AVANT PROPOS
Alors que l'immense majorité des consommateurs français déclarent vouloir acheter des produits fabriqués en France, ils les considèrent trop chers, de qualité insuffisante et jugent l'offre « France » illisible. La question de la compétitivité des produits fabriqués en France convoque des enjeux structurels : la soutenabilité du financement par les entreprises d'un modèle social toujours plus coûteux, une fiscalité pénalisante avec des impôts de production handicapant les entreprises, la durée du temps de travail et son coût, la qualité de fabrication des produits, la réindustrialisation et la relocalisation de la production.
L'irruption du commerce en ligne et, plus récemment, de plateformes chinoises proposant des produits à très bas coûts, rend les efforts de mise en avant des produits français plus difficiles. Le foisonnement des labels déconcerte le consommateur. L'information sur la provenance d'un produit n'est pas un obstacle mais une condition de la concurrence. Les contrôles du « francolavage »1(*) sont cependant théoriques face au « tsunami » des colis du e-commerce. La commande publique ne joue pas son rôle. Pourtant, le fabriqué en France permet, sur le marché national, de préserver un savoir-faire de qualité, ancré dans les territoires, à forte valeur ajoutée, et qui peut être valorisé à l'international.
La délégation aux Entreprises n'est pas actuellement favorable au marquage obligatoire de l'origine, qui ferait supporter sur les entreprises une charge supplémentaire.
Cette perspective pourrait être reconsidérée après la mise en place du passeport numérique des produits et une étude d'impact à l'échelle européenne démontrant son coût quasi-nul pour les entreprises. La délégation considère en revanche prioritaire de lutter contre la contrefaçon et le dumping des importations de produits à bas coût qui menacent les savoir-faire traditionnels et tout produit fabriqué en France.
Le rapport d'Yves Jégo sur le fabriqué en France vient d'être rendu public (28 mai 2025). Il était l'auteur en 2010 d'un précédent rapport « En finir avec la mondialisation anonyme, la traçabilité au service des consommateurs et de l'emploi », qui proposait déjà de « rendre obligatoire le marquage de l'origine nationale des produits sur le marché communautaire ». Aujourd'hui, avec un rapport intitulé « Simplifier l'appréhension de l'origine des produits pour valoriser les filières françaises et européennes », il suggère d'imposer dans un premier temps un marquage obligatoire de l'origine des produits importés dans l'Union Européenne et ensuite de mettre en place un marquage de l'origine obligatoire pour accompagner l'usage des allégations à la France. Il préconise également de faire de la préférence européenne le principe directeur de nos achats publics ; de créer une fédération des marques territoriales ; d'instaurer un « Mois de l'achat français » ; et enfin de modifier le décret relatif au label Entreprises du Patrimoine Vivant afin de valoriser la production en France des entreprises labellisées.
I. LE FABRIQUÉ EN FRANCE : LA COMPÉTITIVITÉ PATRIOTIQUE
A. UNE FORTE DEMANDE DES CONSOMMATEURS
1. Les consommateurs français aimeraient acheter français, mais le prix est un obstacle
Selon une enquête réalisée en octobre 2023 pour CCI France, le pays de fabrication n'occupe que la 4e place dans l'acte d'achat d'un produit. Avec 23 %, ce motif arrive loin derrière le prix (80 %), la qualité (73 %) et la durée de vie (41 %). Les principales motivations à l'achat français sont le soutien des producteurs locaux (63 %), à l'économie française (56 %), et la qualité du produit (47 %).
Neuf Français sur dix qui achètent des produits français aimeraient en consommer davantage mais le prix freine ces achats pour 70 % des Français. Cependant, les consommateurs français sont prêts à faire un effort : si, en 2005, seuls 43 % des consommateurs étaient prêts à payer plus cher pour un produit fabriqué en France, plus des deux tiers de la population (65 %) y étaient favorables en 2020. L'attrait pour les produits nationaux reste toutefois plus marqué parmi les catégories les plus aisées et les plus diplômées.
