B. LA MUTUALISATION DES FONCTIONS SUPPORT, UNE SOURCE D'ÉCONOMIES LORSQUE LES CONDITIONS D'UNE FUSION NE SONT PAS RÉUNIES

Qu'il s'agisse d'opérateurs ou d'administrations « classiques », la réalisation de fusions entre plusieurs entités publiques entraîne nécessairement à court terme des coûts relatifs à l'intégration des services. De telles opérations de restructuration ne peuvent produire des économies en ressources qu'à moyen-long terme, sous réserve de la mise en oeuvre d'évolutions importantes en matière d'exercice des missions. Or ces « évolutions métiers » ne sont pas toujours réalistes.

Dans ces dernières situations, qui apparaissent les plus fréquentes, seule la mutualisation des fonctions supports peut être poursuivie, pour des gains non négligeables mais plus limités.

1. Le rapprochement des fonctions métiers : un processus à la dynamique compliquée

Au-delà des questions d'alignement des conditions d'emplois évoquées précédemment, les expériences de fusions réalisées d'entités publiques en France dans la période récente révèlent que les rapprochements de métiers différents, même intervenant dans des domaines d'activité proches et auprès de publics identiques, s'avèrent particulièrement complexes, voire illusoires.

Ainsi, dans le cas de Pôle emploi (aujourd'hui France Travail), résultant de la fusion de l'ANPE et des Assédic, le rapprochement des métiers relevant, d'une part, du versement des allocations aux demandeurs d'emplois et, d'autre part, de l'accompagnement vers le retour à l'emploi, à travers des conseillers polyvalents, n'a pas abouti.

Adopté en 2017, le référentiel des métiers de Pôle emploi retient ainsi deux filières de spécialisation, d'une part, les conseillers « gestion des droits » (GDD) en charge de la gestion des dossiers d'indemnisation, et, d'autre part, les conseillers « emploi ». Dans son rapport de juillet 2020, la Cour des comptes souligne que « cette séparation des domaines d'activité consacre la fin de l'organisation imaginée lors de la fusion de l'ANPE et des Assédic, fondée sur des conseillers multi-compétents, en mesure de prendre en charge un demandeur d'emploi pour l'ensemble des questions soulevées ».

Dans certains cas, la mise en oeuvre d'un rapprochement, notamment pour les structures de dimensions importantes, peut concentrer à ce point les efforts et les ressources que les autres projets, tels que ceux concernant les évolutions métiers, se retrouvent relégués au second plan.

Concernant l'évolution de la DGFiP après la fusion de la DGI et de la DGCP, la Cour des comptes constatait à cet égard que « l'analyse de l'évolution de la DGFiP depuis 2008 ainsi que les témoignages recueillis au cours de l'enquête montrent que la fusion a eu pour effet de recentrer les services sur leurs blocs métier respectifs et de geler durant plusieurs années les projets d'évolution, le temps d'asseoir et de stabiliser le nouvel ensemble ».

Ce risque d'immobilisme dans les premières années suivant une fusion peut ainsi réduire fortement les synergies attendues. Dans le cas de la DGFiP, si cette administration a été la principale contributrice aux économies réalisées par l'État en matière d'effectifs civils entre 2008 et 2018, la Cour des comptes relève que :

- d'une part, si la fusion a permis de regrouper les fonctions de soutien, les structures opérationnelles sont restées largement distinctes, à l'exception des interlocuteurs fiscaux uniques pour les particuliers et les collectivités308(*) ;

- d'autre part, les économies supplémentaires qui devaient être réalisées sur les fonctions de soutien sont peu évidentes : alors que le rythme de suppression des postes était déjà de l'ordre de 2 % par an entre 2006 et 2008 pour la DGI et la DGCP, la fusion n'a pas conduit à accélérer ce rythme de suppression des postes, qui est demeuré à 2 % par an entre 2009 et 2016.

2. Dès lors, la mutualisation de ressources et fonctions supports entre plusieurs agences peut représenter une mesure plus efficace et réaliste
a) Mutualiser les occupations immobilières des ministères et des opérateurs par la mise en oeuvre de la foncière de l'État

À organisations inchangées, la mutualisation des occupations immobilières peut constituer un levier important de rationalisation des coûts des agences et opérateurs.

