLLUTIONS ÉMERGENTES
Les eaux minérales naturelles et les eaux de source font aujourd'hui l'objet de contrôles très précis, et en particulier microbiologique et virologique pour détecter toute contamination potentielle susceptible de mettre en danger leur sécurité sanitaire. Cependant, se pose de plus en plus la question, qui concerne également les autres denrées alimentaires, de la présence dans ces eaux de PFAS, d'une part, de micro et de nano plastiques, d'autre part.
Il y a là un enjeu de santé publique qui préoccupe de plus en plus nos concitoyens et qui doit conduire tant les minéraliers que les pouvoirs publics à se mobiliser pour garantir des eaux minérales naturelles et des eaux de source exemptes de PFAS et de résidus plastiques.
1. Les PFAS, une pollution omniprésente
a) Les PFAS sont présents partout dans notre environnement, y compris dans les eaux conditionnées
Les PFAS, substances per- ou polyfluoroalkylées, sont des composés chimiques qui présentent des propriétés particulières (antiadhésives, imperméabilisantes ou bien encore résistantes aux fortes chaleurs), ce qui a encouragé leur fabrication puis leur utilisation par de multiples secteurs industriels depuis les années 1950.
Même s'il ne s'agit pas à proprement parler de « polluants éternels », il s'agit de molécules très persistantes, puisqu'elles se dégradent ou se biodégradent très difficilement dans l'environnement, sur des durées pouvant se chiffrer en dizaines voire en centaines d'années. Elles peuvent toutefois être détruites par une incinération à haute température.
Produites depuis de nombreuses décennies, les PFAS sont désormais très largement répandues dans l'environnement et se révèlent bioaccumulables. Certaines sont toxiques ou « CMR », c'est-à-dire cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction, mais leur toxicité ou leur cancérogénicité demeurent encore insuffisamment documentée.
Pour mieux cerner la présence de ces PFAS dans les eaux conditionnées et la façon de la limiter ou bien d'y remédier, la commission d'enquête a entendu Alby Schmitt, inspecteur général de l'environnement et du développement durable, co-auteur du rapport « Analyse des risques de PFAS dans l'environnement » daté de 2022.
Celui-ci a rappelé que ces molécules d'origine industrielle sont présentes partout dans notre environnement : « on les retrouve dans les mousses de lutte contre les incendies, dans les batteries de véhicules électriques, dans les ustensiles de cuisine - on a beaucoup parlé des poêles antiadhésives, notamment de la marque Tefal -, les vêtements de sport, le fart de ski, les semelles de fer à repasser, les boîtes à pizza, etc. On en retrouve aussi dans les médicaments, tant dans les principes actifs - par exemple le Prozac - que dans les excipients et les boîtes. Nous n'avons découvert que récemment que les industriels utilisaient aussi des PFAS dans les pesticides ; le TFA en est l'exemple type ».
Ainsi qu'Alby Schmitt l'a signalé lors de son audition, il est clair que sans action forte et raisonnée, la présence de PFAS dans l'environnement et, en particulier dans les eaux de surface ne peut que se maintenir ou ne diminuer que très lentement, voire croître dans les eaux souterraines.
b) Un risque de contamination qui paraît limité pour les eaux en bouteilles, mais qui doit être contrôlé
Selon Alby Schmitt, il est possible d'identifier trois types de pollutions des eaux souterraines par des PFAS : ponctuelles, linéaires ou diffuses.
Dans le cas de pollutions ponctuelles, celles-ci peuvent provenir de percolations sous les terrains pollués aux PFAS : il peut s'agir d'anciens sites d'incendies d'hydrocarbures, d'anciens sites d'entrainement de pompiers ou bien encore d'anciens sites industriels produisant ou utilisant des PFAS ; la pollution est alors limitée, restreinte au seul « tube de courant » (secteur de circulation d'eau dans la nappe entre le point de pollution et le point d'émergence ou d'exploitation de la nappe).
Dans ce cas, une étude hydrogéologique doit permettre de déterminer où et comment pomper pour éviter de pomper une eau polluée.
