II. L'ÉTAT PARLE DE PLUSIEURS VOIX, CE QUI COMPLEXIFIE LA RÉALISATION DES PROJETS ET BROUILLE LA LISIBILITÉ DE L'ACTION PUBLIQUE
A. LE PRÉFET DEVRAIT ÊTRE LE SEUL INTERLOCUTEUR LOCAL AU NOM DE L'ÉTAT
1. Agences à l'échelle locale : une promesse non tenue
a) La multiplication des agences à l'échelle locale portait le projet de territorialisation et de simplification de l'action publique
Le développement des agences à l'échelle locale s'est orchestré concomitamment à de multiples réformes de l'État territorial : tandis que les services préfectoraux connaissaient une réorganisation profonde par la succession de la réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE) à partir de 2007 puis de la modernisation de l'action publique (MAP) à partir de 2012, dont il est ressorti un recul global des effectifs en services déconcentrés216(*), des agences ont repris à leur charge le déploiement de politiques publiques en prise directe avec les intérêts des collectivités.
Il en va ainsi des politiques de la ville et du logement, désormais pour partie pilotées par l'ANRU et l'ANAH, des politiques de santé, avec l'implantation des ARS, ou du champ de la transition écologique et du développement durable, avec le renforcement de l'ONF, de l'OFB, de l'Ademe ou des agences de l'eau. Le domaine de l'ingénierie territoriale, en particulier, a connu un profond remaniement à compter de la disparition de l'Atesat217(*) chargée de l'accompagnement des plus petites collectivités dans l'exercice de leurs compétences, définitive en 2014 mais engagée depuis une trentaine d'années avec la décentralisation, et de l'éclatement de ces compétences au sein de plusieurs agences et certaines collectivités locales.
Il est à cet égard pertinent de rappeler que la création de l'ANCT, en 2017, constituait la première tentative de rationalisation du paysage des agences en matière d'ingénierie, domaine particulièrement symptomatique de la complexité administrative locale. Les travaux de préfiguration de cette agence avaient en effet pour ambition initiale une fusion globale de l'ensemble des agences intervenant dans ce domaine, incluant le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'ANAH, l'Agence du numérique, l'Epareca218(*), l'ANRU et le rapprochement avec d'autres structures comme l'Ademe, le Cerema, Atout France, Business France et l'Agence française de développement (AFD), afin d'aboutir à un « paysage simplifié des opérateurs de l'État » et « permettre une meilleure visibilité de son action »219(*).
En dépit du rejet de ce scenario maximaliste par le Gouvernement, au motif qu'il « aurait alimenté de longs débats organiques en vue de fusionner des organismes aux statuts très divers, ce qui n'aurait pas manqué de nuire à l'action de l'agence »220(*), l'ambition de faire de l'ANCT un guichet unique pour les collectivités en besoin d'accompagnement a été maintenu, tout comme l'objectif de cibler en priorité les petites communes rurales présentant les plus forts besoins.
Toutefois, la création de l'ANCT selon un scenario plus restrictif a conduit au maintien de l'existence de plusieurs structures intervenant localement en matière d'accompagnement et d'ingénierie territoriale parmi lesquelles l'Ademe, le Cerema, l'ANAH, l'ANRU, les agences de l'eau, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) - coexistence qui, selon la Cour des comptes, a rendu « plus théorique la mise en place du guichet unique [...] et plus difficile la coopération entre les opérateurs intervenant sur le même champ d'action ».
Plus largement, la prolifération de structures nouvelles intervenant sur des champs de politiques publiques constitue, depuis plusieurs années, une nouvelle forme de gestion publique, face à laquelle le Sénat soulignait, dès 2021, le besoin d'une clarification du rôle de l'État dans les territoires221(*). En effet, si le recours aux agences portait, à l'égard des collectivités comme des entreprises, la promesse d'une action publique plus souple, plus adaptée et plus performante, force est de constater qu'après une décennie, le sentiment d'abandon des politiques publiques régulièrement exprimé par les territoires témoigne d'un engagement non tenu.
b) Le point de vue des collectivités : la multiplication des agences et la disparition de l'État
(1) Une dilution de la parole étatique dans une multitude de services et d'agences qui pose la question de la responsabilité
La promesse d'une action publique plus agile et calibrée du fait de la profonde restructuration de l'État et de ses agences apparaît en effet en profond décalage avec les retours des acteurs des territoires entendus par la commission d'enquête. Ces derniers dénoncent de manière unanime une perte d'efficacité de l'action publique à l'échelon locale, résultant d'une dilution des responsabilités, d'un recul dans l'accompagnement ainsi que d'un enchevêtrement délétère des compétences de l'État et de ses agences.
Les travaux conduits par la commission d'enquête ont tout d'abord permis de mettre en lumière le sentiment des collectivités d'avoir perdu un interlocuteur unique au cours des vingt dernières années, du fait du transfert de nombreuses compétences des services déconcentrés vers les agences de l'État.
De fait, le recul des effectifs en préfecture, qualifié par l'Assemblée des Départements de France de « grand désarmement de l'État », et l'apparition de nouvelles entités pilotant de manière quasi autonome certains pans de l'action publique ont eu pour conséquence première d'exiger des collectivités d'identifier d'elles-mêmes l'interlocuteur approprié pour les accompagner dans leur projet.
Or, en matière d'ingénierie, par exemple, la coexistence d'une multitude d'agences nationales aux modes d'intervention divers, en parallèle de bureaux d'études privés, du conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) ou d'agences techniques des collectivités concourt à une complexité du panorama des interlocuteurs susceptibles de les accompagner dans leurs projets et donc d'une perte d'opportunité pour les élus qui se privent, faute de les connaître, de dispositifs prévus pour répondre à certains besoins.
Cela a notamment été illustré par le président du conseil d'administration de l'ANCT, qui rappelait, à juste titre, que « les maires qui souhaitent mettre en place un réseau de chauffage urbain doivent solliciter l'Ademe pour mobiliser le fonds Chaleur, encore faut-il qu'ils sachent que l'Ademe peut les accompagner dans ce projet »222(*).
Les compétences complémentaires et les modalités d'intervention hétérogènes des différentes agences imposent en outre aux bénéficiaires de nouer des contacts multiples, conduisant à un dialogue qualifié d'« extrêmement compliqué »223(*) , voire même d'incompréhensible lorsque des doublons sont constatés.
Dans le cadre d'un projet d'extension de zone urbaine, un élu observait ainsi que « la commune ou l'intercommunalité doit aujourd'hui coordonner une pluralité d'acteurs, dont l'expertise se révèle malheureusement indispensable pour se conformer aux trop nombreuses réglementations qui s'imposent aux projets locaux ». Or ces acteurs sont multiples : services techniques internes, organismes spécialisés tels que le Cerema, le CAUE ou l'Ademe, bureaux d'étude privés ; administration déconcentrée, notamment les DREAL et les ministères en charge de la transition écologique et de la cohésion des territoires ; agences de l'eau pour évaluer l'impact du projet sur les ressources et milieux aquatiques, tandis que l'IGEDD peut s'assurer de la qualité des études environnementales menées.
Or chacun de ces organismes possède ses propres procédures, exigences, délais, ce qui alourdit la coordination et rallonge les délais de mise en oeuvre.
De la même manière, l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) a transmis à la commission d'enquête la liste des structures consultées par une métropole pour un projet de transport urbain par câble : cette liste comprend plus de cinquante entités, qu'il s'agisse de services déconcentrés, d'agences, de services des collectivités territoriales, d'associations, d'organisations professionnelles et d'entreprises concernées par le projet.
L'identification des missions assurées par chaque interlocuteur est d'autant plus difficile que des redondances se font jour entre les périmètres d'intervention de certaines agences.
L'enchevêtrement de compétences est notamment notable en matière d'ingénierie :
- l'Ademe est susceptible de distribuer des aides pour financer de l'ingénierie pré-opérationnelle par des bureaux d'étude tiers et de mettre à disposition son expertise et des outils d'analyse ;
- le Cerema réalise des prestations d'ingénierie pré-opérationnelle et opérationnelle et finance, à la marge, de l'ingénierie de bureaux d'étude et propose son expertise et des outils d'analyse aux collectivités ;
- l'ANCT passe des marchés à bon de commande d'ingénierie pré-opérationnelle dont peuvent ensuite bénéficier les collectivités en contrepartie du financement de la prestation. L'agence finance également des chefs de projet dans les collectivités.
Bien que l'offre de chacune de ces structures présente ses propres spécificités, on imagine aisément les difficultés que rencontrent des élus de petites communes pour comprendre laquelle est en mesure de lui apporter l'aide escomptée, et à accepter qu'il faudra très certainement les solliciter successivement, en fonction de l'évolution du projet.
