II. AGENCES, OPÉRATEURS, COMMISSIONS CONSULTATIVES, COMITÉS THÉODULES : DE QUOI PARLE-T-ON AUJOURD'HUI ?

Jean-Louis Borloo a également fait observer, au cours de son audition devant la commission d'enquête, que « dans le mot agence, il y a le plus beau et le pire » en soulignant la profonde hétérogénéité de cette catégorie.

Le terme d'« agence », depuis son origine italienne d'agenzia à la Renaissance, comprend la notion d'une action conduite par un agent pour le compte d'un principal. Les qualificatifs utilisés pour nommer les « agences » ne découlent toutefois pas d'une pratique bien établie.

Les différentes formes recensées : office ; agence ; centre ; autorité ; institut ; établissement ; fonds ; parcs ; les appellations propres telles que France compétences, FranceAgriMer, Business France, etc., ou encore les noms des différents groupements d'intérêt public (GIP) et groupement d'intérêt économique (GIE) ajoutent de la complexité et nuisent à la lisibilité et à l'identification de ces structures.

Cette complexité est d'autant plus exacerbée que l'appellation d'une entité est décorrélée de sa forme juridique. Le terme d'agence est ainsi appliqué à des organismes soumis à un contrôle très limité de la part du Gouvernement (Agence nationale pour la rénovation urbaine) comme à des services qui font partie intégrante de l'administration de l'État (services à compétence nationale comme l'Agence France Trésor ou l'Agence des participations de l'État).

Une clarification de ces différentes notions est donc indispensable.

A. AGENCES, OPÉRATEURS ET COMMISSIONS CONSULTATIVES : DES NOTIONS QUI PEUVENT SE RECOUPER, MAIS DONT LES DÉFINITIONS DEMEURENT PEU ÉTABLIES

Si l'on excepte les commissions consultatives, qui relèvent d'une nature spécifique (voir infra), les entités administratives aujourd'hui désignées sous les termes d'agences ou d'opérateurs recouvrent des réalités globalement proches, caractérisées par une distinction par rapport à l'administration centrale « classique » et par la mise en oeuvre de missions de service public, sous un contrôle plus ou moins direct de l'État.

1. Les opérateurs, une catégorie budgétaire relativement bien délimitée

Les opérateurs constituent un objet relativement bien identifié. Il s'agit d'une notion budgétaro-comptable, née avec la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) du 1er août 2001.

La LOLF a ainsi identifié la catégorie des « organismes bénéficiaires d'une subvention pour charges de service public », décrits dans le volet « opérateurs »33(*) des projets annuels de performance (PAP). Depuis 2007, un « jaune budgétaire » annexé au projet de loi de finances recense ces opérateurs et leur plafond d'emploi est fixé en loi de finances depuis 200934(*).

Si la LOLF ne définit pas elle-même les opérateurs, le jaune budgétaire les qualifie de « premier cercle » des participations de l'État et retient les trois critères cumulatifs suivants :

- une activité de service public qui puisse explicitement se rattacher à la mise en oeuvre d'une politique définie par l'État et identifiée dans la nomenclature budgétaire par destination selon la répartition en mission, programme et action ;

- un financement assuré majoritairement par l'État directement sous forme de subventions ou indirectement via des ressources affectées, notamment fiscales35(*) ;

- un contrôle direct par l'État qui ne se limite pas à un contrôle budgétaire ou économique et financier, mais doit relever de l'exercice d'une tutelle ayant capacité à orienter les décisions stratégiques, que cette faculté s'accompagne ou non de la participation au conseil d'administration.

Pour autant, ces critères ne sont pas stricts, dans la mesure où, si un organisme n'y répond pas, mais qu'il est considéré comme porteur d'enjeux importants pour l'État, d'autres critères peuvent être pris en compte, tels que :

- le poids de l'organisme dans les crédits ou la réalisation des objectifs du ou des programmes qui le financent36(*) ;

l'exploitation ou l'occupation de biens patrimoniaux remis en dotation ou mis à disposition par l'État ;

l'appartenance au périmètre des organismes divers d'administration centrale (ODAC) ;

- la présence de la direction du budget au sein de l'organe délibérant prévue par les statuts de l'organisme.

La qualification comme opérateur emporte des conséquences budgétaires importantes : seuls les opérateurs de l'État perçoivent une subvention pour charges de service public destinée à couvrir leurs dépenses d'exploitation courante (personnels rémunérés par l'opérateur et fonctionnement).

