D. MIEUX ARTICULER LE CADRE BUDGÉTAIRE DES OPÉRATEURS AVEC CELUI DE L'ÉTAT

Comme le relève le Conseil d'État dans son étude annuelle de 2012207(*), la LOLF n'a traité le sujet des agences « que de manière ponctuelle et en restant centrée pour l'essentiel sur l'État strictement entendu ». S'il va de soi que le Parlement ne peut voter le budget des agences comme il vote celui de l'État, la mise en place d'un cadre budgétaire commun à l'État et à ses agences permettrait de garantir que les agences s'inscrivent de manière cohérente dans la trajectoire d'évolution des comptes publics et, plus largement, dans les objectifs des politiques publiques inscrits dans la loi de finances.

Dans cette optique, deux approches, esquissées par le Conseil d'État, sont possibles, de manière non exclusive. Une approche dite « ambitieuse » viserait à inclure l'ensemble des organismes relevant de l'État, agences comprises, dans le périmètre de la LOLF, à travers une modification de la loi organique. Cependant, une telle révision du cadre organique nécessiterait, en toute hypothèse, une modification constitutionnelle afin d'élargir le champ de la LOLF tel que prévu à l'article 34 de la Constitution208(*).

Sans aller jusqu'à réformer la LOLF, une approche alternative, à cadre constitutionnel et organique constant, peut permettre de renforcer la prise en compte des agences et leur inscription dans la trajectoire budgétaire de l'État.

Ainsi, plusieurs ajustements utiles apparaissent possibles, en vue d'assurer une insertion plus étroite des agences dans le cadre relatif à la gestion budgétaire de l'État, d'un point de vue aussi bien formel que substantiel.

1. Au plan formel : subordonner plus strictement le vote des budgets des agences au vote de la loi de finances de l'exercice concerné

D'après les éléments transmis par la direction du budget209(*), la dotation budgétaire des opérateurs fait l'objet d'une « pré-notification indicative » par les ministères de tutelle, portant sur les crédits et les emplois pour l'année N+1, qui intervient à l'issue des arbitrages interministériels sur le projet de loi de finances, avant la fin du mois de septembre de l'année N.

Cette pré-notification aurait effectivement une valeur purement indicative et resterait subordonnée au vote du projet de loi de finances par le Parlement. Pourtant, l'administration reconnaît elle-même que c'est sur le fondement des montants prévisionnels des emplois et des subventions communiqués dans la pré-notification que le budget initial de l'organisme est établi, et non à partir des montants votés en loi de finances.

Ainsi, pour des organismes dont, très souvent, la quasi-totalité des ressources sont publiques (SCSP, taxes affectées210(*)), le rapporteur souligne l'incohérence d'un vote du budget au début du mois de décembre, sans certitude sur les mesures définitives qui seront actées au terme de l'examen du projet de loi de finances et qui auront pourtant un impact direct sur le niveau des crédits de l'opérateur. L'examen de la loi de finances pour 2025 l'a montré : les restrictions budgétaires décidées en cours de discussion de ce texte par le Parlement, en raison de l'état catastrophique des finances publiques, ont eu un impact pour les opérateurs aussi bien que pour les administrations centrales.

À l'évidence, une telle organisation de la procédure budgétaire ne saurait être considérée comme satisfaisante, en ce qu'elle tend à méconnaître, en pratique, la primauté de l'autorisation parlementaire, consacrée à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen211(*). Il convient donc de réaffirmer l'appartenance des opérateurs et autres agences à la sphère de l'État, qui assure leur financement de manière prépondérante. Si les agences doivent pouvoir bénéficier d'une autonomie suffisante pour la mise en oeuvre de leurs missions, elles ne sauraient constituer des « îlots budgétaires » déconnectés de la procédure d'examen du projet de loi de finances par le Parlement.

Recommandation: Prévoir le vote des budgets initiaux des opérateurs après la promulgation de la loi de finances de l'exercice concerné.

En complément, l'information du Parlement sur les budgets des opérateurs212(*) pourrait être améliorée en rendant obligatoire la transmission, sous forme dématérialisée, des éléments correspondants aux commissions des finances des deux chambres.

Recommandation Pour l'ensemble des opérateurs, rendre obligatoire la transmission aux commissions des finances des deux assemblées, sous forme dématérialisée, des budgets initiaux et exécutés des agences, y compris la répartition des crédits entre les programmes gérés par un même organisme.

2. Mieux utiliser la discussion avec les ministères sur les autorisations d'engagement, afin de renforcer la pluriannualité

Auditionnée par la commission d'enquête213(*), la ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, a indiqué qu'une piste possible pour développer un pilotage budgétaire pluriannuel pouvait consister, plutôt qu'en la création d'agences échappant aux contraintes de l'examen du projet de loi de finances, en une mobilisation accrue des autorisations d'engagement.

Citant l'exemple de la loi de programmation militaire, dont les autorisations d'engagement « créent, de facto, de la pluriannualité », la ministre a ainsi déclaré que ce type de loi pouvait être considéré comme « une forme de COM, qui fonctionne », sans que le ministère des armées ait eu besoin de créer des agences. Dans ce cadre, la responsabilité des programmes pluriannuels est confiée à une administration centrale « classique », la direction générale de l'armement (DGA).

De même, le secrétariat général pour l'investissement (SGPI), service administratif rattaché au Premier ministre, gère les crédits du plan France 2030 de manière pluriannuelle à travers des autorisations d'engagement214(*).

En outre, la révision de la LOLF du 28 décembre 2021215(*) a prévu que les projets annuels de performance présentent les crédits de chaque programme, par titre, pour les trois années à venir, ce qui, sans mettre à l'abri ces crédits de l'application du principe d'annualité budgétaire, apporte une véritable vision pluriannuelle, encore insuffisamment exploitée. L'extension d'un tel principe aux opérateurs, ou au moins à certains d'entre eux, permettrait d'améliorer aussi bien l'information du Parlement que la visibilité des opérateurs sur leurs crédits.

Recommandation : Plutôt que de créer des agences pour gérer des crédits de manière pluriannuelle, s'appuyer sur les autorisations d'engagement afin d'assurer un pilotage budgétaire pluriannuel

Envisager l'extension aux opérateurs du budget triennal introduit par la révision de la LOLF du 28 décembre 2021.


* 204 Seraient visés les seuls établissements publics administratifs (EPA), les établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) ne pouvant accueillir de fonctionnaires en position normale d'activité.

* 205 Décret n° 2016-1804 du 22 décembre 2016 relatif à la direction générale de l'administration et de la fonction publique et à la politique de ressources humaines dans la fonction publique.

* 206 Éléments transmis par la DIESE au rapporteur.

* 207 Conseil d'État, étude annuelle précitée.

* 208 « Les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'État dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. » (Nous soulignons)

* 209 Réponse de la direction du budget au questionnaire de la rapporteure de la commission d'enquête.

* 210 Voire certificats d'économie d'énergie dans certains cas.

* 211 « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »

* 212 Plus précisément, sur la répartition des crédits entre les programmes gérés par un même opérateur.

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