Si de telles situations peuvent se présenter en France s'agissant de l'eau du robinet, Alby Schmitt a indiqué à la commission ne pas connaitre de site de production d'eau minérale naturelle ou d'eau de source sur lesquels le bassin versant comprendrait une usine ou un site pollué par des PFAS. Cette source de contamination paraît donc devoir être écartée.
Dans le cas de pollutions linéaires, il s'agit de la pollution des nappes alluviales par des cours d'eau pollués dans les secteurs où il y a recharge de ces nappes par la rivière. Beaucoup de captages d'eau potable exploitent des nappes alluviales et, en pratique, l'eau du cours d'eau ne fait que transiter de la rivière vers le captage par la nappe alluviale. Ce transit permet une filtration et l'élimination d'une partie des polluants, mais vraisemblablement pas d'une majorité de PFAS. Il est donc important de s'assurer pour tous ces captages d'eau potable en nappe alluviale que le cours d'eau n'est pas pollué par les PFAS et sinon, de rechercher l'origine de la pollution du cours d'eau et de la traiter.
Là encore, si cette situation existe pour des captages d'eau potable utilisés pour l'eau du robinet, tel n'est pas encore le cas des eaux minérales naturelles ou des eaux de source exploitées en France.
Dans le cas de pollutions diffuses, enfin, il s'agit de la pollution des nappes par les épandages de pesticides et de fertilisants, dont les boues d'épuration, lorsqu'ils contiennent des PFAS ou sont pollués par des PFAS.
Il s'agit là d'une pollution généralisée à l'ensemble des zones concernées et donc difficile à maîtriser au niveau d'un captage situé à l'aval. En dehors du traitement de l'eau les principales pistes envisageables sont la suppression des pesticides contenant des PFAS ou l'arrêt des épandages de fertilisants pollués par les PFAS.
Pour autant, selon Alby Schmitt lors de son audition : « pour les eaux minérales, le bassin de captage est en général bien protégé grâce à des conventions entre l'exploitant et les agriculteurs, qui prévoient de ne pas utiliser ou d'utiliser de manière raisonnée des intrants. C'est pourquoi, à mon sens, mais je n'ai pas de données en la matière, l'eau qui arrive à l'usine ne doit pas contenir de PFAS. Pour autant, il faut aussi prendre en compte les délais entre la décision de ne pas utiliser des intrants et le résultat que l'on souhaite obtenir. A priori, les eaux minérales devraient donc être beaucoup moins polluées à l'entrée de l'usine qu'une eau qui est puisée dans un autre captage moins protégé. »
De fait, les captages d'eaux minérales naturelles paraissent relativement protégés de ces pollutions d'origine agricole puisque les exploitants contractualisent fréquemment avec les agriculteurs situés sur le bassin versant de la source ou des forages pour qu'ils adoptent des pratiques respectueuses de la qualité de l'eau (réduction ou suppression des intrants).
Cathy Le Hec, directrice des eaux de Danone, indiquait ainsi lors de son audition : « quant à la protection des impluviums, notre programme lié à l'activité agricole comprend notamment l'agriculture régénératrice, qui vise à préserver les sols et à limiter l'utilisation des intrants. Sur les territoires où nous sommes implantés, agricultures conventionnelle et biologique se côtoient, mais 96 % des surfaces étaient sans pesticides en 2023 ».
Le risque de pollution des eaux brutes par les PFAS semble ainsi être limité même s'il doit, bien sûr, faire l'objet d'une surveillance attentive.
Si la protection des impluviums peut être une garantie, une pollution peut aussi apparaître dans l'usine d'embouteillage et le réseau de tuyauterie du process de production : cela est dû à la présence quasi-systématique de joints dans les process industriels, dont beaucoup contiennent des PFAS, PFAS également présentes dans les réseaux d'eau (canalisations, pompes, équipements de régulation...).
Lors de son audition, Alby Schmitt rappelait ainsi « qu'on utilise beaucoup les PFAS dans les procédés industriels. Je vais citer deux principaux exemples : la majorité des joints, un produit présent partout, en particulier dans l'industrie qui traite l'eau, qu'elle soit minérale ou destinée au robinet, contient des PFAS. Dans ces cas, quel est le risque de transfert ? Cela est encore peu connu. »
On peut donc raisonnablement estimer qu'il existe un risque de pollution par les PFAS dans les tuyauteries et les pompes des usines d'eau minérale naturelle.
