CODIFICATION ET PEUPLE AUTOCHTONE : L'EXEMPLE DU CODE DE L'ENVIRONNEMENT DE LA PROVINCE DES ÎLES LOYAUTÉ EN NOUVELLE-CALÉDONIE

Mme Carine David, professeure de droit public, Université Aix Marseille. -Toutes les questions évoquées me rappellent nos discussions sur le parking des ateliers de la Faculté de droit à Nouméa, où nous avons beaucoup réfléchi au droit applicable et au principe d'identité et de spécialité législative. Je salue également tous les collègues présents ; nous sommes cinq à être passés par l'Université de la Nouvelle-Calédonie. En poste dans l'Hexagone depuis plus d'un an et demi, je continue à travailler presque exclusivement sur l'outre-mer et la Nouvelle-Calédonie, mais cette émulation intellectuelle me manque énormément.

Je vais vous parler de la codification des règles des peuples autochtones et particulièrement du code de l'environnement de la province des îles Loyauté, aujourd'hui mondialement connu sous le nom de CEPIL. Le projet CEPIL est une aventure professionnelle et humaine qui a démarré en 2013 et qui est toujours en cours en 2025. Le choix a été fait de construire ce code par étapes. La première étape a été d'établir son squelette, de déterminer son champ matériel, d'y intégrer certaines réglementations existantes, puis de le compléter progressivement, ce qui prend du temps compte tenu de la méthode employée.

L'idée fondamentale des autorités provinciales était de codifier le droit de l'environnement pour réaffirmer les pratiques coutumières environnementales en les formalisant dans le droit républicain. Cette formalisation permet d'appliquer des sanctions administratives et pénales en complément des sanctions coutumières. Ainsi, le droit formel devient l'outil de réaffirmation d'une coutume qui perdait son influence, notamment auprès des jeunes générations.

Le code de l'environnement de la province des îles Loyauté montre comment appréhender le droit en Nouvelle-Calédonie pour « faire pays ». Il est révélateur, en comparaison des autres codes provinciaux, de l'absence quasi totale d'hybridation juridique en Nouvelle-Calédonie où la culture juridique occidentale domine. Cette expérience a été facilitée par le fait que 95 % de la population de la province est autochtone, mais je reste convaincue qu'elle devrait inspirer la prochaine architecture institutionnelle calédonienne.

Quatre raisons principales justifiaient la codification, à commencer par la mise en place d'un corps de règles environnementales quasiment inexistant jusqu'alors. Avant ce code, on ne trouvait que quelques réglementations résiduelles de l'Assemblée territoriale et quelques délibérations provinciales. Il s'agissait également de rendre ces réglementations accessibles et de s'inscrire dans une « logique pays », en ne se démarquant des deux autres provinces que pour répondre aux spécificités locales. Enfin, il s'agissait d'établir une méthode avec des principes applicables à l'ensemble des réglementations futures.

La provincialisation a permis d'adopter un droit environnemental particulier. Pour adapter les normes juridiques aux populations des îles Loyauté et à leurs valeurs culturelles tout en s'inscrivant dans un système juridique différent, deux voies étaient possibles : un pluralisme juridique faible avec coexistence séparée des normes, ou l'hybridation, créant une nouvelle norme issue de la rencontre entre savoirs traditionnels et cadres juridiques occidentaux. La province des îles Loyauté a choisi cette seconde voie malgré les risques contentieux. Cette volonté de consacrer des valeurs kanakes s'est traduite par des innovations, comme la création d'entités naturelles juridiques ou l'introduction du principe de non-régression environnementale, traduction juridique de l'importance de la parole donnée dans la culture kanake.

Le premier niveau de tension concerne l'articulation entre deux légitimités : celle des autorités provinciales (légitimité issue des urnes) et celle des autorités traditionnelles (légitimité coutumière) sur les terres coutumières qui représentent 95 % du territoire considéré. Il fallait établir un lien entre le respect des pratiques coutumières et la formalisation du droit, notamment par des formes de partenariat, de cogestion ou des délégations de gestion. Je trouve particulièrement pertinentes aujourd'hui les réflexions de Jean-Marie Tjibaou formulées il y a 50 ans lors de Mélanésia 2000 : « Je rêve qu'en l'an 2000, le profil culturel du Calédonien comportera des éléments de la culture européenne et mélanésienne, mais cette symbiose nécessite un préalable : la reconnaissance réciproque des deux cultures dans leur spécificité. Sans cette base, nous continuerons dos à dos notre dialogue de sourds. »

L'articulation entre légitimité coutumière et institutionnelle s'est avérée relativement simple, car les autorités provinciales travaillaient déjà avec les autorités coutumières dans la province des îles Loyauté, une pratique d'évidence absolue. Une difficulté est survenue avec la première version du code, quand le président de la province des îles Loyauté a souhaité consulter le Sénat coutumier, qui a rendu un avis négatif le 8 juillet 2015. Le Sénat estimait que l'élaboration d'une loi commune sur l'environnement était contraire à la loi organique et à l'accord de Nouméa reconnaissant le lien à la terre. Cette interprétation était erronée, fondée sur une confusion entre régime juridique de la propriété foncière et territorialité du droit.

