EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 9 juillet 2025, sous la présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport d'information de MM. Jean-Luc Ruelle, Mickaël Vallet et Edouard Courtial, rapporteurs : « Réinvestir la relation France-Amérique du Sud : les cas du brésil et du Pérou ».

Mme Catherine Dumas, présidente. - Je vous propose de passer à l'examen du deuxième rapport, cette fois consacré au Brésil et au Pérou. Je donne tout de suite la parole à Jean-Luc Ruelle.

M. Jean-Luc Ruelle. - Notre commission a effectué une mission en Amérique latine du 18 au 26 juin. Nous nous sommes d'abord rendus à Lima, au Pérou, pendant deux jours. Nous y avons mené des entretiens officiels de très bon niveau. Nous nous sommes ensuite rendus au Brésil, d'abord à Rio pour visiter le site du chantier naval d'Itaguaí où sont construits les sous-marins Scorpène par un consortium administré par Naval Group. Ensuite, à Brasília, nous avons participé à une série d'entretiens avec des ministres, des parlementaires et des membres de l'administration brésilienne. Nos ambassades dans les deux pays nous ont très bien accueillis, et ont confirmé l'intérêt de cette mission.

Je note que nous sommes intervenus après une mission de notre commission en 2023 concernant le Brésil, le Suriname et le Guyana.

Au Brésil, nous avons visité le chantier d'Itaguaí pour évaluer la progression du programme ProSub. Ce programme de coopération pour le développement de la force sous-marine brésilienne initié en 2008, d'un montant de 6,7 milliards d'euros environ, prévoit la construction d'un chantier naval, de quatre sous-marins conventionnels de type Scorpène et d'un programme de sous-marin à propulsion nucléaire, mis en oeuvre par une joint-venture du Groupe Naval à 45 % et l'industriel brésilien Novonor.

Deux sous-marins ont été livrés, un autre le sera cette année, et le dernier l'an prochain. C'est un vrai succès, même si le programme n'a pas l'ampleur de celui des sous-marins australiens abandonnés il y a quatre ans. Les effets de ce programme dépassent largement la question des sous-marins. Aujourd'hui, cette coopération constitue ainsi un puissant levier de coopération et d'influence pour nos idées.

Cependant, l'admiration pour les efforts accomplis ne doit pas occulter certains points de vigilance. D'abord, le programme accuse de nombreuses années de retard. Des restrictions budgétaires parfois massives une année sur l'autre, le choix de décaler la livraison des complexes de maintenance, les effets indirects de l'affaire de corruption d'Odebrecht et la crise du Covid ont joué un rôle important dans ces retards. La complexité de l'élaboration du réacteur nucléaire compact par le Brésil, processus en cours depuis 45 ans, n'est également pas à négliger. Enfin, les institutions et les procédures brésiliennes ne permettent pas de gérer correctement un programme pluriannuel. Il n'y a pas de loi de programmation militaire, ni d'équivalent de la DGA.

La situation n'est pas meilleure sur ce plan aujourd'hui, d'autant que le troisième mandat du président Lula, qui défend fortement le projet, se déroule dans une situation budgétaire dégradée et qu'il ne dispose pas de la majorité parlementaire. Ce dernier point est d'ailleurs l'un des enseignements plus généraux de notre déplacement. La situation du Brésil paraît un peu bloquée, avec une économie moins dynamique et une société profondément fracturée entre les partisans de Lula et les bolsonaristes.

Pour en revenir à ProSub, la livraison du sous-marin à propulsion nucléaire accuse à présent un retard important. Elle a été reportée progressivement de 2025 à 2039. En outre, il y a parfois des difficultés sur la maintenance des sous-marins conventionnels.

Le deuxième point d'évidence concerne l'aspect industriel et l'emploi, à savoir le trou d'activité entre la fin des Scorpène et la montée en charge du sous-marin à propulsion nucléaire. En plein régime, environ 2000 personnes composent les effectifs du consortium, qui diminuent naturellement au fil des livraisons. Or, si l'on passe en dessous de 600 personnes, le risque de perte de compétences est réel.

