SECONDE PARTIE
TABLE RONDE : FABRIQUE ET PRATIQUE DES CODES
Mme Véronique Bertile, maître de conférences en droit public, Université de Bordeaux. - Je propose de commencer par la question « qui codifie ? » et passe la parole à Madame le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer pour aborder le rôle des parlementaires ultramarins et des délégations aux outre-mer des assemblées.
Mme Micheline Jacques, président. - La question de la codification du droit des outre-mer rejoint l'accessibilité et l'intelligibilité du droit pour toutes les populations ultramarines. Cet objectif de valeur constitutionnelle représente aussi l'égalité des droits et la confiance des citoyens dans la République. Comment avoir confiance si la loi est inaccessible ou incompréhensible ? L'exigence d'accessibilité et d'intelligibilité du droit s'est encore accrue en outre-mer, du fait des débats institutionnels récurrents et, dans les collectivités de l'article 74 ou en Nouvelle-Calédonie, par le développement des normes locales. Les partages de compétences ne sont pas toujours clairs et un même domaine voit parfois des normes locales et nationales s'enchevêtrer. L'incertitude sur la norme applicable crée de l'insécurité économique et freine le développement.
La codification est un outil parmi d'autres pour clarifier le droit applicable dans les outre-mer, tant dans les territoires régis par l'article 74 que par l'article 73. Les départements d'outre-mer sont aussi directement concernés, avec la pratique des habilitations en application du troisième alinéa de l'article 73. En Martinique et en Guadeloupe, la réglementation en matière d'énergie a déjà fait l'objet d'importantes adaptations locales.
Pour répondre à votre question, la délégation sénatoriale n'a pas vocation à fabriquer la loi pour tous les outre-mer, mais elle mène des travaux sur l'évolution institutionnelle qui nourrissent tant les services du Gouvernement que les propositions de loi de nos collègues. Le Président du Sénat a mis en oeuvre une actualisation annuelle du droit des outre-mer, suite à une recommandation des travaux sur la décentralisation. Nous avons préparé une proposition de loi d'actualisation qui regroupe 40 articles, cosignée de manière transpartisane, et qui sera inscrite, je l'espère, au mois d'octobre. Cette proposition de loi d'actualisation représenterait une réelle avancée pour les territoires ultramarins.
Mme Véronique Bertile. - Monsieur le directeur général des outre-mer, dans cette entreprise de codification, quel rôle pour le ministère des outre-mer ?
M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer, ministère chargé des outre-mer. - Je tiens tout d'abord à remercier les organisateurs de ce colloque d'avoir associé la Direction générale des outre-mer à ces échanges. Pour vous répondre, je préciserai que nous ne sommes pas à l'initiative de la codification. La DGOM constitue en effet une administration « concourante » et non « menante ». Nous apportons notre assistance aux autres administrations dans leur travail de codification. L'essentiel est que les administrations trouvent le chemin de notre ministère au bon moment : ni trop tôt ni trop tard. Malheureusement, il est fréquent que les ministères oublient les spécificités du droit des outre-mer et ne s'en souviennent qu'au dernier moment, parfois rappelés par le Secrétariat Général du Gouvernement ou le Conseil d'État, qui demande si les collectivités concernées ont été consultées. Nous intervenons en appui des administrations qui se lancent dans des travaux de codification, qu'il s'agisse du ministère des Transports, de la Justice, de l'Environnement, ou de l'Économie et des Finances. Nous apportons notre expertise, car le droit des outre-mer est très méconnu parmi ceux qui rédigent la norme.
À la Direction générale des outre-mer, nous comptons des spécialistes du droit des outre-mer, notamment dans le bureau du droit privé et le bureau du droit public et des affaires institutionnelles. Nous aidons les administrations à comprendre les spécificités des statuts, parfois très particuliers comme la Nouvelle-Calédonie ou les collectivités relevant de l'article 74, mais aussi pour l'article 73.
Nous conseillons, accompagnons et rédigeons également, ce qui représente un travail colossal, souvent invisible. Nous venons aussi en appui des collectivités locales qui ont des codes spécifiques, notamment en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin et à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Nous sommes enfin les gardiens des compteurs Lifou, une spécificité ultramarine.
Pour résumer, notre maître mot à la Direction générale des outre-mer est que les outre-mer sont l'affaire de tous. Nous entendons développer « un réflexe outre-mer » qui ne soit pas l'apanage exclusif de la rue Oudinot, mais bien de tous ceux qui élaborent des normes.
Mme Véronique Bertile. - Merci, monsieur le directeur. La transition est toute trouvée, puisque vous avez abordé le Conseil d'État et les compteurs Lifou dans ce réflexe outre-mer. D'autres évoquent une « culture outre-mer ». Je pense notamment au sénateur Michel Magras. Cette « culture outre-mer » ou à tout du moins ce « réflexe outre-mer » existent-ils au Conseil d'État ?
M. Florian Roussel, maître des requêtes au Conseil d'État, rapporteur spécialisé aux outre-mer de la Commission supérieure de codification. - Le Conseil d'État a développé une doctrine sur la codification outre-mer, notamment dans les années 2010, avec des échanges sur les tableaux des compteurs Lifou et l'extension du droit dans ces collectivités. Je fais ici le lien avec la Commission supérieure de codification où je suis rapporteur spécialisé pour l'outre-mer. Cette Commission, peu connue hors de l'administration, sert d'interface entre l'administration et le Conseil d'État. Présidée par Bernard Stirn, elle comprend des membres du Conseil d'État, de la Cour de cassation et des professeurs d'université. Son rôle est de définir la doctrine de codification : ce que l'on codifie, les options légistiques, les choix de structure des codes. Elle réalise un premier travail de sécurisation juridique avant l'intervention des sections administratives du Conseil d'État.
En tant que rapporteur spécialisé pour l'outre-mer, je ne suis pas chargé de rédiger directement les parties des codes relatives aux outre-mer. Mon travail consiste essentiellement à traiter des questions de portée générale ou de légistique : pertinence des tableaux Lifou, difficultés de répartition des compétences, applicabilité de plein droit des textes (...). Je me prononce en outre sur le respect des compétences entre l'État et les collectivités ultramarines et propose, le cas échéant, des formulations alternatives.
Ce travail préfigure les échanges qui auront lieu ensuite au niveau des sections administratives du Conseil d'État. Actuellement, nous travaillons sur trois projets de code : fonction publique, douanes et procédure pénale
M. Edwin Matutano, avocat au Barreau de Paris, docteur en droit, chargé d'enseignement à l'Université Paris-Saclay à Saint-Quentin-en-Yvelines. - Je remercie les organisateurs de ce colloque qui nous permet de réfléchir à cette notion polymorphe de codification. Les avocats ne codifient rien, mais dans leur mission d'auxiliaire de justice, ils doivent examiner l'applicabilité des textes dans les différentes collectivités ultramarines. La question de savoir qui codifie dépasse les murs du Parlement. Madame le président Micheline Jacques a évoqué les collectivités de l'article 73 de la Constitution, qui peuvent, sur habilitation (alinéa 3), fixer elles-mêmes des règles dans les domaines législatifs et réglementaires, et ainsi modifier des codes en vigueur. Cette pratique existe, mais reste assez limitée, comme l'avait relevé le rapport de Mme George Pau-Langevin il y a quelques années.
