II. LA MISE EN oeUVRE DE LA RÉFORME A CONFIRMÉ DE NOMBREUX RISQUES POURTANT IDENTIFIÉS DE LONGUE DATE

Les rapporteurs ne peuvent que regretter le choix fait par le ministère de l'intérieur au début de l'année 2023 de persévérer dans le déploiement accéléré d'une réforme mal conçue, et ce alors qu'aucune urgence ne le justifiait. Ils prennent acte de l'achèvement de la réforme, en dépit de ses conditions d'entrée en vigueur particulièrement chaotiques.

On peut certes reconnaître que l'entrée en vigueur de la nouvelle organisation n'a pas porté atteinte à la sécurisation des JOP 2024 et que certaines erreurs initiales ont pu être corrigées au cours du processus. Le ministère de l'intérieur a en effet fini par consentir un surcroît de pédagogie pour expliquer la réforme aux acteurs et rassurer les agents quant à ses conséquences sur leurs situations individuelles. Dans la pratique, les agents de l'ancienne DCPJ n'ont effectivement pas été conduits, sauf exceptions, à traiter des affaires relevant de la petite ou de la moyenne délinquance. La commission sera néanmoins vigilante à ce qu'il en reste ainsi.

Du reste, certaines des craintes exprimées par les acteurs n'étaient pas conformes aux réalités des pratiques administratives - à l'instar des supposées velléités préfectorales d'intervention dans les enquêtes - ou fondées sur une mauvaise compréhension des objectifs de la réforme. Contrairement à la présentation qui en a été faite par Gérald Darmanin dans son courrier précité du 9 octobre 2022, son objectif premier n'était en rien de réduire les stocks d'enquêtes.

De la même manière, la nouvelle organisation a entraîné des effets positifs qu'il ne s'agit pas d'ignorer, quand bien même ils demeurent marginaux. On peut citer à cet égard une amélioration de la communication entre les différentes filières de la police nationale et une allocation des moyens ponctuellement optimisée.

Ces quelques gains demeurent toutefois d'une portée trop limitée pour justifier l'importante mise sous tension imposée à la police nationale ces cinq dernières années pour les obtenir. Du reste, la commission ne saurait se satisfaire d'une telle réorganisation au seul motif qu'elle n'a pas immédiatement et manifestement dégradé la situation de la police nationale.

A contrario, ses conséquences dommageables sur la filière judiciaire en particulier sont d'ores et déjà perceptibles. Près d'un an et demi après la généralisation des DDPN et DIPN, les rapporteurs sont malheureusement forcés de constater que les principales inquiétudes soulevées en 2023 sur ce point étaient fondées. Le rassemblement à marche forcée des différentes filières s'est traduit, dans le cas de la police judiciaire, par la mise en place d'une organisation particulièrement complexe, par une dilution des compétences de cette filière hautement spécialisée et par sa marginalisation dans l'édifice de la police nationale.

Dans ce contexte, les rapporteurs, maintiennent l'analyse qu'ils avaient formulée deux ans plus tôt et considèrent que la réforme n'aurait pas dû être menée dans ces conditions. Ils estiment néanmoins que son annulation risquerait de déstabiliser encore davantage une institution qui ne l'a pas encore totalement absorbée. À court terme, ils invitent donc à privilégier des correctifs concrets visant à atténuer les principales incohérences de la nouvelle organisation.

A. LA DÉPARTEMENTALISATION DE LA POLICE NATIONALE : UN AFFAIBLISSEMENT DE LA « PJ »

1. Une filière judiciaire exposée aux arbitrages des DDPN et DIPN

À l'issue de leurs travaux, les rapporteurs considèrent que la nouvelle organisation a provoqué un affaiblissement de la police judiciaire pour au moins quatre raisons.

En premier lieu, la police judiciaire est désormais davantage exposée au primat bien souvent accordé au maintien de l'ordre et à la lutte contre la délinquance de voie publique dans le département. Il est certes vrai que la crainte d'un déport des enquêteurs spécialisés de la DCPJ vers des missions de voie publique ne s'est pour l'essentiel pas matérialisée, en application de la doctrine de la DNPJ reproduite ci-dessous.

L'emploi de la filière investigation

Doctrine de la DNPJ du 6 février 2024

Principe : « Les services de police judiciaire sont exclusivement employés sur des missions de police judiciaire, telles qu'explicitées à l'article 14 du Code de procédure pénale (CPP). L'ensemble de la chaîne hiérarchique de la police nationale est garant de l'application et du respect du corpus doctrinal de la filière police judiciaire ; tout manquement constaté est signalé à la direction nationale de police judiciaire ».