Le meilleur remède serait de produire à Itaguaí pour l'export, au niveau régional, idéalement des Scorpène, sinon d'autres sous-marins, voire d'autres navires. C'est ce que tentent le consortium et les Brésiliens, mais sans assurance de succès pour le moment, même si l'Argentine, le Pérou et le Chili sont intéressés par les Scorpène. On regrette déjà une occasion manquée. En effet, le Brésil a acheté en 2019 quatre corvettes allemandes à ThyssenKrupp qui seront construites à Rio en association avec Embraer, une société brésilienne. Naval Group était en lice. Cette opération générera environ 2000 emplois directs. Le soutien français à notre offre a sans doute été trop tardif dans le contexte des relations très dégradées avec Bolsonaro.

Au moins, ces corvettes allemandes auraient pu être construites à Itaguaí, mais cela ne sera pas le cas. Par ailleurs, les éventuelles exportations de Scorpène par ICN supposent de construire le cadre réglementaire, fiscal et organisationnel adéquat. Nous devrons donc conduire une réflexion aidant à commercialiser les Scorpène au niveau régional.

Le secteur de la défense brésilienne est ambitieux dans ses discours, mais fragile dans les faits. L'objectif pourtant fixé de 2 % du PIB pour la défense n'est pas atteint - on parle plutôt de 1,2 à 1,3 %. Il n'est pas perçu comme un enjeu pour un pays habitué à ne pas avoir d'ennemis depuis 150 ans. Celui-ci est plutôt organisé sur la lutte contre le trafic de drogue, ce qui ne se combat pas avec des chars et des sous-marins.

En conséquence, le budget de la défense, dont les dépenses de personnel représentent plus de 70 % du total, aurait déjà subi une réduction de 30 % cette année. La question des Scorpène s'inscrit dans une coopération plus vaste. Celle-ci comprend une fourniture de 50 hélicoptères construits par Helibras, filiale à 100 % d'Airbus, prévue dans l'accord de 2008. En raison des coupes budgétaires brutales imposées à partir de la récession de 2014, la dernière livraison a été repoussée de 2017 à 2026, et la cible a été réduite à 47 appareils.

En contrepartie, les crédits libérés ont permis de financer l'acquisition de 27 hélicoptères d'entraînement H125 pour la Marine et l'armée de l'Air. Le nouvel enjeu est la construction éventuelle de H145 par Helibras avec une ligne de montage au Brésil. Des discussions préliminaires sont engagées entre les différents acteurs.

Par ailleurs, la coopération est confiante et efficace avec la frontière guyanaise et dans l'Atlantique Sud, même si les capacités limitées du Brésil ne lui permettent sans doute pas, pour le moment, d'effectuer des opérations antidrogue dans le golfe de Guinée.

Le ministre de la Défense s'est également montré ouvert à approfondir la coopération en matière de protection des câbles sous-marins. En revanche, s'agissant des ventes d'armements, les autorités brésiliennes et l'ambassadeur du Brésil en France estiment que la relation est déséquilibrée. C'est sans doute le cas du point de vue de la seule balance commerciale, malgré quelques achats français. Cependant, cette affirmation ne prend pas en compte le fait que les ventes françaises, tant pour les sous-marins que pour les hélicoptères, sont liées à des programmes stratégiques et à des transferts de technologies qui bénéficient à long terme à l'industrie de défense brésilienne.

S'agissant à présent du Pérou, un enjeu clé relève du développement de la coopération dans l'Indopacifique Sud avec les pays riverains, qui font partie intégrante de notre stratégie Indo-Pacifique. Le Pérou figure parmi les dix plus grands producteurs de pêche de capture au monde. La pêche illicite prive les pays d'Amérique du Sud de plus de 15 % de leurs captures annuelles. La flotte chinoise représente les trois quarts des navires étrangers présents dans les zones économiques exclusives qui s'étendent à partir des côtes de ces États jusqu'à 200 milles marins. On y trouve en permanence plus de 500 bateaux battant pavillon chinois, alors que les ressources halieutiques y sont gravement surexploitées.

En outre, il s'agit souvent de véritables bateaux-prisons, où la main-d'oeuvre est exploitée pendant des mois sans escale à terre. Sur cet enjeu, la France coopère avec le centre de fusion d'informations maritimes pour l'Amérique latine (IFC), équivalent régional du MICA Center de Brest. Il est le premier en son genre en Amérique du Sud, doté d'une plate-forme de surveillance en temps réel de la sécurité maritime en Pacifique Sud. Nous y avons également un réserviste de la Marine, ce qui permet de contribuer à la constitution d'un réseau des pays jouant un rôle en matière de fusion des informations maritimes aux bénéfices de l'influence française. De plus, des patrouilles communes pourraient être organisées lors d'escales, et des accords de « shipriding » pourraient potentiellement être négociés.