De telles redondances sont par ailleurs également observables pour certaines prestations proposées par des agences nationales et par certaines collectivités. Laurent Dejoie, vice-président de la région des Pays de la Loire et représentant de Régions de France, rappelait ainsi que l'ANCT, qui « a été créée pour aider les collectivités territoriales (...) déploie parfois des dispositifs concurrents avec ceux des régions », soulignant qu'en conséquence « le temps que l'ANCT passe sur ces dispositifs est autant de moins pour le conseil aux collectivités, un conseil qu'elle sous-traite alors à des cabinets privés très coûteux : cela questionne l'efficacité du système »224(*).
Le constat d'une multiplication des partenaires à consulter pour la conduite de projet est également partagé par les acteurs du monde économique. La création d'un hôtel avec restaurant et piscine a notamment été décrite comme « un parcours du combattant »225(*) par le secteur hôtelier en raison du nombre de démarches à effectuer et des autorisations à obtenir auprès :
- de la mairie pour le permis de construire, les autorisations d'occupation du domaine public et la licence IV pour vente d'alcool ;
- de la préfecture (classement en ERP226(*)) ;
- des architectes des Bâtiments de France (ABF), si l'hôtel se situe en zone protégée ;
- de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), s'il s'agit d'un site patrimonial ;
- de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour les impacts environnementaux ;
- du service départemental d'incendie et de secours (SDIS), pour la conformité à la réglementation relative à la sécurité incendie ;
- de l'ARS, pour les normes sanitaires de la piscine et la cuisine du restaurant ;
- de la direction départementale de la protection des populations (DDPP), pour l'hygiène alimentaire ;
- d'Atout France, pour le classement hôtelier ;
- du centre de formalités des entreprises (CFE), pour l'immatriculation ;
- des bureaux d'études spécialisés et des bureaux de contrôle pour la conformité aux normes PMR, HQE227(*), d'acoustique et d'hygiène ;
- et enfin, des banques, de BPI France, de fonds d'investissements, de la région (fonds FEDER) pour les financements.
Pour les acteurs du secteur, cette accumulation de points de contact a conduit à un allongement net de la durée de réalisation d'un tel projet : alors que la construction d'un hôtel haut de gamme s'étend en moyenne sur une période de trois à cinq ans en France, elle ne serait que de deux ans aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
Ainsi, outre un sentiment d'illisibilité des interlocuteurs à mobiliser, les collectivités et les entreprises déplorent que ce paysage complexe aboutisse à une dilution de la décision étatique, autrefois incarnée par le préfet et aujourd'hui inégalement distribuée entre chaque agence, aboutissant à un ralentissement critique de la conduite de leurs projets. Elles sont ainsi les premières concernées par la tendance de certaines agences, évoquée précédemment, à créer de la norme.
L'émiettement des compétences se traduit ainsi du point de vue des collectivités par une dilution des responsabilités, donnant le sentiment que des arbitrages cruciaux ne sont aujourd'hui plus rendus par l'État.
Comme rappelé par Véronique Pouzadoux, maire de Gannat (Allier) et vice-présidente de l'AMF, « le maire se voit confronté à une multiplicité d'acteurs, de services de l'État, qui ont chacun leur interprétation de la norme, leurs critères et leurs injonctions ». Pour les petites collectivités, la multiplication des agences à l'échelle locale vient dès lors « faire écran entre les élus locaux et les services préfectoraux, entre lesquels le lien était autrefois direct »228(*). Par ailleurs, les maires se trouvent en position de devoir arbitrer entre différentes injonctions.
De tels propos sont notamment à mettre en lien avec les réticences très fortement ancrées vis-à-vis de l'OFB, dont la double compétence en matière de conseil et de contrôle de la politique environnementale place les exploitants agricoles dans l'incompréhension et contribue d'un sentiment de rejet de l'agence à l'échelle locale. L'AMF soulignait également que le positionnement ambigu de l'OFB est « souvent mal perçu par les maires » qui, méfiants, ont tendance à renoncer aux missions de conseils et d'accompagnement de celui-ci.
En matière d'aides financières également, l'autonomie et le fonctionnement en silo de ces agences tendent à placer les collectivités dans des situations qualifiées « d'ubuesques » par les élus, notamment lorsqu'un même projet peut faire l'objet de financements concurrents et qu'il revient aux collectivités d'effectuer plusieurs démarches distinctes afin de sécuriser l'obtention de l'une d'entre elles.
Les dispositifs parallèles d'accompagnement de projet, notamment s'agissant des circuits de financement autonomes tels que les appels à projets et les appels à manifestation d'intérêt, supposent, d'une part, une charge administrative démultipliée pour les collectivités, et tendent, d'autre part à les placer en situation de concurrence pour l'obtention de financements, favorisant mécaniquement celles disposant de davantage de moyens. En outre chaque appel à projet a son propre calendrier, ses propres procédures, rendant difficile la conciliation entre plusieurs sources de financement.
La commission ne s'étonne donc guère que 75 % des communes plébiscitent la contractualisation comme modalité de financement229(*) plutôt que les appels à projet, qui font l'objet d'un fort rejet.
Il convient de souligner que la création de l'ANCT avait été l'occasion pour les élus de demander de mettre un terme à la logique d'appel à projet, jugée trop chronophage et injuste, au profit d'une logique de contrats intégrateurs pouvant regrouper les multiples contrats avec l'État et ses agences (contrats avec l'Ademe, l'ANAH), sans que cette demande n'ait finalement été prise en compte.
La commission note à cet égard que le recours à ces outils de financement amène également des interrogations sur la capacité des bénéficiaires à identifier la provenance de l'aide qu'ils perçoivent, alors que la visibilité des interventions de l'État constitue un enjeu politique majeur face au sentiment d'abandon dans certains territoires. Il est en effet peu audible pour certains élus que des projets de territoire puissent faire l'objet de financements de la part de la préfecture mais ne pas être soutenus par certaines agences : l'AMF mentionnait à ce propos l'exemple d'une maison de santé significativement soutenue par la dotation d'équipement des territoires ruraux mais n'étant aucunement financée par l'ARS.
(2) Une dégradation de l'accompagnement proposé
La commission a également constaté que l'accompagnement proposé par les agences semble fréquemment en décalage avec les attentes des collectivités et témoigne de leur statut ambivalent, à mi-chemin entre l'aide aux collectivités et la mise en oeuvre de programmes nationaux. En effet, alors que les plus petites communes nécessitent un accompagnement en ingénierie de proximité, les élus locaux estiment qu'ils se font fréquemment imposer « des études qui ne sont pas leur priorité, mais qui entrent dans la politique publique promue par telle ou telle agence »230(*), expliquant que les services déconcentrés demeurent souvent leur contact par défaut.
La commission s'est en outre vu communiquer des données concluant à un ciblage déséquilibré de l'accompagnement fourni par les agences, au détriment des plus petites collectivités. De fait, selon des données transmises par le Gouvernement, plus une commune est de taille restreinte, moins elle bénéficie d'un accompagnement des agences en matière d'ingénierie territoriale - dont l'existence repose pourtant sur le besoin d'accompagner les plus petites collectivités. Selon cette étude, les communes de moins de 2 000 habitants s'appuient dès lors davantage sur les services déconcentrés de l'État que les autres types de collectivités. Ces résultats corroborent des données plus anciennes publiées par le Sénat, en 2022, indiquant que l'ANCT est avant tout mise à contribution par les communes les plus peuplées (plus de 5 000 habitants) et de manière très marginale par les communes de moins de 1 000 habitants231(*).
La commission a également été alertée de disparités dans l'accompagnement proposé d'un territoire à un autre. Dans le champ social notamment, les élus départementaux ont affirmé observer des différences de traitement en matière de politiques publiques concernant les ARS réparties à l'échelle nationale, notamment au sujet de la question des enfants à double vulnérabilité, pour laquelle des solutions sont proposées par certaines ARS, mais pas par d'autres. Ces disparités conduisent également des élus à exprimer le sentiment « qu'à travers les agences et leurs programmes, les territoires et les collectivités territoriales sont regardés comme des lieux d'expérimentation. Nous avons notre projet, pour lequel nous avons été élus, mais nous devons nous en écarter pour répondre aux objectifs énoncés par les agences, aux critères précis des programmes, qui ne sont pas forcément ceux du territoire. »232(*)
Enfin, dans certains champs d'activité, le développement des agences semble avoir entraîné un véritable recul de l'accompagnement des collectivités. L'AMF souligne ainsi que l'ONF ne dispose aujourd'hui pas de moyens lui permettant d'accomplir les missions qui lui sont confiées, ce qui emporte des conséquences pour les collectivités qui doivent y contribuer. Selon l'Assemblée des Départements de France, dans le secteur social et sanitaire également, l'élaboration de structures indépendantes a conduit à un accompagnement dégradé des élus qui font face à « de nombreuses sollicitations laissées sans réponses, des blocages, par exemple pour la construction d'une maison ou la nomination d'un directeur d'une maison de retraite »233(*).
