COMPTE-RENDU DU DÉPLACEMENT EN ITALIE

Du jeudi 5 au samedi 7 juin à Rome

Personnalités rencontrées

- Mme Anna-Maria FALLUCCHI, Sénatrice, rapporteure de la loi sur le Made in Italy ;

- M. Silvio GIOVINE, député, rapporteur de la loi sur le Made in Italy ;

- M. Frédéric KAPLAN, ministre conseiller pour les affaires économiques, Ambassade de France ;

- M. Fabrice ARS, attaché de sécurité intérieure, Ambassade de France ;

- Général B. CRESCENZO SCIARAFFA, commandant de l'Unité spéciale pour les biens et services de la Garde des Finances ;

- Colonel Agostino BRIGANTE, commandant du groupe Anti-contrefaçon et Sécurité des produits de la Garde des Finances ;

- M. Amedeo TETI, chef du département marché et protection du ministère des entreprises et du Made in Italy ;

- Mme Laurence MOREL-CHEVILLET, directrice anti-contrefaçon de Bulgarie (LVMH) ;

- M. Antonio FRANCESCHINI, directeur des affaires internationales de la Confédération nationale des artisans (CNA) ;

- M. Claudio ROVERE, président de HModa ;

- M. Julien VEYRIER, secrétaire général de Carrefour Italia ;

- M. Marco FELISATI, directeur des affaires internationales ;

- M. Antonio MATONTI, directeur des affaires législatives ;

- M. Stefania DE FEO, affaires législatives de la Confindustria.

L'Italie a été à la pointe du combat en faveur du marquage obligatoire des produits, initiative qu'elle avait engagée lorsqu'elle présida le Conseil européen en 2003. Cette proposition ne trouva pas de majorité au Conseil, et pas davantage lors d'une seconde tentative en 2014.

L'article 16 de la loi 166 (Décret-loi 135 du 25 septembre 2009) avait établi un cadre strict pour définir les produits pouvant se prévaloir de l'origine « Made in Italy ». Ainsi, seuls les produits entièrement conçus, fabriqués et conditionnés en Italie pouvaient porter les mentions « Made in Italy », « 100% Made in Italy » ou des appellations équivalentes. Ce cadre normatif concernait un petit nombre de produits non alimentaires.

En 2010, l'adoption de loi Reguzzoni (n. 55 du 8 avril 2010) visait à renforcer l'identification nationale pour certains secteurs stratégiques de l'économie italienne : les produits textiles, la maroquinerie et les chaussures. Elle prévoyait l'utilisation de l'indication « Made in Italy » exclusivement pour les produits finis dont les phases de transformation, telles que définies par la loi elle-même, s'étaient déroulées principalement sur le territoire national et, en particulier, si au moins deux des phases de transformation pour chaque secteur avaient été effectuées sur le même territoire et si, pour les phases restantes, la traçabilité pouvait être vérifiée. Chaque produit qui n'avait pas droit à l'indication « Made in Italy » devait néanmoins indiquer l'État d'origine, conformément à la législation communautaire.

Cependant, cette loi a été notifiée à la Commission européenne qui, par note de la direction générale des entreprises et de l'industrie n° 518763 du 28 juillet 2010, a émis un avis défavorable à sa compatibilité avec le droit communautaire, compte tenu des restrictions qu'elle pourrait apporter à la concurrence et à la libre circulation des marchandises sur le territoire européen. En particulier, la Commission a estimé qu'aucun État membre ne pouvait adopter de manière autonome des méthodes techniques de détermination de l'origine différentes des méthodes européennes, car cela reviendrait à entraver la libre circulation des produits. En raison de ce jugement négatif des institutions européennes, les décrets d'application n'ont jamais été adoptés.

Le nouveau gouvernement Meloni a souhaité relancer cette politique de promotion des produits nationaux.

Un Ministère des Entreprises et du Made in Italy (MIMIT) a été créé en 2021 dans le cadre de la réorganisation gouvernementale italienne afin de fusionner plusieurs ministères, notamment ceux de l'Industrie et du Développement économique. Ce nouveau ministère a pour objectif de soutenir l'innovation, la compétitivité et la promotion des produits « Made in Italy ». Il a été confié à Adolfo Urso, que vos rapporteurs ont rencontré lors de la remise des Farnèse d'Or à l'Ambassade de France, le 5 juin.

