OUVERTURE
Micheline
JACQUES,
sénateur de Saint-Barthélemy,
président de
la délégation sénatoriale aux outre-mer
Mme Micheline Jacques, président. - Monsieur le président de l'Association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM) et du conseil d'administration de l'Institut national du service public (INSP),
Monsieur le directeur général des outre-mer, monsieur Olivier Jacob,
Chers collègues parlementaires,
Mesdames et Messieurs les professeurs Caroline Bouix et Charles Froger chargés de la direction scientifique de cette journée,
Mesdames et Messieurs les juristes et membres de l'AJDOM,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureuse d'ouvrir ce matin ce colloque à l'intitulé ambitieux et stimulant : « Codification(s) et droit(s) des outre-mer », coorganisé par l'AJDOM et la délégation sénatoriale aux outre-mer que j'ai l'honneur de présider.
Je tiens à remercier le président Ferdinand Mélin-Soucramanien, qui a choisi le Sénat pour accueillir à nouveau les réflexions initiées par cette association reconnue pour l'excellence et le sérieux de ses travaux.
Vous le savez, nos liens avec l'AJDOM sont anciens : le président Michel Magras suivait assidûment vos activités et nous avons eu par le passé l'occasion d'entendre vos juristes à l'occasion de la préparation de nos rapports : en 2020, d'abord, dans le cadre du rapport de Michel Magras sur « la différenciation territoriale des outre-mer : quel cadre pour le sur-mesure » ; en juin 2022, nous avions aussi organisé une réunion conjointe pour débattre de la Nouvelle-Calédonie et du cadre constitutionnel des outre-mer et cette journée avait donné lieu à la publication d'un rapport largement diffusé.
Par un heureux concours de circonstances, c'est la troisième fois que nous avons le plaisir de nous retrouver en quelques semaines. Le 20 février dernier, le premier Prix de thèse de l'AJDOM décerné à Fannie Duverger, a été remis dans ces murs. Le thème, qui portait sur les possibilités d'assurer une meilleure représentation politique des populations autochtones, fait en effet écho à des problématiques qui existent dans plusieurs de nos territoires ultramarins, comme la Nouvelle-Calédonie, la Guyane ou encore Wallis-et-Futuna. À l'occasion de cette remise du prix, je formai le voeu que ce prix de thèse pose un nouveau jalon dans l'approfondissement de nos liens. Je ne croyais pas si bien dire !
Ce voeu s'est vite concrétisé, puisque le président du Sénat a reçu hier les lauréats du Prix de thèse du Sénat 2025, qui a distingué cette année une étudiante de La Réunion, Stéphanie Parassouramanaïk Accama, pour sa thèse sur « la faculté d'adaptation de l'article 73 de la Constitution - Contribution à l'étude de la notion d'autonomie normative des collectivités territoriales au sein de l'État unitaire français ». Cette thèse a été dirigée par Alexandre Mangiavillano, professeur à l'université de La Réunion, et par vous, monsieur le président.
Aujourd'hui, nous allons durant toute une journée aborder ensemble tous les aspects et les enjeux de la codification pour les outre-mer, sujet majeur, car les subtilités juridiques de nos territoires sont grandes et sont appelées à s'affiner compte tenu du besoin de différenciation ressenti dans tous nos outre-mer. La question de la codification du droit des outre-mer est ainsi pleinement d'actualité.
Au-delà des débats juridiques, elle rejoint celle de l'accessibilité et de l'intelligibilité du droit pour toutes les populations ultramarines.
Cet objectif de valeur constitutionnelle est aussi celui de l'égalité des droits et de la confiance des citoyens dans la République. Comment avoir confiance si la loi est inaccessible ou incompréhensible ?
L'exigence d'intelligibilité du droit est encore accrue outre-mer, du fait des débats institutionnels récurrents, des tensions autonomistes, voire indépendantistes, et de la part importante de populations allophones ou maîtrisant mal la langue française.
La sécurité juridique est aussi en jeu. L'incertitude sur la norme applicable crée de l'incertitude économique et freine le développement.
La codification est donc un outil, parmi d'autres, pour clarifier le droit applicable dans les outre-mer, aussi bien dans les territoires régis par l'article 73 que par l'article 74. Il est essentiel que le droit outre-mer soit accessible et ne soit pas qu'une « affaire de spécialistes ». Je vous renvoie sur ce point à l'excellent rapport sénatorial de Philippe Bas et Victorin Lurel sur l'adaptation des modes d'action de l'État outre-mer, publié en janvier dernier.
Je me félicite tout particulièrement de la table ronde à laquelle j'aurai l'honneur de participer cet après-midi sur la fabrique et la pratique de la codification. En croisant les points de vue, en s'interrogeant ensemble sur les raisons et les moyens de codifier, sur les acteurs de ce processus et les outils pertinents, cette journée d'étude au Sénat s'annonce donc très riche.
Comme lors de nos précédentes éditions, les actes de cette journée seront publiés et consultables sur le site du Sénat.
Je vous remercie pour votre attention et je souhaite à tous un excellent colloque !
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public, Université de Bordeaux, président de l'Association des juristes en droit des outre-mer. - Bonjour à tous. Merci, madame le président de nous accueillir à nouveau. J'ai l'impression que nous ne nous quittons plus, ce qui est plutôt bon signe. Merci à la délégation aux outre-mer du Sénat, à vos équipes très actives, à l'ensemble des sénateurs et sénatrices, et au président du Sénat dont les mots nous ont profondément touchés.
Pour cette journée d'étude, je remercie sincèrement Caroline Bouix et Charles Froger qui ont entièrement organisé ce colloque. Nous évoquerons les codes coloniaux et la codification privée, en passant par des principes fondamentaux, puis nous tiendrons une table ronde cet après-midi réunissant praticiens, fonctionnaires et académiques.
Cette journée représente exactement ce que nous avons voulu faire avec l'AJDOM, notamment avec Véronique Bertile, notre secrétaire générale : créer une société savante sur le droit des outre-mer, qui ne soit pas exclusivement réservée aux universitaires, mais qui dialogue avec les élus et les fonctionnaires.
La question de la codification, bien qu'apparemment technique, me passionne depuis longtemps. J'ai dirigé une thèse sur le sujet « codification et Constitution » et j'ai moi-même été l'auteur avec Olivier Magnaval d'un code des entreprises outre-mer. Ce travail répondait à une commande des Chambres de commerce d'outre-mer, car nous avions constaté que les investisseurs avaient du mal à connaître les dispositions applicables d'un territoire à l'autre. Comme vous l'avez souligné, Madame le président Micheline Jacques, il s'agit d'un sujet crucial pour les outre-mer. Derrière la question de l'accessibilité et de l'intelligibilité du droit se cache un enjeu d'égalité. Au-delà de l'égalité sociale qui reste largement à conquérir, l'égalité juridique est tout aussi importante.
Un travail de sociologie sur la perception du droit dans les différents territoires ultramarins serait particulièrement intéressant. Je connais cette perception dans mon territoire, mais pas dans les autres. À La Réunion, par exemple, le droit s'appelle simplement « la loi ». Cette question de la réception du droit est fondamentale pour retisser le lien avec la République, alors que les outre-mer traversent une forme de crise existentielle.
Je vous remercie encore de nous accueillir et me réjouis d'entendre toutes vos interventions.