Par ailleurs, le Pérou souhaite remplacer ses 11 Mirage 2000P et acquérir 24 avions plus récents. Dassault est en concurrence avec Saab, qui propose le Gripen, et Lockheed Martin pour le F-16. La décision était encore récemment en suspens. Toutefois le Gripen semble finalement devoir être choisi. Lors de notre entretien avec le ministre des Relations extérieures péruvien, celui-ci a remercié la France d'avoir inclus son offre dans l'enveloppe prévue par le Pérou, soit 3,5 milliards d'euros.

Cela nous amène à une réflexion plus générale sur notre partenariat stratégique et militaire en Amérique du Sud. Plusieurs pays du continent doivent moderniser leurs équipements. Notre image positive, contrastant avec l'attitude parfois imprévisible des États-Unis, crée des opportunités. La France doit davantage cultiver des relations bilatérales avec les pays sud-américains au service de notre diplomatie économique et de notre industrie de défense. Des opportunités existent déjà, dont certaines ont été manquées, comme les corvettes au Brésil. Il faut saisir les autres.

M. Édouard Courtial. - J'aborderai, pour ma part, les enjeux de coopération avec les deux pays en matière de criminalité organisée, de trafic de drogues, mais aussi d'exploitation minière illégale.

Bien qu'il ne soit pas producteur, contrairement à ses voisins, le Brésil s'est imposé depuis les années 2010 comme l'une des principales plateformes mondiales d'exportation de cocaïne. Selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, il représente à lui seul 25 à 30 % des flux vers l'Europe, transitant notamment par les ports d'Anvers, de Rotterdam et du Havre, ou par voie aérienne. Les organisations criminelles qui gèrent ce trafic sont nombreuses et parfois tentaculaires, comme le PCC (Primeiro Comando da Capital), qui possède des extensions en Guyane. Cette situation contribue à la grande insécurité qui règne au Brésil, où se produirait un quart des homicides mondiaux.

L'orpaillage illégal connaît également une forte expansion en Amazonie, la surface concernée ayant été multipliée par 6 entre 2010 et 2022. L'or alimente une chaîne logistique mondiale dont la traçabilité est défaillante. Les factions criminelles contrôlent l'accès aux sites, la logistique et le blanchiment. La pollution au mercure est massive et contamine les populations locales, tandis que l'orpaillage contribue de manière significative à la déforestation.

La frontière entre la Guyane française et le Brésil constitue une zone de transit importante pour l'or et la drogue. La coopération transfrontalière est déjà bien établie entre nos deux pays. Par exemple, le Centre de coopération policière et douanière (CCP) de Saint-Georges, rattaché au Commandement de la gendarmerie de la Guyane, héberge 2 agents de la police fédérale brésilienne. Des « opérations miroir » sont menées avec les forces brésiliennes pour rechercher les individus impliqués dans l'orpaillage illégal et lutter contre le trafic de marchandises, notamment via l'Oyapock. Le CCP a ainsi permis de systématiser les échanges entre les forces de l'ordre et les institutions judiciaires.

Trois évolutions positives récentes peuvent être signalées dans ce domaine, en réponse aux recommandations formulées par nos collègues dans leur rapport sur le Brésil il y a 2 ans. D'abord, la commission mixte transfrontalière, réunissant les institutions fédérales brésiliennes, celles de l'État de l'Amapá et de la France, a récemment prévu d'accroître les effectifs du CCP en intégrant de nouveaux agents militaires et civils brésiliens. Ensuite, la nouvelle convention d'entraide judiciaire, présentée par notre collègue Guillaume Gontard il y a 2 semaines, est en voie d'adoption définitive. Elle autorise les formes les plus modernes d'entraide judiciaire, comme les investigations bancaires, les saisies et confiscations des avoirs criminels, les interceptions téléphoniques, les livraisons surveillées, les poursuites transfrontalières et la formation d'équipes communes d'enquête. Enfin, la signature imminente d'un accord de transfert pénitentiaire pour les détenus brésiliens condamnés vers le Brésil pourrait se concrétiser, le président de la République l'ayant conditionnée à la suppression des visas entre le Brésil et la Guyane. Ceci éliminerait au passage l'un des principaux irritants de notre relation bilatérale.