Ces résultats varient en fonction des générations. La Génération X (personnes nées entre 1964 et 1979) semble être celle qui accorde le plus d'importance à l'origine du produit avec 23,6 % des répondants plaçant ce critère au coeur de leur décision d'achat. Les Boomers (1946-1964), avec 19,8 %, sont suivis de près par les Millénials (1980-1996) qui représentent 18,2 % des personnes interrogées. La Génération Z (1997-2012) s'avère être celle qui se préoccupe le moins de l'origine du produit (8 %).
Selon une étude récente2(*), 75 % des Français attendent des entreprises qu'elles s'engagent en matière de patriotisme économique.
2. Une prise de conscience des enjeux du fabriqué en France par les « consomm'acteurs »
Le fabriqué en France est aujourd'hui perçu comme une réponse concrète pour préserver les emplois locaux, soutenir l'économie nationale, répondre aux enjeux de souveraineté nationale, garantir des produits de meilleure qualité et mieux tracés. Les préoccupations environnementales expliquent l'intérêt grandissant pour le fabriqué en France. En effet, en privilégiant les produits fabriqués en France, l'empreinte carbone liée aux flux internationaux est considérablement réduite. Les acheteurs participent ainsi, dans une certaine mesure, à la préservation de l'environnement. De consommateurs passifs, ils deviennent des « consomm'acteurs » engagés.
Selon le CREDOC3(*), en 2020, l'argument écologique est ainsi devenu central dans les décisions d'achat. En 2005, la moitié des personnes qui se disaient préoccupées par l'environnement (50 %) étaient d'accord pour payer plus cher un produit fait en France contre 42 % de celles non préoccupées par cet enjeu. Quinze ans plus tard, 76 % des consommateurs soucieux de la dégradation de l'environnement (contre 39 % de ceux ne l'étant pas) se disent prêts à payer un surcoût. Grâce à cet argument écologique, ce qui était autrefois l'apanage d'une population âgée touche aujourd'hui également les jeunes générations4(*).
Or, dans un contexte d'inflation et de crise du pouvoir d'achat, le moteur « environnementaliste » de l'acte d'achat français ralentit : si en 2020, 87 % des Français étaient incités à consommer un produit en raison de sa fabrication française, et 77 % en raison de ses garanties écologiques, ils ne sont plus en 2024 que 73 % pour les garanties nationales et 54 % pour les garanties écologiques. Lors du dernier salon « Made in France », Guillaume Gibault, fondateur du Slip Français, a ainsi lancé une pétition pour « la mise en place d'un cadre économique en faveur des entreprises fabriquant en France », tenant compte du fait que « tout le monde ne peut pas encore se permettre » d'acheter des produits français.
L'importance accordée au fabriqué en France varie cependant selon la catégorie de produits. Elle est particulièrement forte en ce qui concerne l'alimentation, élément important/déterminant pour les trois quarts des Français (74 %), devant les produits d'hygiène et cosmétiques (63 %) et l'automobile (54 %).
Pour les entreprises, l'achat français reste également trop coûteux. Ce critère d'attribution d'une commande par les directions des achats est passé de 61 % en 2022 et 65% en 2023 à 47 % pour 2024, tombé au même niveau qu'en 2021. Pour 22 % des répondants, le coût est trop important (17 % en 2023).
* 1 Signes visibles sur un produit qui suggèrent que la fabrication est française sans l'affirmer concrètement, tels que des drapeaux tricolores.
* 2 « Le grand basculement : quand l'entreprise devient rempart », The Arcane et Fondation Jean Jaurès, 17 avril 2025.
* 3 « Made in France : un engouement grandissant rattrapé par les réalités économiques », Caisse des dépôts, 13 janvier 2025.
* 4 Ainsi, en 2005, 54 % des plus de 60 ans étaient prêts à payer un surcoût pour consommer des produits français, contre seulement 34 % des moins de 25 ans et 36 % des 25-39 ans. Cet écart entre tranches d'âge s'est estompé et ne s'observe plus en 2020, année où 67 % des moins de 25 ans et 68 % des 25-39 ans sont prêts à payer plus pour consommer français pour 69 % des 70 ans et plus.