En définitive, pour les élus locaux, la multiplication des structures locales, qui devait supposer un accompagnement plus agile des collectivités, s'est traduite par une charge administrative démultipliée, mais surtout par la perte d'un référent permettant d'apporter une réponse unique et de proposer des services d'accompagnement cohérents et efficaces. L'ensemble des strates de collectivités a ainsi dit regretter la « destruction du maillage historique de l'administration territoriale »234(*).
Face à cette perte de repères, la demande des élus, notamment communaux, est une redéfinition d'un interlocuteur unique en mesure de rendre des arbitrages et de répondre à l'ensemble des sollicitations de terrain.
c) Le point de vue de l'État : l'inexorable perte de contrôle du préfet sur l'action publique locale
Du point de vue des services déconcentrés de l'État, la segmentation de l'action publique au niveau local a engendré une perte d'efficacité en raison d'une mauvaise coordination des interventions en parallèle avec celles des agences.
En effet, si certaines agences s'appuient, pour le déploiement de leurs interventions, sur l'instruction de dossiers par les services déconcentrés235(*), d'autres agences disposent d'une implantation locale autonome ou appliquent directement des décisions arrêtées au niveau national.
Le fonctionnement de ces dernières, dont les circuits de décisions contournent les services déconcentrés, engendre une perte significative d'information pour les services préfectoraux comme pour ces agences, aboutissant à des prises de décisions sous-optimales à l'échelle locale. L'attribution de financements peu efficients ou mal coordonnés avec ceux pilotés par la préfecture a ainsi été fréquemment mentionnée : lors d'un déplacement effectué par la commission d'enquête, une préfète indiquait notamment constater que le calendrier d'attribution de certains financements concurrents par les agences et par la préfecture pouvait présenter des incohérences particulièrement lourdes pour les collectivités ; avançant notamment l'exemple des subventions attribuées par l'Agence nationale du sport (ANS), non coordonnées avec celles de la préfecture concernant la répartition de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Dès lors, certaines collectivités ayant répondu à l'appel d'offres de l'ANS se trouvent dans l'incertitude quant à la possibilité de percevoir les financements de la préfecture.
Ces circuits de financements parallèles affaiblissement en outre le positionnement du préfet sur son territoire, notamment dans les cas, décrits par la Cour des comptes, où « le service compétent du siège informe directement les collectivités concernées, y compris en cas de rejet ou de suspension d'un projet, sans informer au préalable le délégué territorial, informé a posteriori par les élus »236(*), et conduit à des financements peu satisfaisants en matière de performance de la dépense publique, la non-association des préfets au processus d'attribution de subvention des agences « pouvant les amener à financer des entités qui ne l'auraient pas été si le préfet avait été associé à la décision, dans la mesure où celui-ci peut disposer sur le candidat d'informations auxquelles l'agence n'a pas accès »237(*).
L'absence de tutelle des préfets sur certaines agences gérant des politiques publiques centrales, telles que la santé, peut également conduire à un manque de coordination et de pilotage de l'ensemble des parties prenantes. À ce sujet, les ARS ont régulièrement été mentionnées par les personnes auditionnées par la commission d'enquête comme symbole d'une profonde désarticulation de l'action des agences avec celle des services territoriaux de l'État. Cela tient premièrement à son financement singulier - l'essentiel du budget des ARS provenant de l'assurance maladie - mais plus encore à son autonomie d'action.
Cette problématique est particulièrement notable en matière de gestion de crise, qui nécessite une coordination fine de l'ensemble des acteurs. La gouvernance de l'ARS, notamment dans la gestion de la crise de la Covid-19, a ainsi pu être perçue comme un symbole de l'affaiblissement de l'unicité de la parole de l'État, amenant Éric Freysselinard, vice-président délégué de l'Association du corps préfectoral et des hauts fonctionnaires du ministère de l'intérieur à conclure, devant la commission d'enquête, « qu'il était illusoire de penser qu'une crise aussi violente que celle de la covid-19 pouvait être gérée uniquement par une agence qui n'aurait pas eu de contact avec les préfets »238(*).
d) Le délégué territorial : une tentative en demi-teinte de coordination de l'action publique
Face à ces constats, plusieurs dispositifs ont vu le jour au cours des vingt dernières années afin de redonner au préfet un pouvoir de coordination et de centralisation vis-à-vis de l'action des agences, dispositifs dont la commission estime néanmoins que la portée doit être amplifiée.
(1) La présence du préfet dans certaines instances locales de pilotage
En premier lieu, la présence du préfet a été renforcée dans certaines instances de pilotage des agences ne reposant pas sur ses services.
En matière de politique sanitaire notamment, le positionnement du préfet vis-à-vis des agences régionales de santé a été clarifié au moyen de trois dispositifs :
- en application de l'article 119 de la loi dite « 3DS »239(*), le conseil de surveillance, jusqu'alors simple organe de dialogue à la portée restreinte, présidé par le préfet de région, a été transformé en conseil d'administration, composé de représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements, et chargé de déterminer les grandes orientations de la politique menée par l'agence. La présidence du conseil d'administration par le préfet vise ainsi à assurer la cohérence de l'action de l'ensemble des services et agences de l'État, et à réaffirmer la compétence de l'État sur les politiques de santé. Elle apporte ainsi au préfet un suivi et une compréhension globale renforcés des enjeux de l'institution et de ses difficultés, pouvant aboutir à des demandes conjointes auprès du ministère de la santé s'agissant de besoins locaux ;
- par ailleurs, pour affirmer la cohérence des prises de position des structures de l'État, tous les directeurs généraux d'ARS participent désormais régulièrement aux réunions du comité d'administration régionale sous la présidence du préfet de région, et chaque directeur départemental participe, en principe chaque semaine, à la réunion des chefs de service de l'État organisée par les préfets de département. Les ARS sont également régulièrement associées, au même titre que les autres agences de contrôle et dans leurs domaines d'expertise, aux opérations diligentées par les préfets dans le cadre des comités opérationnels départementaux anti-fraude (CODAF) ;
- enfin, pour garantir une réponse optimale en cas de crise sanitaire ou sécuritaire, l'article 27 de loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur permet au préfet de département de prendre la direction fonctionnelle de l'ensemble des établissements publics de l'État, dont les ARS. Pour la préparation aux crises, le décret n° 2024-8 du 3 janvier 2024 relatif à la préparation et à la réponse du système de santé pour faire face aux situations sanitaires exceptionnelles a également prévu que le dispositif ORSAN soit complété par neuf dispositions spécifiques transversales développées par l'ARS soumises à l'avis des préfets afin de garantir qu'elles s'articulent au mieux avec les dispositifs de préparation au titre du dispositif ORSEC.
De la même manière, en application de l'article 153 de la loi 3DS, le préfet coordonnateur de bassin assure désormais systématiquement la présidence du conseil d'administration des agences de l'eau, afin de réaliser l'unité et la cohérence des actions déconcentrées de l'État en ce domaine.
En outre, afin de disposer d'une vision complète des dispositifs faisant l'objet de co-financements au niveau local, plusieurs préfets de région ont désormais institué des comités régionaux des financeurs associant plusieurs agences et des collectivités territoriales, afin de permettre une information complète de l'ensemble des parties prenantes et un dialogue étayé en amont des prises de décision.
À titre d'exemple, en Nouvelle-Aquitaine comme dans les Pays-de-la-Loire, un comité régional des financeurs présidé par le préfet de région en présence des agences et des préfets de département permet d'effectuer un suivi des déploiements des programmes de l'ANCT et de faire part de retours d'expérience sur les programmes « Action coeur de ville » et « Petites villes de demain ». De même, dans les Hauts-de-France, le préfet de région préside la commission régionale des aides de l'Ademe, composée du directeur régional de l'Ademe, des services de l'État en région, de six personnalités qualifiées, du président du conseil régional ou de son représentant, afin d'examiner et de rendre un avis sur les projets, dont le concours financier sur le budget de l'opérateur est supérieur à 200 000 euros. Ces avis essentiellement techniques, administratifs et juridiques permettent d'alimenter la réflexion avant que l'Ademe ne prenne sa décision de financement. Dans la même région, la programmation régionale des crédits de l'ANAH, ainsi que l'ensemble des crédits du fonds national des aides à la pierre (FNAP) est validée en comité régional de l'habitat et de l'hébergement (CRHH), seule instance de concertation avec les collectivités locales, les bailleurs sociaux et les associations en charge du logement des personnes défavorisées qui aborde l'ensemble des politiques publiques relatives à l'habitat et à l'hébergement.
