EXAMEN EN COMMISSION
MARDI 8 JUILLET 2025
M. Olivier Henno, président. - Pour la dernière réunion de notre commission d'enquête, avant la conférence de presse, nous procédons à l'examen du projet de rapport.
Je voudrais commencer cette intervention en remerciant chaleureusement l'ensemble des membres de cette commission pour leur disponibilité. Je salue particulièrement le rapporteur, qui a mené nos travaux avec pour fil conducteur l'intérêt des collectivités territoriales et la défense du principe de libre administration, le coeur du métier du Sénat. Je remercie également notre collègue Brigitte Hybert, qui nous a transmis une contribution écrite.
Nous avons mené un travail pluraliste, sans a priori, animé par la recherche du consensus et du pragmatisme, au service de l'intérêt de nos concitoyens, des collectivités et de la transition écologique.
Dans un délai contraint par le calendrier parlementaire, nous avons pu, je crois, aborder tous les aspects d'une problématique large : la libre administration des collectivités territoriales, privées progressivement de leurs recettes propres, et les leviers à mobiliser demain face aux défis de l'investissement dans la transition écologique et les services publics de proximité. Peut-être aurions-nous pu consacrer plus de temps aux services publics de proximité ; mais je crois que nous avons entendu tous les principaux protagonistes de notre sujet.
Nous avons examiné les défis auxquels sont confrontées les collectivités territoriales. Nous avons étudié les conséquences des réformes fiscales décidées ces dernières années, les difficultés que cela soulève en termes de visibilité budgétaire et donc d'incitation à investir massivement pour répondre aux besoins en matière de services publics locaux et aux enjeux de la transition écologique. Nous avons aussi cherché à comprendre ce qui fait obstacle au rétablissement d'un lien de confiance entre l'État et les collectivités territoriales et aux moyens de redonner à ces dernières des capacités d'action.
Il me revient de vous rappeler une dernière fois le formalisme imposé par une commission d'enquête et les règles de procédure applicables à la présente réunion. Nous devons respecter la parfaite confidentialité de nos échanges, à l'instar d'un conclave. Il est du devoir de chacun d'entre vous de contribuer au secret de nos travaux jusqu'à la publication de nos conclusions.
Le rapport sera donc placé sous embargo pendant vingt-quatre heures à compter de la fin de cette réunion. Durant cette période, il ne pourra être consulté qu'aux fins de solliciter la réunion du Sénat en comité secret, à huis clos, pour statuer sur la publication ou la non-publication de l'ensemble du texte ou de certains passages.
Cet embargo sera prolongé jusqu'à la publication de notre rapport, jeudi 10 juillet, date à laquelle les résultats de nos travaux seront présentés en conférence de presse, à 10 heures. D'ici là, rien ne doit filtrer à l'extérieur, ce qui proscrit toute communication à la presse, à des tiers ou sur les réseaux sociaux.
Tous ceux qui contreviendraient à cette règle s'exposeraient à des sanctions fondées sur le code pénal, notamment l'article 226-13, qui prévoit des peines d'emprisonnement en cas de divulgation, dans les vingt-cinq ans, de toute information relative à une partie non publique des travaux d'une commission d'enquête, et sur notre Règlement. Le président du Sénat a rappelé à plusieurs reprises l'interdiction absolue de toute publicité anticipée, même de quelques minutes, sur les rapports ou les conclusions des commissions d'enquête.
Veillons à respecter ces règles, pour des raisons à la fois juridiques et institutionnelles.
La consultation du rapport a été organisée entre le 1er et le 7 juillet. Près de la moitié d'entre nous ont consulté le rapport à cette occasion.
Après l'intervention du rapporteur, ceux d'entre nous qui le souhaitent pourront s'exprimer. Nous procéderons ensuite à l'examen des éventuelles propositions de modification, suivies du vote sur ces propositions, puis sur les recommandations et le titre du rapport. Enfin, nous voterons sur l'adoption et la publication du rapport.
Les groupes politiques peuvent présenter une contribution qui sera annexée au rapport : celle-ci doit être d'une longueur maximale d'une dizaine de pages. Le délai limite pour le dépôt de ces contributions est fixé au 9 juillet, à 17 heures.
Je propose également que le compte rendu de la présente réunion soit, lui aussi, annexé au rapport de la commission d'enquête.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Je tiens à remercier M. le président pour la façon dont il a conduit les travaux de notre commission d'enquête, ainsi que l'ensemble des commissaires pour leur disponibilité et leur engagement.