Concernant la lutte contre le narcotrafic en mer, la coopération existe. Toutefois, la marine brésilienne n'a sans doute pas encore les moyens nécessaires pour arraisonner des bateaux suspects en dehors de sa Zone économique exclusive (ZEE), notamment dans le golfe de Guinée. De nombreux navires suspects en provenance du Brésil y transitent. Il est important de rappeler que ce type d'interventions représente une charge croissante pour la Marine française, qui est engagée dans la région depuis 35 ans, à travers l'opération Corymbe.

Notre attaché douanier a confirmé que le trafic de drogues par voie aérienne utilisant des mules guyanaises a été largement entravé depuis 2 ans et demi, grâce aux arrêtés d'interdiction d'embarquement émis par le Préfet de Guyane dans le cadre du dispositif « 100 % contrôle ». Cette mesure administrative préventive aide à protéger la chaîne pénale française de la saturation totale orchestrée par les narcotrafiquants. Elle a toutefois conduit à un déplacement du trafic vers les Antilles ; on constate ainsi une augmentation de 80 % des saisies de cocaïne transportée par des voyageurs en provenance de ces îles en 2023, et de 40 % en 2024. De nouveaux contrôles ont commencé à réduire ce trafic, mais au profit des liaisons directes entre le Brésil et la France.

Du fait de ce nouveau report du trafic, la coopération avec le Brésil devient essentielle. Cependant, les autorités brésiliennes expriment parfois leur agacement face aux demandes françaises, affirmant que ce sont les Européens qui sont les consommateurs. Nous recommandons donc d'améliorer notre communication pour mieux informer les autorités brésiliennes sur les efforts déployés par la France, notamment au travers de la loi adoptée en avril dernier, visant à sortir le pays du piège du narcotrafic. Il convient par ailleurs de noter que le Brésil a réalisé des progrès notables concernant le contrôle des flux routiers en amont et l'installation d'équipements dans les ports pour scanner systématiquement les containers.

Les narcotrafiquants demeurent toutefois inventifs et réussissent à contourner ces mesures en transportant les produits sous coque ou à bord de bateaux de plaisance. On estime ainsi que seulement 10 % de la cocaïne est saisie, ce qui souligne la nécessité d'une politique multidimensionnelle qui commence dès le pays producteur.

Le Pérou est le deuxième producteur mondial de cocaïne. L'Office anti-stupéfiants (OFAST) considère que « Le Pérou est l'un des pays d'intérêt prioritaire dans la stratégie de coopération internationale pour entraver les trafics en amont du territoire national ». En 2024, plus de 900 tonnes de cocaïne auraient ainsi été produites, et 109 tonnes auraient été saisies au Pérou, chiffre en hausse de 72 % par rapport à 2023. Bien que les premières destinations restent l'Espagne et les Pays-Bas, la France semble depuis quelques mois devenir une cible majeure.

Le Pérou est actuellement confronté à une offensive sans précédent de la criminalité organisée, ainsi qu'à une montée de l'insécurité et de la corruption, le tout dans un contexte de crise politique prolongée. Depuis la destitution du président Castillo, la présidente Dina Boluarte tente de s'appuyer sur un Congrès majoritairement opposé au sien, composé de représentants de la droite dure. L'instabilité ministérielle est endémique, et la corruption à un niveau élevé.

La quasi-totalité des groupes criminels et des mafias mondiaux se sont installés au Pérou, tirant profit du narcotrafic ainsi que de l'exploitation illégale de l'or, aujourd'hui encore plus rentable que la cocaïne en raison de son prix élevé.

En 2024, le nombre d'homicides a augmenté de 35 %. Des sicarios sont recrutés parmi les nombreux réfugiés vénézuéliens. La police, la justice et le système pénitentiaire souffrent d'un taux élevé de corruption, ce qui entrave la coopération judiciaire. À noter que la Drug Enforcement Administration (DEA) américaine compte 300 employés dans le pays, mais les États-Unis pourraient réduire leur engagement, car seulement 4 % de la cocaïne destinée à leur territoire en émane.

Au niveau européen, Europol travaille sur un projet d'accord de partage de données. La Commission européenne souhaite former une équipe d'enquêteurs péruviens et de policiers de chaque pays européen. De plus, l'UE a lancé en janvier 2024 une « Alliance portuaire européenne » pour collaborer avec les ports sud-américains. Cependant, le port du Havre, très concerné par le trafic, n'y participerait pas pour le moment, contrairement aux ports belges et néerlandais.