(2) Le statut de délégué territorial du préfet
Par ailleurs, afin de garantir un alignement de l'action locale des agences sur les orientations gouvernementales et les besoins identifiés par les services de l'État à l'échelle du territoire, le préfet se voit désormais désigné délégué territorial de certaines agences.
Ce dispositif, instauré par le décret n° 2010-146 du 16 février 2010, trouvait initialement à s'appliquer à l'égard des établissements publics comportant un échelon territorial et figurant sur une liste établie par un décret en Conseil d'État.
Pour ceux-là, aux termes des articles 59-1 à 59-3 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004, le préfet, en sa qualité de délégué territorial, coordonne les actions de l'établissement avec celles conduites par les administrations et les autres établissements de l'État. Il joue ainsi un rôle de contrôle de la cohérence de l'action territoriale de l'établissement public avec les orientations gouvernementales, l'activité des services de l'État et dans le partenariat avec les collectivités territoriales.
La mission de délégué territorial du préfet
Sous réserve de dispositions spécifiques prévues par la loi, le décret de 2004 prévoit que le préfet, en tant que délégué territorial :
- assure la représentation de l'établissement dans la région ou le département. À ce titre, il peut recevoir délégation de pouvoir de l'organe compétent pour négocier et conclure au nom de l'établissement toute convention avec les collectivités territoriales et leurs groupements ou, en l'absence d'une telle délégation, contresigner ces conventions ;
- adresse des directives d'action territoriale (DAT) à l'attention du représentant territorial de l'établissement public visant à orienter son action conformément à des orientations des ministères de tutelle et des enjeux territoriaux diagnostiqués par la préfecture ;
- contribue à l'évaluation du responsable territorial de l'établissement, non pas en tant qu'autorité hiérarchique, mais en tant qu'autorité fonctionnelle, afin d'évaluer, au nom de l'État, la qualité de la participation de l'établissement public aux politiques publiques de l'État sur le territoire.
Source : commission d'enquête, à partir du décret du 29 avril 2004
La fonction de délégué territorial n'a ainsi pas pour effet d'amoindrir ni le fonctionnement de l'établissement public doté d'une autonomie inhérente à son statut juridique, ni les compétences des instances de gouvernance de cet établissement, dès lors qu'elle ne s'exerce que dans le strict respect du cadre des attributions et des décisions des organes délibérants et exécutifs de l'établissement. Elle vise en revanche à faire du préfet le représentant local de l'agence concernée, et est à ce titre l'unique personne à prendre la parole au nom de l'État.
En définitive, ce statut vise à renforcer le préfet en tant que relai institutionnel et opérationnel du pouvoir exécutif dans les territoires et le qualifie comme interlocuteur unique au niveau déconcentré pour garantir l'unicité de la parole de l'État.
Si la commission reconnaît que la désignation du préfet comme délégué territorial de certains établissements publics a constitué une avancée utile et nécessaire au rapprochement de l'action des agences de celle des services déconcentrés, elle constate toutefois que cette fonction fait l'objet d'une mise en oeuvre disparate en fonction des établissements ainsi que des zones géographiques, interrogeant la cohérence d'ensemble du dispositif. Elle considère en outre que la désignation du préfet comme délégué territorial est une mesure bien trop timide alors que la crise de confiance des collectivités comme des citoyens vis-à-vis des agences de l'État nécessite une véritable reprise en main du représentant de l'État sur ces entités, afin de rendre à l'action publique toute sa cohérence et son efficacité.
De fait, initialement prévue pour les agences s'appuyant directement sur les services déconcentrés de l'État240(*), la désignation du préfet comme délégué territorial s'est développée ces dernières années, y compris à l'égard d'agences disposant de leurs propres services territoriaux. Des textes spécifiques ont également désigné le préfet comme délégué territorial de groupements d'intérêt public tels que l'Agence nationale du service civique (ANSC) et l'Agence nationale du sport (ANS), alors que le décret de 2004 modifié ne vise explicitement que les établissements publics de l'État241(*).
La Cour des comptes note à cet égard que le rôle du délégué territorial s'exerce de manière différente selon que l'agence s'appuie sur les services déconcentrés de l'État pour son action territoriale (ANRU, ANCT, ANS), ou qu'elle dispose de services territoriaux propres (Ademe, OFB)242(*) : dans le premier cas, la désignation du préfet comme délégué territorial évite que des services placés en temps normal sous son autorité le contournent quand ils exercent des missions pour le compte d'une agence ; dans le second, elle a pour effet d'introduire le préfet dans des processus dans lesquels il n'intervenait pas précédemment.
Le préfet est désormais délégué territorial de neuf agences.
Liste des agences dont le préfet est délégué territorial
Agence |
Préfet délégué territorial |
Date d'attribution |
Agence nationale de l'habitat (ANAH) |
région et département |
2003 |
Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) |
département |
2003 |
Agence nationale du service civique (ANSC)243(*) |
région |
2020 |
FranceAgriMer |
région |
2012 |
Office de développement de l'économie agricole d'Outre-mer (Odeadom) |
département |
2016 |
Agence nationale du sport (ANS) 244(*) |
région |
2019 |
Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) |
département |
2019 |
Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) |
région |
2022 |
Office français de la biodiversité (OFB) |
département |
2022 |
Source : commission d'enquête, à partir du décret n° 2012-509 du 18 avril 2012 et de textes spécifiques
S'appuyant sur quatre exemples d'agences pour lesquelles le préfet a été désigné délégué territorial, la commission a constaté une mise en oeuvre très hétérogène de cette fonction.
· Le délégué territorial de l'ANRU, une fonction cohérente et stabilisée
Dès la création de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), en 2003, le préfet de département est désigné délégué territorial de l'établissement245(*). L'article 12 du décret n° 2004-123 du 9 février 2004 précise qu'en sa qualité de délégué territorial de l'agence, le préfet assure l'instruction des demandes de financement et des dossiers de conventions pluriannuelles des différents programmes (PNRU, NPNRU, PNRQAD246(*)) et les transmet au directeur général pour avis du comité d'engagement ; et signe, sur délégation du directeur général, les conventions pluriannuelles et les conventions de délégation de gestion des concours financiers (PNRU et NPNRU).
Le préfet attribue également, sur délégation de pouvoir, les subventions prévues dans les conventions pluriannuelles et les subventions ne nécessitant pas de convention, instruit les demandes de versement de subvention et contrôle l'exécution des prestations. Enfin il émet, le cas échéant, des demandes de reversement et établit chaque année à l'attention du directeur général un rapport relatif à l'avancement de chaque convention pluriannuelle signée dans le département.
La fonction de délégué territorial permet ainsi au préfet de garantir un contrôle de la cohérence des subventions attribuées par l'agence au regard des priorités identifiées par la préfecture, et d'incarner l'agence au niveau territorial du fait de son rôle pivot pour l'articulation des orientations nationales de l'agence avec leur déploiement local. Comme relevé devant la commission d'enquête par François de Mazières, maire de Versailles et représentant de France urbaine, la structure même de l'ANRU, dont l'action locale repose pleinement sur les services déconcentrés de l'État, rend « le lien avec la préfecture assez évident ».
· Le délégué territorial de l'Ademe, une coordination en progression avec les délégations territoriales de l'agence
La commission d'enquête a constaté que l'effectivité du rôle de délégué territorial pouvait également être observée pour certaines agences disposant de leurs propres services locaux.
Le préfet de région a notamment été, dans le cadre de la loi du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration (dite « loi 3DS), nommé délégué territorial de l'Ademe, agence qui dispose de directions régionales sur l'ensemble du territoire pour la gestion des fonds confiés par l'État (fonds chaleur, fonds économie circulaire, fonds verts et programmes France 2030). La présence « autonome » de l'agence sur le territoire n'a pourtant pas empêché la mise en oeuvre des prérogatives du délégué territorial prévues par le décret de 2004.
Le préfet délégué territorial assure en effet la synchronisation de l'action de l'agence avec celles conduites par les administrations et les autres établissements publics de l'État en région en pilotant le comité régional d'orientation, instance d'examen des dossiers de financement supérieurs à 200 000 euros, en contresignant toutes les aides aux collectivités, dès le premier euro ; ainsi que par l'élaboration d'une convention avec l'agence pour la répartition du fonds vert et examine les dossiers candidats, qu'il valide afin de permettre le transfert du budget à l'agence. Conformément au décret de 2004, le préfet de région est également amené à édicter des directives d'action territoriale à l'attention du directeur général ainsi qu'à se prononcer sur la nomination des directeurs régionaux de l'agence.