Exception : « Si nécessaire, l'autorité hiérarchique d'un service de police judiciaire doit solliciter l'emploi non conforme des personnels de la filière auprès de la DNPJ, via le directeur zonal adjoint en charge de la police judiciaire, notamment pour faire face à un évènement programmé hors normes pour lequel la participation de toutes les filières est requise.

« Lorsqu'il est autorisé, l'emploi non conforme ne dure que le temps strictement nécessaire à la substitution des agents de la filière par ceux de la filière compétente pour accomplir la mission.

Les services de police judiciaire ne peuvent être employés sur des services d'ordre, des opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre public, hormis naturellement pour l'exercice de missions habituelles de police judiciaire11. Il en est de même pour les opérations de sécurisation de l'espace public ».

La vigilance reste néanmoins de mise. Si les travaux des rapporteurs ont démontré que la spécificité de la police judiciaire était respectée dans la majorité des cas, des difficultés ponctuelles ont pu être observées dans certains territoires. C'est par exemple le cas à Strasbourg, où des effectifs de la DCOS auraient été sollicités au soir du nouvel an pour gérer des placements en garde à vue de personnes impliquées dans des affaires dites de niveau 1 ou dans le cadre d'une visite présidentielle pour pallier l'absence des effectifs de la DCT, déployés sur le terrain. De la même manière, des effectifs de la DCOS de Dijon ont pu intégrer des patrouilles pédestres pour sécuriser le passage du relai de la flamme olympique dans la ville. Le syndicat de la magistrature a en outre indiqué au cours de son audition avoir eu connaissance « d'affectations de services d'enquête judiciaire spécialisés à des enquêtes relevant auparavant des services locaux ». Selon ce dernier, « il apparait à ce stade que les anciens PJistes ont pu être affectés à des opérations de sécurité publique ».

De surcroît, une ambiguïté de la doctrine de la DNPJ précitée pourrait ouvrir la voie à un usage détourné des effectifs de la DCPJ à des fins de sécurisation de la voie publique, dès lors qu'elle prévoit que la filière judiciaire est « associée aux dispositifs d'ordre public dans le cadre de la judiciarisation du maintien de l'ordre ». Si la contestation ayant entouré la réforme a en outre probablement contribué à ce que la filière judiciaire soit préservée par les DDPN du primat de la voie publique, il ne peut par ailleurs être exclu que cette discipline ne vienne ensuite progressivement s'étioler au gré des besoins opérationnels. Dans ce contexte, la commission considère qu'il ne serait pas superflu qu'une instruction du DGPN vienne réaffirmer le principe d'emploi selon lequel les services de police judiciaire ne peuvent être employés pour des missions de sécurisation de l'espace public, de services d'ordre ou de maintien ou de rétablissement de l'ordre public.

Au-delà de cette question, l'exposition croissante des anciens agents de la DCPJ aux enjeux de voie publique peut se manifester de manière plus subtile mais non moins préoccupante. Selon les informations recueillies par les rapporteurs, l'application de méthodes de management inspirées de la sécurité publique a pu exposer des enquêteurs spécialisés à une certaine pression pour traiter plus rapidement les dossiers, à rebours de la culture de la police judiciaire et au détriment de leur qualité procédurale.

Cet affaiblissement de la police judiciaire se manifeste en deuxième lieu par une perte d'influence notable au sein de la police nationale. Comme l'on pouvait s'y attendre, la majorité des DDPN sont issus de la filière sécurité publique. Si la DGPN n'a pas communiqué de données précises sur ce point, elle a néanmoins admis que « la plupart des DDSP avaient été nommés DDPN puisque ces nouvelles directions avaient été constituées avec les moyens exclusifs des ex-DDSP ». La même tendance est observée s'agissant des DIPN. Selon le décompte effectué par l'ANPJ, seuls quatre des DDPN et DIPN initiaux étaient issus de la DCPJ. La DGPN a néanmoins indiqué aux rapporteurs qu'un rééquilibrage était en cours dans les nouvelles nominations, avec des profils « tendant à être plus variés ». Les rapporteurs estiment indispensable de garantir la pluralité des profils à ces postes et appellent à poursuivre cet effort de diversification dans les prochaines nominations.