Pour résoudre ce problème, les autorités provinciales ont organisé un séminaire de deux jours pour expliquer leur démarche et rassurer sur leur volonté d'intégrer une réglementation conforme aux valeurs kanakes et aux pratiques ancestrales. Un préambule a été ajouté au code, corédigé avec les sénateurs coutumiers, et certains articles fixant les principes généraux ont été modifiés. Cela a notamment abouti à l'article 110-11, reconnaissant l'application du principe de subsidiarité en matière environnementale. La province reconnaît ainsi que les normes coutumières peuvent être pleinement applicables quand elles permettent une protection optimale de l'environnement et prévoit leur transcription dans la réglementation provinciale pour permettre des sanctions. Ce principe inspire une cogestion entre province et autorités coutumières des écosystèmes naturels.

Pour les aires naturelles protégées, contrairement aux provinces Sud et Nord, qui ont repris la catégorisation de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), nous avons privilégié une réglementation-cadre permettant de formaliser les aires coutumières existantes en collaboration avec les autorités coutumières. Le président provincial peut aussi décider la création d'aires naturelles protégées s'il l'estime nécessaire. Cette réglementation prévoit une cogestion associant services provinciaux et autorités coutumières, voire une délégation de gestion aux tribus, y compris sur le domaine public maritime.

Cette hybridation de la norme se retrouve dans l'article 110.1, qui exprime l'interdépendance entre préservation de l'environnement et culture kanake, établissant comme norme la vision autochtone de la protection de l'environnement. Les principes généraux du code tendent vers une pratique participative d'élaboration des réglementations. Concrètement, nous allons sur le terrain, discutons avec les autorités coutumières et identifions les pratiques existantes pour élaborer un texte qui tient compte du droit comparé et de l'état du droit. Après discussion sur la version proposée et les modifications éventuelles, le texte est soumis à l'Assemblée provinciale où il est généralement adopté à l'unanimité.

Le CEPIL s'inscrit dans un contexte institutionnel et juridique extrêmement complexe. Ces difficultés sont liées au partage des compétences en Nouvelle-Calédonie, créant des tensions entre la compétence provinciale et celles de l'État ou de la Nouvelle-Calédonie. Les points problématiques concernent notamment la procédure pénale, la procédure administrative contentieuse et la garantie des libertés fondamentales. Nous travaillons dans l'incertitude juridique, avec environ 50 % de risque de voir un texte rejeté par le juge. Pour les compétences de la Nouvelle-Calédonie, plus de la moitié des domaines listés à l'article 22 de la loi organique posent problème en matière de droit de l'environnement.

Les règles relatives à la domanialité publique, notamment au domaine public maritime, ainsi que les règles relatives aux statuts coutumiers et aux terres coutumières sont également concernées. Quand nous réglementons le droit de l'environnement dans la province des îles Loyauté, le code ajoute systématiquement « et aux valeurs culturelles associées », car il est impossible de réglementer l'environnement sans tenir compte de ces valeurs. On nous a reproché plusieurs fois d'intervenir dans le champ du statut civil coutumier, ce qui n'est pas le cas. La difficulté consiste à réglementer des questions environnementales, dans une province où 95 % de la population est kanake, sans toucher à la question culturelle ni au lien entre nature et culture. Récemment, un contentieux a concerné un texte sur l'accès à la nature, qui instaurait un régime d'autorisation et de déclaration préalables pour accéder au domaine public maritime provincial, ainsi que des servitudes écologiques et coutumières. Le Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie l'a annulé de façon péremptoire, mais la Cour administrative d'appel de Paris a annulé ce jugement, indiquant qu'il fallait saisir le Conseil d'État. Le Conseil d'État a quant à lui validé l'intégralité du texte, montrant une ouverture des autorités sur ces questions.

Concernant la réglementation sur les entités naturelles juridiques qui a été annulée, l'État a attendu le dernier jour du délai de recours contentieux pour procéder au recours administratif, puis encore le dernier jour pour saisir le tribunal administratif. Le Conseil d'État a fait une erreur d'interprétation en considérant que nous avions reconnu la personnalité morale aux entités, ce qui n'était pas le cas, et a jugé que le régime empiétait trop sur le droit civil. Pourtant, le rapporteur public du Tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie avait recommandé de valider notre délibération.

Je terminerai par une citation de Yash Ghai, spécialiste constitutionnel des sociétés divisées : « il faut reconnaître les cultures afin de construire des ponts et d'accroître la compréhension et l'appréciation mutuelle. Nous avons besoin d'actions plus interculturelles que multiculturelles. Au lieu d'une multiplicité de lois, nous pourrions oeuvrer ensemble à une véritable intégration des lois, en rassemblant ce qu'il y a de plus précieux dans chaque culture. »

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