E. UNE RELATION DE COOPÉRATION DE DÉFENSE CONFIANTE ET APPROFONDIE

1. La poursuite du programme de sous-marins PROSUB

Au Brésil, la Délégation sénatoriale s'est rendue à Itaguaí pour évaluer la poursuite de PROSUB, programme de coopération pour le développement de la force sous-marine brésilienne prévoyant la construction d'un chantier et d'une base navale, de quatre sous-marins conventionnels de type Scorpène et d'une assistance technique, en particulier pour la coque, sur un futur sous-marin à propulsion nucléaire (et armement conventionnel)1(*), l'Alvaro Alberto. L'ensemble est mis en oeuvre par une joint-venture entre Naval Group et l'industriel brésilien Novonor, nommée Itaguaí Construções Navais (ICN). Deux sous-marins ont déjà été livrés par ICN, un autre le sera courant 2025 et le dernier en 2026 : il s'agit d'un beau succès industriel, de transfert technologique et de coopération avec le Brésil. PROSUB constitue ainsi un puissant levier pour la coopération et l'amitié franco-brésiliennes.

Mise à l'eau du sous-marin « Humaita »

Cependant, le programme accuse de nombreuses années de retard, notamment en ce qui concerne le sous-marin à propulsion nucléaire. Les coupes budgétaires brésiliennes parfois massives d'une année à l'autre, la complexité inhérente à un transfert de technologie réalisé quasiment à partir d'une feuille blanche et imposant la formation de très haut niveau de centaines de techniciens, les conséquences indirectes de l'affaire de corruption Odebrecht et de la crise du Covid sont les principaux facteurs à l'origine de ces retards. La complexité de l'élaboration du réacteur nucléaire compact par le Brésil, processus en cours depuis 45 ans, est également à relever. Le pays est enfin dans une situation budgétaire dégradée et le Président Lula, qui soutient fortement le programme, ne dispose pas de la majorité au Parlement. La livraison du sous-marin nucléaire a ainsi été progressivement décalée de 2025 à 2039.

Par ailleurs, afin de lisser l'activité du chantier d'Itaguai, nécessairement en baisse en raison de l'arrivée à terme du programme initial des quatre sous-marins conventionnels et du décalage de la production du sous-marin à propulsion nucléaire, et de préserver les compétences acquises, il serait utile que le chantier puisse à présent produire pour l'exportation, soit de sous-marins de type Scorpène, soit d'autres types de sous-marins ou de navires. L'Argentine, la Colombie et le Chili se montreraient intéressés par les Scorpène2(*). Une telle opération suppose toutefois la levée préalable de difficultés réglementaires et fiscales propres au Brésil, ce à quoi s'emploient actuellement les acteurs du programme.

Enfin, il existe des défis liés à la maintenance dans la durée des sous-marins, problématique que l'on retrouve dans d'autres programmes de transferts de technologies comme ceux en cours actuellement avec l'Inde.

Cette coopération en matière de sous-marins a une portée stratégique plus globale. Le Brésil dispose d'une façade maritime immense, avec 8 500 km de côtes et la ZEE associée, parfois qualifiée d'« Amazonie bleue ». La protection de cet espace, mission naturelle de la Marine brésilienne, s'accorde donc avec la diplomatie environnementale de la France, très centrée sur l'océan dans la période récente, avec notamment la tenue de la 3ème Conférence des Nations unies sur l'Océan de Nice en juin 2025 et la campagne pour la ratification du traité sur la haute mer (BBNJ). Le Brésil a par ailleurs pour objectif de se rapprocher des pays de la côte Ouest de l'Afrique, auxquels il est relié par la mémoire de l'esclavage. Toutefois, ses capacités maritimes limitées ne lui permettent pas pour le moment d'avoir une politique active d'arraisonnement des navires soupçonnés de transporter de la drogue en provenance du Brésil dans le Golfe de Guinée, type d'intervention au contraire de plus en plus souvent pratiquée par les navires français dans le cadre de l'opération Corymbe De futures coopérations pourraient cependant être envisagées dans ce domaine.

2. D'autres champs de coopération

La construction des Scorpène s'inscrit dans une coopération en matière d'armements plus large entre la France et le Brésil, incluant en particulier des hélicoptères. Une vente de cinquante hélicoptères construits par Hélibras (filiale à 100 % d'Airbus) avait ainsi été prévue dans l'accord stratégique signé en 2008. En raison des coupes budgétaires brutales imposées à partir de la récession de 2014, la livraison des derniers appareils a été reportée de 2017 à 2026 et la cible a été réduite à 47 appareils. En contrepartie, les crédits libérés ont permis de financer l'acquisition de vingt-sept hélicoptères d'entraînement (H125) pour la marine et l'armée de l'Air. Une commande supplémentaire de H145, qui permettrait à Helibras de créer une ligne de montage au Brésil, est également en réflexion.