Alby Schmitt indique ainsi « les traitements de l'eau sont a priori réduits pour l'eau minérale, mais restent variables selon les sites : élimination de l'arsenic et des éléments radioactifs pour certaines eaux, dégazage et regazéification pour les eaux gazeuses... En l'absence d'informations sur les analyses effectuées sur les eaux minérales en cause, il m'est difficile de conclure, mais il est vraisemblable que la pollution par les PFAS provient des usines et non des eaux brutes, surtout dans le cas de bassins versants bien protégés comme ceux de Vittel ou Contrexéville ».
En l'état actuel des connaissances scientifiques, il paraît donc établi que les PFAS susceptibles d'être présents dans les eaux minérales naturelles ou dans les eaux de source sont davantage susceptibles d'avoir été ajoutées au cours du processus de production que d'avoir été présents dans l'eau brute à l'émergence, en principe très bien protégée.
La commission estime indispensable qu'un point soit fait sur les risques de pollution par les processus industriels de production des eaux minérales et de source et recommande à la direction générale de la santé de saisir l'Anses sur ce sujet. Elle estime que les résultats de cette étude devront être rendus publics.
Recommandation |
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N° |
Libellé |
Destinataire |
Échéancier |
Support |
20 |
Saisir l'Anses aux fins d'établir un avis complet sur les risques de contamination des processus de production d'eau minérale et de source par les PFAS et rendre public cet avis |
Ministère de la santé, direction générale de la santé |
1er |
Saisine au titre de l'article L1313-3 du code de la santé publique |
c) Le contrôle de la présence des PFAS dans les eaux destinées à la consommation humaine
À l'heure actuelle, les contrôles obligatoires des eaux destinées à la consommation humaine, qu'il s'agisse des autocontrôles des exploitants ou des contrôles des ARS, portent sur des paramètres autres que les PFAS.
Néanmoins, en vertu de la directive de 2020 sur les eaux destinées à la consommation humaine (DEDCH)117(*) dont font partie les eaux minérales naturelles et les eaux de source, transposée en droit français par ordonnance et par des textes réglementaires, ces contrôles s'élargiront à 20 PFAS à compter du 1er janvier 2026.
Ces contrôles portent sur l'eau distribuée et les eaux brutes, qu'elles soient de surface ou souterraines.
Ce contrôle a du reste déjà en partie commencé puisque Alby Schmitt lors de son audition indiquait : « indépendamment de la réglementation, à peu près la moitié des agences de l'eau se sont mises, dès 2019, à mesurer dans les eaux souterraines et de surface les vingt PFAS listés dans la directive de 2020 ; les autres agences ne mesurent que les eaux souterraines et uniquement quatre PFAS pour les eaux de surface. Nous avons recommandé d'étendre à l'ensemble des eaux ce suivi des vingt PFAS et, le cas échéant, de le faire pour leurs précurseurs, c'est-à-dire les molécules qui se transforment, en se dégradant, en l'un de ces vingt PFAS. »
La directive permet de choisir entre une norme sur la somme des 20 PFAS et une norme sur le total des PFAS, ou encore de retenir les deux limites. La France a choisi de retenir les deux limites, dont une seule, la somme des 20 PFAS sera effective au 1er janvier 2026, en l'absence des lignes directrices attendues de la Commission sur le total des PFAS.
Une limite est déjà imposée aux eaux brutes destinées à la consommation humaine (2 ug/l pour les 20 PFAS). Il est indispensable de les surveiller, y compris celles destinées à être embouteillées.
Cette mesure amont permettra également de vérifier si la pollution est liée aux eaux brutes ou plutôt au process de traitement et de mise en bouteille (pollution par les PFAS pouvant être présents dans le process).
Comme toute norme, elle doit pouvoir être contrôlée, par un autocontrôle régulier par l'exploitant auquel vient s'ajouter un contrôle aléatoire et raisonné de la police sanitaire.
