C. UNE RELATION CULTURELLE ET UNIVERSITAIRE SOLIDE
La coopération universitaire entre les deux pays est très développée. La question de la protection du climat et de la biodiversité en lien avec la forêt est au coeur des dynamiques, relancées en 2024 lors de la visite présidentielle. L'Institut de recherche pour le développement (IRD), présent depuis soixante ans, soutient l'observatoire d'hydrologie du bassin amazonien par une aide de douze millions d'euros. Des programmes entre le CNRS, l'IRD, l'INRAE et des institutions brésiliennes comme l'INPA ou l'EMBRAPA visent à développer des systèmes agricoles durables ou encore à cartographier et préserver la biodiversité.
En revanche, même avec 600 000 locuteurs francophones et 130 000 apprenants au Brésil, la francophonie semble en perte de vitesse dans le pays. Il n'y a que trois lycées français et le Brésil n'apparaît pas dans le catalogue de la francophonie. Plusieurs propositions de loi tendant à faire de l'espagnol la deuxième langue obligatoire ont récemment été déposées au Brésil. Consciente de l'enjeu, l'AEFE a décidé de faire du pays l'une de ses dix priorités, avec l'extension des filières bilingues françaises dans les lycées brésiliens. Cependant, les effets des coupes dues à la situation budgétaire s'annoncent majeurs, notamment pour l'AEFE et l'Agence universitaire de la francophonie (AUF).
Il est nécessaire de poursuivre l'effort visant à une meilleure prise en compte du nombre élevé de locuteurs francophones au Brésil
D. LA LUTTE CONTRE LA CRIMINALITÉ ORGANISÉE : PASSER À LA VITESSE SUPÉRIEURE
1. Les fléaux du narcotrafic et de l'orpaillage illégal
Bien qu'il n'en soit pas producteur contrairement à ses voisins et en particulier au Pérou, le Brésil est depuis les années 2010 l'une des principales plateformes mondiales d'exportation de cocaïne. Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le Brésil est à lui seul à l'origine de 25 à 30 % des flux vers l'Europe, via les ports d'Anvers, de Rotterdam et du Havre ou par avion.
Les organisations criminelles qui gèrent ce trafic sont nombreuses et parfois tentaculaires, comme le « Primeiro Comando da Capital » (PCC) qui dispose d'extensions en Guyane. C'est l'une des causes de la forte insécurité dans le pays, qui se traduit par un nombre très élevé de crimes et en particulier d'homicides.
L'orpaillage illégal est également une activité en forte expansion en Amazonie. L'or alimente une chaîne logistique mondiale à la traçabilité défaillante. Les factions criminelles contrôlent l'accès aux sites, la logistique et le blanchiment. La pollution au mercure est massive et contamine les populations locales via l'alimentation. L'orpaillage est également responsable d'une partie significative de la déforestation.
Les conséquences catastrophiques de l'orpaillage illégal au Brésil
En 2023, l'Institut National de Recherches Spatiales (INPE) brésilien et l'ONG MapBiomas ont estimé que plus de 3 000 sites illégaux étaient actifs en Amazonie brésilienne. La superficie occupée par les activités aurifères illégales a plus que doublé entre 2010 et 2022, atteignant plus de 100 000 hectares.
Les zones les plus touchées sont les états d'Amazonas, de Pará, du Mato Grosso et surtout de Roraima, avec le territoire indigène Yanomami comme épicentre majeur. Le territoire Yanomami, de plus de 96 000 km², est le plus vaste territoire indigène du pays. Plus de 20 000 orpailleurs illégaux y étaient présents début 2023. Des centaines enfants y meurent de de malnutrition et de maladies évitables. Des foyers de paludisme, tuberculose et IST ont été signalés en hausse dans les zones d'orpaillage.
L'utilisation du mercure pour amalgamer l'or est massive : selon l'ONG WWF Brésil, plus de 100 tonnes de mercure sont déversées chaque année dans les fleuves amazoniens. Le mercure contamine la chaîne alimentaire, affectant particulièrement les populations indigènes qui consomment du poisson local. 6 personnes sur 10 dans les communautés indigènes testées dépassent les seuils d'exposition. En outre, l'orpaillage illégal est responsable d'environ 10 % de la déforestation annuelle en Amazonie brésilienne. Il s'accompagne en effet de routes clandestines, pistes d'atterrissage illégales, et petits barrages, qui en augmentent l'impact écologique.
L'orpaillage illégal est hautement structuré : il implique des groupes criminels comme le Primeiro Comando da Capital (PCC). L'or extrait est souvent blanchi via des comptoirs aurifères légaux, avec de faux documents de traçabilité. Selon certains rapports, la moitié de l'or exporté par le Brésil pourrait avoir une origine illégale.