Ma présentation du rapport s'articulera autour de quatre grands axes et de 16 recommandations destinées à redonner aux collectivités territoriales les moyens d'assumer leurs missions sans dépendre de décisions nationales.
Notre première tâche a été d'établir un constat. Il est sans appel : toutes les structures représentant les collectivités territoriales nous ont alertés sur la dégradation de leur situation financière.
En cause, les réformes fiscales engagées depuis près de dix ans, à commencer par la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales (THRP) et la suppression annoncée de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), qui ont complètement redéfini le panier de recettes des collectivités, leurs incitations économiques et les liens avec leurs administrés.
Certes, différentes mesures de compensation ont été introduites pour neutraliser, au moins à court terme, ces réformes, mais leurs effets viennent s'ajouter à des mesures antérieures - modalités de compensation des transferts de compétences, évolutions de la dotation globale de fonctionnement (DGF), réformes fiscales - : l'ensemble constitue un paysage de moins en moins lisible.
Les effets de ces réformes dépassent par ailleurs le simple aspect financier. En limitant le nombre de leviers fiscaux des collectivités, elles restreignent leur autonomie financière réelle, les leviers restants ne pouvant être indéfiniment actionnés au risque de devenir confiscatoires.
Ces réformes brisent par ailleurs le lien contributif - cette conséquence n'a pas été anticipée. Tous les acteurs ont souligné l'atténuation ou la disparition des liens contributifs habituels entre les ménages et les entreprises, d'un côté, et les collectivités locales, de l'autre.
Ce diagnostic sévère rejoint malheureusement l'opinion dominante en matière de finances publiques locales, à savoir le constat d'un système à bout de souffle.
C'est pourquoi nous avions décidé lors de nos précédentes réunions de recommander une remise à plat de ce système.
Cette situation est aussi le fruit d'un cadre juridique insuffisamment protecteur : le principe d'autonomie financière issu de la révision constitutionnelle de 2003 s'est révélé être une « coquille vide ».
Telle qu'initialement envisagée par le constituant, la révision opérée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République visait un objectif clairement identifié : l'instauration d'un cadre constitutionnel plus protecteur pour les finances locales et le pouvoir fiscal des collectivités territoriales.
Alors qu'il était censé constituer un frein à la recentralisation financière et au recul de la fiscalité locale, le principe d'autonomie financière inscrit à l'article 72-2 de la Constitution a été vidé de sa substance par la loi organique du 29 juillet 2004 prise en application de l'article 72-2 de la Constitution relative à l'autonomie financière des collectivités territoriales, et son interprétation par le Conseil constitutionnel. En effet, ont été artificiellement incluses dans la catégorie des « ressources propres » des collectivités, des impositions sur lesquelles elles n'ont pas leur mot à dire et ne disposent d'aucun pouvoir de taux ou d'assiette.
Inaptes à protéger le pouvoir fiscal des collectivités, ces nouvelles dispositions juridiques ont, de surcroît, souffert d'une interprétation très restrictive de la part du Conseil constitutionnel.
Se refusant à reconnaître un principe d'autonomie fiscale, le juge constitutionnel s'est borné, depuis deux décennies, à considérer que la réduction des ressources propres des collectivités résultant des lois qui lui ont été déférées n'était pas d'une ampleur suffisante pour entraver leur libre administration.
Le législateur a pu, au fil des réformes de la fiscalité locale, réduire de manière croissante et ininterrompue les marges de manoeuvre fiscales et financières des collectivités, sans risquer la moindre censure de la part du Conseil, dont le contrôle s'est restreint à vérifier le respect des fameux « ratios d'autonomie financière », définis par la loi organique de 2004 : ils sont aujourd'hui supérieurs à 70 % pour chaque strate.
Résultat, les leviers de financement dont disposent les collectivités ne sont pas à la hauteur des enjeux, qu'il s'agisse du maintien des services publics de proximité ou du financement de la transition écologique.
De par leurs compétences, leur patrimoine, leurs infrastructures stratégiques et leur vulnérabilité aux effets du dérèglement climatique, les collectivités sont pourtant en première ligne face aux défis du XXIe siècle : maintenir des services publics de proximité, contribuer à la rénovation énergétique des bâtiments, développer les transports en commun, garantir la préservation des espaces naturels, la gestion de l'eau et des déchets, bref, adapter les territoires aux conséquences déjà visibles du dérèglement climatique...