Au projet de loi de finances (PLF) pour 2025, sont inscrits 434 opérateurs de l'État rémunérant 402 218 emplois sous plafond (ETPT) et bénéficiant de 77 milliards d'euros de financements publics.

Quelques fusions et suppression ayant eu lieu après la présentation du PLF37(*), le nombre d'opérateurs au début de 2025 était de 426 opérateurs38(*).

2. Les agences, un concept à géométrie très variable

Si les opérateurs constituent une liste répertoriée dans les documents budgétaires, le concept d'agence est particulièrement difficile à appréhender, donnant lieu à des définitions plus ou moins extensives.

D'une part, l'agence ne correspond à aucune catégorie juridique ou budgétaire définie. En ce sens, les agences relèvent, comme les opérateurs, d'une approche essentiellement administrative. La majorité d'entre elles ont un statut public (EPA, EPIC, GIP, service à compétence nationale), mais certaines sont des personnes de droit privé (associations ou encore sociétés commerciales).

D'autre part, les institutions qui ont consacré aux « agences » des rapports sur la période récente retiennent des éléments de définition qui, s'ils ne sont pas nécessairement divergents, aboutissent cependant à des périmètres très différents.

Ainsi, dans son rapport publié en mars 2012, l'Inspection générale des finances (IGF) met en avant l'absence de définition juridique et administrative rigoureuse des agences pour justifier d'utiliser le terme générique d' « agence » « pour qualifier ces différentes entités dont les activités, les statuts et les relations entretenues avec l'État composent un ensemble très hétérogène »39(*). Pour l'IGF, « toutes les entités, dotées ou non de la personnalité morale, sont présumées appartenir au périmètre des agences de l'État dès lors qu'elles respectent les deux critères suivants : elles exercent des missions de service public non marchand ; un faisceau d'indices indique qu'elles sont contrôlées par l'État ».

Dans les faits, l'IGF a intégré à son périmètre d'étude toutes les entités respectant ces deux critères parmi la liste des opérateurs de l'État, des ODAC, des entités dotées d'un comptable public (EDCP), des services à compétence nationale (SCN), des autorités administratives indépendantes (AAI) et des autorités publiques indépendantes (API). Au total, ce périmètre représente 1 244 entités (1 101 dotées de la personnalité morale, et 143 en étant dépourvues).

Des périmètres administratifs complémentaires, propres à l'INSEE
et à la DGFiP : les notions d'ODAC et d'EDCP

Les organismes divers d'administration centrale (ODAC) correspondent à une catégorie suivie par l'INSEE, qui regroupe des organismes de statut varié (le plus souvent, des EPA), en général dotés de la personnalité juridique. Ils répondent à trois critères :

- l'État leur a confié une compétence fonctionnelle, spécialisée, au niveau national ;

- ils sont contrôlés et financés majoritairement par l'État ;

- ils ont une activité principalement non marchande.

Ils se distinguent des établissements publics locaux qui relèvent de la catégorie des organismes divers d'administration locale (ODAL).

La dernière liste des ODAC, qui porte sur l'année 202240(*), recensait environ 700 entités, catégorisées par grands secteurs de politiques publiques : les transports, la santé, le logement, les interventions sociales, la protection de l'environnement, l'enseignement et la recherche, la culture, défense, ordre et sécurité publics ou encore les affaires économiques.

Il convient de noter que les notions d'opérateur de l'État et d'ODAC sont proches, mais sans se recouper parfaitement : tous les opérateurs de l'État ne relèvent pas de la liste des ODAC.

Les entités dotées d'un comptable public (EDCP) font l'objet d'un suivi par la direction générale des finances publiques (DGFIP). Ce périmètre obéit avant tout à une logique fonctionnelle, qui permet à la DGFIP de suivre l'activité de ses comptables. Il regroupe plusieurs statuts juridiques différents, dont des GIP et des API.

Source : commission d'enquête, d'après l'INSEE et la DGFiP

Le Conseil d'État a quant à lui fait le choix d'une « définition plus resserrée de la notion d'agence » qui la distingue des opérateurs ainsi que des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes41(*). Il a considéré comme appartenant à la liste des agences de l'État les organismes remplissant les deux conditions cumulatives suivantes :

l'autonomie (à distinguer aussi bien de l'indépendance que de l'inscription dans le schéma hiérarchique traditionnel de l'administration centrale). Les agences n'en demeurent pas moins soumises à une tutelle, qui se traduit par un contrôle financier et la conclusion fréquente de contrats pluriannuels entre l'État et l'agence42(*) ;

l'exercice d'une responsabilité qualifiée de « structurante » dans la mise en oeuvre d'une politique nationale.