Cette perte d'influence résulte également d'un positionnement hiérarchique moins favorable - dans la mesure où le chef du SIPJ ou du SDPJ est désormais sous l'autorité hiérarchique de DDPN ou de DIPN qui ne disposent pas tous de la même sensibilité pour les enjeux d'investigation - ainsi que d'un manque de visibilité. Alors que les directeurs de l'ex-« PJ » étaient systématiquement présents aux réunions de sécurité conduites par les préfets, ils en sont aujourd'hui exclus. La mission d'information considère cette absence comme profondément dommageable, en ce qu'elle peut conduire à faire passer au second plan les affaires de long terme liées à la criminalité du haut du spectre. Ce changement de positionnement a pu être vécu comme une rétrogradation par les anciens directeurs de la police judiciaire, qui voient en outre leurs perspectives de carrière amoindries.

En troisième lieu, les services d'investigation ont, selon les informations recueillies par les rapporteurs, pu connaître localement des pertes d'effectifs. L'existence d'un effet d'absorption d'effectifs expérimentés par le nouvel échelon zonal a, à cet égard, régulièrement été évoquée par les personnes auditionnées (cf. supra).

Ces variations d'effectifs peuvent être d'autant plus préoccupantes que les effectifs d'investigation spécialisés n'ont pas été systématiquement déchargés des tâches périphériques, en particulier les défèrements. Si l'attribution de ces opérations aux effectifs de l'ancienne sécurité publique a régulièrement été citée comme l'un des principaux progrès de la réforme, les travaux des rapporteurs ont démontré que ce principe pourtant clairement énoncé dans la doctrine de la DNPJ n'était pas appliqué dans tous les départements. La mission d'information estime donc indispensable qu'une instruction du DGPN vienne rappeler le principe établi dans la doctrine de la DNPJ selon lequel la filière sécurité publique assure, d'une part, « la garde et la surveillance des personnes retenues » et, d'autre part, « le défèrement, la garde hospitalière et la conduite en établissement pénitentiaire des mis en cause ».

En quatrième lieu, la mission d'information a constaté que la création d'une filière d'investigation unifiée avait eu des effets ambivalents en termes de circulation de l'information. Ce décloisonnement a incontestablement permis une meilleure circulation des informations entre les filières de la police nationale. Pour autant, cette « libéralisation » des échanges d'information trouve ses limites s'agissant des affaires du haut du spectre, qui nécessitent par nature la plus grande discrétion. Si l'existence de fuites d'informations n'est pas nécessairement une nouveauté, les rapporteurs ont été régulièrement alertés sur leur augmentation à la suite de la réforme, et ce tant par des membres de la police nationale que de l'autorité judiciaire. De fait, l'intégration des services de l'ancienne DCPJ dans une filière d'investigation de grande envergure démultiplie les échanges et, par conséquent, les risques de fuite. En conséquence, la mission d'information appelle à clarifier les modalités d'échange interne d'informations liées au haut du spectre de la criminalité organisée, en formalisant un « besoin d'en connaître » sur le modèle des services de renseignement.

Proposition n° 3 Réaffirmer, par voie d'instruction du DGPN, le principe selon lequel les services de police judiciaire ne peuvent être employés pour des missions de sécurisation de l'espace public, de services d'ordre ou de maintien ou de rétablissement de l'ordre public.

Proposition n° 4 Veiller à la diversité des profils dans les prochaines nominations des DDPN et DIPN.

Proposition n° 5 Garantir l'application uniforme de la doctrine de la DNPJ sur l'ensemble du territoire national, en particulier en matière de défèrements.

Proposition n° 6 Clarifier les modalités d'échange interne d'informations liées au haut du spectre de la criminalité organisée, en formalisant un « besoin d'en connaître » sur le modèle des services de renseignement.

2. Au travers de la police judiciaire, une fragilisation de la politique pénale

Au travers de la police judiciaire, c'est ensuite la politique pénale dans son ensemble que la réforme fragilise.

La réorganisation tend, en effet, à renforcer le déséquilibre existant entre les autorités administrative et judiciaire, au détriment de la seconde, ce qui est susceptible de mettre à mal l'exercice, par le procureur de la République, de la prérogative de mise en oeuvre de la politique pénale qu'il tient de l'article 39-1 du code de procédure pénale.