À ces besoins massifs s'ajoutent les projections robustes de la littérature économique : les collectivités devront plus que doubler chaque année leur niveau actuel d'investissements climatiques à l'horizon 2030, selon la trajectoire bas-carbone définie sur le plan national.
En résumé, il existe un décalage croissant entre les besoins, les objectifs des stratégies gouvernementales et les leviers de financement disponibles.
Une fois posé ce constat d'un mur d'investissements à anticiper à très court terme par les collectivités territoriales, la question des leviers de financement mobilisables se pose avec acuité. Il est frappant de relever que, en matière d'objectifs de neutralité carbone et d'adaptation au dérèglement climatique, les trajectoires définies par le Gouvernement - stratégie nationale bas-carbone (SNBC), plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc) - ne reposent sur aucune analyse économique ni financière qui mettrait en regard, d'un côté, une évaluation approfondie des investissements locaux à réaliser, et, de l'autre, les sources de financement associées. C'est pourquoi je vous soumettrai tout à l'heure trois recommandations visant à mieux articuler ces stratégies nationales et les interventions locales.
Que faire dans ce contexte que je viens de décrire ?
Nous proposons trois axes de réponse : redonner un cadre protecteur aux collectivités ; rétablir la confiance entre l'État et les collectivités territoriales ; rendre des capacités d'action aux collectivités territoriales.
Premier axe de nos propositions : redonner un cadre protecteur aux collectivités.
L'ambition est grande, mais il est clair que, pour redonner un cadre protecteur aux collectivités, il faudra rénover le cadre constitutionnel, avec pour objectif prioritaire de protéger l'autonomie des collectivités territoriales, en recettes et en dépenses.
La première étape sera la consécration d'un principe d'autonomie fiscale. La commission d'enquête doit recommander une rénovation du cadre constitutionnel et organique, indispensable pour sanctuariser les marges de manoeuvre fiscales que les collectivités ont conservées.
Je vous ferai une proposition en ce sens, prévoyant qu'une part significative des ressources des communes doit provenir d'impositions sur lesquelles celles-ci disposent d'un pouvoir de taux ou d'assiette.
Ces dispositions seraient précisées par le législateur organique afin d'abolir les ratios actuels et de faire en sorte que la part des ressources fiscales sur lesquelles les collectivités bénéficient d'une autonomie ne puisse être inférieure au niveau constaté en 2024. Cette proposition répond à une demande exprimée lors de nos précédentes réunions.
Une approche complémentaire a également été évoquée durant nos travaux : il s'agirait de garantir une « autonomie en dépense » en permettant aux collectivités de faire face à leurs dépenses contraintes.
La reconnaissance d'une telle « autonomie en dépense » consisterait à identifier le montant des dépenses obligatoires - celles qui leur sont imposées par la loi - et à garantir aux collectivités un niveau de ressources suffisant pour les couvrir, tout en disposant d'une marge de manoeuvre pour financer des dépenses propres, reflétant de réels choix en matière de financement des services publics locaux.
Parallèlement, la dégradation de la situation financière des collectivités, à commencer par celle des départements, est liée à l'absence de réévaluation des compensations versées au titre des transferts de compétences.
La commission d'enquête pourrait aussi préconiser la mise en place, via une modification des dispositions constitutionnelles et organiques, d'une procédure de réexamen régulier du montant de ces transferts, afin de préserver les marges de manoeuvre financières des collectivités.
Deuxième axe de nos propositions, rétablir des relations de confiance entre l'État et les collectivités locales.
Le sujet n'est pas nouveau. Il avait déjà été abordé voilà quinze ans à la fois par Gilles Carrez, dans un rapport remis au Gouvernement, et par nos anciens collègues Yves Krattinger et Roland du Luart, dans l'un des premiers rapports d'information de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.
La situation n'a fait que se dégrader depuis, qu'il s'agisse des compensations de transfert de compétences, des réformes de la fiscalité locale ou des investissements que les collectivités territoriales doivent réaliser.
Le constat est aujourd'hui partagé par le plus grand nombre : les enjeux auxquels sont confrontées les finances des collectivités locales justifient la mise en place d'une instance de dialogue dotée de compétences étendues, afin de s'assurer que les élus soient suffisamment associés aux décisions affectant les finances locales.
Afin de donner un nouveau souffle au dialogue entre État et collectivités, la commission propose ainsi la création d'une nouvelle instance dotée de prérogatives renforcées : le conseil d'orientation des finances locales.