Par ailleurs, le Pérou a mis en place une politique multidimensionnelle de lutte contre la drogue, au travers d'un organisme interministériel, la DEVIDA. Nous avons assisté à un exposé marquant du chef de cette entité, qui a ravivé notre espoir face à ce défi titanesque. Sa stratégie montre qu'une approche globale est impérative pour lutter efficacement contre le phénomène. Elle ne cible pas uniquement les groupes criminels, mais s'attaque au modèle économique et à la chaîne de valeur. Il s'agit d'améliorer la situation économique et institutionnelle des paysans dans les zones de production, de réduire la superficie cultivée et de diminuer la consommation parmi les populations vulnérables. La DEVIDA met en avant une statistique encourageante : alors que la superficie cultivée pour la coca avait augmenté de 70 % entre 2018 et 2022, elle a commencé à diminuer récemment, suggérant que la dynamique de croissance est désormais cassée.

Quel est notre niveau de coopération avec le Pérou sur ces sujets ? Parmi les éléments positifs, la France disposera prochainement d'un officier de liaison auprès du ministère de l'Intérieur péruvien. La Direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) du ministère des Affaires étrangères a détaché un officier de police auprès de la DEVIDA, et 4 chiens entraînés à la recherche de stupéfiants ont été offerts à la police péruvienne. La France a également fourni des drones, des GPS et des kits de détection. La MILDECA produit une assistance technique pour la certification bio et équitable du café dans les zones de production de coca.

Nous saluons une prise de conscience de notre administration concernant l'enjeu majeur que représente le Pérou en matière de trafic de drogue à destination de notre pays. Le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l'Intérieur et la MILDECA ont lancé des initiatives significatives, bien que les ressources financières demeurent limitées. À cet égard, le retrait potentiel de la DEA américaine incite à envisager une substitution par l'Union européenne, ce qui souligne l'importance de mobiliser impérativement nos partenaires sur ce sujet.

M. Mickaël Vallet. - J'aborderai pour ma part les enjeux géopolitiques transversaux relatifs aux deux pays ainsi que leurs relations culturelles et économiques avec la France.

Je précise que nous avons été précédés de peu dans nos visites par un collègue, dont la présence a été appréciée à tous les niveaux.

Le Brésil, membre fondateur des BRICS, accueille actuellement le sommet, et Lula en assurera la présidence en 2025. Parmi les priorités brésiliennes, la dédollarisation a été mises au second plan en raison des menaces explicites de Trump. En revanche, Lula promeut activement le multilatéralisme, la multipolarité, la réforme des institutions internationales et la lutte contre le changement climatique.

Les BRICS font face à 2 défis majeurs, à commencer par le rapprochement entre les États-Unis sous Trump et la Russie. La potentielle réintégration de celle-ci dans les flux économiques et monétaires mondiaux remet en question la pertinence des BRICS comme pôle alternatif à l'Occident - si tant est qu'il souhaite être un tel pôle alternatif, ce qui n'est pas forcément le cas comme nous le verrons. Ensuite, l'élargissement à des pays très divers (Iran, Égypte, Émirats, Indonésie, Éthiopie) et la création en 2025 d'une catégorie « États partenaires » comprenant 9 pays mettent en jeu la cohésion du groupe.

Les BRICS contestent la domination du G7, ce qui pourrait engendrer une certaine méfiance vis-à-vis de la France. À Hiroshima, en 2023, Lula critiquait le directoire mondial occidental et appelait à un G20 plus politique et à une relance de la relation stratégique franco-brésilienne, mais au-delà de l'écologie et de la défense, en incluant des grands contentieux internationaux tels que la situation en Ukraine.

Lors de la présentation du précédent rapport de notre commission sur le Brésil, André Vallini déplorait l'absence d'initiative française après le retour de Lula : ni visite présidentielle, ni investissements majeurs. Il avait appelé à une visite officielle du Président Macron en 2023, qui n'a pas eu lieu celle année-là. La France, mobilisée par la guerre en Ukraine et l'Indopacifique, a un peu négligé l'Amérique du Sud, malgré son soutien à l'entrée du Brésil au Conseil de sécurité.