Ce risque avait été bien identifié par le rapport d'information précité de la commission du 1er mars 2023, qui avait ainsi préconisé de « rétablir les procureurs de la République dans leur rôle de décisionnaires en demandant au préfet d'ajuster ses orientations en fonction de la définition des priorités de politique pénale sur un territoire » et ainsi de « mettre en place un dialogue entre préfets et procureurs de la République pour assurer la bonne déclinaison territoriale de la mise en oeuvre de la politique pénale définie par l'autorité judiciaire »23(*).

À ce titre, la mission avait notamment relevé que la mise en place d'une procédure de notation des directeurs zonaux, interdépartementaux et départementaux par les procureurs généraux et par les procureurs de la République constituait « un élément essentiel de la mise en oeuvre de la réforme ».

Désormais prévue par décret24(*), la mise en oeuvre de cette évaluation a donné lieu à la diffusion de deux dépêches aux procureurs par la DACG, les 17 octobre 2024 et 21 mars 2025, qui en précisent les modalités et le contenu (voir encadré). Parmi les critères susceptibles d'être pris en compte figurent la capacité à appliquer et faire respecter les instructions de politique pénale des procureurs et, de manière générale, les priorités de politique pénale définies par l'autorité judiciaire. La première campagne d'évaluation portant sur l'année 2024 est en cours de réalisation, de telle sorte que les rapporteurs ne peuvent pas en tirer de bilan à ce stade. Il appartiendra au ministre de l'intérieur, en tant qu'autorité investie du pouvoir de nomination, de tenir pleinement compte de ces évaluations dans le cadre des décisions relatives à la carrière des DZPN, DDPN et DIPN.

L'évaluation des directeurs zonaux, interdépartementaux et départementaux
de la police nationale par les procureurs

Direction des affaires criminelles et des grâces, Dépêche relative aux modalités d'évaluation des directeurs territoriaux de la police nationale par les procureurs généraux et les procureurs de la République, CRIM-BOL N° 2023-00065, 17 octobre 2024

L'évaluation des directeurs zonaux (DZPN), interdépartementaux (DIPN) et départementaux de la police nationale (DDPN) est prévue par l'article R. 2-17-1 du code de procédure pénale, issue du décret n° 2023-1013 du 2 novembre 2023 relatif aux services déconcentrés et à l'organisation de la police nationale. Cette évaluation, qui prend la forme d'appréciations littérales, se distingue de la notation des officiers de police judiciaire (OPJ) réalisée par les procureurs généraux sur le fondement des articles 19-1 et D. 44 à D. 46-1 du même code, et porte sur l'action des directeurs territoriaux de la police nationale en matière de police judiciaire.

S'agissant des DZPN, elle est effectuée par les procureurs généraux près les cours d'appels où sont situés les sièges de la direction, après consultation des procureurs généraux de la zone de défense et de sécurité.

S'agissant des DDPN et DIPN, elle est effectuée par les procureurs de la République près les tribunaux judiciaires dont relève leur direction, après consultation des procureurs de la République du ressort de la direction et après avoir recueilli les observations éventuelles des juges d'instruction.

L'évaluation ne doit pas conduire l'autorité judiciaire évaluatrice à porter une appréciation sur l'organisation ou l'affectation des moyens de la direction territoriale de la police nationale qui relèvent de la compétence exclusive de son directeur. En outre, cette évaluation ne porte pas sur l'activité de police judiciaire dont sont en charge les chefs des services interdépartementaux (SIPJ) et départementaux de police judiciaire (SDPJ) et qui doit être prise en compte dans le cadre de la notation OPJ.

En revanche, celle-ci portant sur l'action des directeurs territoriaux de la police nationale en matière de police judiciaire, plusieurs critères sont susceptibles d'être pris en compte, selon la nature des fonctions exercées, pour fonder l'appréciation littérale et notamment :

- la qualité de l'animation de la filière police judiciaire qui comprend notamment : la capacité à intégrer la filière police judiciaire dans une stratégie d'ensemble ; l'engagement dans le traitement de la délinquance générale ou du quotidien et notamment le suivi des stocks de procédure au regard des moyens dont ils disposent et la capacité à en rendre compte à l'autorité judiciaire ; l'engagement et la capacité à entretenir des contacts fréquents avec l'autorité judiciaire ; l'engagement et la capacité à faire respecter le libre choix du service enquêteur par l'autorité judiciaire ; l'attention portée à une organisation adaptée permettant un traitement de qualité des procédures ;

- la préservation de la capacité de traitement judiciaire de la criminalité organisée et spécialisée en veillant notamment à ce que ces services soient préservés du traitement des stocks de procédures judiciaires de la délinquance générale et ou du quotidien ;

- la préservation de la capacité d'initiative des services d'enquête et la capacité du ou des services interdépartementaux ou départementaux de police judiciaire à intervenir sur l'ensemble de leur ressort.