Composée de représentants des collectivités territoriales et de l'État, cette nouvelle instance remplacerait le Comité des finances locales (CFL) et l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL).
Doté d'un rôle d'expertise et de production de données financières fiables et partagées sur les finances locales, le nouveau conseil d'orientation des finances publiques bénéficierait de moyens et d'une expertise de haut niveau.
L'objectif est clair : il s'agit de disposer d'une structure qui dispose de compétences renforcées par rapport à l'actuel CFL.
Parallèlement, afin de mieux structurer le dialogue au sein de chaque strate de collectivités, la commission d'enquête propose de créer, au sein de ce nouveau conseil, des conférences territoriales représentatives de chaque niveau de collectivités territoriales.
Ces conférences, qui interviendraient à l'issue du vote de la loi de finances de l'année, seraient investies d'un rôle en matière de définition de répartition des fractions d'impôts nationaux affectés, de répartition des dotations de l'État et de renforcement des mécanismes de péréquation horizontale.
Troisième axe : rendre des capacités d'action aux collectivités.
Ce cadre protecteur et ce dialogue rénové doivent permettre aux collectivités d'assurer leurs missions, de financer les services publics locaux et de mener une politique d'investissement en adéquation avec les attentes de nos concitoyens.
Il convient donc, une fois le cadre rénové, de se pencher sur le « nerf de la guerre » et d'identifier les ressources financières qui permettront à chaque collectivité de préparer l'avenir.
Le contexte budgétaire doit nous conduire à prioriser les dispositifs à plus fort rendement, ceux pour lesquels un euro investi produira les effets les plus probants. En matière de transition écologique, une forte hétérogénéité des coûts à la tonne de CO2 évitée est observée : alors que le coût de certains dispositifs se chiffre à plusieurs centaines d'euros par tonne de CO2 évitée, un dispositif a fait l'unanimité parmi l'ensemble des acteurs entendus, le fonds chaleur, avec un coût situé entre 19 et 36 euros par tonne de CO2, selon le périmètre retenu.
Pourtant, les crédits de ce fonds ont été menacés lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025 : il apparaît donc nécessaire, d'une part, de systématiser des évaluations de politique publique qui permettent de comparer leur efficacité relative, et, d'autre part, de privilégier les instruments qui ont fait leurs preuves.
Le Gouvernement a annoncé, fin avril 2025, une « fusion de dotations de soutien à l'investissement », envisageant de fusionner le fonds vert avec certaines dotations de soutien à l'investissement de la mission « Relations avec les collectivités territoriales ». Les travaux de la commission d'enquête ont permis de faire ressortir la valeur ajoutée du fonds vert, créé en 2023 pour financer les projets des collectivités territoriales en lien avec la transition écologique. Le fonds répond à un besoin urgent de financement des collectivités, notamment pour la rénovation des bâtiments publics.
Le rapprochement de ces différentes dotations n'est pas infondé. Une part significative des dotations de la mission précitée contribue au financement des projets favorables à l'environnement, et, dans la pratique, il arrive déjà que des dossiers déposés au titre du fonds vert soient basculés sur la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ou la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), et réciproquement.
Toutefois, avant toute fusion, il convient au préalable de s'intéresser au périmètre de ces dotations et notamment de recentrer le fonds vert sur les actions les plus utiles, en lien direct avec la transition écologique. Par ailleurs, l'objectif de simplification administrative n'implique pas nécessairement une fusion budgétaire : compte tenu des spécificités de la DETR, il convient de lui maintenir une ligne budgétaire séparée, sans préjudice du travail d'alignement des procédures et des calendriers actuellement en cours.
Passé ce travail d'évaluation, de priorisation et de ciblage, il conviendra de sanctuariser un socle de dotations d'investissement afin de conférer aux collectivités territoriales la visibilité nécessaire pour réaliser des investissements indispensables. Localement, ces dotations renforcées et sécurisées feraient l'objet d'un engagement formalisé entre les collectivités territoriales et l'État, en conférant aux contrats de relance et de transition écologique (CRTE) un volet financier suffisamment développé et contraignant.
Redonner des capacités d'action aux collectivités territoriales suppose également une fiscalité mieux adaptée à leurs compétences, pour donner à chaque strate les moyens d'agir.
Pour le bloc communal, nos travaux ont mis en exergue la difficulté pour les acteurs d'identifier une base satisfaisante pour un nouvel impôt territorial.
