D. UNE RÉORGANISATION DES FONCTIONS SUPPORT QUI N'EST PAS INTERVENUE EN TEMPS UTILE

Compte tenu du choix du ministère de l'intérieur de précipiter l'entrée en vigueur de la nouvelle organisation, ce déficit de pédagogie était malheureusement prévisible. Sa volonté de s'en tenir au calendrier initialement fixé en dépit des alertes formulées par la commission des lois n'a pas été sans conséquence. Outre les tensions provoquées parmi les personnels, ce calendrier accéléré n'a pas permis de poser les fondations nécessaires à l'installation de nouvelles directions, en particulier en termes informatiques et de ressources humaines.

L'impact de la réforme a été limité sur le plan immobilier. Celle-ci a toutefois eu quelques effets sur les services centraux de la DNPJ, avec la création en 2024 de la sous-direction de la stratégie et du pilotage territorial, qui a notamment accueilli sur le site de Nanterre des agents de la DNSP chargés de l'investigation en complément de recrutements menés par ailleurs. En mai 2025, la DNPJ a également accueilli à Nanterre l'état-major de lutte contre la criminalité organisée (EMCO), doté de 19 agents en provenance d'administrations centrales réunis sur un même plateau technique (open-space).

Au niveau des directions zonales, les réorganisations territoriales se sont faites, dans l'ensemble, à effectifs et structures immobilières constants. Au sein de nombreuses CPN, à l'instar d'Angers, les locaux de la police judiciaire et de la sécurité publique étaient de fait déjà réunis sur un même site géographique, ce qui a facilité les réorganisations lorsqu'elles étaient nécessaires. Quelques manoeuvres ont été effectuées à la marge, à l'instar de la centralisation des effectifs du SIPJ en charge de l'Artois (DIPN 62) au sein du commissariat d'Avion. Ces réorganisations ont pu conduire à la mise en oeuvre de travaux de réaménagement ou d'amélioration des conditions de travail qui ont généré des frais contenus, compris entre quelques milliers d'euros et 40 000 euros selon les opérations concernées.

S'agissant du numérique, le principal enjeu lié à la réforme consiste à adapter l'environnement numérique des agents aux nouvelles configurations. Compte tenu de l'interfaçage de nombreux systèmes d'information (SI) entre eux, des opérations de mise à jour ont été menées sur un total de 54 SI. Cette manoeuvre représente un budget prévisionnel global de 1,4 million d'euros. L'achèvement complet de ce chantier numérique doit intervenir au cours du 1er semestre 2026. S'il s'agit certes de la plus importante migration informatique de l'histoire du ministère de l'intérieur, avec 145 000 agents concernés, force est de constater que son achèvement interviendra bien après la mise en oeuvre de la réforme, signe supplémentaire de la précipitation dans laquelle celle-ci a été engagée.

L'inadaptation des outils numériques constitue un irritant important pour les enquêteurs, eu égard à ses conséquences pratiques directes sur leur travail quotidien. À titre d'exemple, en l'état, des enquêteurs co-saisis exerçant dans deux départements distincts ne peuvent travailler sous le même numéro de procédure, ce qui conduit à alourdir inutilement leur tâche administrative. Il n'est plus possible non plus de consulter les procédures archivées d'un autre service.

En termes de gestion des ressources humaines, la principale difficulté concerne la conciliation de la réorganisation territoriale avec le dispositif de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA). Non anticipée, cette problématique apparemment sans lien avec l'objet de la réforme a dans la pratique constitué un obstacle dirimant à sa mise en oeuvre.

Pour mémoire, l'ASA est une mesure de bonification de traitement liée à une affectation de fonctionnaires, notamment de la police nationale, dans des quartiers urbains où se posent des problèmes sociaux et de sécurité particulièrement difficiles22(*). Ainsi, lorsqu'ils justifient de trois ans au moins de services continus accomplis dans un quartier éligible, les intéressés ont droit, pour l'avancement, à une bonification d'ancienneté d'un mois pour chacune de ces trois années et à une bonification d'ancienneté de deux mois par année de service continu accomplie au-delà de la troisième année.

Pour ce qui concerne la police judiciaire, le bénéfice de l'ASA est attaché à une affectation au sein d'une CPN déterminée, et donc à un SLPJ. Aussi, une mutation au sein de l'une des directions du SIPJ a pour effet la perte du bénéfice de l'ASA.

La nécessité de préserver la rémunération des agents concernés a ainsi empêché la création d'une division de la criminalité territoriale (DCT) chargée de traiter les affaires d'envergure départementale (dits « de niveau 2 ») au sein des SIPJ dans pas moins de 16 DIPN. C'est notamment le cas de la DIPN de Nantes, comme les rapporteurs ont pu le constater lors de leur déplacement. Dans cette DIPN, l'enjeu de l'ASA a d'ailleurs également empêché la création d'une DPO, de telle sorte que le SIPJ se trouve formellement privé d'une grande part des capacités que la réforme visait à lui conférer. Le problème est donc loin d'être marginal, alors même que la création des DCT occupe une place centrale dans l'économie générale de la réforme et dans la nouvelle architecture de la filière (voir II, B).

Les rapporteurs estiment qu'une solution doit rapidement être trouvée à ces différents enjeux. Si elle ne résout pas l'ensemble des problèmes structurels qui la précédaient, il paraît légitime d'attendre qu'une réponse puisse être apportée aux difficultés strictement pratiques qu'elle a engendrées.

Proposition n° 1 - Réaliser au plus vite les ajustements des fonctions support imposés par la réforme, en particulier dans le domaine numérique.

Proposition n° 2En vue d'achever la mise en place des services interdépartementaux de la police judiciaire (SIPJ), prévoir un mécanisme de compensation lorsque celle-ci entraîne une perte de l'avantage spécifique d'ancienneté (ASA).

De manière plus générale, dans l'hypothèse de nouvelles réformes de structures d'autres administrations, la commission ne peut que réitérer ses préconisations émises en 2023, à savoir la nécessité de prévoir systématiquement une phase d'expérimentation préalable, un temps de travail « masqué » pour poser les jalons matériels, juridiques et financiers indispensables à sa réussite ainsi qu'un dispositif de concertation et d'accompagnement robuste de l'ensemble des parties prenantes.


* 22 Décret n°95-313 du 21 mars 1995 relatif au droit de mutation prioritaire et au droit à l'avantage spécifique d'ancienneté accordés à certains agents de l'État affectés dans les quartiers urbains particulièrement difficiles.

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