- la capacité à appliquer et faire respecter les instructions de politique pénale des procureurs territorialement compétents et de manière générale les priorités de politique pénale définies par l'autorité judiciaire.

- la capacité à veiller à une communication maîtrisée.

En tout état de cause, l'existence de cette évaluation annuelle constitue un maigre contrepoids face à l'autorité hiérarchique quotidienne du préfet sur les DDPN et DIPN. L'Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) a ainsi signifié aux rapporteurs qu'en pratique, « la priorité est toujours donnée à l'ordre public, d'autant que les liens avec les préfets se sont accentués dans le cadre de la nouvelle organisation ; l'influence du procureur de la République est quasi inexistante. »

En matière de police judiciaire, la judiciarisation du maintien de l'ordre et la lutte contre la délinquance du quotidien, dont les résultats sont les plus immédiats et tangibles pour la population, constituent en pratique le plus souvent les objectifs prioritaires des préfets. À l'inverse, la lutte contre le haut du spectre de la criminalité organisée dont la portée excède largement le département, qui repose sur un travail d'investigation de longue haleine et qui emporte ainsi des effets plus diffus, risque fortement d'être reléguée au second plan.

Si elles ne datent pas de la réforme, les opérations de type « place nette » sont symptomatiques de ce glissement. Amorcées en septembre 2023 et accentuées au printemps 2024 (« place nette XXL »), ces opérations consistent en des actions visibles et régulières menées dans les territoires difficiles et ayant pour principal objectif d'intensifier la lutte contre toutes les formes de délinquance, au premier rang desquelles le trafic de stupéfiants, dans le but de produire des effets visibles et immédiats. Pour autant, comme l'avait relevé la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France25(*), l'efficience de ces opérations interroge, eu égard à leur faible efficacité au plan judiciaire26(*). Celle-ci avait déploré le défaut d'association de l'autorité judiciaire à la préparation de ces opérations, qui ne permet pas de s'assurer qu'elles sont compatibles avec les stratégies judiciaires développées dans le cadre des procédures en cours.

Ce constat a été confirmé aux rapporteurs par les membres de l'autorité judiciaire entendus dans le cadre de leurs travaux, qui craignent que, sous l'effet de la réforme, les procureurs ne soient encore davantage « à la remorque » des préfets.

À cet égard, les auditions ont mis en évidence que la dispersion des procureurs de la République d'un même département est de nature à fragiliser leur position dans le rapport de force qui les « oppose » au préfet sur ces questions. Il serait opportun que le parquet adapte son organisation interne à la réforme, en désignant, au niveau de chaque département, un procureur de la République chargé de relayer les priorités de la politique pénale dans le cadre des relations stratégiques avec le préfet et le DIPN ou le DDPN. Le procureur de la République près les tribunaux judiciaires dont relève leur direction, qui sont déjà chargés de les évaluer, paraît indiqué pour jouer ce rôle. En tout état de cause, le fait pour l'autorité judiciaire, à l'instar de l'autorité administrative, d'être en capacité de s'exprimer d'une seule voix lui donnerait assurément plus de poids.

Proposition n° 7 - Tirer pleinement les conséquences des évaluations réalisées par les procureurs généraux et les procureurs de la République dans le cadre des décisions affectant la carrière des directeurs zonaux, interdépartementaux et départementaux de la police nationale.

Proposition n° 8 - Adapter l'organisation locale des parquets à la nouvelle architecture de la police nationale, en désignant dans chaque département un procureur de la République chargé de relayer les priorités de la politique pénale auprès des directeurs interdépartementaux et départementaux de la police nationale.


* 23 Recommandation n° 20.

* 24 Article R. 2-17-1 du code de procédure pénale.

* 25 Sénat, rapport n° 588 (2023-2024) fait par Étienne Blanc au nom de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et sur les moyens pour y remédier, présidée par Jérôme Durain, 7 mai 2024.

* 26 D'après les données de la commission d'enquête du Sénat sur l'impact du narcotrafic en France, les opérations « place nette XXL » du printemps 2024 ont mobilisé près de 62 000 effectifs des forces de l'ordre (police et gendarmerie nationales confondues), pour environ 3 200 personnes en garde à vue, mais seulement 451 personnes déférées, dont 128 avec un mandat de dépôt.

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