Annoncée en février 2024, la réforme de la foncière de l'État vise,
à travers la création d'une foncière interministérielle publique, à assurer
« une gestion immobilière responsable, durable et sobre », avec un objectif de réduction des surfaces de bureaux occupées de 25 % d'ici 2032. Dans ce cadre, l'incitation à la rationalisation, à la mutualisation et à la rénovation des bâtiments passerait, pour les administrations occupantes, par le versement de loyers auprès de la foncière.

À terme, la foncière interministérielle publique a vocation à se déployer sur l'ensemble du périmètre des immeubles de bureaux et locaux d'activités de l'État, à l'exception des logements isolés, des biens occupés par le ministère des armées et des biens situés à l'étranger ou des biens trop spécifiques (musées, cathédrales, barrages, etc.), soit environ 20 millions de mètres carrés, sur un patrimoine immobilier total de l'État de 96 millions de mètres carrés.

La réduction de 25 % des surfaces occupées, soit 5 millions de mètres carrés, se composerait pour moitié de libérations de baux et pour moitié de cessions de bâtiments domaniaux309(*). Si la cession des biens domaniaux peut constituer une source de recettes, l'essentiel des gains financiers devrait donc résulter de la diminution du « mur » d'investissements nécessaires pour la mise aux normes des bâtiments.

D'après une estimation gouvernementale, la résiliation des baux consécutive à la mise en oeuvre de la réforme de la foncière de l'État représenterait une économie à terme d'un milliard d'euros en dépenses annuelles d'entretien et de loyers310(*).

De fait, cette évolution avait été recommandée par un rapport conjoint de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'environnement et du développement durable311(*) d'avril 2022, lequel visait le patrimoine foncier et l'immobilier de bureaux de l'ensemble des ministères (hors ministère des armées et biens situés à l'étranger) et, « selon des règles à définir, [ceux] des opérateurs de l'État ».

Les recommandations du rapport IGF-CGEDD d'avril 2022

« Confier la mission de représenter l'État propriétaire et d'accompagner les occupants publics sur l'ensemble de la chaine des besoins immobiliers à une entité publique opérationnelle dédiée, placée sous la tutelle de la DIE et dotée d'antennes régionales. Cette agence, bras armé opérationnel de la politique immobilière de l'État, assurerait la gestion du propriétaire, la conduite de projet et la valorisation du patrimoine foncier et de l'immobilier de bureaux de l'ensemble des ministères (hors ministère des armées et biens situés à l'étranger) et, selon des règles à définir, celles des opérateurs de l'État, et elle apporterait son expertise en matière de maîtrise d'ouvrage pour l'ensemble du parc immobilier de l'État. Elle serait soit affectataire, soit propriétaire des biens dont elle assurerait la gestion. »

« Mettre en place des loyers versés par les administrations occupantes à l'agence représentant l'État propriétaire, qui financeraient les dépenses du propriétaire, en prévoyant un dispositif financier incitatif pour les administrations qui rationalisent leur organisation immobilière. »

Source : Inspection générale des finances, Conseil général de l'environnement et du développement durable, « Immobilier de l'État : une nouvelle architecture pour professionnaliser », avril 2022

Certes, la foncière interministérielle publique constituerait techniquement une nouvelle agence, qui serait placée sous la tutelle de la direction de l'immobilier de l'État (DIE) et qui devrait prendre la forme d'un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC).

Pour autant, une telle réforme apparaît particulièrement nécessaire pour rationaliser la gestion de l'immobilier des ministères et des opérateurs, ce qui justifie de faire une exception à la recommandation de la commission d'enquête visant à instaurer un moratoire sur la création de toute nouvelle agence.

À ce sujet, il convient de noter que la nouvelle structure procéderait de la transformation en EPIC de la société anonyme Agile, déjà détenue entièrement par l'État. Dans ce cadre, cette opération n'emporterait pas création d'une personne morale nouvelle. Par ailleurs, cette agence aurait un objet dédié (la gestion du parc immobilier de l'État) et une tutelle bien identifiée, chargée de définir la politique de l'exécutif en la matière. Les risques de doublon, de dispersion ou encore d'autonomie sont écartés.