Le rôle du préfet dans l'animation locale des missions portées par l'Ademe témoigne ainsi qu'une telle coordination est tout à fait possible, y compris à l'égard des agences disposant de services territoriaux. Aussi, la commission déplore qu'une telle articulation ne se retrouve pas dans l'ensemble des établissements desquels le préfet a été désigné délégué territorial.
· Le délégué territorial de l'Office français de la biodiversité, une fonction « amoindrie » ?
Le rôle du préfet de département auprès de l'Office français de la biodiversité (OFB) semble bien plus restreint. Également conféré par la loi du 21 février 2022 dite « loi 3DS », le statut de délégué territorial de l'OFB se limite aux seules missions de coordination de la police administrative de l'eau et de l'environnement, s'éloignant ainsi du cadre juridique prévu par le décret de 2004.
Au demeurant, la mission de coordination dévolue au préfet à l'égard de l'OFB semble se heurter à de multiples difficultés puisque, si le préfet s'assure de la présence des services de l'OFB aux instances stratégiques qu'il préside, tout particulièrement la mission interservices de l'eau et de la nature (MISEN), le développement de plan de contrôles en lien avec les services de l'État demeure assez marginal et ne semble pas produire les effets escomptés sur le terrain selon les élus.
Les missions de l'OFB font l'objet d'un pilotage partagé entre le préfet et le procureur de la République
Le décret du 13 septembre 2023247(*) consacre deux instances complémentaires pour un meilleur pilotage de la police de l'environnement et une meilleure articulation entre police administrative et police judiciaire :
- la mission interservices eau et nature (MISEN), instance présidée par le préfet en sa qualité de délégué territorial, au sein de laquelle, en présence du procureur de la République, il réunit l'ensemble des acteurs concernés et pilote la stratégie de contrôle ;
- le comité de lutte contre la délinquance environnementale (COLDEN) est une instance présidée par le procureur de la République au sein de laquelle il réunit ces mêmes acteurs pour améliorer le pilotage des procédures judiciaires.
Source : décret n° 2023-876 du 13 septembre 2023 relatif à la coordination en matière de politique de l'eau et de la nature et de lutte contre les atteintes environnementales
· Le délégué territorial de l'ANCT, vers une incarnation de l'offre d'ingénierie territoriale ?
À cet égard, l'évolution singulière du rôle du préfet auprès de l'ANCT témoigne bien du besoin accru de pilotage et de lisibilité de l'action publique en matière d'ingénierie territoriale, sans pour autant parvenir à relever clairement ce défi.
L'article L. 1232-2 du code général des collectivités territoriales, tel qu'issu de la loi n° 2019-753 du 22 juillet 2019 portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires, prévoyait ainsi initialement que le délégué territorial de l'agence « assure la cohérence et la complémentarité des actions de l'agence avec les soutiens apportés aux projets locaux par les acteurs locaux publics ou associatifs intervenant en matière d'ingénierie ».
Pour ce faire, le dispositif confie au préfet la responsabilité de réunir régulièrement, au moins deux fois par an, un comité local de cohésion territoriale (CLCT) devant constituer l'instance « pivot » de l'animation locale en matière d'ingénierie territoriale.
Les comités locaux de cohésion territoriale (CLCT)
Présidé par le préfet, le CLCT réunit quatre collèges représentant les services déconcentrés, les établissements publics de l'État, les collectivités territoriales ainsi que les structures d'accompagnement de projets afin de faire le bilan de l'avancement des dispositifs de contractualisation (CRTE), des programmes (Petites Villes de Demain, France services, Villages d'avenir, Territoires d'industrie, Action Coeur de ville) ainsi que des financements provenant de l'État et des agences (ANCT, Ademe, ANAH).
L'instance doit ainsi permettre une meilleure coordination des différentes parties prenantes s'agissant des besoins et de l'offre d'ingénierie locale, et définir les priorités d'intervention de l'ANCT à travers l'élaboration d'une feuille de route partagée. Elle vise également à garantir une certaine lisibilité de l'offre d'ingénierie sur le territoire, et a à ce titre conduit, dans certains départements, à la réalisation de cartographies des acteurs locaux de l'ingénierie à destination des collectivités territoriales et de guides de l'ingénierie territoriale recensant les différents outils à disposition des élus248(*), et à l'organisation de forum de l'ingénierie249(*).
Selon une étude menée par l'ANCT, à l'été 2024, 88 départements ont installé au moins un CLCT depuis 2020. 19 % des répondants en ont organisé six ou plus depuis 2020. Seuls 15 départements n'ont pas réuni le comité au cours de l'année 2024.
Source : ANCT
Les CLCT semblent ainsi assurer leur rôle d'aiguillage et d'accompagnement des collectivités, Mme Isabelle Dugelet, représentante de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) indiquant que, « si leur répartition sur le territoire n'est pas homogène, leur mise en place a permis d'élaborer un guide de l'ingénierie, offrant aux communes une meilleure visibilité sur l'ensemble des services et agences pouvant répondre à leurs besoins. Cette initiative contribue à pallier le manque d'information auquel sont confrontés les élus ruraux, qui ne peuvent compter que sur leurs secrétaires de mairie, déjà fortement sollicités ».
Afin de renforcer le pouvoir de coordination du préfet, le décret n° 2024-97 du 8 février 2024 relatif au rôle du délégué territorial de l'ANCT l'a également rendu compétent pour l'instruction et la signature de conventions avec les collectivités territoriales en matière d'accompagnement et d'ingénierie, rôle non prévu lors de sa création. Chaque préfet bénéficie ainsi d'une enveloppe dédiée à l'ingénierie de 150 000 euros par département, soit une enveloppe déconcentrée de 15 millions d'euros en tout.
Enfin, l'instruction du 28 décembre 2023 relative au renforcement de l'appui en ingénierie aux collectivités invite les délégués territoriaux à mettre en place plus formellement un guichet unique qui permettraient aux élus locaux de disposer d'un point d'entrée dans l'offre d'ingénierie locale existante. Ce guichet se traduit concrètement par la mise à disposition d'une adresse email standardisée depuis laquelle les agents des services déconcentrés réceptionnent les demandes d'élus ne trouvant pas spontanément de réponse à leur besoin d'ingénierie et établissant pour eux les contacts avec les acteurs locaux de l'ingénierie.
Cette instruction s'inscrit ainsi dans la continuité des mesures prévues en loi de finances initiale pour 2024 à l'instar de celle relative au relèvement du plafond d'emploi de l'Agence de quatre équivalents temps plein (ETP) au titre du renforcement du maillage territorial par le doublement de l'équipe des chargés de missions territoriaux pour 2024, constituant ainsi le point d'entrée unique de l'ANCT au niveau central et des interlocuteurs transversaux de proximité pour les délégués territoriaux.
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Globalement, la commission a ainsi observé que le rôle de délégué territorial n'est pas encore harmonisé, avec des pratiques très variables en fonction des structures, ce qui s'explique également par la diversité de l'organisation territoriale des établissements publics concernés.
Pour les élus, ces disparités dans les missions confiées au préfet en sa qualité de délégué territorial ne constituent qu'un facteur de complexité supplémentaire, ne permettant pas une simplification globale de l'articulation de l'action de l'État et des agences à l'échelle locale.
Par ailleurs, les collectivités interrogées sur le nouveau rôle des préfets en tant que délégués territoriaux demeurent partagées, devant les prérogatives limitées des préfets sur les agences découlant de ce statut. Selon l'AMF, « cette réforme n'est qu'une fausse simplification, qui compromet la parole de l'État puisque le préfet se trouve affaibli quand un service déconcentré ou une agence n'a pas la même réponse que lui, et cela se voit ».
En somme, le préfet délégué territorial se trouve au milieu du gué, disposant de prérogatives nouvelles et disparates en fonction des agences, qui traduisent une prise de conscience de la nécessité de réarticuler les circuits de décisions à l'échelle locale, sans pour autant que ce statut fragile parvienne à assurer une pleine cohérence des interventions des agences, qui demeurent largement autonomes sur certaines de leurs opérations.