Il s'appuie sur l'Istituto Tutela Produttori Italiani (ITPI), fondé en 1999, association dédiée à la protection, la valorisation et la délivrance de la marque « 100% made in Italy - Sistema IT01 ». Cette marque vise à confirmer la valeur du produit de qualité d'origine véritablement italienne. Selon son site : « Ceux qui ne fabriquent pas un produit de valeur entièrement réalisé en Italie ne pourront jamais se prévaloir de la certification 100% Made in Italy ». L'entreprise qui demande la certification doit déclarer répondre aux exigences de production « entièrement italienne, de produits semi-finis italiens, de matériaux de première qualité, d'un style propre, et d'un travail artisanal traditionnel typique ». La certification est délivrée par l'Institut pour la Protection des Producteurs Italiens. L'instruction et la gestion des relations avec l'entreprise pour la certification sont effectuées par Promindustria S.p.A. L'Institut effectue des inspections sur place préventives et périodiques, directement par l'Institut ou par des organismes ou professionnels externes spécialement délégués. Le site internet de l'ITPI affirme que cette certification permet de « plus grands avantages pour les entreprises sur les appels d'offres régionaux, étatiques et communautaires d'aides ».

La loi du 27 décembre 2023 « dispositions organiques pour la valorisation, la promotion et la protection des produits fabriqués en Italie » comporte 59 articles et se veut une loi-cadre de la protection du patrimoine productif italien avec :

· Une journée nationale (le 15 avril) du « Made in Italy », afin de promouvoir « la créativité et l'excellence italiennes ». Il s'agit cependant d'une journée de communication gouvernementale : les opérateurs économiques rencontrés par vos rapporteurs ont indiqué que la grande distribution promouvait toute l'année les produits italiens.

· Une protection des marques historiques de plus de 50 ans en déshérence : le MIMIT pourra reprendre gratuitement la propriété d'une marque historique si le propriétaire a l'intention de cesser définitivement son activité, ne l'a pas vendue à des tiers et l'a notifié au MIMIT en indiquant les raisons économiques, financières ou techniques de l'abandon d'activité. Pour les marques qui n'ont pas été utilisées depuis au moins 5 ans, le MIMIT peut redéposer une demande d'enregistrement de la marque en son nom propre, avec frais d'enregistrement à sa charge, via le fonds stratégique. Le ministère est autorisé à utiliser ces marques « exclusivement en faveur des entreprises, y compris étrangères, qui ont l'intention d'investir en Italie ou de transférer en Italie des activités de production situées à l'étranger ».

· La création d'un fonds souverain, doté de 1 milliard d'euros en 2023 et 2024. Toutefois, son objectif est moins le soutien au « Made in Italy » que « le renforcement et la revitalisation des chaînes d'approvisionnement nationales stratégiques, en faisant également référence aux activités d'approvisionnement et de réutilisation des matières premières critiques pour l'accélération des processus de transition énergétique et le développement de modèles d'économie circulaire »51(*). Il pourra investir dans le capital des entreprises nationales à fort potentiel ou d'importance systémique, pouvant générer des retombées positives pour le pays et réduire les coûts de coordination entre les acteurs des filières impliquées. Ses interventions ne devront pas être contraires aux règles européennes sur les aides d'État et il ne pourra prendre que des participations minoritaires. Cependant, nos interlocuteurs ont indiqué que ce fonds n'avait pas encore été activé.