Cette autonomie normative sur habilitation déléguée, bien que temporaire et encadrée, soulève des questions importantes. Les délibérations sont publiées au Journal officiel, mais un problème subsiste : une fois qu'une collectivité territoriale (Guyane, Martinique, Guadeloupe) a modifié un code par délibération, quel est l'état du droit réellement applicable dans cette collectivité ? La difficulté majeure apparaît quand le législateur ou le pouvoir réglementaire national vient ensuite modifier ce même code. Ce qui pose problème n'est pas tant le jeu dual des compétences que l'absence de coordination entre les banques de données. La Direction de l'information légale et administrative (Légifrance) ne signale pas qu'un article de code a fait l'objet d'une délibération d'une assemblée territoriale. Réciproquement, le recueil des actes de la collectivité n'indique pas la version résultante du code.
Cette situation complique l'accès au droit, alors même que la codification devrait le faciliter. Le problème s'étend aux collectivités de l'article 74 et à la Nouvelle-Calédonie, mais aussi aux collectivités de l'article 73. D'autres acteurs interviennent également : les services déconcentrés de l'État dans les territoires ultramarins élaborent parfois des codes accessibles sur leurs sites, assemblant des règles nationales et locales, ce qui complique encore la question de savoir qui codifie réellement.
M. Thierry Pitois-Etienne, magistrat judiciaire, président du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre. - En Guadeloupe, région et département d'outre-mer soumis au principe d'identité législative, les juridictions appliquent le droit national et se réfèrent donc aux codes en vigueur comme le code civil, même s'il existe quelques spécificités sur lesquelles je reviendrai, notamment en matière d'indivision. La situation est différente en Nouvelle-Calédonie, collectivité d'outre-mer sui generis, qui dispose d'une compétence normative renforcée depuis le transfert de compétences normatives en matière de droits civil, de droit commercial et d'état civil, résultant de la loi de pays du 20 janvier 2012, transfert effectif depuis le 1er juillet 2013.
Il m'a été donné de participer, avec un autre magistrat, Christian Belhote, à la mise en oeuvre de cette compétence transférée dans le cadre d'une mise à disposition auprès de la direction des affaires juridiques du Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie en septembre 2018 après une première mission, en 2017, comme membre de l'Inspection générale de la justice laquelle avait été mandatée par le garde des sceaux pour établir un rapport sur les évolutions de la justice en Nouvelle-Calédonie et à Wallis-et-Futuna pour les dix années suivantes.
En amont des opérations de transfert de compétence, mon collègue avait précédemment travaillé à la délimitation rigoureuse du cadre normatif de la compétence qui allait être transférée en vérifiant, si les modifications apportées par le législateur national à chaque article du code civil et du code de commerce avaient été étendues ou non en Nouvelle-Calédonie et ce, pour déterminer exactement quelle version de ces deux codes serait transférée au 1er juillet 2013. Ce travail mené sous l'égide de la Direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la justice et de la direction des affaires juridiques du Gouvernement calédonien a duré plusieurs années.
Avec ce collègue magistrat, nous avons, pendant trois ans, en qualité d'experts, participé à l'élaboration de la norme dans le champ civil et commercial au sein de la direction des affaires juridiques. Le contexte était cependant délicat, car nous sommes arrivés en période préréférendaire, où la question du statut du territoire occupait beaucoup les politiques, moins attentifs aux évolutions textuelles techniques. Nous avons néanmoins préparé plusieurs projets de loi de pays et de délibération, réformant notamment le droit des assurances.
S'agissant de la codification, la Nouvelle-Calédonie a essentiellement hérité des codes nationaux mais elle a aussi élaboré ses propres codes dans certaines matières, comme le code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie. Mais c'est une tâche difficile pour une direction normative qui dispose d'une petite équipe de rédacteurs et de chargés d'études dont le recrutement et la formation restent délicats. Nous avons contribué avec mon collègue à la formation de cette équipe mais elle demeure un enjeu actuel pour permettre à la Nouvelle-Calédonie de disposer d'une capacité normative utile à la fabrication du droit et à l'élaboration d'un véritable code civil calédonien.
Une autre difficulté rencontrée dans l'élaboration de codes et plus généralement de normes est la connaissance des spécificités locales, comme la compétence normative partagée entre le Parlement français, le congrès néo-calédonien, les provinces de Nouvelle-Calédonie ou les institutions coutumières, les besoins d'un territoire dont la population est de l'ordre de 280 000 habitants. La concertation avec les praticiens du droit, magistrats et avocats, tant à au tribunal et à la cour d'appel de Nouméa qu'à la section détachée de Koné, en Province Nord, ainsi que les échanges avec les membres du Congrès ou les autorités coutumières ont compensé partiellement cette difficulté.
En outre, le transfert de compétence impliquait nécessairement une volonté de « penser calédonien » dans l'élaboration des normes sans emprunt systématique au droit national. En tant que magistrats disposant d'une expérience normative au ministère de la Justice, nous pouvions partager notre savoir-faire légistique mais pour le choix des réformes que le Gouvernement voulait porter, nous avions besoin d'orientations dont nous ne disposions pas toujours dans le contexte référendaire.
En 2020, pendant la crise sanitaire, s'est posée toutefois la question d'emprunter à la réforme du droit des contrats de 2016 des dispositions relatives à l'imprévision, la caducité ou l'exception d'inexécution, utiles pour aider des entreprises calédoniennes en difficulté. Un projet de réforme des dispositions du code civil applicable en Nouvelle-Calédonie relatives aux obligations contractuelles a ainsi été élaboré, en lien avec l'Université de Nouvelle-Calédonie qui a abouti à la Loi du pays du 29 avril 2024 portant modification du livre III du code civil applicable à la Nouvelle-Calédonie et relative à la révision pour imprévision, à l'inexécution et à l'extinction des obligations contractuelles.
D'autres projets portant adaptation du droit des régimes matrimoniaux ou proposant d'introduire un divorce déjudiciarisé ont été élaborés mais n'ont pas abouti.
De même, les adaptations souhaitées par la cour d'appel de Nouméa aux règles de procédure civile, qui relèvent de la compétence de la Nouvelle-Calédonie, n'ont pas abouti. Ainsi, la demande de suppression des dispositions confiant au greffe la mission de notifier aux parties les conclusions qu'elles déposent n'a pas été retenue alors que dans les procédures avec représentation obligatoire, les avocats peuvent échanger entre eux leurs conclusions et pièces ce qui est le cas en droit national.
S'agissant de la codification de la procédure civile, la Nouvelle-Calédonie a certes élaboré son propre code mais cette oeuvre codificatrice reste inachevée. Ainsi, en matière de procédure d'exécution pour recouvrer le montant des condamnations allouées par les différentes juridictions de la Nouvelle-Calédonie ou d'autres parties du Territoire de la République Française ou des décisions de juridiction étrangères ou encore de titres exécutoires (actes notariés, contraintes exécutoires....), il est fait application de l'ancien code de procédure civile national (saisie exécution, saisies-arrêts) ou d'autres textes spécifiques (saisies immobilières.....).
Pour le justiciable, l'avocat ou le magistrat, la recherche de la norme applicable constitue un exercice délicat. Si la plupart des codes et textes sont mis en ligne sur le site Juridoc, certains n'y figurent pas comme l'ancien code de procédure civile.
J'ajoute une particularité rencontrée par la cour d'appel de Nouméa dans l'application des règles de procédure civile liée à l'étendue de son ressort de compétence territoriale : ainsi les recours contre les décisions rendues par le tribunal de première instance de Wallis-et-Futuna, collectivité d'outre-mer distincte de la Nouvelle-Calédonie, sont régis par le code de procédure civile national. Les magistrats doivent donc alterner entre les règles du code calédonien incomplètes et le code national selon l'origine de l'affaire. Il est intéressant de constater que la France, malgré son histoire marquée par l'unification de son droit sur l'ensemble de son territoire, connaît aujourd'hui un pluralisme juridique difficile à manier pour le praticien.