Recommandation : Mettre en oeuvre le projet de réforme de la foncière de l'État en intégrant le patrimoine foncier et l'immobilier de bureaux des agences.

La mise en place du projet de foncière prévoyait, dans un premier temps, le déploiement d'un « pilote » à compter de 2025312(*). Cependant, ce dispositif a fait l'objet d'une censure sur la forme par le Conseil constitutionnel lors de sa décision sur la loi de finances pour 2025, au motif que la mesure constituait un cavalier budgétaire313(*).

Auditionné par la commission des finances du Sénat au mois d'avril dernier314(*), le directeur de l'immobilier de l'État, Alain Resplandy-Bernard, a réaffirmé l'importance de cette réforme pour la rationalisation de la gestion du parc immobilier, non seulement de l'État, mais également des agences et opérateurs : « Notre organisation est très fragmentée, répartie sur 47 programmes budgétaires dédiés à la gestion de la dépense immobilière. Chaque ministère ou opérateur dispose de structures, parfois embryonnaires, destinées à couvrir tout ou partie des fonctions de l'immobilier de l'État. Cette situation, qui n'existe nulle part ailleurs, conduit à une certaine déresponsabilisation, car aucun gestionnaire n'est responsable de la valeur des actifs. »

Certains opérateurs pratiquent déjà une forme de mutualisation de leur occupation immobilière. Ainsi, FranceAgriMer gère un bâtiment entier, nommé « l'Arborial », sur un ancien site industriel de déroulage du bois à Montreuil, qui accueille les personnels de cinq agences et opérateurs : l'Agence Bio, l'Institut national de l'origine et de la qualité (Inao), l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (Odeadom), l'équipe nationale de l'Agence de services et de paiement (ASP) et 600 agents de FranceAgriMer. Cette organisation rationalisée permet ainsi la mutualisation des charges immobilières et de la logistique.

b) Plus généralement, mutualiser les fonctions supports (paie, achats, systèmes d'information)

La consolidation ou mutualisation des fonctions supports, entendue comme « l'ensemble des compétences qui fournissent des services aux fonctions métier de l'établissement, mais sans être en lien direct avec le coeur de métier »315(*), constitue une piste prioritaire de rationalisation des organisations et de réduction des coûts de fonctionnement des agences.

Cette voie a fait l'objet d'une mise en oeuvre particulièrement avancée en Suède, avec la création d'une agence centrale chargée de fournir des services supports à l'ensemble des administrations de l'État.

De fait, la mutualisation de fonctions telles que la paie, les achats ou encore les systèmes d'information pourrait permettre des gains d'efficience importants, en réduisant les « coûts de démutualisation (...) sans économie d'échelle »316(*) inhérents à la fragmentation de l'organisation administrative actuelle :

- s'agissant de la paie des agents, celle-ci serait assurée dans les administrations centrales, en mesure de se doter des logiciels les plus adaptés et de suivre les évolutions de la réglementation ;

- concernant les achats, notamment la passation des marchés publics, la mutualisation au sein de la direction des achats de l'État (DAE) garantirait une plus grande capacité de négociation vis-à-vis des prestataires et fournisseurs, et ainsi de meilleures conditions tarifaires ;

- dans la même logique, le rapprochement des systèmes d'information, notamment lors du renouvellement de ces systèmes, serait particulièrement pertinent, en offrant des conditions de négociation plus favorables, une interopérabilité entre services accrue317(*) ainsi qu'une sécurité renforcée.

D'après la direction interministérielle du numérique (DINUM)318(*), sur les systèmes d'information supports (processus financiers ou ressources humaines) ou bureautiques, la mutualisation permet des « gains significatifs ». En matière de sécurité des systèmes d'information, alors que toutes les administrations, en ce compris les opérateurs et agences, doivent respecter des normes strictes, la DINUM dénonce la dispersion des ressources, qui démultiplie les coûts pour l'État et creuse des écarts importants en fonction des budgets de chaque entité. Dans ce contexte, « l'homogénéisation de la sécurité du système d'information de l'État devient alors un véritable défi, et l'augmentation des failles est un risque prégnant si les ressources ou l'expertise sont insuffisantes, en particulier en termes de contrôle ».