La concentration de la fiscalité du bloc communal sur un nombre plus restreint de contribuables met à terme en péril le consentement à l'impôt et casse le lien contributif. Plusieurs propositions existent pour rééquilibrer cette fiscalité, sans qu'aucune ne fasse consensus : restauration de la taxe d'habitation, imposition territorialisée sur le revenu, création d'un impôt forfaitaire local à la capitation... Les pistes sont nombreuses, mais pour ne pas accroître la pression fiscale, elles devront s'intégrer dans une refonte générale de la fiscalité locale, acceptée de tous.
Un point fait néanmoins l'unanimité : il est impératif que la fiscalité foncière puisse s'appuyer sur une assiette plus en phase avec la réalité économique du territoire. Le Sénat appelle de longue date à une révision des valeurs locatives cadastrales (VLC) des locaux d'habitation, dont la réalisation est repoussée chaque année. Les VLC sont vétustes et leur méthodologie favorise les territoires plus aisés. Des assiettes alternatives existent. Dans le cadre des auditions menées par la commission, le directeur de la législation fiscale a indiqué que le Gouvernement avait confié à l'inspection générale des finances (IGF) une mission sur le sujet. La question de l'assiette fiscale foncière occupe une place centrale dans les finances locales et constitue une problématique d'intérêt général. Aussi la commission recommande-t-elle au Gouvernement de rendre publiques les conclusions de cette mission.
La problématique est différente pour les départements : ils ont besoin de ressources plus prévisibles et d'un pouvoir de taux renforcé.
Contrairement au bloc communal, le consensus est plus apparent sur la question de la fiscalité départementale. Il ressort en effet des positions publiques prises par les acteurs et des auditions menées par la commission qu'il serait souhaitable d'attribuer aux départements une fraction de la contribution sociale généralisée (CSG). Cette proposition présente deux vertus : elle permet, d'une part, d'atténuer la forte volatilité observée aujourd'hui sur les recettes de cette strate du fait de l'importance des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans le panier de recettes, et, d'autre part, d'attribuer une recette à vocation sociale, avec une assiette large, notamment pour répartir l'effort.
Quant aux régions, elles pourraient bénéficier d'une fiscalité plus territorialisée et plus recentrée sur l'économie.
En 2023, la principale recette fiscale des régions est une fraction non territorialisée de la TVA, un impôt national, qui représente 63 % de leurs ressources fiscales. Nous proposons de corriger le panier de ressources des régions, pour qu'il soit plus territorialisé et plus en ligne avec les compétences de cette strate, cheffe de file en matière de développement économique.
Une première proposition porte sur le transfert par l'État aux régions d'une fraction d'impôt sur les sociétés, proposition formulée dans la littérature et reprise par Régions de France. Si ces recettes sont volatiles, une part importante des dépenses des régions peuvent s'accommoder de tels mouvements, s'agissant d'investissements et de subventions. Toutefois, sur le plan technique, l'attribution d'un pouvoir de taux semble irréaliste et sujette à la concurrence fiscale et à l'optimisation : une répartition territorialisée sur la base de critères économiques permettrait d'assurer un côté incitatif pour les régions.
Une seconde proposition porte sur l'annulation de la suppression annoncée de la CVAE, dont le produit n'est plus reversé aux collectivités territoriales depuis le 1er janvier 2023. Or l'échéance de sa suppression complète a déjà été repoussée lors de l'examen des deux derniers projets de loi de finances.
La commission appelle à faire preuve de réalisme financier et à assumer le maintien de ce qu'il reste de CVAE. Le transfert de cette fiscalité aux régions doit permettre de reterritorialiser leurs recettes et de valoriser leur action en matière économique.
Enfin, il convient d'attribuer effectivement aux collectivités territoriales les financements qu'elles sont en droit d'exiger. En matière de transition écologique, une surprime a ainsi été instaurée au titre de la garantie contre les catastrophes naturelles, dite « CatNat ». Or la commission a pu constater un écart croissant entre le rendement de cette surprime - 450 millions d'euros en 2025 - et les actions de prévention qu'elle finance - 220 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2025. Si la discussion budgétaire au Sénat a permis de corriger le tir, la commission d'enquête recommande de s'assurer chaque année que le produit de cette surprime finance bien des actions de prévention des collectivités territoriales.
La commission relève par ailleurs la part toujours plus importante de la fiscalité transférée par l'État aux collectivités territoriales. Il est primordial que ce produit ne soit pas figé et que sa répartition corresponde aux réalités du territoire en s'appuyant sur deux recommandations de ce rapport, un conseil d'orientation des finances publiques qui établit des faits incontestables et des conférences territoriales décisionnaires pour s'accorder sur les montants des flux financiers.