À l'instar de l'espace judiciaire européen, il serait peut-être opportun d'élaborer au sein de l'espace judiciaire de la République française, entre la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et le reste du territoire français, et dans lequel circulent des décisions de justice, des règles de procédures minimales communes. De même, en Nouvelle-Calédonie marquée par le pluralisme juridique, les règles de résolution des conflits de normes internes demeurent incomplètes. Certes, la Loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie contient de telles règles, mais depuis le transfert de la compétence normative en matière civile et commerciale à la Nouvelle-Calédonie, les règles de conflit de normes entre le nouveau droit civil local et le droit civil national et a fortiori avec la coutume n'ont pas été introduites dans la Loi organique. Ainsi, pour un couple relevant du statut coutumier muté souhaitant divorcer à Paris où il demeure, quelle règle de divorce le juge aux affaires familiales devra-t-il appliquer ? Si la coutume s'applique, en l'absence d'assesseur coutumier, comment le juge pourra-t-il identifier la coutume applicable sachant qu'il existe huit aires coutumières en Nouvelle-Calédonie ? Le juge parisien ignorant la coutume, appliquera probablement le droit national, mais comment la décision de divorce sera transposée à l'état civil coutumier ?
Mme Véronique Bertile. - Merci beaucoup, Thierry Pitois-Etienne, pour ce partage d'expériences très éclairant et concret. Je passe à présent la parole à Romain Leatham, collaborateur parlementaire et docteur en droit.
M. Romain Leatham, collaborateur parlementaire, Assemblée nationale, docteur en droit. - La question de la codification de la puissance en charge de la codification ne concerne probablement pas en premier lieu le législateur. Celui-ci contribue à la codification, mais ne la mène pas en tant que telle. Le plus souvent, le législateur reçoit un projet de loi déjà codifié et son apport consiste à ajouter ou supprimer des articles par voie d'amendement. Pour les ultramarins, l'ouvrage de codification est rendu plus difficile par le recours massif à l'article 38 de la Constitution : on reçoit la loi d'habilitation, puis le projet de loi de ratification est déposé, et la codification s'opère sans que les parlementaires ultramarins aient vraiment de droit de regard.
Je constate aussi une complexification progressive de la codification, notamment dans le code général des collectivités territoriales. Au début, ce code présentait une certaine harmonie, avec un parallélisme de ses articles. Par exemple, tel article concernait telles compétences pour la Guadeloupe, tel article, telles compétences pour la Martinique, etc. Aujourd'hui, quand on cherche à codifier par amendement, on constate de plus en plus de sauts d'articles, ce qui complexifie encore la tâche. Il faut avoir le temps de lire l'ensemble de la codification pour vérifier qu'on n'oublie pas certains territoires, car ce qui est prévu pour la Guadeloupe ne l'est plus forcément pour la Martinique, devenue collectivité territoriale de Martinique, mais l'est pour La Réunion, etc. D'ailleurs, un projet de loi examiné au Sénat prévoit que la collectivité de Mayotte s'appelle désormais « département-région de Mayotte », ce qui va ajouter une nouvelle complexité dans l'organisation du droit des outre-mer.
Je tenais par ailleurs à évoquer le projet de loi d'urgence pour Mayotte adopté en janvier dernier, qui n'est quasiment pas codifié. On peut comprendre cette non-codification par le caractère temporaire des mesures visant à reconstruire Mayotte. Néanmoins, ce projet apporte des exceptions aux codes de l'énergie, de la commande publique et de l'urbanisme. Pour un praticien cherchant à reconstruire Mayotte, la consultation directe de la loi adoptée en janvier ou février me paraît préférable à celle des différents codes. Si l'urgence peut justifier de ne pas codifier une loi, il serait moins compréhensible qu'un projet de loi de programmation soit codifié. Selon l'article 34 de la Constitution, le projet de loi de programmation doit déterminer les objectifs de l'État et n'a pas de valeur juridique. Or le projet actuellement examiné au Sénat est codifié. Cette codification confère une valeur juridique à un texte qui n'est pas censé en avoir.
Mme Véronique Bertile. - Merci, Romain Leatham, pour cette analyse. Nous avons terminé notre premier tour de table. Je vous invite maintenant à échanger avec la salle. J'aimerais également vous entendre sur une deuxième question, que nous avons déjà abordée : quels sont les avantages et inconvénients de la codification par voie législative et par voie d'ordonnance pour les outre-mer ?
M. Florian Roussel. - Je n'ai pas suivi spécifiquement ce projet de loi, puisqu'il n'est pas passé par la Commission de codification, qui ne traite que les nouveaux codes ou les refontes complètes. Notre doctrine est de codifier uniquement des dispositions pérennes ou applicables longtemps, soit pendant dix ou quinze ans, par exemple. Cela évite d'accumuler des scories dans les codes. Pour Mayotte, j'imagine qu'il a été décidé de ne pas codifier des dispositions d'urgence de courte durée. L'important est que l'éditeur du code puisse signaler ces dispositions dérogatoires, même par commentaire non normatif.
Concernant les lois de programmation, je n'ai pas connaissance de doctrine précise, mais leur présence ou non dans un code ne change rien à leur valeur juridique. On retrouve parfois des dispositions énonçant des objectifs généraux dans d'autres codes, notamment dans le code de l'environnement.
La question plus générale de la codification me paraît pleinement justifiée quand les droits ultramarins et métropolitains sont assez proches, avec seulement quelques adaptations ponctuelles. Il est même très important d'avoir un vecteur unique, car, trop souvent, quand la « partie métropolitaine » du code évolue, on oublie d'actualiser le droit ultramarin. J'ai connu cette situation avec le code de l'entrée et du séjour des étrangers dans les territoires du Pacifique. Les différences qui subsistaient ne se justifiaient plus objectivement.
En revanche, la codification devient inopportune si les différences sont trop importantes, rendant le code peu lisible et difficile à mettre à jour. Dans certains cas, malgré des différences significatives, le regroupement des éléments dans un même code peut impulser un mouvement de rapprochement entre droit métropolitain et ultramarin, comme nous l'avons fait avec le code des relations entre le public et l'administration.
L'idéal reste une codification par loi qui englobe d'emblée le droit métropolitain et ultramarin, évitant de montrer politiquement que les outre-mer passent au second plan. Cela suppose que la DGOM ait été associée suffisamment en amont, ce qui n'est pas toujours possible. On recourt alors aux ordonnances des articles 74-1 ou 38, mais il faut ensuite avoir la volonté de mener à bien ce chantier parfois fastidieux et trouver un vecteur pour ratifier l'ordonnance 74-1, ce qui n'est pas simple dans le contexte actuel.
Mme Véronique Bertile. - Merci, Florian Roussel. Je me tourne vers Micheline Jacques. Madame le président, vous avez évoqué cette question de codification par voie d'ordonnance.
Mme Micheline Jacques, président. - Les parlementaires, particulièrement les sénateurs, ne sont pas friands de légiférer par ordonnance, car ils sont alors privés de leur mission principale : fabriquer et voter la loi. L'ordonnance correspond à un chèque en blanc donné au Gouvernement, ce qui déplaît encore plus aux ultramarins.
