CLÔTURE

Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN,
professeur de droit public (Université de Bordeaux),
président de l'Association des juristes en droit des outre-mer

M. Ferdinand Mélin-Soucramanien. - Merci, Madame le président. Bonsoir à toutes et à tous. J'ai particulièrement apprécié les discussions que nous avons eues aujourd'hui, tant les interventions formelles que la table ronde, qui représente exactement ce que nous voulons faire à l'AJDOM : favoriser le dialogue entre fonctionnaires, la Direction générale des outre-mer, élus du Sénat, universitaires, jeunes, magistrats et avocats sur la question des outre-mer. Je remercie sincèrement la délégation aux outre-mer du Sénat, pour son aide précieuse apportée cet après-midi.

Concernant le thème de ce colloque, « codification et droits des outre-mer », je voudrais prendre un peu de hauteur. La codification est une histoire ancienne. Le code d'Hammurabi, vieux de 4 000 ans, étant souvent cité comme premier code, bien que certains historiens du droit débattent de cette qualification. Rémi Cabrillac, qui a enseigné à l'Université de La Réunion, fait même remonter la codification au code d'Ur-Namma, vers 2100 avant J.-C.

Si la pratique de codification est ancienne, la réflexion politique sur ce sujet est plus récente. Le premier penseur de la codification généralement cité est Jérémy Bentham, au tournant des 18ème et 19ème siècles, qui défendit cette idée pour l'Angleterre et d'autres pays, notamment la Russie, pour laquelle il produisit une consultation pour le Tsar Alexandre Ier.

La France entretient une relation particulière avec la codification. L'idée d'unité du droit et de cohérence a connu son âge d'or pendant la période napoléonienne. Comme l'explique Michel Troper, c'est « l'ère de modernité du droit », marquée par un triptyque : la Déclaration des droits de 1789, la Constitution de 1791 et le code civil des Français. Cette conception a contribué à construire la Nation française et forge encore notre image internationale. En Chine, par exemple, la France est désignée par des idéogrammes signifiant « le pays du droit » ou « le pays de la méthode ».

Concernant les outre-mer, leur droit n'échappe pas à la dégradation générale du droit national. On a évoqué un droit parfois de mauvaise qualité ou méconnu, mais cette situation n'est pas fondamentalement différente de celle du droit national dans son ensemble. La question qui se pose est de savoir si cette dégradation est plus importante pour le droit des outre-mer, ce qui n'est pas certain.

Il y a quelques années, j'avais proposé à Marc Guillaume, alors Secrétaire Général du Gouvernement, l'idée d'un code des outre-mer. Je me suis alors fait sèchement recadrer. Cette question illustre parfaitement cette ambivalence que nous connaissons tous concernant les outre-mer : ce tiraillement entre droit commun et droit local, entre aspiration à l'identité et désir de France. Les ultramarins vivent cette dualité, cet amour pour la langue et la culture françaises tout en aspirant à l'émancipation et à la reconnaissance de leur identité.

Vous avez abordé plusieurs aspects de la codification aujourd'hui. Je remercie d'ailleurs Charles Froger et Caroline Bouix d'avoir si bien défini ce sujet et cadré nos échanges. Vous avez exploré différentes notions : codification, recodification, et même « décodification ». La discussion a fait émerger : non seulement, une volonté commune d'améliorer la qualité du droit des outre-mer ; mais aussi l'idée que les codes peuvent y contribuer, soit par un code unique, soit par des codes distincts par territoire, soit encore par des codes thématiques. Mais voilà que surgit un paradoxe : cette volonté de créer des codes spécifiques pour les outre-mer va à l'encontre de l'objectif initial de la codification qui est l'unité du droit.

Dès lors, je souhaite développer ces deux points : d'une part, l'amélioration souhaitable du droit des outre-mer ; et, d'autre part, l'inaccessible unité de ce droit.