En conclusion, la question d'un recours maîtrisé à l'endettement se pose.
La dette publique locale est stable depuis près de cinquante ans. Si la situation peut varier fortement d'une collectivité à l'autre, dans l'ensemble, une majorité de collectivités dispose d'une bonne capacité d'autofinancement et de marges supplémentaires pour s'endetter.
Les travaux de la commission incitent à la vigilance sur la question de la dette, a fortiori dans un contexte de dégradation de la situation financière des collectivités territoriales : une dette verte reste une dette et il ne s'agit pas de créer une « dette verte cachée », nichée dans des sociétés publiques locales (SPL) ou des sociétés d'économie mixte (SEM).
Il ressort toutefois des auditions menées que certaines collectivités peuvent s'appuyer sur leur situation plus favorable pour aller plus loin dans la transition écologique et mener à bien les investissements nécessaires en dix ans plutôt qu'en vingt-cinq ans. Le levier de la dette apparaît, en outre, particulièrement indiqué pour les projets présentant un retour sur investissement.
Telles sont les principales conclusions de nos travaux.
M. Olivier Henno, président. - Merci, monsieur le rapporteur, pour ce travail de qualité. S'agissant de la nécessité de donner un nouveau souffle au dialogue entre l'État et les collectivités, je note que les nombreux rapports consacrés à ce sujet - dont le rapport d'Éric Woerth remis en mai 2024 - ont souvent eu pour conclusion qu'il fallait écarter la piste d'un nouveau choc de décentralisation.
Or il me semble que cette question se posera, car, au-delà des difficultés rencontrées par les collectivités, c'est bien le système français dans son ensemble qui est à bout de souffle : un tel choc de décentralisation n'est donc pas seulement nécessaire pour les collectivités, mais pour le pays dans son ensemble. Dans un contexte de choc des empires, l'État a en effet vocation à se concentrer sur ses fonctions régaliennes - la défense, la sécurité -, tandis que d'autres politiques - la réindustrialisation, le logement, la transition écologique - pourraient être plus efficaces si elles étaient menées de manière plus autonome par les collectivités.
Au-delà des propositions portées par le rapport, je pense que nous serons amenés à remettre l'ouvrage de la décentralisation sur le métier.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Il me paraît malaisé de prendre connaissance de ce rapport pendant notre réunion alors que nous devons le rendre en quittant la salle. Je m'interroge sur la méthode.
M. Olivier Henno, président. - Ce rapport était consultable du 1er au 7 juillet, et nous appliquons les règles valables pour toutes les commissions d'enquête.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Cette règle n'est pas satisfaisante.
M. Olivier Henno, président. - Nombre de membres de notre commission ont consulté le rapport dans ce laps de temps.
M. Jean-Baptiste Blanc. - J'en prends note. Je souscris à l'idée d'un choc de décentralisation évoquée par le président et me demande s'il ne faudrait pas aller plus loin dans les recommandations. S'il est question de trouver une fiscalité adaptée aux compétences des collectivités - dont celles qui sont liées à la transition écologique, puisque tel est l'objet de la commission d'enquête -, peut-être qu'il convient de ne pas attendre des réponses de l'État, car les collectivités sont placées sous perfusion, à leur détriment.
Aussi, la recommandation n° 1 ne devrait-elle pas faire apparaître l'adjectif « propres » s'agissant des ressources ? De la même manière, ne faudrait-il pas décliner leurs compétences, en rappelant que certaines sont liées à la transition écologique ? Enfin, nous pourrions essayer de définir un montant suffisant pour pouvoir réellement parler de « ressources propres ».
Toujours dans cette optique, je ne suis pas opposé aux recommandations n° 14 et n° 15, mais celles-ci reviennent à accepter un partage de l'impôt avec l'État, alors que des impôts locaux propres seraient préférables, d'autant que nous devons financer l'exercice de nouvelles compétences.
Par ailleurs, les recommandations nos 7, 8 et 9 ne pourraient-elles pas être étendues à l'ensemble des documents de planification, en prévoyant systématiquement d'y faire figurer un volet financier et fiscal ? Je pense notamment au schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) et à l'objet flottant qu'est la conférence des parties (COP) régionale.