· La création d'une marque officielle pour certifier l'origine italienne des marchandises, mais sur une base volontaire et « dans le respect de la réglementation douanière européenne relative à l'origine des produits ». L'objectif est de créer une « carte de sécurité » produite par l'Istituto Poligrafico e Zecca dello Stato. Réalisée à l'aide de techniques de sécurité ou de papier filigrané, elle garantit une protection adéquate contre la contrefaçon et la falsification, opposable aux tiers car la marque « 100 % made in Italy - Sistema IT01 » n'a qu'une valeur contractuelle. Les mesures d'application font actuellement l'objet d'une concertation avec les acteurs économiques. Cette disposition suppose au préalable la définition d'un produit « italien ». Selon le MIMIT, la définition s'effectuera en référence à la notion de valeur ajoutée, laquelle devrait être supérieure à 60 % mais variera selon les produits. Cependant, la Confindustria, fédération de 200 associations regroupant 150 000 entreprises de tous les secteurs, excepté la banque, s'est montré sceptique sur la faisabilité de ce processus et opposé au monopole d'un organisme certificateur comme à toute perspective de marquage obligatoire qui imposerait aux entreprises et particulièrement aux PME des coûts administratifs élevés pour garantir la traçabilité des composants des produits fabriqués, lesquels n'ont pas tous besoin d'une indication de leur origine nationale. Celle-ci devrait être réservée aux produits dont la valeur ajoutée « nationale » permet de faire la différence sur le marché mondial. En effet, il n'existe pas toujours de lien entre l'origine et la qualité d'un produit et « la certification de l'origine d'un produit peut constituer un obstacle à la concurrence ». Il faut s'appuyer au contraire sur les indications géographiques protégées, désormais possibles pour les produits manufacturés, car elles émanent des professionnels, sont construites par eux et constituent de vrais facteurs de compétitivité.

· La création d'un réseau de lycées dans les régions, pour former la jeunesse aux métiers d'excellence italiens alliant tradition (sciences humaines) et innovation (matières STEM Sciences, Technologie, Ingénierie, Mathématiques) et favoriser l'accès des jeunes à l'emploi en créant des ponts entre les mondes scolaires et des entreprises via la « Fondation pour l'entreprise et les compétences », également responsable de l'exposition nationale permanente du « Made in Italy ». Initialement prévus pour fonctionner à partir de la rentrée 2025, leur déploiement a pris du retard.

La loi de 2023 a également renforcé la lutte contre la contrefaçon. Elle a étendu le délit de vente de produits industriels avec des signes trompeurs, aux personnes qui détiennent des contrefaçons et a permis la saisie des objets contrefaits. Lorsqu'une saisie de produits de masse est opérée, la loi simplifie le code de procédure pénale afin de prévoir que la « liste » des objets saisis peut être remplacée par « leur catalogage par type et que la quantité peut être indiquée par la masse, le volume ou le poids ». Signe de la prise en compte de la contrefaçon comme nouvelle filière - très lucrative et pénalement peu punie - du crime organisé international, elle permet également les opérations d'infiltration (acquisition de produits contrefaits pour remonter les filières).

L'Italie se caractérise en effet par la puissance de la Guardia di Finanza, forte de 63 000 hommes qui luttent contre le criminalité économique et financière et dispose à cet effet d'une compétence nationale et transversale lui permettant de lutter contre toute une filière économiquement intégrée, allant jusqu'au contrôle fiscal et à la saisie des comptes bancaires, point faible des réseaux criminels. La criminalité de la contrefaçon s'est en effet globalisée et industrialisée. Plus de 800 000 tonnes de produits sont importées chaque année pour le seul aéroport de Milan qui alimente toute l'Europe du Sud. Les saisies ont représenté en Italie, depuis janvier 2024, plus de 800 000 produits contrefaits pour un montant de 1,3 milliard d'euros, selon les informations transmises par les interlocuteurs italiens.

La tendance actuelle est de relocaliser la contrefaçon en Europe avec la création d'usines ou d'entrepôts clandestins notamment à Prato, ville de 200 000 habitants qui compte 4 600 PME gérées par des ressortissants chinois, employant 50 000 travailleurs clandestins dans des conditions sociales indignes. La lutte contre la contrefaçon passe, en Italie, par des campagnes d'information mais aussi la pénalisation des consommateurs (1 942 amendes prononcées en quinze mois), par la saisine du parquet anti-mafia en cas de contrebande en bande organisée, par le déploiement du Système d'information anti-contrefaçon, et, en Europe, par le renforcement de la coopération douanière (laquelle est très insuffisante avec la Belgique ou les Pays-Bas). Une extension de la compétence du Parquet européen serait appropriée.


* 51 Dossier parlementaire AC 1341-A du 1er décembre 2023.

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