L'eau distribuée ou l'eau en bouteille ne doit pas dépasser une concentration et 0,1 ng/l pour les 20 PFAS (« Somme des 20 PFAS ») et 0,5 ng/l pour la totalité des PFAS.
Selon Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales chez Danone Waters Europe, lors de son audition par la commission : « concernant les PFAS, ou polluants éternels, la réglementation a été adaptée en 2023 par rapport à l'arrêté de 2007, qui a été modifié. Elle définit, pour les eaux destinées à la consommation humaine, une liste de vingt PFAS et un seuil. Elle ne s'applique pas directement aujourd'hui, puisqu'elle entrera en vigueur en 2026. Cela étant, nous nous efforçons d'anticiper les évolutions réglementaires et, surtout, d'être en capacité d'analyser la ressource et les risques pensant sur elle. C'est pourquoi nous avons sérieusement examiné la question des PFAS, avec plusieurs campagnes de contrôle, par différents laboratoires, sur nos produits finis. »
« Selon nos observations, dans la majorité des cas, nous ne détectons pas de PFAS dans nos produits finis. Lorsque c'est le cas, nous sommes très proches du seuil à partir duquel les laboratoires sont en mesure de les quantifier. Ce seuil de quantification est de l'ordre d'un à deux nanogrammes par litre. Nos eaux sont donc préservées quant à cette problématique des PFAS. »
Les autres minéraliers interrogés sur cette question ont fait des réponses analogues, affirmant de pas avoir trouvé de PFAS dans leurs eaux ou dans des quantités très inférieures aux seuils prévus par la directive DEDCH. C'est ce qu'ont notamment expliqué Luc Bayens, directeur général de Sources Alma et Didier Ramos, directeur général de la Société des eaux de Mont Roucous. Ces présentations optimistes doivent cependant être prises avec prudence si l'on en juge par la succession de révélations de presse récentes sur la présence de PFAS dans certaines eaux minérales en France, en Belgique ou en Suisse. La presse a ainsi évoqué les eaux de Villers (Alma), Vittel (Nestlé), ou Hennez (Nestlé)118(*).
De façon générale, il existe trois techniques d'élimination des PFAS dans l'eau : l'osmose inverse, les colonnes échangeuses et les filtres à charbon actif. Ces trois traitements ne sont pas spécifiques et peuvent éliminer à la fois les PFAS et tous les autres polluants ou une partie des autres polluants.
Mais ces traitements ne sont clairement pas compatibles avec la définition d'une eau minérale naturelle pure à l'émergence.
L'enjeu est donc bien de s'assurer qu'il n'y a pas de PFAS dans les eaux brutes à l'émergence et que des PFAS de sont pas ajoutées l'eau au cours du processus d'embouteillage.
Selon Alby Schmitt, « indépendamment de leur pertinence dans l'absolu, l'obligation de mesures de la pollution des eaux par les PFAS liée à cette réglementation va permettre de disposer d'informations bien plus étendues que précédemment, ce qui devrait permettre d'engager des suivis épidémiologiques qui amélioreront nettement notre connaissance des relations entre niveau de pollution par un PFAS donné et effets sur la santé ».
La commission d'enquête soutient donc la volonté exprimée par la direction générale de la santé de demander aux ARS de vérifier au cours de l'année 2025 la qualité des eaux brutes des eaux minérales naturelles et des eaux de source afin de s'assurer que celle-ci ne contiennent pas de PFAS ou que les quantités concernées demeurent inférieures au seuil de 0,1 ng/l pour les 20 PFAS. Il conviendra de mener également des campagnes de tests pour s'assurer que les eaux une fois conditionnées ne contiennent pas des PFAS à un niveau au-dessus de ce seuil de 0,1 ng/l.
Interrogée sur ses actions en matière de PFAS, l'Anses a indiqué : « (...) les études de l'alimentation totale (EAT) sont reconnues comme l'une des méthodes les plus pertinentes d'un point de vue coût-bénéfice pour évaluer les expositions alimentaires chroniques d'une population à un grand nombre de substances, et mener à bien des évaluations des risques sanitaires (ERS).