La conduite d'une telle réforme ne saurait aboutir sans inversement de la trajectoire des moyens accordés aux services déconcentrés de l'État, en baisse constante depuis une décennie. La commission regrette à cet égard que la désignation des préfets comme délégués territoriaux ne se soit accompagnée d'aucun effectif supplémentaire pour l'exercice de cette mission, alors que les réformes successives de l'administration territoriale de l'État ont entraîné une diminution des capacités de ces services et une fuite de ses compétences en matière d'ingénierie. Elle appelle donc à un transfert des effectifs de certaines agences au sein des services déconcentrés. (Voir infra).
2. Un nécessaire renforcement du rôle des préfets comme clé de voûte des politiques publiques locales
a) Face au mythe du guichet unique, le préfet comme point d'entrée unique de l'ingénierie territoriale au service des collectivités territoriales
Devant ces constats, la commission d'enquête appelle à une profonde restructuration du fonctionnement des agences au niveau local, replaçant le préfet au centre de l'action de l'État dans les territoires.
Ce réagencement doit premièrement se concrétiser par la création d'une véritable voie d'accès unique à l'ingénierie territoriale en préfecture. Si, depuis plusieurs années, le débat public a vu l'émergence d'un concept vague et sans cesse plébiscité tenant à la constitution d'un « guichet unique » des aides de l'État, dont la création de l'ANCT est l'un des symptômes, la constitution d'une telle structure ex nihilo apparaît aujourd'hui complexe du fait de la diversité des besoins d'accompagnement exprimés par les citoyens, les entreprises et les collectivités. Un tel projet conduisait notamment Bernadette Malgorn à souligner ironiquement devant la commission d'enquête les limites du mythe du guichet unique, constatant qu'il faudrait aujourd'hui « 67 millions de guichets uniques » pour répondre à l'ensemble des problématiques recensées.
La demande d'un guichet unique traduit néanmoins en creux un véritable besoin de simplification d'accès aux services publics, autrefois coordonnés par les services déconcentrés de l'État. Pour la commission, cette simplification doit se matérialiser par le retour d'un point d'accès unique des collectivités vers les offres d'ingénierie de l'ensemble des agences par l'intermédiaire de la préfecture. De fait, le développement de plusieurs structures dédiées à l'ingénierie territoriale et l'enchevêtrement de leurs compétences ne permettent pas aujourd'hui aux élus locaux de trouver l'interlocuteur approprié, étant rappelé qu'une majorité d'entre eux reconnaissaient ne même pas connaître l'ANCT en 2022250(*). Comme rappelé par Marc Chapuis, préfet des Alpes-de-Haute-Provence, devant la commission d'enquête, « l'accès à l'ingénierie, c'est finalement souvent un problème de visibilité ».
À cet égard, le projet de « guichet unique de l'ingénierie territoriale » institué par l'instruction du 28 décembre 2023, consistant en l'élaboration d'une adresse mail unique vers la préfecture est une initiative pertinente qui doit, selon la commission, prendre de l'ampleur, par l'allocation de moyens additionnels, afin de généraliser un parcours unique d'accès à l'ingénierie via la préfecture et, dans un second temps, la mise en place d'une logique « d'allers vers » à l'égard des plus petites collectivités.
La généralisation de la préfecture comme centre d'aiguillage des élus vers les agences ou services compétents permettrait en outre une rationalisation des moyens d'intervention, en s'assurant que seuls les interlocuteurs réellement amenés à intervenir seront mobilisés. De plus, sur la base des cartographies en cours d'élaboration en préfecture, la centralisation des demandes d'appui de la part des collectivités facilitera l'identification d'éventuels outils manquants parmi l'offre locale et, le cas échéant, la mobilisation des moyens annexes, au niveau national ou auprès d'autres territoires.
Un tel mécanisme n'aura d'ailleurs pas pour effet de priver les élus de saisir directement une agence une fois celle-ci identifiée, par exemple pour poursuivre un projet ou en entreprendre un similaire.
Recommandation : Faire de la préfecture la voie d'accès unique à l'offre de l'État et de ses agences en matière d'ingénierie territoriale. |
b) Les préfets, tours de contrôle des financements à destination des particuliers, des collectivités et des entreprises
En deuxième lieu, la commission appelle à élargir et consacrer un réel pouvoir de coordination des préfets vis-à-vis de l'ensemble des politiques publiques au niveau local, y compris celles actuellement mises en oeuvre par des agences disposant de relais territoriaux.
S'agissant des financements publics, alors que la visibilité des interventions de l'État devient un enjeu politique majeur face au sentiment d'abandon de certains territoires, il apparaît indispensable à la commission de redonner au préfet un droit de regard et une coordination accrue sur les financements accordés par les agences permettant d'assurer un accompagnement financier optimal ; ainsi que sur la programmation budgétaire des agences. Le préfet doit ainsi être réintégré à tous les stades du processus aboutissant à l'attribution d'une subvention publique à une collectivité ou une entreprise.
En particulier, la commission d'enquête demande la fin de la pratique du lancement d'appels à projets et des appels à manifestation d'intérêt par les agences, en raison, comme décrit précédemment, de la complexité importante pour les collectivités territoriales et les entreprises et des risques de doublons avec d'autres sources de financement.
Recommandation : Interdire le lancement par les agences d'appels à projets et d'appels à manifestation d'intérêt à destination des collectivités territoriales. Pour les appels à projets en cours, mettre en place une obligation d'information du préfet sur les dispositifs lancés dans le département ou dans la région.
Un corollaire nécessaire est la reprise en main des financements des agences par le préfet, à tous les stades de la procédure.
Les services préfectoraux doivent désormais constituer un point d'entrée unique pour les collectivités et les entreprises dans leur demande d'aides ou de financements assurés par l'État et ses agences. Cela permettrait aux services préfectoraux d'accompagner les plus petites collectivités dans la constitution de leurs dossiers mais également de garantir une cohérence dans les financements sollicités au regard de l'offre existante sur le territoire et du projet concerné.
Comme évoqué ci-avant, cette réarticulation de la chaîne de financement vise à mettre un terme à la situation actuelle dans laquelle, bien que l'ANCT et les préfectures aient constitué des « guides de l'ingénierie » répertoriant toutes les sources éventuelles d'appui dans leurs projets, la charge administrative de l'identification de l'offre la plus pertinente repose encore sur les élus.
Les préfets et leurs services doivent également disposer d'un réel pouvoir de décision sur les financements octroyés par les agences, en étant associés de manière systématique d'une part, à la programmation budgétaire locale des agences afin de garantir la cohérence d'ensemble des différentes programmations et, d'autre part, à l'instruction des dossiers. Pour ce faire, les services territoriaux des agences, en particulier ceux assurant l'instruction de dossiers, devront être rattachés au préfet et aux services déconcentrés afin de constituer un véritable pôle d'assistance à maîtrise d'ouvrage bénéficiant aux collectivités qui n'ont pas la possibilité de constituer cette compétence en interne.
La commission plaide ainsi en faveur de la généralisation des principes et de la méthode utilisés pour l'attribution du fonds vert :
· des crédits déconcentrés : les crédits sont délégués aux préfets de région et de département ;
· des crédits fongibles : la distribution de l'enveloppe n'est pas pré-fléchée par thématique de façon à pouvoir s'adapter aux besoins des territoires et des élus ;
· des critères d'octroi adaptés aux spécificités locales ;
· le soutien des agences de l'Etat disposant de l'expertise technique (Ademe, agences de l'eau, etc.) pour l'instruction des dossiers ;
· un dépôt numérique des dossiers via une interface unique « Démarches simplifiées » accessible sur le site « Aides-territoires » ;
· la possibilité pour les préfets de financer un accompagnement en ingénierie à la hauteur des besoins qu'ils identifient pour que toutes les collectivités soient en mesure de porter des projets.
Le schéma général sera donc de faire du préfet un « guichet numérique unique », c'est-à-dire un portail Internet sur lequel les collectivités et les entreprises pourraient déposer tous leurs dossiers de demande d'aide.
La demande sera ensuite dirigée vers les services préfectoraux chargés d'instruire le dossier, renforcés par le transfert d'agents précédemment affectés dans les directions territoriales des opérateurs.
La commission d'enquête propose de décliner ce schéma à trois niveaux.
Pour les aides aux particuliers, copropriétés, agriculteurs, au principe actuel « un dispositif, une agence, une procédure » se substituerait le principe « un circuit pour toutes les aides ». Ce n'est en effet pas au citoyen de connaitre quel est le circuit administratif suivi par sa demande.
Un guichet numérique - doublé lorsque c'est nécessaire d'une assistance physique dans les lieux consacrés localement à l'accès aux services publics - permettrait de déposer les demandes d'aide (chèque énergie, subvention pour la rénovation thermique, soutien au bio, aides à l'hectare, etc.) qui sont actuellement adressées à différentes agences (ANAH, Ademe, FranceAgriMer, ASP, etc.). L'instruction serait réalisée ensuite par l'ASP, au moins pour les aides simples, puis le paiement et le contrôle par la même agence.