À mon arrivée au Sénat en 2020, je voyais systématiquement la mention « Dispositions pour les outre-mer, par ordonnances ». La situation évolue progressivement, car les parlementaires se saisissent des questions. Au sein de notre délégation, nous avons mis en place, dans chaque commission permanente, deux référents : un ultramarin et un non ultramarin, pour assurer une veille. Leur rôle est d'alerter la délégation et les collègues sur certaines dispositions qui pourraient passer inaperçues. Vous avez évoqué la loi sur les indivisions à Saint-Barthélemy. Le Gouvernement estimait qu'il n'y avait pas de problèmes fonciers sur ce territoire, ce qui est faux. Grâce à cette veille, nous avons pu modifier le texte par amendement. Il est très important pour les parlementaires de légiférer et non de laisser d'autres le faire à notre place. D'une certaine façon, nous vous facilitons ainsi la tâche, M. Jacob.
M. Olivier Jacob. - En tant que représentant du pouvoir exécutif, ma vision est peut-être différente de celle de Madame le président. Il existe plusieurs raisons d'utiliser une ordonnance, et d'abord, une volonté politique. Une possibilité est offerte au pouvoir exécutif de légiférer, avec des garde-fous naturellement.
En matière de droit des outre-mer, on recourt souvent aux ordonnances quand on n'a pas suffisamment anticipé des applications dans la loi. Quand on se souvient tardivement qu'il faut adapter des textes, la voie de facilité est de renvoyer à une ordonnance, laissant le temps de trouver les mesures d'adaptation nécessaires. Cela renvoie à mes remarques sur l'importance de saisir au bon moment la Direction générale des outre-mer, pour éviter ce recours.
L'autre justification est parfois la rapidité d'action, comme pour le projet de loi d'urgence sur Mayotte, où il fallait définir les conditions de création d'un établissement public pour la reconstruction. Les parlementaires n'aiment pas les ordonnances et essaient de les encadrer, comme ils l'ont fait légitimement pour l'établissement public de Mayotte.
On peut aussi recourir à une ordonnance pour simplifier la présentation de la loi. Pour le changement de dénomination de Mayotte en département-région, il a fallu reprendre tous les articles du code général des collectivités territoriales, ce qui a considérablement alourdi le texte. À la demande des élus, un amendement gouvernemental réintroduit cet article, avec près de trente pages de codification, perturbant la lisibilité du projet de loi, pour un intérêt modique selon moi.
Concernant le projet de loi de programmation pour Mayotte, il s'agit d'une loi de programmation uniquement en son article 1, avec un rapport annexé comportant un tableau synthétisant l'effort budgétaire de l'État pour Mayotte sur cinq à dix ans. Les autres éléments comprennent des dispositions classiques sur l'immigration, les pouvoirs des forces de sécurité, le développement économique et social, et la loi électorale.
M. Edwin Matutano. - Je voulais répondre à la question sur le choix entre loi et ordonnance et établir un lien avec les remarques de Romain Leatham sur le code général des collectivités territoriales, dont je suis un usager habituel. Ce code est devenu peu intelligible en raison de son plan. La Guyane et la Martinique figurent en fin de code, après les collectivités de l'article 74, à l'exception de la Polynésie et des îles Wallis-et-Futuna. Ce code comprend donc une subdivision intitulée « dispositions relatives aux collectivités territoriales régies par l'article 74 », puis une autre subdivision de même rang intitulée « dispositions relatives aux autres collectivités régies par l'article 73 », ce qui est syntaxiquement incompréhensible.
Concernant la codification, la question semble tranchée au niveau national : elle s'accomplit par ordonnance. Les parlementaires ne se sont pas toujours montrés très intéressés par ces travaux, d'où la décision du pouvoir exécutif d'agir ainsi via la Commission supérieure de codification. Pour les codes, qu'il s'agisse de nouveaux codes ou de refonte, nous n'avons guère le choix, même si l'on peut estimer qu'il y a trop d'ordonnances dans les domaines relatifs aux outre-mer.
M. Thierry Pitois-Etienne. - Le débat entre Loi et ordonnance pour codifier est proprement national et ne concerne pas les collectivités d'outre-mer investies d'un pouvoir législatif. En Nouvelle-Calédonie, la codification intervient par loi du pays, ou délibération pour les normes à valeur réglementaire. En effet, le statut de la Nouvelle-Calédonie ne prévoit pas la faculté pour le Congrès d'habiliter le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance.
Mme Véronique Bertile. - Je voulais revenir sur la jurisprudence des élections municipales de Lifou, mais aussi connaître votre sentiment sur l'idée d'une codification générale pour les outre-mer. Un code de l'outre-mer vous semblerait-il opportun, voire souhaitable ? Je voudrais connaître votre sentiment personnel dans vos positions respectives. Madame le président, pensez-vous qu'un code de l'outre-mer apporterait un bienfait ? Est-il possible, réalisable, souhaitable ?
Mme Micheline Jacques, président. - On demande souvent si les outre-mer sont « à part entière ou entièrement à part ». La création d'un code spécifique pour les outre-mer montrerait que ces territoires ne sont pas vraiment intégrés au sein de la République. Il me semble plus approprié de tenir compte des spécificités ultramarines dans les codes en vigueur. Il faut peut-être revoir la cohérence du plan, faire des toilettages, mais isoler les outre-mer dans un code spécifique ne serait pas bien perçu.
À Saint-Barthélemy, nous nous sommes emparés du code de l'environnement national et l'avons épuré de tout ce qui ne concernait pas notre territoire. De 5 000 pages initialement, le code local a été réduit à une quarantaine de pages, ce qui le rend plus accessible à la population. Ce travail pourrait être effectué au sein des collectivités, pour décliner le code national en petits codes territoriaux à la portée de tous.
Mme Véronique Bertile. - Monsieur le directeur général des outre-mer, un code de l'outre-mer faciliterait-il votre tâche à la DGOM ?
M. Olivier Jacob. - Un code unique des outre-mer représenterait un travail colossal. À la Direction générale des outre-mer, nous privilégions plutôt l'intégration d'un Livre dédié aux outre-mer dans chaque code lors des travaux de codification. Telle est notre approche actuelle pour la recodification du code des douanes, avec un Livre consacré aux outre-mer, ainsi que pour le code de procédure pénale. Cette méthode permet d'atteindre l'objectif de lisibilité et d'accessibilité sans créer un code unique.
Les collectivités comme la Polynésie française ou la Nouvelle-Calédonie peuvent également, de leur propre initiative, réaliser un travail de présentation des dispositions applicables, qu'elles proviennent d'anciennes dispositions nationales ou de nouvelles adoptées après le transfert de compétences. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un travail de codification, mais plutôt de simplification pour les acteurs économiques et les citoyens.
Notre approche code par code avec un livre dédié à l'outre-mer nous semble plus efficace et réaliste que les « réformes cathédrales » qui, comme toutes les cathédrales, prendraient des siècles à construire. Nous préférons des approches plus pragmatiques.
M. Florian Roussel. - Je ne suis pas certain de comprendre exactement ce que l'on appellerait un « code de l'outre-mer ». Le droit de l'outre-mer est très différent selon les collectivités. Le regroupement de tous les territoires d'outre-mer, même dans une matière donnée, dans un code à part n'est pas forcément pertinent : le droit applicable en Martinique n'est pas le même que le droit applicable à Wallis-et-Futuna. Pourquoi obliger les ultramarins à avoir un code distinct ?
À la DGOM, l'idée d'un code de l'entrée et du séjour spécifique à l'outre-mer avait été évoquée, mais elle n'a pas été retenue, car le droit était déjà très éclaté selon les collectivités. Ce regroupement aurait éloigné du droit commun plutôt que de rapprocher, en exportant par exemple le modèle de la Guyane et de Mayotte vers la Nouvelle-Calédonie, alors que les contextes d'immigration y sont totalement différents.