Plus généralement, sur le plan des ventes d'armements, les autorités brésiliennes estiment que la relation commerciale avec la France est déséquilibrée. Si cette analyse apparaît exacte au regard de la seule balance commerciale, elle ne tient toutefois pas compte du fait que les ventes françaises, tant pour les sous-marins que pour les hélicoptères, sont liées à des programmes stratégiques et des transferts de technologies qui bénéficient dans la durée à la BITD brésilienne.

Par ailleurs, en tant qu'acteur non-aligné, le Brésil revendique une certaine autonomie stratégique et cherche à préserver une autonomie capacitaire lui permettant de ne pas intégrer d'alliances militaires. Cette ambition implique notamment un renouvellement de ses blindés, de ses systèmes de défense aérienne et de ses équipements pour les opérations en forêt équatoriale.

Toutefois, ces mesures sont entravées par des facteurs structurels. L'objectif de 2 % du PIB consacré à la défense, fixé par le Gouvernement brésilien, n'est pas perçu comme un enjeu important pour la population d'un pays habitué à ne pas avoir d'ennemi depuis 150 ans et qui est plutôt focalisé sur la lutte contre le trafic de drogues. L'absence de programmation budgétaire pluriannuelle robuste et de structure administrative comparable à la Direction générale de l'armement française (DGA) empêchent également une programmation efficace des dépenses, par ailleurs soumises à des régulations fréquentes et importantes. Les dépenses de fonctionnement (salaires, retraites) absorbent plus de 80 % du budget du ministère de la Défense. Enfin, la situation budgétaire du pays s'est dégradée et il devient difficile de mener de front la réduction de la pauvreté, essentielle dans un pays aux inégalités particulièrement fortes et priorisée par le Président Lula, et la montée en puissance de l'équipement des forces armées brésiliennes.

Les besoins des armées brésiliennes doivent continuer à être explorés par les entreprises françaises du secteur même si les difficultés budgétaires du pays font peser un aléa

L'armée brésilienne

Le Brésil dispose de la plus grande force armée d'Amérique latine, avec environ 330 000 militaires d'active (dont 200 000 dans l'armée de Terre). Le budget de la défense en 2023 était d'environ 110 milliards de réals, soit environ 20 milliards d'euros (1,2 % du PIB), selon le SIPRI.

Le Brésil ne figure pas parmi les principaux exportateurs mondiaux d'armements. Les principales entreprises du secteur sont Embraer Defense avec des avions militaires (Super Tucano, C-390 Millenium), Avibras (missiles, lance-roquettes), AEL et ARES, SIATT, Akaer, Mac Jee (entreprises innovantes dans l'électronique, les drones ou les munitions guidées). Les principaux clients du pays sont l'Angola, le Nigeria, les Philippines, l'Indonésie, la Colombie et l'Argentine. Le Super Tucano, avion à turbopropulseur conçu pour l'attaque légère, la lutte antiguérilla et les missions de formation des pilotes, est l'un des produits d'exportation les plus emblématiques, utilisé dans plus de 20 pays.

Le Brésil est en cours de renouvellement de sa flotte aérienne militaire (entre 120 et 150 avions). Il a décidé de l'acquisition de 36 avions de combat. Après des négociations avec Boeing, Dassault et Saab, c'est finalement ce dernier constructeur qui a été choisi avec le Gripen.

La BITD brésilienne souffre d'une dépendance à certaines technologies étrangères, notamment en électronique embarquée. Le marché domestique, prioritaire, est sous tension du fait des fortes fluctuations des budgets d'investissement. Le secteur est très centralisé, avec un écosystème restreint (moins de 200 entreprises certifiées comme « entreprises de défense stratégiques »). La flotte aérienne du pays est vieillissante malgré l'acquisition de Gripen.

Enfin, l'armée joue un rôle majeur dans la vie politique brésilienne. Sous la présidence Bolsonaro (2019-2022), plus de 6 000 militaires ont été nommés à des fonctions civiles, y compris à la tête de ministères. Depuis 2023, le président Lula a réaffirmé la subordination des militaires au pouvoir civil et a réduit leur présence dans les agences civiles.


* 1 Le moteur restant de l'entière responsabilité du Brésil pour des raisons de souveraineté évidentes.

* 2 En 2019, un marché de remplacement de frégates brésiliennes par quatre corvettes (projet Tamandaré) a été remporté par ThyssenKrupp alors que Naval Group était candidat, mais pas favori face à d'autres concurrents et désavantagé par les mauvaises relations entre le Brésil de Bolsonaro et la France. Cette décision est un peu une occasion manquée : une fabrication à Itaguai aurait permis d'alimenter le chantier alors qu'il a été décidé que la construction des corvettes aurait à Itajaí, au sud-est de São Paulo.

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