Aides versées aux particuliers, copropriétés, agriculteurs
Source : commission d'enquête
Du point de vue de l'État, l'unification du circuit de paiement permettrait de mieux mutualiser les compétences humaines et les infrastructures techniques, faciliterait également la lutte contre la fraude et permettrait de mieux déterminer l'ensemble des aides dont une personne a bénéficié au cours d'une année.
Une meilleure lutte contre la fraude aux aides publiques apparaît en effet nécessaire afin de garantir un bon usage des deniers publics. Si le montant de la fraude sur les aides versées par les opérateurs de l'État est difficile à évaluer, la commission d'enquête a entendu avec intérêt les dirigeants d'organismes de sécurité sociale donner des estimations chiffrées, d'un montant élevé, pour les fraudes aux prestations sociales : soit environ 6 milliards d'euros pour les cotisations éludées aux Urssaf, entre 3 et 4 milliards d'euros pour les fraudes à l'assurance familiale et entre 1,5 et 2 milliards d'euros pour celles à l'assurance maladie251(*). S'agissant des opérateurs de l'État, la ministre des comptes publics a indiqué le 17 juin dernier, devant la commission des finances du Sénat, que 20 % des montants versés au titre de MaPrimeRénov' en 2024 ont fait l'objet de fraudes avérées.
Pour les collectivités, le point de contact sera leur interlocuteur le plus naturel, qui est le préfet de département.
Pour les aides aux collectivités, l'instruction serait donc réalisée par l'administration déconcentrée la plus adaptée en fonction du dispositif, donc le plus souvent la direction départementale des territoires (DDT)252(*) ou la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS). Le paiement, la liquidation et le contrôle seront effectués par la direction départementale des finances publiques (DDFiP), en qui les communes voient un partenaire privilégié sur les questions financières253(*).
Un comité d'attribution, ayant un pouvoir décisionnel, composé d'élus locaux, de parlementaires, de représentants des services instructeurs, décide de la ventilation des crédits.
Ce dispositif présentera des avantages pour les collectivités territoriales pour l'État.
Les collectivités bénéficieront d'un point d'entrée unique pour l'ensemble des dispositifs dont elles peuvent bénéficier, que ce soit par des dispositifs aujourd'hui gérés par différentes agences (fonds vert, Ademe, Agence nationale des sports, etc.) ou les dotations locales qui, parfois, peuvent contribuer aux mêmes projets (DETR, DSIL). Un seul point d'entrée permettra de réduire le nombre de dossiers déposés et d'harmoniser les procédures et les calendriers.
Aides versées aux collectivités
Source : commission d'enquête
Du point de vue de l'État, la rationalisation des procédures d'attribution des aides à l'investissement donnera une vision beaucoup plus directe, en temps réel, de l'état de traitement des dossiers comme des fonds versés. L'unification des chaînes de paiement apportera également une connaissance de l'ensemble des aides versées au cours d'une période donnée à chaque collectivité. Enfin, la mutualisation des ressources et des compétences techniques réduira les coûts de structures.
Pour les entreprises, le point d'entrée sera le préfet de région ou, en pratique, son site Internet, puisque la compétence de développement économique est située au niveau régional. L'instruction des dossiers reviendront, de manière générale, à la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) et le paiement pourra être effectué par l'Agence de services et de paiement (ASP), agence qui, comme il sera indiqué plus loin, est particulièrement qualifiée pour ce type de tâche.
Aides versées aux entreprises
Source : commission d'enquête
Au-delà de la seule question des aides financières, un schéma analogue pourrait être mis en place pour le soutien aux entreprises dans leurs démarches de toutes sortes, pour lesquelles elles doivent également faire face à une multiplicité d'agences, de procédures, de dossiers à fournir et de délais à respecter.
L'administration déconcentrée la plus compétente étant la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), c'est plutôt à ce niveau-là que pourrait être instauré le guichet numérique unique, chaque département organisant ensuite la redirection de la demande vers l'acteur le plus à même d'accompagner l'entreprise : chambre consulaire, direction départementale des finances publiques (DDFiP), URSSAF, etc.
Soutien aux entreprises
CCI : chambre de commerce et d'industrie. CMA : chambre des métiers et de l'artisanat. CA : chambre d'agriculture.
Source : commission d'enquête
Recommandation : Faire des services préfectoraux le point d'entrée unique des demandes d'aides ou de financement des collectivités et des entreprises. Transférer au préfet l'autorité que détiennent les agences sur les décisions de financements. |
Ces schémas d'instruction et d'attribution des aides ont pour conséquence naturelle une disparition de l'ANCT.
Les effectifs localisés en région devraient venir renforcer les équipes du préfet de département.
Les services chargés de mettre en place des politiques publiques ou de les évaluer doivent être réintégrés à l'administration centrale.
Recommandation : Supprimer juridiquement l'ANCT, en renforçant les services préfectoraux départementaux avec les effectifs de l'Agence. |
S'agissant de l'établissement Bpifrance, il sera maintenu mais il ne versera plus d'aides et ne lancera plus d'appel à projets : ces missions sont en effet reprises par les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) et par la direction générale des entreprises. Le transfert des équipes chargées de ces missions devra donc être prévu.
Quant au Cerema, son périmètre n'évolue pas, mais ses agents peuvent être mobilisés en tant que de besoin par les préfets de département pour des missions de maitrise d'oeuvre.
De même, FranceAgriMer est maintenu mais ne verse plus aucune aide simple.
L'établissement reprend les missions de l'Odeadom qui ne sont pas transférées à l'ASP.
c) Un exemple d'amélioration nécessaire de l'action publique au niveau local : les agences régionales de santé
La commission d'enquête a pu constater, au cours de ses auditions comme de ses déplacements, les nombreuses critiques dont font l'objet les agences régionales de santé (ARS) :
- lenteur bureaucratique et inefficacité des procédures ;
- éloignement des réalités locales et déficit de concertation ;
- poids financier et recherche d'économies.
Parmi de nombreux exemples, Isabelle Dugelet, représentante de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), a regretté un « manque de proximité entre les ARS et les élus, ainsi qu'une connaissance insuffisante des réalités locales ». Véronique Pouzadoux, vice-présidente de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, a dénoncé « des situations ubuesques : une maison de santé peut très bien être soutenue par de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), mais pas par l'ARS ». Les ARS en sont d'ailleurs conscientes : Denis Robin, président du collège des directeurs généraux d'ARS, reconnaissait que, selon un sondage, « 60 % des maires les jugeaient trop éloignées de leurs communes ».
La formule de l'agence a pu être nécessaire au moment de leur création en 2010, pour permettre la mise en commun de personnels et de ressources d'origines diverses : agences régionales de l'hospitalisation (ARH), pôles santé et médico-social des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) et des directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS), unions régionales des caisses d'assurance maladie (UCRAM).
Toutefois la commission d'enquête constate que cette réforme, utile en soi, a présenté l'inconvénient de constituer des acteurs perçus comme manquant de légitimité, car trop éloignés du niveau départemental indispensable pour la proximité opérationnelle.
Elle propose en conséquence de clarifier l'organisation de la politique de santé dans les territoires en transférant les attributions des ARS aux services déconcentrés de l'État, sous l'autorité des préfets.
(1) Une clarification des circuits administratifs, pour une meilleure responsabilisation des acteurs
Une telle réforme supprimerait les ambigüités actuelles dans la répartition des responsabilités entre le préfet et l'ARS et permettrait d'exercer chaque branche de la politique de santé au niveau territorial le plus approprié :
- au niveau régional : une direction régionale de la santé (DRS), rattachée à la préfecture de région, reprendrait les fonctions de pilotage stratégique aujourd'hui dévolues à l'ARS : notamment l'élaboration du projet régional de santé ou PRS et la coordination en cas de crise sanitaire régionale. Le personnel du siège de l'ARS siège (direction générale, pôles métiers) y serait affecté. Le préfet de région, en tant que délégué du gouvernement, présiderait les instances de coordination sanitaire à l'échelle régionale ;
- au niveau départemental : les délégations départementales des ARS seraient placées sous l'autorité du préfet de département pour exercer les missions de proximité : suivi des établissements de santé et médico-sociaux du département, inspections sanitaires, animation des contrats locaux de santé, gestion des situations d'urgence sanitaire locale aux côtés du préfet.
Cette organisation vise à articuler une chaîne de commandement unifiée (ministère - préfet de région - préfet de département) tout en maintenant un échelon de coordination régionale. La répartition entre agents de droit public et de droit privé, qui fonctionne actuellement au sein des ARS sans trop de difficultés254(*), pourrait être conservée au sein des préfectures.