À cet égard, l'exemple de France compétences est particulièrement éloquent.

Quand la dispersion des ressources en matière informatique fragilise
le fonctionnement d'une agence : l'exemple de France compétences

Pour l'analyse des comptabilités analytiques des opérateurs de compétences (Opco) auxquels sont versés les financements publics pour la formation professionnelle et l'apprentissage, les agents de France compétences utilisent le langage informatique R.

À la suite du décès du directeur informatique, statisticien de l'Insee, et des problèmes de santé rencontrés par un collaborateur qui travaillait en binôme avec le directeur, les personnels de France compétences ont perdu la maîtrise en interne du langage R.

Dans ce contexte, le recrutement de nouveaux agents a été engagé, mais les profils recherchés sont très spécifiques et rares. La situation perdure ainsi depuis le mois d'octobre 2024.

Alors que le marché des data scientists est très tendu, la rémunération susceptible d'être offerte par France compétences, structure aux ressources de fonctionnement relativement limitées (91 ETP pour 2025), s'avère peu compétitive.

Source : commission d'enquête, d'après les réponses orales en audition de M. Stéphane Lardy, directeur général de France compétences

Auditionnée par la commission d'enquête319(*), la ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, a également défendu cette solution, sans pour autant en préciser les modalités d'application : « on peut envisager qu'un ministère ou un secrétariat général reprenne certaines fonctions mutualisables : les ressources humaines, les systèmes de paye, les systèmes d'information, la cybersécurité, la protection des données ».

Cette voie fait déjà l'objet d'initiatives de la part de certaines agences et opérateurs, lesquels ont souligné devant la commission d'enquête la nécessité de rationaliser les ressources consacrées à ces fonctions supports.

Ainsi, à titre d'exemple, depuis 2020, un groupement comptable réunit les agences comptables de FranceAgriMer, de l'Odeadom, de l'INAO et de l'Agence Bio. Interrogé en audition par la commission d'enquête, le directeur général de FranceAgriMer320(*), Martin Gutton, a indiqué que des progrès étaient encore possibles, notamment pour la fonction achats, considérant qu'« il est clair qu'une structure de vingt ou cinquante personnes ne peut pas se permettre de financer des postes spécialisés dans certains domaines ».

Une démarche de mutualisation analogue est également déployée par les administrations de sécurité sociale, à l'image du réseau des Urssaf, qui a adopté un modèle de « mutualisation sans centralisation » 321(*) : ainsi, la paie pour l'ensemble du réseau, en ce compris pour la Caisse nationale, est gérée dans trois Urssaf régionales (Midi-Pyrénées, Rhône-Alpes et Centre-Val-de-Loire).

La démarche de mutualisation des fonctions supports des Urssaf

Dans la période récente, des mutualisations sur un certain nombre d'activités support ont été mises en oeuvre par les Urssaf pour gagner en efficience, notamment :

- le pilotage des services bancaires pour l'ensemble du régime général de la sécurité sociale ;

- un outil de gestion de la paie commun (CNAF, CNAM, Urssaf) ;

- la mutualisation de l'éditique (répartie entre la CNAM et l'Urssaf) ;

- la mutualisation des achats sur les postes les plus consommateurs (énergie, déplacements) avec un objectif de plus de 70% de taux de mutualisation des achats à fin 2024.

Des projets de mutualisation dans les systèmes d'information sont envisagés également et formalisés dans un système d'information commun, avec notamment un projet de cloud communautaire pour le régime général.

Enfin, l'Urssaf a mis en place une centralisation de la gestion des flux entrants (courriers postaux sur trois sites), des centres de gestion de la paie (trois sites) et des centres de formation Campus (deux sites créés depuis 2023).