Ces études constituent l'une des principales sources d'information sur les concentrations de nombreuses substances dans l'alimentation et sur l'estimation des expositions alimentaires. Les résultats de ces études sont notamment un bon indicateur de la contamination de l'environnement par les produits chimiques et sont, de ce fait, un outil efficace permettant l'évaluation de l'efficacité des mesures de gestion des pouvoirs publics pour réduire l'exposition des populations à ces substances.
Les EAT reposent sur la combinaison de données de consommation individuelles, représentatives des habitudes alimentaires de la population, avec des données de contamination estimées sur les aliments prêts à consommer. A la différence d'études d'exposition plus théoriques s'appuyant sur les valeurs réglementaires (telles que les limites maximales de résidus (LMR)) ou sur la contamination des matières premières (issues des plans de surveillance et de contrôle de l'administration), ces études permettent une estimation plus réaliste du risque.
Dans le cadre de l'EAT 3, pilotée par l'agence, prêt de 260 paramètres appartenant à différentes classes chimiques (PFAS, mycotoxines, éléments traces métalliques, contaminants issus de matériaux en contact des aliments, résidus de pesticides, phytoestrogènes, etc.) sont recherchés dans différentes matrices alimentaires dont les eaux conditionnées (eau de source et eau minérale naturelle). Cette étude est en cours. »
La commission d'enquête estime que l'Anses doit prioriser les analyses relatives à la présence des PFAS dans les eaux destinées à la consommation humaine et dans les eaux en bouteille et proposer une programmation sur 5 ans en la matière.
Le rapporteur ne saurait trop souligner la nécessité de pousser les feux sur les PFAS pour en maîtriser la diffusion dans les eaux, ce qui suppose d'en réduire la production, d'en connaître les concentrations, d'améliorer les modes de traitements. En la matière, comme sur les micro et nanoplastiques dont ils sera questions infra, il attend du Gouvernement qu'il soit très proactif au sein de l'Union européenne pour compléter et durcir la réglementation visant à protéger les consommateurs.
Recommandations |
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N° |
Libellé |
Destinataire |
Échéancier |
Support |
21 |
Renforcer le contrôle sur la présence des PFAS dans les eaux embouteillées en menant une campagne de tests en 2025 |
Ministère de la santé, direction générale de la santé, agences régionales de santé |
2d semestre 2025 |
Instruction |
22 |
Vérifier l'absence d'adjonction de PFAS au cours du processus d'embouteillage |
Ministère de la santé, direction
générale |
2d semestre 2025 |
Instruction |
2. Les micro et les nanoplastiques, un problème particulièrement prégnant dans le secteur de l'eau conditionnée
Lors des auditions de la commission d'enquête, la question des micro et nanoplastiques est clairement apparue comme un nouvel enjeu prioritaire en matière de santé publique.
Initialement, la contamination par les microplastiques était principalement associée aux milieux aquatiques, notamment avec les déchets plastiques se déversant dans les mers et océans. Par la suite, les études ont montré leur présence dans les autres compartiments de l'environnement (air et sol) puis dans les aliments et le corps humain.
Les microplastiques sont des particules de matériaux plastiques définies principalement par leur taille. Celle-ci est comprise entre 1 micromètre et 5 micromètres, selon la communauté scientifique. Les nanoplastiques font pour leur part moins d'1 micromètre.
Alors que les objets en plastique sont présents partout dans notre environnement, ils se dégradent sous l'effet de l'action de bactéries ou par photo-oxydation avec les rayons ultraviolets (UV) solaires, mais dans tous les cas de manière très lente. Cette lenteur du processus peut conduire à un fractionnement et à l'apparition de microplastiques, terme utilisé pour les fragments inférieurs à 5 millimètres.
La seconde origine des microplastiques est leur production à cette échelle. Les plasturgistes produisent des matériaux plastiques de taille inférieure à 5 millimètres, comme des billes de plastique qui pouvaient être utilisées auparavant dans des produits exfoliants ou certains produits ménagers.