En ce qui concerne la codification, ni la Commission ni le Conseil d'État n'ont de doctrine arrêtée. Deux options existent : soit un Livre dédié aux outre-mer, soit des titres consacrés aux outre-mer à la fin de chaque Livre. La seule exigence est de ne pas tout mélanger, comme dans certains vieux codes où quelques dispositions outre-mer subsistent dans la « partie métropolitaine » alors qu'existe une partie spécifique consacrée à l'outre-mer.
M. Charles Froger. - Qu'est-ce qui empêcherait de se doter d'un code qui réunisse, pour un territoire comme la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, plus largement des COM, l'ensemble des compétences sur une matière, qu'elles relèvent de l'État ou des autorités locales ? Par exemple, un code de l'urbanisme en Nouvelle-Calédonie qui inclurait à la fois les compétences transférées aux provinces et à la Nouvelle-Calédonie, mais aussi les compétences restées à l'État, comme la procédure administrative contentieuse.
Si un code civil de la Nouvelle-Calédonie était créé, les dispositions relevant de la compétence de l'État en seront exclues, puisque le législateur calédonien ne peut pas codifier ce qui relève de la compétence étatique. Cette question technique me taraude depuis longtemps.
Par ailleurs, quel est le rôle des parlementaires dans l'impulsion des problématiques ultramarines de codification ? En Nouvelle-Calédonie, selon la loi organique de 1999, c'est normalement le Gouvernement calédonien qui prépare la codification. Mais certains codes ayant un intérêt économique et social important ont été portés par des propositions de droit du pays émanant de membres du Congrès. C'est le cas du code agricole et pastoral de la Nouvelle-Calédonie, qui a abouti grâce à une réelle volonté politique des élus locaux.
Mme Lucile Stahl, avocate au Barreau de la Drôme. - Je voudrais rendre ses lettres d'honneur à la complexité. Celle-ci est souvent critiquée, mais c'est elle qui nous réunit aujourd'hui. En droit de l'environnement, comme pour les droits d'outre-mer, cette complexité traduit un état de maturité du droit. Pour les praticiens, le fait de travailler sur des droits différents ouvre de nouvelles voies de pensée et permet de respecter des spécificités locales et de prendre en compte des populations différentes. Cette complexité a des aspects positifs et reflète une certaine maturité du droit des outre-mer, ce qui n'est pas négligeable à l'aune de la trajectoire historique de ces territoires.
La complexité de la codification est également souvent critiquée, mais la situation était encore pire lorsqu'il n'y avait pas de code. En droit de l'environnement, l'arrivée des codes en 2008 a été un soulagement. La codification reste un progrès, malgré sa complexité. Cependant, un code des outre-mer équivaudrait à multiplier 77 codes par 15 collectivités et provinces, ce qui représente un travail colossal.
Mme Carine David. - Je rejoins la question de Charles Froger sur la codification partagée. En Nouvelle-Calédonie, j'ai constaté une volonté de codifier les douanes, domaine où les compétences sont partagées entre l'État et la Nouvelle-Calédonie. Quelle serait la difficulté de se concerter sur une architecture commune, puisque chacun adopte les dispositions relevant de sa compétence, pour ensuite les réunir dans un même document ?
Concernant l'ordonnance pour Mayotte évoquée par Olivier Jacob, pourquoi ne pourrions-nous pas, comme dans les lois organiques statutaires, rédiger un article balai qui uniformise la terminologie ? Dans un objectif de simplification, pourquoi ne pas recourir à cette méthode, quitte à laisser Légifrance réaliser ensuite le travail de consolidation ?
Mme Véronique Bertile. - Je rejoins la remarque de Lucile Stahl relative à la complexité qui traduit en réalité l'adaptation à chaque territoire. C'est ensuite en termes d'intelligibilité et d'accessibilité que la question se pose, ce qui nous réunit d'ailleurs aujourd'hui.
M. Olivier Jacob. - Sur la première remarque concernant l'élaboration conjointe par l'État et la collectivité locale d'un code, je n'identifie aucun obstacle politique ni technique. Les compétences sont partagées et la complexité survient lorsqu'une compétence a été transférée. Quand l'État décentralise ou transfère, il conserve toujours une possibilité d'intervention sur certaines procédures, notamment contentieuses. Les sanctions liées à la mise en oeuvre d'une politique publique nous occupent également beaucoup.
En Polynésie française, nous dénombrons de nombreuses procédures d'homologation. Par exemple, quand le Gouvernement polynésien souhaite établir des amendes ou des peines d'emprisonnement concernant la police de la navigation dans le lagon, cette responsabilité échoit à l'État. Il s'agit d'une certaine manière d'une atteinte à l'autonomie du territoire. Nous devrions pouvoir transférer ces matières quand elles sont liées à l'exercice d'une compétence déjà transférée.
L'obstacle majeur n'est en l'occurrence pas technique, mais humain. À la Direction générale des outre-mer, nous manquons en effet de moyens humains. Je reçois actuellement des demandes d'homologation de la part du Gouvernement polynésien que nous devons traiter avec le ministère de la Justice, car nous ne sommes pas pleinement autonomes sur ces sujets. Comme souvent avec les sujets ultramarins, ils passent après les priorités des administrations centrales.
Concernant l'absence d'article balai, j'ignore la raison. Il doit y avoir une explication, car nous avons rédigé 30 pages pour recodifier le code général des collectivités territoriales. Je vais me renseigner sur ce sujet auprès du bureau du droit public et des affaires institutionnelles.
M. Florian Roussel. - Sur ce point, je n'ai pas de réponse catégorique. Ces « articles balais » existent déjà, notamment dans la loi organique de 2004 sur la Polynésie française et celle de 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Cependant, Légifrance ne s'en est pas emparé automatiquement pour modifier toutes les dispositions. Il ne me semble pas qu'il y ait un obstacle juridique, mais, jusqu'à présent, cela n'a pas été efficace.
Concernant l'idée évoquée par Charles Froger, je suis plus hésitant. Généralement, nous avons un code avec des dispositions outre-mer applicables en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. L'idée serait soit de sortir ces dispositions du code, ce qui est problématique, soit de les dupliquer, ce qui me pose un problème de juriste.
Je comprends l'intérêt d'avoir dans un même support les dispositions relevant de la compétence de l'État applicables en Nouvelle-Calédonie et les dispositions prises par le Congrès de Nouvelle-Calédonie, mais cela relève plutôt du travail éditorial. Je ne connais pas de dispositions qui seraient dupliquées dans deux codes ayant tous deux valeurs normatives. Il y a parfois des renvois, mais techniquement, je ne crois pas que ce soit possible aujourd'hui.
M. Charles Froger. - La limite de cette approche apparaît quand on utilise Juridoc, l'équivalent de Légifrance pour la Nouvelle-Calédonie. L'accès y est difficile, contrairement à la version révisée de Légifrance qui est plus ergonomique. Je comprends que la duplication puisse être délicate et il ne s'agit effectivement évidemment pas de retirer les dispositions du code de l'urbanisme national, notamment celles relatives au contentieux. Le problème est de connaître l'applicabilité des dispositions nationales dans certains territoires. On ne peut certes pas les sortir du code national, mais il faut savoir lesquelles s'appliquent localement. Si demain il existait un code civil de la Nouvelle-Calédonie, les compétences relatives à la nationalité resteraient dans le code civil national applicable en Nouvelle-Calédonie. L'idée de se doter d'un corpus commun me semble pourtant importante. Je ne vois pas d'obstacle juridique si l'État accepte cette démarche.