En premier lieu, s'agissant de l'amélioration souhaitable du droit des outre-mer, il est vrai que celui-ci apparaît aujourd'hui comme un « droit de broussailles », pour reprendre l'expression d'Henri Batiffol pour le droit international privé. Certains ont évoqué l'image d'un labyrinthe. Ce droit complexe nécessite des repères clairs, mais le droit des outre-mer n'est pas une exception : si ce droit est dégradé, c'est parce que le droit national l'est également. Nous sommes loin de l'époque où le droit français était extrêmement attractif. Je peux illustrer cette attractivité passée avec l'exemple de l'Égypte, où des juges français laissés par Napoléon pour régler les litiges entre français ont fini par régler les litiges des Égyptiens eux-mêmes, tant le droit français et ses juges étaient appréciés pour leur qualité. L'École de droit française au Caire existe toujours, malgré les bouleversements politiques.

Concernant le droit des outre-mer, il est peut-être encore plus problématique que le droit national. Notre Constitution de 1958, notamment les articles relatifs à l'outre-mer, pose de réelles difficultés. L'article 73, réécrit en 2003, a été qualifié par le Conseil d'État dans son avis préalable de « profondément incohérent ». Sa structure, avec un principe, une exception, puis une exception à l'exception, le rend particulièrement difficile à comprendre, même pour de nombreux élus. Quand la base juridique est déficiente, tout ce qui en découle s'en trouve affecté. On peut faire la même remarque à propos des articles 76 et 77 de la Constitution, qui renvoient à l'Accord de Nouméa. Celui-ci devient constitutionnel par ricochet. Il est vrai que les dispositions relatives à l'outre-mer sont particulièrement peu claires dans la Constitution. Dès lors, comment s'étonner de la complexité des lois organiques, des lois et des décrets ?

S'y ajoute ce qui a été mentionné notamment par Caroline Bouix et Florence Renucci sur la juxtaposition d'un droit national mobile avec un droit local figé : ce qu'on appelle parfois la cristallisation du droit. Ce phénomène, connu dans les territoires complètement décolonisés, se retrouve par exemple à Maurice, avec le code Napoléon, resté immobile après l'indépendance de 1968. Toutes les évolutions sur l'égalité successorale, l'égalité femmes-hommes ou le divorce n'ont pas été intégrées. Des professeurs ont dû venir actualiser ce corpus juridique en une fois et, encore, de manière largement incomplète. Pour la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, la situation est encore plus complexe, car nous sommes face à une décolonisation partielle, inachevée, où coexistent sur le même territoire un droit qui avance et un droit qui n'avance pas.

L'amélioration du droit des outre-mer ne peut que commencer par le haut, par la Constitution. Je plaidais déjà en 2003 pour une fusion des articles 73 et 74 en une « clause outre-mer » unique et pour une recodification. La meilleure proposition de réécriture vient du Sénat, dans le rapport Magras qui a été cité plusieurs reprises.

En second lieu, s'agissant de l'inaccessible unité du droit des outre-mer, l'idée d'un code unique semble compliquée au vu de la multiplication des codes dont parlait Florian Roussel. Pour ma part, je pense qu'une réécriture des articles 73 et 74 est nécessaire. Pour la Nouvelle-Calédonie, cette réécriture est indispensable, à moins d'envisager une sortie complète de la souveraineté française. La proposition actuelle vise un ancrage de la Nouvelle-Calédonie dans la République.

En ce qui concerne la codification et le droit des outre-mer, l'ambition politique manque cruellement. La France a connu deux grands élans de codification : durant la période napoléonienne et en 1989, avec la création de la Commission supérieure de codification, portée par une volonté politique forte, et notamment celle de François Mitterrand et de Robert Badinter. L'idée était alors d'exercer véritablement un « pouvoir codifiant ». Cette ambition élevée a aujourd'hui totalement disparu.

Concernant les outre-mer, l'État répond comme il peut à l'Appel de Fort-de-France du 16 mai 2022. Il le fait au cas par cas. Une ambition politique générale fait défaut, même si les délégations aux outre-mer du Sénat et de l'Assemblée portent, quant à elles, un discours cohérent et moderne. En somme, si on croise l'absence d'ambition politique à la fois pour l'entreprise nationale de codification et pour les outre-mer, le constat n'est pas bon et, de mon point de vue, nous sommes encore très éloignés de l'objectif de parvenir à une amélioration du droit des outre-mer.

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