LA CODIFICATION FACE AUX PRINCIPES D'IDENTITÉ ET SPÉCIALITÉ NORMATIVES
M. Loïc Peyen, maître de conférences en droit public, Université Toulouse Capitole. - Mon intervention concerne la codification face aux principes d'identité et de spécialité normatives. Précisons d'emblée deux points. Premièrement, je traiterai uniquement des codes et non de l'ensemble du droit applicable aux outre-mer. Mon approche sera davantage centrée sur la codistique (élaboration des codes) que sur la légistique (élaboration des lois). Deuxièmement, la spécificité de ce sujet tient à la grande dichotomie du droit de l'outre-mer entre collectivités soumises à l'identité législative et celles soumises à la spécialité législative. Pour les premières, principalement les départements et régions d'outre-mer, le droit métropolitain s'applique par principe, sauf exception et avec d'éventuelles adaptations. Pour les secondes, le droit national ne s'applique que s'il le prévoit expressément. Cette présentation, bien que pédagogique, reste simpliste face à la complexité réelle.
La spécialité législative connaît de multiples configurations : certaines collectivités y sont entièrement soumises, d'autres seulement dans certains domaines, d'autres encore uniquement sur certains sujets dans certains domaines. Les outre-mer forment ainsi un véritable nuancier normatif, allant des territoires les plus proches au droit hexagonal jusqu'aux plus éloignés.
Je m'intéresserai donc à la façon dont ce nuancier est appréhendé dans les différents codes et à la façon dont le législateur et le pouvoir réglementaire traitent la situation des outre-mer dans les codes nationaux.
Présentons la radiographie des codes actuels sur la situation ultramarine. Des questions guideront mon intervention : la prise en compte des outre-mer dans les codes nationaux est-elle satisfaisante ? Garantit-elle l'accessibilité, l'intelligibilité et la praticabilité du droit ultramarin ? Malgré les progrès réalisés ces dernières années, nous constatons une grande cacophonie et une importante marge de progression. La façon dont les codes intègrent la question ultramarine présente des fragilités significatives, tant sur la forme que sur le fond.
S'agissant de la forme, la structure des codes révèle une prise en compte très variable des situations ultramarines. On peut identifier deux types de dispositions : les dispositions orphelines et les dispositions grégaires. Les dispositions orphelines apparaissent isolément dans le code sans subdivision dédiée, comme l'article L. 3232-5 du code de la santé publique concernant le taux de sucre des denrées alimentaires en outre-mer. Les dispositions grégaires, aujourd'hui privilégiées, sont rassemblées dans des subdivisions spécifiques.
L'hétérogénéité structurelle est frappante : le code général de la propriété des personnes publiques et le code de la commande publique placent les outre-mer dans un livre, le code général de la fonction publique dans des titres, le code de justice administrative dans des chapitres, le code général des collectivités territoriales et le code de l'environnement dans des paragraphes, sections ou sous-sections. Cette disparité nuit à la clarté et à la cohérence d'ensemble. Ces subdivisions spécifiques facilitent certes l'identification des dispositions ultramarines, mais interrogent sur la cohérence générale des codes. Par exemple, le code des relations entre les publics et l'administration suit une logique matérielle pour quatre livres, puis ajoute un cinquième livre relatif aux dispositions ultramarines, soit une rupture de logique comparable à un menu de restaurant qui présenterait les entrées, plats et desserts, puis l'impact écologique des aliments.
Sur le fond, nous distinguons trois types de dispositions : d'applicabilité, d'adaptation et de fond. Les dispositions d'applicabilité, souvent purement informatives, précisent si les articles s'appliquent ou non dans les outre-mer. Certains codes rappellent simplement les principes d'identité et de spécialité législative, dispositions non performatives qui alourdissent le code en question.
Le vocabulaire employé par le législateur est également problématique. On parle parfois d'articles « supprimés » alors que ces articles sont simplement inapplicables. Certaines dispositions sont particulièrement indigestes, comme l'article L. 2563-1 du code général des collectivités territoriales qui énumère longuement exceptions et adaptations. Les grilles de lecture listant les adaptations sont complexes à manier.
Enfin, l'applicabilité du droit dans les outre-mer, dans les codes, ne concerne qu'une version du droit applicable. Selon la jurisprudence du Conseil d'État de 1990, l'applicabilité d'un texte ne présuppose pas l'applicabilité de ses modifications ultérieures. Un texte rendu applicable outre-mer ne suppose pas que ses évolutions ultérieures seront elles-mêmes rendues applicables, sauf si ces dernières le prévoient expressément. Les codes actuels présentent des listes ou tableaux indiquant les versions applicables sans reprendre ces versions dans le code lui-même.
Cette législation par renvoi entraîne deux conséquences problématiques. D'abord, un effet Schrödinger, avec des normes qui existent outre-mer, mais n'existent plus pour les autres collectivités nationales. Ensuite, un éclatement des normes juridiques néfaste pour les outre-mer car ne codifiant pas les versions applicables.
La codification confrontée aux principes d'identité et de spécialité législatives montre des signes de faiblesse qui interrogent sa pérennité. Cette situation entraîne de graves conséquences dans l'appréhension du droit outre-mer. Deux problèmes majeurs se posent. Premièrement, l'accessibilité et l'intelligibilité du droit outre-mer sont compromises. Il est véritablement compliqué de déterminer quelles normes s'appliquent outre-mer. Ce n'est pas parce qu'un texte précise comment ou quelles dispositions d'un code sont applicables outre-mer qu'il indique lesquelles s'y appliquent effectivement. On peut souvent lire cette phrase évasive du législateur, remplaçant un article par « les dispositions applicables localement », sans préciser lesquelles ni où les trouver. Nous avons donc une codification portant sur l'applicabilité des normes et non sur les normes elles-mêmes, ce qui explique les différentes initiatives de codification du droit local.
Deuxièmement, cette façon de considérer les outre-mer est problématique du point de vue de l'égalité des citoyens et de l'accès aux droits pour les ultramarins. La codification, censée assurer rationalité et accessibilité du droit, présente un angle mort important. La codification nationale dit simplement si et comment le droit national s'applique, mais ne précise pas quel droit est applicable localement. Le citoyen ultramarin cherchant le droit applicable se retrouvera avec des informations sur l'application du droit national, mais pas de réponse à sa question fondamentale.
En définitive, la codification du droit des outre-mer apparaît labyrinthique. Cette complexité qui confine à l'obscurité reflète peut-être un droit des outre-mer mal connu, mal pensé, voire délaissé. Cette situation traduit la difficulté à concevoir le pluralisme normatif, peut-être par crainte pour l'unité de l'État. Les principes d'identité et de spécialité législatives semblent parfois servir de prétextes pour ne pas s'intéresser aux droits localement applicables outre-mer.