(2) Une rationalisation des circuits budgétaires, source d'économies
La suppression des ARS en tant qu'entités juridiques permettrait également de simplifier les circuits budgétaires : la subvention pour charges de service public serait réintégrée dans les crédits du ministère et les contributions de l'Assurance maladie pourraient transiter via un fonds national fléché vers les préfectures.
Plusieurs sources d'économies sont attendues de ce scénario :
- une rationalisation des fonctions support : en intégrant les ARS aux préfectures, on pourrait supprimer les doublons dans les services administratifs (ressources humaines, informatique, communication). Les préfectures et DRS mutualiseraient ces fonctions support, générant des économies d'échelle ;
- une réduction des postes de direction : en revenant à une structure unifiée par région/département, certains postes de direction haut niveau pourraient être supprimés ou réaffectés. Moins d'agences, c'est moins de frais de structure ;
- une meilleure allocation des ressources aux soins : en supprimant un niveau intermédiaire de décision budgétaire, on peut espérer accélérer la distribution des crédits vers le terrain. Les fonds auparavant immobilisés pour le fonctionnement des ARS pourraient être redéployés vers les hôpitaux, la médecine de ville ou les actions de prévention. Le fonds d'intervention régional (FIR), géré jusqu'ici par les ARS (5,2 milliards d'euros en 2023255(*)), pourrait être piloté directement par le ministère et les préfets, ce qui simplifierait son utilisation.
Concernant la répartition État/Assurance maladie, plusieurs options existent. La plus simple serait de maintenir l'actuel partage (financement mixte) mais en transférant la part Assurance maladie vers un programme ou un fonds dédié dont les préfets disposeraient. Alternativement, l'État pourrait reprendre à son compte la totalité des coûts de fonctionnement des services de santé déconcentrés, l'Assurance maladie se concentrant sur le financement des soins et investissements. Cette décision sera autant politique que technique, mais ne modifie pas in fine la source des fonds (publics), seulement leur canal d'acheminement. Des indicateurs de suivi devront être mis en place pour s'assurer que les économies réalisées sur les frais de structure se traduisent en gain net pour les finances publiques ou en réallocation vers l'offre de soins.
(3) Une simplification des liens avec les collectivités, les professionnels et les usagers
Le principal apport du passage sous l'autorité des préfets tiendrait sans doute à la simplification et la fluidification des relations entre l'administration sanitaire et les acteurs locaux : collectivités territoriales, professionnels de santé de terrain, usagers du système de soins.
S'agissant des collectivités locales, les préfets, en tant que représentants de l'État dans les territoires, sont déjà les interlocuteurs naturels des maires et des présidents de conseils départementaux ou régionaux. En leur confiant les missions de santé, on crée un guichet unique local de l'État pour les élus. Par exemple, un maire confronté à la fermeture d'un service d'urgence ou à la désertification médicale n'aurait plus à interpeller une agence régionale relativement autonome, mais pourrait saisir directement le préfet de département, avec qui il travaille au quotidien, ce qui faciliterait la remontée des problèmes et la co-construction de solutions. Cette reconnexion au terrain répond aux critiques selon lesquelles les ARS n'ont pas su tisser des liens étroits avec les communes et départements.
Les professionnels de santé (médecins libéraux, directeurs d'hôpitaux, responsables d'Ehpad) reprochent souvent aux ARS leur trop grande centralisation et un manque de connaissance fine du terrain. Sous l'égide des préfets, en cas de dossier urgent (ex : autorisation d'un nouvel équipement médical, recrutement d'un praticien à l'étranger, plan d'appui à un établissement en difficulté), la décision préfectorale pourrait être prise plus vite, en lien direct avec le ministère si un arbitrage est nécessaire. Le préfet ayant autorité pour coordonner l'ensemble des services de l'État, il pourrait mobiliser d'autres compétences (par exemple faire appel aux moyens de la Sécurité civile). Cette coordination interservices est un atout du préfet, qui pourra inclure la santé dans le champ des crises déjà gérées comme le plan Orsec.
Cette proposition tire parti de la légitimité de l'État pour incarner la gouvernance sanitaire. Elle tire également parti des leçons de la pandémie en réunifiant le pilotage des crises au niveau préfectoral, évitant les chevauchements de compétences. Elle promet également une plus grande simplicité institutionnelle (suppression d'un niveau administratif) et une réduction du sentiment de distance ressenti par le terrain.
Recommandation : Transférer les missions des agences régionales de santé aux services déconcentrés aux niveaux régional et départemental.
* 213 Audition du jeudi 15 mai 2025.
* 214 Les crédits de paiement du plan France 2030 sont délégués aux opérateurs.
* 215 Loi organique n° 2021-1836 du 28 décembre 2021 relative à la modernisation de la gestion des finances publiques, insérant un 6 bis à l'article 51 de la LOLF.
* 216 De 2011 à 2019, les effectifs réels des préfectures et des sous-préfectures ont enregistré une baisse continue, passant de 27 765 ETPT à 24 885 ETPT, soit un recul de 10,4 % selon le rapport n° 909 du Sénat.
* 217 Assistance Technique fournie par les Services de l'État pour des raisons de Solidarité et d'Aménagement du Territoire
* 218 Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux.
* 219 Mission de préfiguration de l'Agence nationale de la cohésion des territoires, France Territoires, un engagement au service des dynamiques territoriales, juin 2018.
* 220 JO Assemblée nationale, compte rendu intégral, session ordinaire 2018-2019, 11 mars 2019, pp. 2052-2053.
* 221 Sénat, À la recherche de l'État dans les territoires, rapport n° 909 de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, 29 septembre 2022.
* 222 Audition devant la commission d'enquête, 17 mars 2025.
* 223 Propos de M. Laurent Dejoie, vice-président de la région des Pays de la Loire et représentant de Régions de France, devant la commission d'enquête, le 3 mars 2025.
* 224 Audition devant la commission d'enquête, 4 mars 2025.
* 225 Contribution du Medef
* 226 Établissement recevant du public.
* 227 Personnes à mobilité réduite, haute qualité environnementale.
* 228 Propos de Mme Isabelle Dugelet, maire de la Gresle et représentante de l'association des maires ruraux de France, lors de son audition devant la commission d'enquête le 4 mars 2025.
* 229 Données communiquées à la commission d'enquête par le Gouvernement.
* 230 Propos de Mme Véronique Pouzadoux, maire de Gannat (Allier) et vice-présidente de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) devant la commission d'enquête le 4 mars 2025.
* 231 Sénat, À la recherche de l'État dans les territoires, rapport n° 909 de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, 29 septembre 2022.
* 232 Contribution de l'AMF.
* 233 Contribution de l'AMF.
* 234 Contribution de l'Assemblée des Départements de France.
* 235 À l'instar de l'ANAH, dont les aides à la pierre sont instruites par les services habitat des directions départementales des territoires.
* 236 Cour des comptes, L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), un outil à consolider, exécution 2020-2022, février 2024.
* 237 Cour des comptes, La capacité d'action des préfets, exercices 2016-2022, juillet 2023.
* 238 Audition devant la commission d'enquête, 6 mars 2025.
* 239 Loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.
* 240 Article 59-1 du décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements.
* 241 Le décret n° 2012-509 du 18 avril 2012 dresse la liste des établissements publics dont le préfet est désigné délégué territorial.
* 242 Cour des comptes, La capacité d'action des préfets, exercices 2016-2022, juillet 2023.
* 243 Article R. 120-9 du code du service national.
* 244 Article R. 112-34 du code du sport.
* 245 Article 11 de la loi n° 2003-710 du 1 août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.
* 246 Programme national de rénovation urbaine, Nouveau Programme de renouvellement urbain, Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés.
* 247 Décret n° 2023-876 du 13 septembre 2023
* 248 Aube, Dordogne, Charente, Côte d'Or, Corrèze, Dordogne, Loire, Loiret, Manche, Oise, Pas-de-Calais, Tarn.
* 249 Ain, Aube, Aude, Charente, Côte d'Or, Dordogne, Oise, Pas-de-Calais, Savoie, Tarn.
* 250 Sénat, À la recherche de l'État dans les territoires, rapport n° 909 de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, 29 septembre 2022.
* 251 Auditions de MM. Thomas Fatôme, directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM), Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), et Damien Ientile, directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS - Urssaf Caisse nationale), 29 avril 2025. Il s'agit d'estimations, réalisées par exemple par échantillonnage, le nombre de fraudes effectivement détectées étant très inférieur.
* 252 Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) dans les départements côtiers.