M. Olivier Jacob. - L'exemple que je citais, qui n'est pas à proprement parler un exercice de codification, correspond au code de commerce en Nouvelle-Calédonie. Un travail éditorial de présentation a été réalisé, regroupant à la fois les dispositions qui relèvent encore de l'État, notamment celles antérieures au transfert de compétence, et celles modifiées par les autorités locales après ce transfert. Nous pourrions envisager cette présentation pour toute matière, distinguant ce qui relève de l'État et ce qui relève de la collectivité. Il ne s'agit pas là d'un véritable exercice de codification, mais cela permettrait d'atteindre l'objectif de lisibilité pour les citoyens.
M. Charles Froger. - Par exemple, pour le droit de la consommation, sur Juridoc figurent le code de la consommation de compétence État dans sa version applicable en Nouvelle-Calédonie et le code de la consommation applicable en Nouvelle-Calédonie dont la compétence est calédonienne, mais dont le contenu est souvent issu du droit national, amendé ou non après transfert. Cependant, en vérifiant les dispositions du code de la consommation compétence État, j'ai constaté que, pour 95 % d'entre elles, il est indiqué « non applicable sur le territoire »...
M. Thierry Pitois-Etienne. - Pour faciliter la tâche de l'usager et du praticien, lorsqu'un code comme le code civil est réceptionné par la Nouvelle-Calédonie, les autorités calédoniennes investies du pouvoir normatif pourraient retirer de ce code tout ce qui relève de la compétence conservée par l'État, comme la liberté matrimoniale, les conditions requises pour se marier, l'article 9 sur le respect de la liberté à droit privé, et la nationalité. Cela représente un nombre important d'articles, mais ce travail faciliterait la lecture du code. Sans cela, l'usager risque de se référer à des dispositions inapplicables localement, qu'il faudrait chercher dans le code national. Cela dit, la difficulté peut être résolue par un code éditeur et le site Juridoc assure en toute hypothèse une diffusion en ligne du droit.
M. Edwin Matutano. - La dualité d'auteur pour un même code soulève inévitablement des questions de compétences. Des compétences partagées entre l'État et certaines collectivités ultramarines ont déjà donné lieu à de nombreuses jurisprudences ou avis contentieux du Conseil d'État. L'issue éditoriale exposée par Florian Roussel me paraît bienvenue, à condition que le lecteur sache quel support il consulte. Si la codification entremêle des dispositions de droit national et local, il faut que figurent la norme d'origine et, comme pour le code civil applicable en Polynésie française ou le code des communes élaboré par le Haut-Commissariat, une mention précisant qu'il s'agit d'un document de travail à portée informative.
Concernant les grilles de lecture, de nombreux textes statutaires relatifs aux collectivités ultramarines les ont prévues, notamment en 2007 quand Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont devenues des collectivités séparées de la Guadeloupe. Bien qu'exprimant une bonne intention en matière de légistique, ces grilles posent problème, car des lois sectorielles ultérieures peuvent établir leur propre grille de lecture par dérogation à celle censée être générale.
Question du public. - Bonjour, je souhaite disposer d'un éclairage sur la Guyane, qui a un statut particulier. Comment se traduit dans ce territoire la codification, notamment par rapport aux peuples autochtones et à l'environnement ?
M. Olivier Jacob. - La Guyane relève de l'article 73 et du principe d'identité législative, permettant l'adaptation de la norme nationale ou l'habilitation. Sa seule particularité est d'être une collectivité territoriale unique, ce qui n'a pas d'impact sur la codification. Cette collectivité diffère de la Martinique, en l'absence de séparation entre fonctions exécutives et délibératives. À ma connaissance, la Guyane n'a pas été très demandeuse de procédures d'habilitation, contrairement à la Guadeloupe et la Martinique.
M. Guillaume Barraud, administrateur de l'État, chef du bureau du droit privé et du droit des activités économiques et sociales, ministère chargé des outre-mer. - La seule spécificité que j'identifie correspond à des dispositions anciennes, antérieures à la départementalisation de la Guyane, qui ont survécu, comme des adaptations mineures, en matière de chasse, par exemple.
M. Florian Roussel. - Il faut distinguer deux questions. Existe-t-il une spécificité générale à la codification en Guyane ? La réponse est non. Globalement, ce n'est pas la collectivité qui soulève le plus de difficultés. Ensuite, comme toutes les collectivités ultramarines, il existe des dispositions spécifiques dans certains domaines, par exemple dans le code forestier ou en matière de propriété foncière. La difficulté dans l'élaboration des textes consiste à trouver les bonnes adaptations aux caractéristiques locales, mais pour la codification proprement dite, ce n'est pas le vrai sujet.
M. Loïc Peyen. - Quand il est question du droit de l'outre-mer, celui-ci est mis en perspective avec le « droit commun ». J'ai employé à dessein les termes de « droit métropolitain », « hexagonal » ou « national ». Le droit commun a-t-il du sens quand on se place du point de vue d'un territoire ultramarin qui applique nécessairement un droit différent ? Également, quand il s'agit de l'outre-mer, les codes récents comportent des subdivisions spécifiques, mais ne faudrait-il pas aussi distinguer l'Alsace-Lorraine ou la Corse et créer des subdivisions à part entière, même si je comprends les points d'appui que constituent les articles 73 et 74 de la Constitution ?
M. Romain Leatham. - C'est effectivement ce que fait le code général des collectivités territoriales, au moins pour la collectivité de Corse.
M. Loïc Peyen. - Sans aller jusqu'à dire que cette référence au droit commun est coloniale comme référence, un code détermine les modalités d'application du droit national au territoire local, sur les territoires ultramarins, mais à aucun moment il ne donne le droit applicable localement. Le fait de prendre appui sur le droit national comme droit commun me paraît déjà problématique.
M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. - Cette attaque sur le droit commun comme droit colonial peut sembler agaçante et facile. Je travaille beaucoup sur les questions d'autonomie normative. Par exemple, à La Réunion, une Constitution a été adoptée pendant la période révolutionnaire, juste après la première abolition de l'esclavage. Qui l'a faite adopter ? Les grands blancs, les grands propriétaires, pour maintenir l'esclavage. Ceux-ci voulaient davantage d'autonomie, pour s'écarter du droit commun national, révolutionnaire et abolitionniste. Cette période a duré cinq ans, puis Napoléon a rétabli l'esclavage et nommé des gouverneurs. Le droit commun peut donc parfois être protecteur, notamment dans le champ des libertés. Il ne faut jamais l'oublier.
Mme Florence Renucci. - Ce que vous décrivez s'inscrit dans un modèle colonial. Historiquement, le droit commun est une référence coloniale. Les débats sur la codification que nous avons depuis tout à l'heure sont ceux qu'on a eus pendant la période coloniale. Continuons-nous dans cette voie ou cherchons-nous d'autres modèles ? Il ne s'agit pas là d'un jugement de valeur. En tant qu'historiens du droit colonial, nous nous inscrivons dans un système internaliste très proche, avec un schéma mental qui vient de là. Il faudrait peut-être sortir de ce schéma et inventer de nouvelles approches.