La visite officielle du président de la République au Brésil en mars 2024 a marqué un tournant avec l'adoption d'un plan stratégique et plus de 20 accords sectoriels. Un programme de finance verte devrait mobiliser 1 milliard d'euros pour l'Amazonie. En matière culturelle, l'objectif est d'accueillir 8 000 étudiants en France d'ici 2026 (contre 5 000 actuellement). L'année 2025 est déclarée « année croisée France-Brésil », est marquée par des centaines d'événements organisés dans les deux pays, avec un succès unanimement reconnu.

Cependant, les résultats concrets demeurent encore limités. Malgré des relations amicales entre Lula et la France, ainsi qu'une francophilie manifeste au sein de la société brésilienne, la question demeure : cette volonté de rapprochement est-elle compatible avec les orientations géopolitiques des BRICS ? L'axe franco-brésilien peut-il servir de pont entre le Nord et le Sud, ou est-ce une idée chimérique ?

C'est sur ce sujet que nous avons testé nos interlocuteurs, d'une manière assez libre et franche, lors d'entretiens de haut niveau. Le temps qui nous a été consacré a d'ailleurs été très appréciable dans les deux pays.

Maria Laura Da Rocha, secrétaire générale du ministère des Affaires étrangères, a salué l'attachement de la France au multilatéralisme et sa « créativité politique », tout en critiquant l'alignement européen sur les États-Unis et les augmentations des budgets de défense. Elle considère l'OTAN comme ayant une part de responsabilité dans la situation qui a mené à la guerre en Ukraine et déplore la position française concernant le traité UE-Mercosur.

A ce sujet, les autorités brésiliennes ont adopté un discours consistant à dire qu'il ne fallait plus le voir comme un traité uniquement nécessaire sur le plan commercial, mais aussi un traité stratégique entre nos deux pays compte tenu de la situation créée par l'attitude agressive de Trump. Ce narratif est aussi repris par les autres ambassadeurs européens que nous avons pu voir lors d'un dîner à la Résidence, et en premier lieu par le représentant de l'Union européenne.

Concernant la Chine, le Brésil adopte une lecture bienveillante. Pour les officiels Brésiliens, les intentions chinoises sont pacifiques, et les ingérences seraient le fait d'acteurs individuels non pilotés par Pékin. Les universitaires que nous avons rencontrés à Brasília nous ont confié que les responsables brésiliens ne veulent pas critiquer ouvertement la Chine.

Lula valorise le partenariat sino-brésilien et utilise même des expressions chinoises telles que « futur commun et partagé », sans toutefois adhérer aux « Routes de la soie », à propos desquelles il évoque plutôt une « synergie » avec l'initiative chinoise. Il prône ainsi une position d'équilibre, plaidant pour un monde qui ne soit ni américain, ni chinois. Celso Amorim, son Sherpa, parle aussi de « synergie» avec la Chine.

Lors de notre entretien, celui-ci a par ailleurs salué le multilatéralisme de la France, célébrant le « non » français de 2003. Pour lui, les BRICS sont un moyen de faire admettre au G7 que seul le G20 est représentatif et doit assurer la gouvernance mondiale. Dans la même veine, l'un des chercheurs brésiliens que nous avons rencontrés a qualifié les BRICS de « légitimateur réformiste de l'ordre existant ».

Il est donc difficile d'échapper au poncif selon lequel les relations franco-brésiliennes se situent « au milieu du gué » : elles présentent un potentiel réel, mais sont freinées par des divergences géopolitiques.

Sur le plan commercial, les échanges restent modestes, car l'économie brésilienne, relativement fermée, est centrée sur le marché intérieur - ce qui apparaît un peu contradictoire avec le plaidoyer pour le traité UE-Mercosur. En revanche, la France est le deuxième investisseur étranger au Brésil, avec près de 1 300 filiales d'entreprises françaises employant 554 000 personnes, dont notamment Carrefour. Le potentiel de développement est important dans le domaine des énergies renouvelables, grâce à des partenariats technologiques et industriels envisagés entre entreprises françaises (EDF, TotalEnergies) et brésiliennes.

Notre coopération universitaire est également très développée. La question de la protection du climat et de la biodiversité est au coeur des dynamiques relancées l'année dernière. L'Institut de recherche pour le développement (IRD), présent depuis 60 ans, soutient l'observatoire d'hydrologie du bassin amazonien avec une aide de 12 millions d'euros. Des programmes entre le CNRS, l'IRD, l'INRAE et des institutions brésiliennes telles que l'INPA ou l'EMBRAPA visent à développer des systèmes agricoles durables et à cartographier et préserver la biodiversité. Ces institutions françaises, et notamment l'IRD, sont très appréciées au Brésil.