Sur le fondement de cette définition, le Conseil d'État a identifié 103 agences.

Le Conseil d'État incluait toutefois dans sa liste d'agences 14 organismes relevant de la catégorie des services à compétence nationale (SCN), qui ne sont pas retenus dans la liste des opérateurs parce qu'ils sont dépourvus de la personnalité morale ; la commission d'enquête ne les a pas considérés, même si certains d'entre eux prennent l'appellation d'« agence »43(*) en estimant que ces organismes ne présentaient pas les mêmes enjeux de « démembrement de l'État » que les autres organismes.

Les services à compétence nationale

Le décret n° 2015-510 du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration indique que :« placées sous l'autorité du Premier ministre et de chacun des ministres, les administrations civiles de l'État se composent, d'une part, d'administrations centrales et de services à compétence nationale, d'autre part, de services déconcentrés. ».

Les services à compétence nationale se distinguent des administrations centrales en ce qu'ils sont créés pour remplir des missions à caractère opérationnel (gestion, études techniques, formation, production de biens ou de services, etc.). Ils se rapprochent, en ce sens, des services déconcentrés, mais exercent ces activités sur l'ensemble du territoire national.

Le statut du personnel employé dans un service à compétence nationale se rapproche de celui des agents de l'administration centrale et déconcentrée ; par exemple, les vacances d'emploi font l'objet d'un avis dans les mêmes conditions pour ces trois sous-catégories de l'administration d'État.

Source : commission d'enquête

Ainsi, selon les critères retenus, le périmètre des agences peut varier du simple au décuple, traduisant en réalité une absence de définition stabilisée. De fait, l'acception de cette notion dépend largement de considérations fonctionnelles, dépendant du contexte dans lequel celle-ci est employée.

À cet égard, le critère de la responsabilité « structurante » peut apparaître excessivement restrictif pour fournir un point d'appui à une étude d'ensemble des entités visées par le vocable d'agence et du phénomène général d' « agencification » de l'État.

Au total, la commission d'enquête a été constituée pour étudier les missions des « agences et opérateurs de l'État ». À ce titre, la notion d' « organisme public national » est sans doute celle qui se rapproche le plus de son objet d'étude, en excluant toutefois de ce périmètre les organismes relevant de la sécurité sociale.

La commission d'enquête a ainsi obtenu du Gouvernement une liste de 1 169 organismes publics nationaux, connus par la direction du budget.

Hors régimes de base de la sécurité sociale44(*) et autres établissements relevant du code de la sécurité sociale, le périmètre des organismes considéré par la commission d'enquête est de 1 153 organismes. C'est ce sens qui sera retenu comme périmètre du secteur des « agences de l'État »45(*) dans le présent rapport. Il inclut les 426 opérateurs au sens budgétaire.

3. Les organismes consultatifs, une notion administrative caractérisée par l'absence de pouvoir décisionnel

Le 25 septembre 1963, lors d'un voyage à Orange, le général de Gaulle s'exclamait que l'essentiel, pour lui, « ce n'est pas ce que peuvent penser le comité Gustave, le comité Théodule ou le comité Hippolyte, l'essentiel pour le général de Gaulle, président de la République française, c'est ce qui est utile au peuple français, ce que sent, ce que veut le peuple français. » L'expression a connu un grand succès, devenant une appellation courante de toutes sortes de commissions et organismes consultatifs, au point de se retrouver dans l'intitulé d'une proposition de loi adoptée par le Sénat le 30 janvier dernier46(*).

À l'image des opérateurs, les organismes consultatifs bénéficient, sinon d'une définition claire, au moins d'une liste limitative présentée depuis près de trente ans dans un « jaune » budgétaire consacré aux « commissions et instances consultatives ou délibératives placées directement auprès du Premier ministre ou des ministres »47(*).

Dans le projet de loi de finances pour 2025, 317 commissions et instances de ce type sont ainsi recensées.