Mme Sandrine Chaillé de Néré. - La notion de droit commun sert aujourd'hui d'outil pour différencier le droit commun du droit d'exception. Son avantage est d'éviter les vides juridiques : en l'absence de règle spécifique dans le droit local, le droit commun s'applique. Je suis très critique vis-à-vis de cette notion, notamment à la lumière de la situation en Nouvelle-Calédonie, où l'on oppose droit commun et droit coutumier. Avant le transfert de la compétence de droit civil à la Nouvelle-Calédonie, le droit commun était celui de l'État, mais après ce transfert, le droit calédonien est devenu de fait le droit commun. Cela soulève un vrai questionnement : peut-on réellement qualifier le droit calédonien de droit commun en Nouvelle-Calédonie ? Est-il plus légitime que le droit coutumier ?
M. Thierry Pitois-Etienne. - Il me semble qu'aujourd'hui, l'adjectif « commun » a une dimension performative et protectrice qu'on retrouve avec les « valeurs communes » dans l'Union européenne ou comme les « règles minimales communes », sans que cela suscite de débat. Certes, il a pu exister par le passé une hiérarchie des normes avec droit commun et droit d'exception, mais personnellement, je ne me sens pas héritier de cette tradition issue de la période coloniale. Dans les processus de décolonisation, que ce soit par l'indépendance, l'autonomie interne ou l'assimilation, tous me semblent tendre vers la prévalence d'un droit commun applicable à tous, y compris en cas d'autonomie interne caractérisée, comme en Nouvelle-Calédonie, par un pluralisme juridique. Et dans ce dernier cas, il serait peut-être opportun de définir des règles minimales « communes » pour faciliter, par exemple, la circulation des décisions de justice. À cet égard, des échanges entre les autorités nationales, néo-calédoniennes et polynésienne seraient opportuns pour harmoniser et articuler nos droits.
M. Romain Leatham. - La codification dont nous parlons depuis ce matin dans son sens juridique et technique, visant à faciliter la lisibilité du droit, peut aussi plaire à certaines velléités autonomistes, voire indépendantistes. Lorsque l'on sort du débat juridique pour s'orienter vers le débat politique ou local autonomiste, la codification et la notion de droit commun peuvent produire l'effet inverse de ce que nous discutons depuis ce matin.
Mme Véronique Bertile. - La codification pourrait donc être perçue comme actant la différence et légitimant les demandes d'autonomie, voire davantage.
Mme Micheline Jacques, président. - Je perçois différemment le problème dont nous débattons. Lors de nos travaux en Guyane avec la délégation, nous avons constaté des situations concrètes, notamment en droit pénal. Quand quelqu'un est arrêté en pleine forêt amazonienne, à trois jours de pirogue de tout, il ne peut pas bénéficier du même accès à un avocat qu'une personne arrêtée à Cayenne. L'adaptation du droit vise justement à permettre l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Le droit commun s'applique à tous, mais les réalités territoriales exigent parfois des adaptations. C'est pourquoi la délégation travaille depuis une dizaine d'années sur la différenciation territoriale. L'application mécanique des règles de France hexagonale peut créer des inégalités. Il faut aborder ces questions avec pragmatisme plutôt que de tout politiser.
Mme Véronique Bertile. - Je vous propose que nous revenions sur cette question technique de la jurisprudence Lifou.
M. Florian Roussel. - La jurisprudence commune de Lifou remonte à 1990. Elle concerne une situation où une disposition relevant de la compétence de l'État a été rendue applicable dans une collectivité à spécialité législative (comme la Polynésie, la Nouvelle-Calédonie ou Wallis-et-Futuna), puis cette disposition métropolitaine est ultérieurement modifiée sans que la modification ne prévoie expressément son application dans ces territoires. Le Conseil d'État a tranché en 1990 en établissant une règle claire : pour qu'une modification s'applique dans ces collectivités, elle doit expressément le prévoir. Sans mention expresse, la modification ne s'y applique pas, indépendamment de l'intention présumée du législateur. Cette approche a le mérite de la clarté, mais crée des complications, car de nombreuses modifications n'ont pas été étendues par simple inadvertance, souvent parce que la DGOM n'avait pas été consultée.
Cette situation engendre deux problèmes : le droit devient différent entre l'Hexagone et ces collectivités sans justification objective, et le lecteur du code peut être induit en erreur en pensant qu'un article applicable en Polynésie s'applique dans sa dernière version, alors qu'il s'applique dans une version antérieure non modifiée.
Les « compteurs Lifou » ou « tableaux Lifou » visent à résoudre ce problème en précisant que l'article s'applique dans sa version résultant d'une loi spécifique. Dans les codes volumineux, cela prend la forme de tableaux, pour plus de lisibilité. Cette initiative du Conseil d'État, proposée en 2011 par Jean-Éric Schoettl pour le code de la sécurité intérieure, s'est généralisée. Malgré ses inconvénients (volume, complexité), il s'agit probablement de la moins mauvaise solution.
M. Olivier Jacob. - Je souhaitais ajouter une remarque au sujet des compteurs Lifou. Cela peut paraître paradoxal de la part de la DGOM, mais nous ne sommes pas toujours très favorables à ces compteurs. Au Conseil d'État, il existe des divisions entre pros et anti-Lifou.
Il serait utile de travailler avec la direction de l'information légale et administrative (DILA) pour faciliter la lecture des compteurs et tableaux Lifou sur Légifrance. À la Direction générale des outre-mer, nous estimons qu'en matière de compétences « régaliennes », qui s'appliquent dans toutes les collectivités même celles relevant de la spécialité législative, il faudrait supprimer cette notion de « spécialité législative » pour ces lois dites « de souveraineté ». Il faudrait définir précisément ces matières régaliennes ou de souveraineté pour que la spécialité législative ne s'y applique plus, ce qui éviterait les oublis.
M. Edwin Matutano. - Je voudrais ajouter que les tableaux Lifou sont effectivement un moindre mal. Des liens hypertextes leur font défaut. Leur lecture permet une photographie de l'état de chaque disposition d'un code applicable dans une collectivité ultramarine donnée, mais avec seulement la référence à la version applicable. Le lecteur est obligé de chercher lui-même cette version. L'ajout d'un lien hypertexte pourrait suffire pour résoudre ce problème.
M. Florian Roussel. - L'alternative à Lifou est celle qu'évoquaient Olivier Jacob : la modification des statuts via une loi organique pour toutes les collectivités et l'extension de la liste des matières où le droit d'État s'applique de plein droit, notamment au droit pénal, civil, etc. Cette solution présente des avantages et des inconvénients. Il faudrait éviter de reproduire la jurisprudence du Conseil d'État du 27 octobre 2011, Société TAT, qui prévoit que les matières rendues applicables de plein droit concernent aussi les textes passés, rendant du jour au lendemain applicable tout un corpus sans étude d'impact. Le risque principal est qu'on ne se poserait plus la question des adaptations nécessaires. Par exemple, le code général de la fonction publique fait référence au code du travail et au code de la Sécurité sociale, qui ne sont pas applicables localement. Certains textes ne peuvent être applicables sans intervention du Gouvernement, ce qui nécessite toujours un effort d'adaptation.
M. Charles Froger. - Je souhaitais poser une question concernant la liste des dispositions dites de souveraineté : la révision de 2011 de la loi organique en Nouvelle-Calédonie a ajouté des domaines, en les énumérant (par ex. procédure administrative contentieuse, statuts des agents publics de l'État, etc.) relevant « des lois de souveraineté », mais cela résout-il vraiment le problème ? D'une part, la liste n'est pas exhaustive. D'autre part, lorsque, par exemple, nous évoquons la procédure administrative contentieuse comme domaine de souveraineté, qu'entendons-nous exactement ? Prenons l'urbanisme : la procédure administrative contentieuse en matière urbanisme en fait-il partie ; jusqu'où ? Même pour les statuts des agents de la fonction publique de l'État, domaine qui semble simple, des questions techniques mais importantes en pratique pour les agents, comme l'applicabilité de la prescription biennale de la répétition de l'indu de rémunération, ont soulevés des interrogations. Ces listes ne renvoient pas toujours à des notions juridiques connues, avec une jurisprudence établie. Cela améliore partiellement la situation, mais ne résout pas entièrement le problème.