Concernant la recommandation n° 2, qui vise à consacrer un principe constitutionnel d'autonomie fiscale, je pense qu'il faudrait être plus précis et indiquer s'il est question de l'assiette, du taux ou encore d'une déliaison - demandée par les élus locaux. La simple consécration d'un principe ne me semble en effet pas suffisante.
En conclusion, je salue la qualité de ce travail et de nos échanges.
M. Cédric Chevalier. - Monsieur le rapporteur, j'ai le sentiment que le bloc communal n'apparaît guère dans ce travail, la réflexion relative à l'autonomie financière semblant centrée sur les départements et les régions.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je vous remercie pour ce travail, qui n'a rien d'évident compte tenu de la masse d'informations à compiler et de la nécessité d'avancer conjointement, par-delà nos différences.
Je ne saurais trop m'associer aux remarques de Jean-Baptiste Blanc, et j'aurais également tendance à juger la tonalité du rapport trop sage, alors qu'il me paraîtrait nécessaire de pousser les curseurs. Par exemple, qualifier la réforme de 2003 de « rendez-vous manqué » n'est pas suffisant puisqu'il s'est agi d'un véritable enfumage : il faut bien comprendre que certaines forces sont opposées à ce que nous pensons collectivement ici, nonobstant nos différences.
Par ailleurs, je ne pourrais jamais supporter que l'on confonde les intercommunalités avec des collectivités de plein exercice. Que deux représentants des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) siègent au sein du conseil d'orientation des finances locales pour quatre représentants des maires, passe encore ; mais on ne peut pas, au-delà, tolérer une telle confusion.
Cette proposition est en effet doublement critiquable : d'une part, car elle est inconstitutionnelle ; d'autre part, car elle donne du grain à moudre à ceux qui souhaitent la fin des communes et des départements. Une fois encore, les communautés de communes ou d'agglomération ne sont pas des collectivités de plein exercice, et il faut les distinguer sémantiquement.
Sur un autre point, les outre-mer sont totalement absents du rapport, et je m'étonne qu'aucun de nos collègues ultramarins n'ait participé à nos travaux.
Mme Brigitte Devésa. - Je remercie également le rapporteur et souhaite m'assurer que les communes sont bien concernées par la recommandation n° 10 relative à la sanctuarisation d'un socle de dotations d'investissement en faveur des « collectivités territoriales ». Vous citez, sur ce point, l'exemple du fonds chaleur, mais j'aurais préféré disposer d'autres illustrations, ce qui nous aurait permis de gagner en clarté, d'autant que le contexte budgétaire contraint doit nous conduire à prioriser certains dispositifs.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Monsieur Blanc, les ressources propres sont abordées dans le cadre de la recommandation n° 2, qui consacre le principe d'autonomie fiscale des collectivités et qui englobe, à mes yeux, les problématiques de taux et d'assiette. Certes, nous ne sommes pas allés très loin dans la rédaction, ce principe ayant vocation à être affiné ultérieurement, dans le cadre d'une proposition de loi constitutionnelle ou d'une proposition de loi organique.
Nous aurions pu, par ailleurs, multiplier les exemples de documents de planification. Parmi les trois exemples cités, la stratégie pluriannuelle des financements de la transition écologique (Spafte) intègre un certain nombre d'aspects.
Concernant la place du bloc communal, les recommandations sont effectivement plus précises s'agissant des départements et des régions, aucun consensus n'ayant émergé quant à la perspective d'un retour d'une fiscalité à l'échelle communale, malgré les nombreux débats que nous avons pu avoir au cours de nos auditions. Le ministre de l'aménagement du territoire et de la décentralisation est lui-même resté assez flou à ce sujet, ce qui nous a amenés à présenter une série de pistes, mais sans exprimer de préférence pour l'une d'entre elles.
Je vous rassure, par ailleurs, sur les communes, qui sont bien englobées dans la formule « collectivités territoriales ».
De manière générale, j'entends vos remarques sur la tonalité du rapport, mais nous avons souhaité produire un document qui fasse consensus, étant rappelé que les groupes sont libres de proposer des contributions.
Pour ce qui est de la composition du conseil d'orientation des finances locales, je vous propose de supprimer le paragraphe qui détaille sa composition, puisqu'il ne nous appartient pas de fixer cette dernière. Un travail ultérieur permettra d'affiner le fonctionnement de cette interface indispensable entre les collectivités et l'État.