Les travaux scientifiques démontrent l'ubiquité de la contamination des microplastiques et des nanoplastiques dans l'environnement : on les détecte actuellement, partout dans le monde, dans presque toutes les ressources aquatiques, qu'elles servent à l'obtention de l'eau du robinet ou pour les eaux embouteillées.
Une étude américaine, publiée dans la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences le 8 janvier 2024, décompte ainsi près de 240 000 fragments de micro et nanoplastiques par litre d'eau en bouteille, avec une variation allant de 110 000 à 370 000 particules par litre.
Les dernières études réalisées soulignent en outre une fréquence et des quantités plus importantes de micro et nanoplastiques dans les eaux embouteillées que dans l'eau du robinet.
Plusieurs origines sont suspectées, sans que leurs parts respectives ne soient encore clairement établies.
Selon Johnny Gaspéri, directeur de recherche au laboratoire « eau et environnement » de l'université Gustave Eiffel, lors de son audition devant la commission d'enquête : « certaines études affirment que c'est le PET ou le polypropylène du bouchon qui sont les principaux polymères retrouvés dans les eaux embouteillées, tandis que d'autres soulignent que ce sont d'autres polymères présents dans ces eaux. Il existe alors deux manières de raisonner. Soit la contamination provient des polymères des contenants. Il est alors simple d'établir le lien avec le contenant. Si les polymères ne sont pas liés aux contenants, cela signifie que le processus de contamination est intervenu lors de la mise en bouteille ».
La première source de contamination des eaux minérales naturelles paraît bien être les bouteilles qui les contiennent, les plastiques les plus employés pour l'embouteillage des eaux étant le polyéthylène téraphtalate (PET) et les polyéthylènes. Ils contiennent en outre des adjuvants de fabrication, qui sont des plastifiants, tels que le phtalate et le bisphénol, des colorants ou des adjuvants de synthèse, comme l'antimoine (Sb).
La manipulation de la bouteille par le consommateur paraît également de nature à contribuer à la diffusion des microplastiques. Comme le soulignait Johnny Gaspéri lors de son audition, l'attention porte plus particulièrement sur les bouchons de bouteille utilisés. De fait, certaines études ont montré que la succession d'ouverture-fermeture générait des microplastiques.
Le process d'entretien des lignes d'embouteillage doit également être surveillé de près, y compris la présence de microplastiques dans l'air. Lors de son audition, Cathy Le Hec, directrice des sources d'eaux minérales chez Danone Waters Europe a ainsi précisé que « dans les sites d'embouteillage, des actions sont menées pour limiter ce risque, de l'aspiration des microparticules au rinçage des bouteilles ».
Enfin, la contamination potentielle de la ressource ne peut être écartée, même si, les eaux minérales naturelles et les eaux de source étant puisée dans des nappes profondes, cette origine de la contamination paraît la moins probable. Ainsi, lorsque la question lui a été posée, Cathy Le Hec a indiqué que « les analyses à la source, aux points de captage, ne révèlent pas la présence de microplastiques ».
En ce qui concerne les effets de ces contaminants sur la santé, les scientifiques en sont encore à la phase de constat de la présence de microplastiques dans le sang et dans la plupart des organes du corps humain. De premiers travaux, qui demandent encore à être confirmés, ont relié cette présence à des phénomènes de thrombose. Quant à d'autres effets sur la santé humaine, en particulier sur le placenta chez la femme enceinte, sur les reins et le cerveau, ils demeurent inconnus et animent les débats dans le monde scientifique.
Interrogée par la commission sur ses actions en la matière, l'Anses a indiqué : « Au sein de l'Anses, c'est le laboratoire de sécurité des aliments de Boulogne qui a l'expertise et les moyens analytiques nécessaires à la conduite d'études, développements de méthodes sur les nano plastiques et microplastiques. Une animation interne est mise en place au sein de l'agence sur le sujet des microplastiques au sens large. Par ailleurs, des échanges spécifiques sont organisés entre l'unité en charge de cette thématique et le LHN. Le LHN est impliqué dans les groupes de normalisation NF et ISO visant à développer les méthodes de mesure harmonisées en lien avec les besoins règlementaires notamment. (...)