Source : commission d'enquête, d'après les réponses des Urssaf au questionnaire du rapporteur

On peut également citer le domaine de la culture, où deux opérateurs ont été créés pour mutualiser les fonctions support des musées.

La démarche de mutualisation des musées nationaux

Le rapporteur s'est interrogé à de multiples reprises sur l'intérêt d'avoir constitué une entité juridique propre à chaque musée national, certains comme les musées parisiens étant situés dans une aire géographique proche. Au cours des auditions, personne n'a remis en cause l'efficience de l'organisation actuelle, citant au contraire les musées comme des candidats « naturels » au statut d'agence afin d'assurer des fonctions telles que la sécurité, l'accueil du public ou la gestion du patrimoine, avec un certain degré de mutualisation pour les fonctions support.

En effet, comme l'a indiqué le secrétaire général du ministère de la Culture, le Centre des monuments nationaux (CMN) mutualise pour son réseau de près de 100 monuments les fonctions financière, juridique, ressources humaines, communication, systèmes d'information, mécénat et partenariats. La Réunion des musées nationaux - Grand Palais (RMN-GP) assure quant à elle des prestations pour le compte des musées SCN : support administratif et financier (politique tarifaire, gestion flux financiers, acquisition d'oeuvres, etc.), gestion opérationnelle sur site (accueil du public, billetterie, visites conférences, audioguides, boutiques, etc.) et diffusion (communication, édition, publications, mise à disposition site web, etc.).

S'agissant de la paie, elle est assurée par le ministère pour l'ensemble des musées services à compétence nationale, ainsi que pour certains établissements publics. Les grands établissements publics, en revanche, assurent eux-mêmes la paie de leurs agents. Certaines fonctions apparaissent toutefois de plus en plus difficiles à exercer au niveau d'un établissement et justifieraient une plus grande mutualisation. C'est le cas tout particulièrement de la cybersécurité, comme l'a montré l'attaque coordonnée qui a porté sur une quarantaine de musées au début d'août 2024.

Source : commission d'enquête

S'agissant plus particulièrement de la mutualisation de la paie, il convient cependant de tirer les enseignements de l'échec de l'opérateur national de la paie (ONP), responsable du projet de refonte du circuit de paie des agents de l'État entre 2007 et 2014, dont la Cour des comptes322(*) a mis en avant le coût de 346 millions d'euros pour des « résultats quasi nuls ».

Alors que les concepteurs du programme ONP s'étaient fixés des objectifs trop nombreux et avec un niveau d'ambition trop élevé, les services ministériels chargés de la maîtrise d'ouvrage pour le développement des systèmes d'information pour les ressources humaines (SIRH), et notamment le raccordement au circuit de paie rénové, ont rencontré de difficultés techniques, organisationnelles ou budgétaires qui ont été révélées trop tardivement pour éviter l'allongement des calendriers des projets SIRH ministériels puis, l'abandon de leur raccordement au nouveau circuit de paie « SI-Paye ».

Selon la Cour des comptes, cet échec aurait pu être prévenu si l'État avait privilégié une « conception prudente » et une « gouvernance forte et constante, placée sous l'égide d'une autorité centrale unique ».

Comme l'illustre la création le 1er juillet 2023 du Centre ministériel de gestion des personnels (CMGP), rattaché au ministère chargé de la transition écologique, il n'est pas impossible de regrouper la gestion administrative et la paie sur un périmètre restreint.

Enfin, la mutualisation peut aussi porter sur des fonctions spécifiques à certains opérateurs. Le rapporteur s'est particulièrement intéressé au cas des écoles d'architecture. Si le positionnement spécifique de chacune d'entre elles justifie leur existence séparée, les établissements pourraient mettre en commun les concours, afin que l'étudiant ne soit pas obligé de déposer autant de dossiers que d'écoles, comme les recrutements d'enseignants.