Ce document ne clarifie toutefois pas la notion de commission ou d'instance consultative, se contentant de dresser une liste d'organismes rattachés au Premier ministre, aux ministres ou à la Banque de France48(*). Contrairement au jaune budgétaire « Opérateurs », il ne cherche pas à définir des critères permettant d'identifier une commission consultative.

La commission d'enquête propose de définir un organisme consultatif comme une structure dont la mission principale est de donner des avis, des recommandations ou des expertises à destination des pouvoirs publics, sans exercer de pouvoir décisionnel ni mettre en oeuvre de politiques publiques.

Contrairement aux services administratifs précédemment évoqués (administration centrale, services à compétence nationale, administration déconcentrée) et aux agences, un organisme consultatif n'a pas de compétence de décision ou d'exécution : il ne gère pas de politiques publiques, ne distribue pas de fonds et n'exerce pas de contrôle.

Il se borne donc à rendre des avis consultatifs. À cette fin, il peut regrouper toute personne qui aidera à la formation de ces avis : experts, représentants de la société civile, élus locaux, partenaires sociaux, représentants de l'administration, etc.

Un organisme consultatif peut être créé de manière temporaire, mais n'a pas vocation, en ce cas, à figurer sur la liste établie par le jaune budgétaire.

Si l'intervention des organismes consultatifs peut soulever des difficultés en termes de complexité des procédures administratives qui concourent à l'éclatement de l'organisation de l'État dont participent les agences, la nature spécifique de leurs missions conduira, comme le montre l'examen des données relatives à ces commissions (voir infra), à relativiser fortement les enjeux budgétaires et humains qui leur sont associés.


* 33 Le volet « opérateurs » des PAP comprend : 1°) la récapitulation des crédits du programme au bénéfice des opérateurs ; 2°) la présentation détaillée de chaque opérateur ou catégorie d'opérateurs rattaché au programme ; 3°) la présentation des crédits versés par le budget général à chaque opérateur ou catégorie d'opérateurs ; 4°) les emplois des opérateurs.

* 34  Article 14 de la loi n° 2006-888 du 19 juillet 2006 portant règlement définitif du budget de 2005, dont les dispositions ont été reprises au 25° de l' article 179 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 35 Ceci n'exclut toutefois pas la possibilité pour l'opérateur d'exercer des activités marchandes à titre subsidiaire.

* 36 Certains programmes dépendent très largement des opérateurs pour conduire leurs politiques publiques : de nombreux programmes voient 30 % de leurs crédits, voire plus, financer leurs opérateurs. Par exemple, 64 % des crédits du programme 163 « Jeunesse et vie associative » sont destinés à l'Agence du service civique.

* 37 Par exemple, l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) et l'École nationale supérieure de techniques avancées Bretagne (ENSTA Bretagne) ont fusionné pour former l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA) ; l'Université Marie et Louis Pasteur (EPSCP expérimental) a été créée le 1er décembre 2024 en se substituant à l'université de Besançon et à la communauté d'universités et établissements Université Bourgogne-Franche-Comté à compter du 1er janvier 2025 (source : direction du budget, secrétariat général du Gouvernement).

* 38 Liste des organismes publics nationaux pour lesquels des données sont disponibles dans les bases de la direction du budget, datée du 24 février 2025.

* 39 IGF, p. 5.

* 40 Publiée en mai 2024 par l'INSEE.

* 41 Étude annuelle du Conseil d'État, 2012, p. 57.

* 42 Contrats d'objectifs et de moyens, contrats d'objectifs et de performance ou conventions d'objectifs et de gestion.

* 43 Agence France Trésor, Agence de l'informatique financière de l'État (AIFE), etc.

* 44 L'Établissement national des invalides de la marine (ENIM) est toutefois retenu car il constitue un opérateur de l'État, rattaché au programme 197 « Régimes de retraite et de sécurité sociale des marins » de la mission « Régimes sociaux et de retraite », dont il reçoit une subvention pour charge de service public.

* 45 Le mot « agence », sans précision, désignera les agences de l'État ainsi définies.

* 46  Proposition de loi tendant à supprimer certains comités, structures, conseils et commissions « Théodule » dont l'utilité ne semble pas avérée, déposée par Nathalie Goulet.

* 47 En application de l'article 112 de la loi n° 95-1346 du 30 décembre 1995 de finances pour 1996, dont les dispositions ont été reprises au 9° de l' article 179 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 48 La Banque de France n'est pourtant pas mentionnée dans la définition du jaune à l'article 179 précité de la loi de finances pour 2020.

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