M. Olivier Jacob. - Une révision constitutionnelle permettrait d'éviter de devoir réviser chaque loi organique séparément.
M. Loïc Peyen. - Comment pourrait-on pallier l'incurie et la carence dans la pensée que nous avons pointées et faire en sorte d'intégrer le réflexe ultramarin ? Cette introduction est-elle même souhaitable ?
Mme Véronique Bertile. - Cette question dépasse la codification, mais concerne tout le travail législatif où la culture outre-mer n'est souvent prise en compte qu'en fin de parcours. Lors des réunions interministérielles auxquelles j'assistais au cabinet du ministre des outre-mer, les questions ultramarines n'étaient abordées qu'à la fin, trop rapidement. L'outre-mer est souvent un impensé. Il faudrait effectivement intégrer plus tôt le réflexe et la culture outre-mer dans le travail législatif.
Mme Micheline Jacques, président. - Je propose d'instaurer une semaine des outre-mer au Parlement autour d'une proposition de loi d'actualisation qui permettrait d'aborder toutes les problématiques. Cela permettrait également d'informer nos collègues, car, actuellement, quand un texte sur l'outre-mer est discuté, l'hémicycle se vide et ne restent que les parlementaires ultramarins. Prenons l'exemple du récent texte sur la Polynésie, pourtant simple : l'affluence était minimale. Sur les textes ultramarins, l'affluence est souvent clairsemée. Cette semaine des outre-mer permettrait de mieux faire connaître ces sujets. À la délégation, nous y travaillons en associant toujours un ultramarin et un non-ultramarin pour les rapports. En déplacement, les non-ultramarins découvrent des réalités auxquelles ils ne s'attendaient pas. Ce travail de veille législative avec les référents dans chaque commission permanente constitue également une culture à mettre en place. Les collègues qui habitent en Nouvelle-Calédonie ne peuvent pas faire l'aller-retour toutes les semaines. Ils ont parfois des rythmes de présence dans leur collectivité de deux, voire trois semaines, ce qui est compréhensible. La visioconférence n'est autorisée qu'aux ultramarins de la délégation pour participer aux travaux. Nous avons encore du pain sur la planche, mais vous pouvez compter sur moi. Faut-il explorer l'utilisation de l'intelligence artificielle, qui commence à entrer dans les institutions, pour étudier dans quelle mesure elle pourrait nous aider dans la codification et la clarification des codes ?
Mme Sandrine Chaillé de Néré. - Je ne prétends pas répondre à la question de l'incurie, mais au moins à celle de l'impensé. Je rappelle que de nombreux travaux universitaires portent sur ces questions. L'État rémunère des enseignants-chercheurs dont la moitié du temps et du salaire est consacrée à la recherche. Un certain nombre sont présents ici aujourd'hui et je suis navrée de constater que le travail que nous faisons, nous avons le sentiment de le faire souvent pour rien. Le pas à franchir entre ce que nous produisons et ce qui parvient aux instances qui fabriquent la loi ne se fait pas, mal, ou trop peu.
Je peux citer quelques exemples. La question fondamentale de savoir à qui s'applique le code civil de la Nouvelle-Calédonie n'a jamais été résolue. Il y a dix ans, quand la question du transfert s'est posée, on m'a demandé de travailler sur ce sujet. J'ai produit un rapport qui propose des solutions pesant le pour et le contre de chaque possibilité. Je suis navrée de constater que, souvent, la réflexion ne se base pas sur les travaux que nous avons déjà réalisés. Il est dommage que l'État ne profite pas des personnes qu'il rémunère pour réfléchir à ces questions.
M. Olivier Jacob. - L'une de mes ambitions à la Direction générale des outre-mer, autour de la sous-direction des affaires juridiques, est justement de travailler sur cette mise en réseau entre ceux qui fabriquent la norme et ceux qui réfléchissent sur la norme. Il s'agit de l'un des objectifs que je me suis fixés.
Pour introduire ce réflexe outre-mer et le rendre obligatoire, nous pourrions en outre rendre obligatoire un volet outre-mer dans toute étude d'impact des projets de loi, avec un contrôle étroit par le Secrétariat Général du Gouvernement. Cela obligerait le service de l'État qui rédige la loi à intégrer cette dimension. Souvent, les ministères invoquent le prétexte de l'urgence. Il faudrait contraindre les ministères à prévoir un chapitre relatif à l'outre-mer, ce qui nécessiterait de modifier des textes, mais c'est une des suggestions que nous portons.
M. Romain Leatham. - Sur le sujet des études d'impact, il me semble qu'elles sont déjà censées prendre en compte les outre-mer.
M. Olivier Jacob. - Oui. Cela figure dans la circulaire du 10 juillet 2024 sur la coordination du Gouvernement en matière d'outre-mer, mais cela n'est pas bloquant. Si ces questions relatives aux outre-mer n'y figurent pas, le Secrétariat Général du Gouvernement ne va pas arrêter le processus. Il faudrait prévoir un véritable « cliquet bloquant ».
M. Romain Leatham. - Nous pouvons nous féliciter que les délégations existent, notamment les délégations aux outre-mer, car elles permettent de rapprocher les universitaires des parlementaires. Véronique Bertile a été auditionnée il y a peu de temps à ce propos.
Concernant le manque d'intérêt vis-à-vis des outre-mer et l'absence de réflexe ultramarin, je songe à un moment caractéristique : en fin d'année, lors de l'adoption du projet de loi de finances, quand vient la séance d'examen de la mission outre-mer. Tous les amendements passent alors, parce que seuls les députés ultramarins sont présents. Puis vient le 49-3 et, finalement, presque aucun amendement n'est retenu. Cette situation est vraiment caractéristique du manque d'intérêt vis-à-vis des outre-mer.
M. Edwin Matutano. - Je souscris à l'intervention d'Olivier Jacob à propos des études d'impact, ce qui soulève la question de l'évaluation de la législation. Nous étendons notre sujet au-delà de la codification, mais il me semble qu'avec un mécanisme à parfaire relatif à la recevabilité des textes, nous pourrions rendre cette rubrique des études d'impact relative aux effets attendus outre-mer prescriptive et non pas seulement un document de « soft law ».
Au-delà de cette évaluation ex ante, nous pouvons aussi songer à une généralisation de l'évaluation ex post des lois quant à leur applicabilité outre-mer. Je me tourne vers madame la Présidente de la délégation aux outre-mer du Sénat : ne pourrait-on pas envisager une évaluation des lois concernant les effets qu'elles ont produits dans les outre-mer ?
Mme Micheline Jacques, président. - Il s'agit là du rôle d'évaluateur et de contrôle du Sénat. Notre petite délégation réalise un travail extraordinaire avec une équipe restreinte. Je tiens d'ailleurs à remercier cette équipe, qui accomplit un travail remarquable, notamment sur la proposition de loi d'adaptation du droit des outre-mer.
Mme Véronique Bertile. - Ainsi s'achève notre table ronde. Merci, Madame le président, pour ce soutien aux travaux des universitaires. Je remercie également les intervenants et le public, qui a été très actif.