J'en viens aux dotations : il s'agit avant tout de mieux les évaluer et de mieux les cibler dans la mesure où elles ne produisent pas systématiquement l'effet de levier attendu. Nous n'avons effectivement pas détaillé tous les dispositifs aidés par le fonds vert, l'idée globale étant de s'assurer de l'efficacité des dotations et de les objectiver, afin de les maintenir dans un contexte où la transition écologique peut faire l'objet d'ajustements budgétaires.
Enfin, l'analyse de la réforme constitutionnelle de 2003 n'a pas été poussée très loin, bien que plusieurs personnes auditionnées, notamment lors des tables rondes avec les universitaires, aient pu longuement évoquer l'« enfumage » que vous mentionniez.
M. Olivier Henno, président. - Venons-en à l'examen des propositions de modification.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Comme indiqué précédemment, je vous propose de retirer, à la page 63, le paragraphe qui détaille la composition du conseil d'orientation des finances locales, car il ne nous appartient pas d'aller jusqu'à ce niveau de précision, ni d'imposer aux acteurs la façon dont ils sont représentés.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je loue tout à fait ce souci diplomatique, mais, si le Sénat n'a pas vocation à dicter ses vues, il peut émettre des recommandations. Nous pourrions ainsi, sans préciser le nombre de représentants, en définir la liste, en maintenant bien la distinction entre les collectivités de plein exercice et les autres catégories.
Très concrètement, nous pourrions mentionner les « parlementaires » à la place des « députés et sénateurs », les « représentants des collectivités de plein exercice », les « représentants des intercommunalités » et enfin les « représentants de l'État ».
La proposition du rapporteur, amendée par M.Hugonet , est adoptée.
M. Jean-Baptiste Blanc. - S'agissant de la recommandation n° 2, je propose de préciser que les ressources des collectivités territoriales doivent être à la fois « propres » et « suffisantes ».
La proposition de modification de M. Jean-Baptiste Blanc est adoptée.
M. Christian Redon-Sarrazy. - La recommandation n° 3 mentionne les dépenses contraintes : j'y ajouterais volontiers les « charges », qui recouvrent, par exemple, les réévaluations du point d'indice.
La proposition de modification de M. Christian Redon-Sarrazy est adoptée.
M. Jean-Baptiste Blanc. - J'en reviens aux documents de planification : sans en dresser une liste exhaustive, nous pourrions préciser qu'ils devraient comporter un volet économique et financier.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - La formule « et tout autre document de planification » pourrait être ajoutée au niveau de la recommandation n° 7 après « Pnacc ».
La proposition de modification de M. Jean-Baptiste Blanc est adoptée.
Mme Marie-Claude Varaillas. - S'agissant de la recommandation n° 4, que faut-il entendre par « réexamen régulier » des compensations financières versées aux collectivités territoriales au titre des compétences transférées ? Ces dernières pourraient-elles être révisées à la hausse ?
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Oui. Ce réexamen serait effectué par le conseil d'orientation des finances locales.
M. Olivier Henno, président. - Précisons qu'il s'agit d'une simple recommandation, qui ne sera pas forcément suivie d'effets. Je rappelle qu'un ministre avait évoqué des compensations « à l'euro près » au cours de débats précédents portant sur les transferts de compétences...
Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Nous en arrivons au titre du rapport. Je vous soumets trois propositions : « Réformes de la fiscalité locale : vers le déclin de la libre administration des collectivités ? » ; « Ressources des collectivités locales : la libre administration perdue » ; ou, enfin, « Les collectivités locales sont-elles encore libres de s'administrer ? »
Mme Brigitte Devésa. - Le premier titre contient l'idée de déclin, ce qui me convient.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - Les différentes réformes ont entraîné un déclin de la libre administration, comme le démontre le rapport.
M. Jean-Baptiste Blanc. - Je préférerais un titre plus positif.
M. Christian Redon-Sarrazy. - Donnons de l'espoir, au-delà d'un constat négatif.
M. Thomas Dossus, rapporteur. - La tonalité de certaines auditions était assez pessimiste.
M. Olivier Henno, président. - La situation n'est en effet guère enthousiasmante.
M. Jean-Raymond Hugonet. - Je suggère le titre suivant : « Libre administration des collectivités : une urgence démocratique et écologique. »
Le titre du rapport, ainsi modifié, est adopté.
La commission d'enquête adopte, à l'unanimité, le rapport ainsi modifié et en autorise la publication.
Il est décidé d'insérer le compte rendu de cette réunion dans le rapport.
TRAVAUX EN COMMISSION
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Les comptes rendus des auditions plénières de la commission d'enquête sont consultables via le lien suivant :