V. UNE COMMANDE PUBLIQUE QUI NE PROMEUT PAS SUFFISAMMENT LE FABRIQUÉ EN FRANCE

A. UN FABRIQUÉ EN FRANCE MARGINAL DANS L'ACHAT PUBLIC

Avec un volume de près de 170 milliards d'euros, pour plus de 243 000 contrats passés, la commande publique occupe une place essentielle dans l'économie nationale (8 % du PIB). Elle bénéficie à 45 % à des PME, à 27 % à des ETI et à 16 % à des microentreprises. L'origine du bien acheté n'est pas une donnée essentielle des marchés publics recensée par l'Observatoire économique de la commande publique. Le fabriqué en France est le « trou noir » de la commande publique. Le potentiel supplémentaire des achats de produits fabriqués en France est estimé à 15 milliards d'euros, soit près d'un cinquième du déficit commercial de 2024. Si 25 % des marchés publics étant réservés aux produits français, cela représenterait 50 milliards d'euros par an d'achats français.

Selon l'Observatoire économique de la commande publique, moins de 2 % des marchés publics passés par des acheteurs français seraient attribués à des entreprises européennes ou étrangères contre une moyenne sur l'ensemble des pays de l'Union européenne de 5 %. Le Conseil d'analyse économique (CAE) estimait en 2021 que la part des importations dans la commande publique de biens et services en 2014 était de 9 % pour la zone euro et de 8 % pour la France. Cela signifie qu'une part substantielle des entreprises françaises adjudicatrices de marchés publics proposent dans leurs offres des produits importés. Un opérateur privé attributaire d'une procédure de mise en concurrence peut en principe s'approvisionner dans le pays de son choix.

Sur le site de l'UGAP, la part de produits l'origine française ne représente que 1 % des références proposées aux acheteurs publics (soit 10 000 sur 1 million). Il s'agit de deux labels privés : Made In France ou, plus rarement Origine France Garantie, avec seulement 467 références.

B. LES HANDICAPS DE L'ACHAT FRANÇAIS DANS LA COMMANDE PUBLIQUE

La préférence locale n'est pas admise par l'Union européenne et les réponses aux appels d'offres doivent être traitées sans prendre en compte l'origine de l'entreprise candidate. Si fixer un critère de nationalité ou d'origine de l'entreprise est impossible, il est en revanche tout à fait possible pour un acheteur public de fixer d'autres critères permettant de favoriser les achats locaux. La prise en compte de considérations sociales et environnementales dans le cadre des marchés publics et le rejet des offres violant la législation applicable en matière sociale et environnementale ou des offres anormalement basses permet de valoriser les opérateurs vertueux.

Cependant, plusieurs facteurs affaiblissent le réflexe national dans l'achat public en France.

La commande publique est éclatée entre 60 centrales d'achats publics (dont la plus importante est l'UGAP avec un chiffre d'affaires de 5,6 milliards d'euros) et 135 000 pouvoirs adjudicateurs (30 000 en Allemagne, 3 500 en Italie).

La France est un des rares États en Europe qui pénalise le délit de favoritisme applicable à l'ensemble de la commande publique. Si ce délit constitue, par application des dispositions de l'article 121-3 du code pénal, une infraction intentionnelle, il demeure en pratique un délit quasi matériel. La jurisprudence présume en effet l'élément intentionnel, un adjudicateur ayant nécessairement connaissance de la loi. Cette forte pression pénale « conduit les acheteurs publics à une lecture excessivement prudente des règles », comme l'a souligné Arnaud Montebourg, lors de son audition par la délégation aux Entreprises le 15 mai 2025. Par ailleurs, 90 % des acheteurs publics sont des juristes. Ils ne sont pas assez sensibilisés aux aspects économiques et ne connaissent pas suffisamment les entreprises locales qui pourraient concourir.

La moitié des marchés publics en volume est passée sous le seuil de mise en concurrence de 40 000 euros HT. Dans ce cas, l'acheteur public est libre : il peut se fournir sur les plateformes du e-commerce sans se préoccuper d'acheter français. L'incitation à acheter du fabriqué en France se heurte d'une part à la liberté de l'entreprise qui remporte un appel d'offre29(*) de s'approvisionner où elle veut, et, d'autre part, à son incapacité à donner la provenance du produit.

Le point faible de la commande publique est l'inexistence des contrôles au niveau national des engagements des attributaires de marchés publics notamment en matière environnementale et sociale. En revanche, les contrôles européens peuvent être plus stricts30(*).

Malgré l'existence de l'Observatoire économique de la commande publique, « la mesure de la part importée dans notre commande publique est totalement déficiente (...) Comme si mesurer le « Made in France » devenait une faute par intention ou même une faute par possible intention face au droit européen (...) Le chantier de l'achat public de proximité « Made in France » se trouve actuellement enlisé dans l'incantation politique et n'est pas opérationnalisé. L'achat public souverain reste le passage clandestin d'une commande publique ne réussissant pas à se libérer des contraintes mais aussi des interprétations des textes qui la commandent ».

Source : Conseil national des achats : « Le « Made in France », passager clandestin de la commande publique »

Une meilleure connaissance de l'achat français permettrait de mesurer son impact en surplus de recettes fiscales nationales et locales, en quelque sorte d'évaluer son « retour sur investissement » malgré le surcoût des produits français.


* 29 Les entreprises sont de plus en plus souvent des distributeurs.

* 30 Notamment au regard des lignes directrices de la Commission pour la détermination des corrections financières à appliquer aux dépenses financées par l'Union en cas de non-respect des règles en matière de marchés publics, du 14 mai 2019.

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