Les écoles d'architecture : la poursuite de la mutualisation des fonctions support et le renfort de la tutelle aurait beaucoup plus de sens que le regroupement des écoles

Lors de son audition devant la commission d'enquête, la ministre Amélie de Montchalin a évoqué 14 réseaux parmi les opérateurs, désignant sous ce vocable « des opérateurs ayant les mêmes missions, mais répartis sur différents territoires. [...] Lorsqu'on évoque des fusions, il ne s'agit pas de dire : « On va créer un grand IRA. » Il faut plutôt tenir compte de ce qui existe déjà, à l'instar des parcs nationaux, des agences régionales de santé (ARS), ou encore des écoles d'architecture. Ce n'est pas nécessairement le modèle que nous allons adopter, mais cette piste est intéressante pour gagner en efficacité. »

Le rapporteur s'est intéressé au réseau que constituent les 20 écoles nationales supérieures d'architecture323(*) sous tutelle du ministère de la Culture. Elle a pu constater que chaque structure dispose d'un site internet propre qui permet de prendre connaissance des spécificités du cursus qu'elle propose. Ainsi, l'École nationale supérieure d'architecture de Paris la Villette (ENSAPLV) se distingue par son ouverture particulière aux sciences humaines et aux arts plastiques et visuels quand l'ENSA Normandie met en avant l'enseignement de projet en binôme et l'école Paris-Malaquais une pédagogie centrée sur l'enseignement du projet architectural. Alors que l'autonomie des universités n'est pas remise en cause, il pourrait paraitre surprenant de revenir sur celle des écoles d'architecture.

Certes, ces structures sont de taille plus petite ; l'ENSAPLV, la plus grande école, compte environ 2250 étudiants. Les effectifs des établissements sont dans la moyenne des écoles d'architecture à travers le monde (entre 500 et 2000 étudiants). Si l'on poursuit la comparaison internationale, on constate rapidement que les écoles les plus réputées au monde sont des composantes de grands ensembles universitaires : Bartlett School of Architecture (University college of London), Graduate School of Design (Harvard), faculté d'architecture de l'école polytechnique fédérale de Zurich. Ce mouvement a été engagé par les écoles françaises : Paris-Malaquais appartient à PSL324(*), Paris-Belleville est associé à la Communauté Paris-Est Sup. Pour améliorer la qualité de leur formation, les ENSA cherchent avant tout à développer leurs ressources propres, les frais de scolarité étant réglementés.

Constatant que le nombre d'entretiens d'admission assurés au sein des 20 écoles correspond au nombre de candidats, mais que certains candidats passent plusieurs entretiens, là où d'autres ne sont reçus dans aucune école, les directeurs travaillent à une procédure d'admission mutualisée, moins pour diminuer les coûts que pour donner les mêmes chances à l'ensemble des candidats. Restent encore en suspens les modalités de répartition des candidats dans les écoles.

Comme cela a été mentionné supra, les deux-tiers voire les trois-quarts des ETPT des écoles d'architecture sont rémunérés sur les crédits du ministère et géré administrativement par le secrétariat général. Comme cela a été mentionné au rapporteur, cette organisation rend les écoles dépendantes de la doctrine d'emplois du ministère et rend compliqué les recrutements. Pour les ETPT rémunérés directement par les écoles, les procédures RH sont totalement homogènes et ont été alignées sur celles prévalant dans l'enseignement supérieur.

Le secrétariat général du ministère a également indiqué au rapporteur que le SI de gestion de la scolarité des écoles d'enseignement supérieur Culture est en cours de mutualisation (projet OGESCA) sous l'égide du SNUM. Ce nouveau SI doit prendre la suite de l'outil TAIGA, développé en 2007 pour répondre au besoin spécifique de gestion des écoles d'architecture et étendu à partir de 2015 aux écoles d'art325(*) (sans convention de partenariat !)

Périmètre cible de OGESCA

Source : Outil de gestion des écoles supérieures de la culture automatisé, Point de situation, SNUM, ministère de la Culture, 11 octobre 2023

Bien que juridiquement indépendantes, la mutualisation des fonctions supports des écoles d'art ou d'architecture est une réalité. À l'occasion du comité social d'administration ministériel du 21 janvier 2025, la ministre de la Culture, Rachida Dati, a annoncé la création d'une direction générale de l'enseignement et de la recherche. Cette nouvelle direction générale vise à rendre « la tutelle plus efficace » et à permettre « un meilleur accompagnement de l'enseignement supérieur Culture dans toute sa diversité ». Elle regroupera les sous-directions aujourd'hui consacrées à la tutelle des écoles au sein de la direction générale des patrimoines et de l'architecture (DGPA) et de la direction générale de la création artistique (DGCA).