Cependant, malgré la présence de 600 000 locuteurs francophones et de 130 000 apprenants au Brésil, la francophonie y est en difficulté. Il n'existe que 3 lycées français dans le pays, et le Brésil n'apparaît même pas dans le catalogue de la francophonie. Des propositions de loi visant à faire de l'Espagnol la deuxième langue obligatoire au Brésil ont récemment été repoussées, grâce à une forte intervention de l'ambassade de France. Consciente de l'enjeu, l'AEFE a décidé de faire du Brésil l'une de ses 10 priorités, en étendant les filières bilingues françaises dans les lycées brésiliens. Toutefois, les effets des coupes budgétaires s'annoncent majeurs, notamment pour l'AEFE et l'AUF.

Concernant le Pérou, les relations franco-péruviennes sont traditionnellement bonnes, l'image de la France étant très positive dans ce pays. Ce dernier, attaché aux valeurs démocratiques, a condamné l'agression russe en Ukraine sans prendre de sanctions.

Concernant l'environnement, l'enjeu actuel est la ratification du traité « BBNJ » sur la haute mer, signé par le Pérou à Nice. Les parlementaires péruviens redoutent une ratification implicite de la Convention de Montego Bay, que le Pérou n'a pas signée, et des restrictions pour la pêche péruvienne. Cependant, ce traité permettrait de mieux lutter contre le pillage halieutique sans nuire à la pêche locale. Nous avons plaidé en ce sens auprès des parlementaires.

En tant que pays du Pacifique, membre de l'Alliance du Pacifique et de l'APEC, le Pérou a pour principaux partenaires les États-Unis et la Chine, cette dernière y ayant accru sa présence, avec en particulier l'inauguration du méga-port de Chancay par Xi Jinping. Les PME locales sont évincées par la concurrence chinoise. 75 % du cuivre péruvien est désormais exporté vers la Chine.

Conscient des risques de dépendance, le Pérou attend des pays comme la France un rééquilibrage de ses relations commerciales. Le Pérou apprécie ainsi le soutien français à sa candidature à l'OCDE. Bien que les bons fondamentaux macroéconomiques justifient cette ambition, ils sont en réalité l'envers d'un déficit majeur en infrastructures (routes, hôpitaux, écoles, etc.). La France répond par des contrats de gouvernement à gouvernement, permettant de contourner les blocages de l'investissement public, comme avec Egis pour la construction d'une route, d'un pont et de quatre hôpitaux. L'État péruvien bénéficie ainsi d'une forme d'assistance à maîtrise d'ouvrage, impliquant fortement l'ambassade.

Bien que le Pérou soit un pays minier majeur, il n'accueille pas d'exploitants français, mais ceux-ci sont présents dans les services associés, comme Sodexo et Veritas. Les mines illégales détruisent l'environnement et freinent le développement des exploitations légales, faute de permis délivrés. Néanmoins, le ministère des Mines a assuré avoir approuvé 7 milliards d'euros d'investissements en 2 ans. Le pays développe également les énergies renouvelables tout en misant sur le gaz et le pétrole.

Au total, le potentiel d'investissement pour notre pays est significatif. En mars 2025, Laurent Saint-Martin a relancé la relation, mais on peut regretter la suppression d'un poste prévue au service économique de l'ambassade. L'AFD, pénalisée par les taux d'intérêt bas au Pérou, se révèle peu compétitive.

Cependant, la coopération culturelle est riche, grâce à une forte présence de l'IRD et de l'Institut français d'études andines (IFEA). Le ministre péruvien des Relations extérieures, très amical, a même déclaré que « la France avait créé l'archéologie au Pérou ». Le réseau des Alliances françaises compte plus de 40 000 apprenants, dont 11 000 uniquement pour l'Alliance de Lima, la première au monde.

En somme, la relation franco-péruvienne est traditionnellement positive, fondée sur les valeurs démocratiques et une coopération active au sein du multilatéralisme. La France est un partenaire apprécié, notamment dans les domaines des infrastructures et de la culture. Néanmoins, le Pérou attend davantage face à l'influence croissante de la Chine. Les opportunités d'investissement existent, mais elles sont freinées par la corruption et un certain manque d'engagement économique français, auquel il est impératif de remédier.