Le Programme de travail du laboratoire (le LHN) est établi pour des périodes de 2 ans en lien avec sa tutelle la DGS. Depuis plusieurs années, les priorisations des travaux ont conduit à orienter les travaux sur les EDCH et eaux de baignade : matrices pour lesquelles des enjeux forts et besoins étaient exprimés. (...) Le Laboratoire est impliqué dans la troisième étude de l'alimentation totale (EAT 3) en cours. Il est en charge de l'analyse de pesticides dans les eaux de consommation dont certaines eaux conditionnées (conformément au plan d'échantillonnage de l'étude).
Enfin, à noter que des échanges sont en cours avec la DGS pour conduire de nouvelles actions sur les eaux conditionnées, notamment eau minérale naturelle, mais ces échanges sont à un stade préliminaire. Ils nécessiteront une priorisation au regard des ressources disponibles et allouées au laboratoire pour la conduite de ces actions ou impliquer de mobiliser des crédits spécifiques119(*). »
L'Anses précise par ailleurs que : « Le laboratoire de sécurité des aliments de l'Agence intervient dans des projets de recherche sur les microplastiques (une thèse, actuellement en cours, a évalué la contamination dans différentes boissons dont l'eau en bouteille). Il intervient également dans des travaux d'expertise nationale (Afnor, GT DGAL, appui aux ministères, Sénat...) et internationale (FAO, OMS, ISO...).
Le LHN est impliqué dans les groupes de normalisation français et internationaux visant à mettre en place un cadre méthodologique et métrologique harmonisé indispensable à la conduite d'action de surveillance et ou contrôle des eaux. Il réalise une activité de veille scientifique et des missions d'appui à la DGS dans le cadre des travaux de préfiguration européens.
Enfin, un groupe de travail interne Micro-Nanoplastique a été mis en place pour permettre aux différentes entités de l'Anses d'échanger sur ce sujet transversal ».
Il ressort de ces éléments qu'aux yeux de la commission les travaux de recherche sur les micro et nano plastiques doivent, à l'instar de ceux portant sur les PFAS, faire désormais l'objet d'une priorisation claire et porter sur l'ensemble des eaux consommées par les humains, mais sans oublier les eaux conditionnées, dont on a pu constater qu'elles n'avaient pas toujours été au coeur des préoccupations des autorités sanitaires.
Recommandations |
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N° |
Libellé |
Destinataire |
Échéancier |
Support |
23 |
Proposer une programmation sur 5 ans de recherche en matière de contamination des eaux embouteillées - par les microplastiques - par les PFAS des eaux et de leur processus de production |
Ministère de la santé, direction générale de la santé, Anses |
2026-2030 |
Programmation |
24 |
Déterminer une méthodologie de mesure de la quantité des microplastiques dans l'eau et de la manière de prévenir leur présence dans les processus d'embouteillage |
Ministère de la santé, direction générale de la santé Anses |
2nd semestre 2025 |
Instruction |
* 117 Directive 2020/2184 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2020.
* 118 Voir par exemple : https://www.quechoisir.org/actualite-pfas-le-tfa-pourrait-rendre-nos-eaux-potables-non-conformes-n132 438/ ; https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/12/04/pfas-le-polluant-eternel-tfa-contamine-aussi-les-eaux-minerales-en-bouteille_6428 664_3244.html ; https://www.letemps.ch/economie/pfas-plastiques-ou-pesticides-les-eaux-minerales-suisses-ne-sont-pas-pures ?srsltid=AfmBOoquJpdbkTUnEh7eR8cWwagwcqwMszm6Gfrg5X2QizWtCGige0iR
* 119 Le LHN a inscrit dans ses activités des études méthodologiques citées ci-dessous : Étude de la migration de l'acétaldéhyde, du 2 methyl 1,3 dioxolane, du 1,3 dioxolane et du 1,4 dioxane des bouteilles en poly(éthylène) téréphtalate (PET) vers l'eau embouteillée. Étude en cours.
Influence potentielle de la gazéification (ajout de gaz carbonique) sur la flore aérobie revivifiable dans les eaux minérales naturelles et les eaux de source. Étude en cours.