Le regroupement des 20 écoles d'architecture au sein d'une structure unique et des 9 écoles d'art au sein d'une autre ne serait source d'aucune économie substantielle. Elle viendrait par ailleurs fragiliser toute stratégie de développement des ressources propres. En conséquence, le rapporteur préconise le statu quo sur l'organisation administrative et salue l'initiative de renforcer l'exercice de la tutelle.

Source : commission d'enquête

Recommandation : Engager un programme pluriannuel, progressif et exhaustif, de mutualisation des fonctions supports des agences et opérateurs (notamment en matière de paie, d'achats et de systèmes d'information), dans un premier temps à l'échelle du ministère de tutelle ou d'une structure interministérielle.

Confier l'animation de ce programme au secrétariat général du Gouvernement avec une implication forte du ministère chargé des comptes publics et du ministère de l'action publique, de la fonction publique et de la simplification.


* 305 Il ressort d'un indicateur de performance du programme 147 « Politique de la ville » de la mission « Cohésion des territoires », supprimé toutefois dans le projet de loi de finances pour 2025, que le revenu fiscal moyen par unité de consommation était, en 2022, inférieur de 45,9 % dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), par rapport à l'agglomération dont ils font partie.

* 306 Rapport fait au nom du ministre des sports, août 2018, Laurence Lefèvre (directrice des sports) et Patrick Bayeux (docteur en sciences de gestion, consultant), « Nouvelle gouvernance du sport ».

* 307 Vincent Éblé et Didier Rambaud, Le Pass Culture, commission des finances du Sénat, juillet 2023.

* 308 Services des impôts des particuliers (SIP) et services de la fiscalité directe locale (SFDL)

* 309  Rapport de Claude Nougein, rapporteur spécial, sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Gestion du patrimoine immobilier de l'État », annexé au rapport général n° 144 (2024-2025), fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 21 novembre 2024.

* 310 Communiqué de presse du 8 avril 2024, « Bilan 2023 et perspectives 2024 de l'immobilier de l'État : un parc mieux valorisé, plus sobre et plus durable ».

* 311 Inspection générale des finances, Conseil général de l'environnement et du développement durable, « Immobilier de l'État : une nouvelle architecture pour professionnaliser », avril 2022.

* 312 Le périmètre de ce pilote devait porter sur les immeubles de bureaux occupés par les services du ministère des finances et du ministère de l'intérieur (hors police et gendarmerie) ainsi que sur les sites multi-occupants situés dans deux régions, Grand Est et Normandie.

* 313 Décision n° 2025-874 DC du 13 février 2025, Loi de finances pour 2025.

* 314 Audition devant la commission des finances du Sénat du 9 avril 2025.

* 315 Inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, « Synthèse des audits des fonctions support du CNRS, de l'INSERM, de l'INRIA, de l'INRA et du CIRAD », rapport n°2011-109, octobre 2011, cité par Inspection générale des finances, « Implantation territoriale des organismes de recherche et perspectives de mutualisation entre organismes et universités », rapport n° 2014-M-006-02, mai 2014.

* 316 Réponse de la direction du budget au questionnaire du rapporteur.

* 317 Par exemple dans le cadre des échanges de données entre l'administration fiscale et les opérateurs en vue de la lutte contre la fraude aux aides publiques : réponse de la direction générale des finances publiques (DGFiP) au questionnaire du rapporteur.

* 318 Réponse de la direction interministérielle du numérique (DINUM) au questionnaire du rapporteur.

* 319 Audition du jeudi 15 mai 2025.

* 320 Audition du jeudi 27 mars 2025.

* 321 Réponses orales de M. Damien Ientile, directeur de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS - Urssaf Caisse nationale), en audition le mardi 29 avril 2025.

* 322 Cour des comptes, rapport public annuel 2015, février 2015.

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