Sous Bolsonaro (2019-2022), on assiste à une tolérance à l'orpaillage illégal, avec une réduction des budgets de l'Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables et de la Fondation nationale des Peuples Indigènes. On constate également une forte augmentation de la déforestation (+75 % entre 2018 et 2022). Depuis le retour de Lula en janvier 2023 ont lieu des opérations fédérales coordonnées de lutte contre l'orpaillage illégal, notamment l'« Opération Yanomami », avec l'expulsion de milliers d'orpailleurs, la saisie et la destruction de bateaux, de machines, de carburant et d'or, ainsi que des opérations sanitaires. L'État a repris le financement de l'IBAMA.
L'orpaillage illégal est transfrontalier, notamment dans la zone de l'Oyapock, à la frontière avec la Guyane française. Des groupes opérant au Brésil se déplacent vers la Guyane selon les pressions étatiques, rendant la coopération bilatérale stratégique. Les présidents Macron et Lula, lors de la visite de mars 2024 à Belém, ont ainsi relancé une commission mixte transfrontalière pour lutter contre l'orpaillage et la criminalité environnementale.
Les perspectives d'amélioration durable de la situation passent par le renforcement de la traçabilité de l'or (numérisation des documents de traçabilité, mécanismes de certification internationale) et par le soutien à l'économie légale locale, avec le développement de la bioéconomie pour offrir des alternatives aux populations dépendantes de l'orpaillage.
2. Une coopération en progression avec la France pour contrer ces activités criminelles
La frontière entre la Guyane française et le Brésil est une zone de transit importante pour l'or et la drogue, ainsi que pour les organisations criminelles. La coopération transfrontalière est déjà significative entre les deux pays. En particulier, le Centre de coopération policière et douanière (CCP) de Saint-Georges, rattaché au Commandement de la gendarmerie de la Guyane, accueille deux agents de la police fédérale brésilienne. Des « opérations-miroir » sont menées avec les forces brésiliennes afin de rechercher des individus impliqués dans l'orpaillage illégal et de lutter contre le trafic de marchandises via l'Oyapock. Le CCP a ainsi permis de systématiser les échanges policiers et judiciaires. Plusieurs évolutions positives récentes peuvent être signalées dans ce domaine, répondant d'ailleurs à des recommandations faites par le rapport du Sénat sur le Brésil il y a deux ans :
- La commission mixte transfrontalière, réunissant les institutions fédérales brésiliennes, celles de l'État de l'Amapá et de la France, a récemment prévu une augmentation des effectifs du CCP avec l'intégration de nouveaux agents militaires et civils brésiliens ;
- Une nouvelle convention d'entraide judiciaire, votée par le Sénat en juin 2025, est en voie d'être définitivement adoptée. Elle autorise les formes les plus modernes de l'entraide judiciaire : investigations bancaires, saisies et confiscations des avoirs criminels, interceptions téléphoniques, livraisons surveillées, poursuites transfrontalières et formation d'équipes communes d'enquêtes ;
- La signature d'un accord de transfert pénitentiaire des détenus brésiliens condamnés vers le Brésil est sans doute imminente, le président de la République venant d'en faire la condition de la suppression des visas entre Brésil et Guyane. Ceci éliminera au passage l'un des principaux irritants de la relation bilatérale.
En ce qui concerne la lutte contre le narcotrafic en mer, la coopération existe mais pourrait être accrue, notamment dans le golfe de Guinée, où passent beaucoup de navires suspects venant du Brésil. Ce type d'interventions est une charge croissante pour la Marine française, engagée dans la région depuis 35 ans à travers l'opération Corymbe.
Par ailleurs, la sortie de la drogue du Brésil par voie aérienne via les « mules » guyanaises a été très fortement entravée depuis deux ans et demi en raison des arrêtés d'interdiction d'embarquer émis par le préfet de Guyane dans le cadre du dispositif « 100 % contrôle ». Ce traitement administratif préventif permet de préserver la chaîne pénale française de la saturation totale que les narcotrafiquants avaient organisée. Il a toutefois provoqué un report du trafic sur les Antilles : les saisies de cocaïne transportée par des voyageurs en provenance de celles-ci ont augmenté de 80 % en 2023 et de 40 % en 2024. De nouveaux contrôles ont déjà fait diminuer ce trafic, mais au profit de la liaison directe entre le Brésil et la France. De ce fait, la coopération avec le Brésil devient essentielle. Les moyens dont disposent la police et la douane françaises pour coopérer avec les autorités brésiliennes doivent donc être renforcés. Le Brésil a par ailleurs nettement progressé en amont sur le contrôle des flux routiers et sur la mise en place dans les ports de matériels permettant de scanner systématiquement les conteneurs. Les narcotrafiquants contournent toutefois ces mesures par le transport sous coque ou bien par bateaux de plaisance, usant de modes opératoires en constant renouvellement. On estime ainsi que seuls 10 % de la cocaïne sont saisis. Ceci met en exergue la nécessité d'une politique multidimensionnelle, qui débute dès le pays producteur.
L'approfondissement de la coopération en matière de lutte anti-drogue suppose ainsi un travail d'explication auprès des autorités brésiliennes et une mise en valeur des efforts accomplis par la France, aussi bien en mer que sur le territoire national (en Guyane et en métropole) pour contenir ce fléau