Mme Catherine Dumas. - Merci pour ce rapport traité en trois parties : défense, criminalité et enjeux politiques, culturels et économiques. Il fait écho à la précédente mission au Brésil, à laquelle j'ai pris part.

M. Étienne Blanc. - Dans les travaux de la commission d'enquête sur le narcotrafic, nous avons examiné comment les ports français ou européens contrôlent les conteneurs provenant du Sud. Nous contrôlons 10 % de ceux-ci, alors que nous ne contrôlons que 2 % de ceux qui voyagent dans le monde. La commission s'est-elle intéressée à la façon dont les Péruviens contrôlent, en partenariat avec les États-Unis et le Brésil, les conteneurs qui quittent leurs ports ? Ont-ils un système de scanner ou un dispositif particulier de contrôle en coopération avec leur douane ?

M. Édouard Courtial. - Le Pérou étant le deuxième pays producteur de cocaïne, cet enjeu est déterminant. Ceci étant dit, le transit depuis le Pérou se fait essentiellement par voie terrestre, avec le Brésil comme plateforme de transit. Au Pérou, les risques portuaires à venir toucheront le nouveau port de Chancay. Des dispositifs de protection y ont été prévus.

Pour l'heure, les produits entrent au Brésil via l'Amazonie avant d'être dispatchés vers l'Europe.

M. Philippe Folliot. - Nous nous sommes rendus en Amérique latine il y a un peu plus d'un an. Notre mission était plutôt orientée sur les enjeux relatifs au plateau de la Guyane. En effet, la plus longue frontière terrestre entre la France et un autre pays est celle qui la sépare du Brésil via la Guyane.

Jadis, il existait un fonds de contrevaleur créé lors de la tournée du Général de Gaulle en Amérique du Sud, à la fin des années 60. La France donnait du blé au Pérou, qui le vendait pour alimenter un fonds permettant de financer des actions de co-développement choisies par l'ambassade et les autorités péruviennes. Ce dispositif fonctionnait encore il y a une dizaine d'années. Il permettait de mener des projets, notamment sur l'Altiplano, région très défavorisée par rapport à la zone côtière. Avez-vous parlé de ce fonds à l'ambassade ? Existe-t-il toujours, ou l'AFD a-t-elle pris le relais ?

M. Édouard Courtial. - Ce fonds n'a pas été évoqué lors de notre mission.

Mme Catherine Dumas. - On constate que la France doit être plus présente dans ces zones, notamment face à la Chine.

Lors d'une mission en Asie avec mes collègues, nous avons constaté les mêmes problèmes relatifs à la maintenance qu'en Amérique du Sud. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Jean-Luc Ruelle. -Nous devons faire en sorte que les pays à qui nous faisons des transferts de technologie s'approprient les compétences en matière de maintenance. C'est important pour la réputation ultérieure des matériels et des entreprises qui les produisent.

M. Mickaël Vallet. - J'aimerais savoir ce qu'a ressenti notre collègue Ronan Le Gleut lors de sa visite d'Itaguai. Nous en avons été très impressionnés, mais nous aimerions avoir un éclairage supplémentaire sur la poursuite du chantier jusqu'à son terme.

M. Ronan Le Gleut. - La mission de la session nationale « Politique de défense »de l'Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN) a choisi le Brésil comme destination en 2025. Le séjour était construit autour de ce chantier naval. C'est une immense réussite pour la France. Les Français y travaillant font l'aller-retour quotidiennement depuis Rio, en bus. On ressent une vraie satisfaction dans le travail réalisé en commun. Tout est centralisé sur un même lieu : production, maintenance et opérationnel. En France, nous avons trois sites distincts pour opérer ces trois missions. Cette organisation ne pose pas de problème particulier, parce que la dernière guerre menée par le Brésil date du 19e siècle. C'est un pays en paix, qui se définit comme tel, mais qui monte en puissance. Il se positionne comme un acteur géostratégique avec une zone d'influence s'étendant jusqu'à la côte ouest de l'Afrique.

L'avis partagé par les auditeurs de l'IHEDN revient à dire qu'il s'agit d'un succès considérable pour la France et d'une excellente décision pour le Brésil, très satisfait de ce partenariat.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - J'aimerais réagir sur la question de la maintenance. En effet, en Inde aussi, la maintenance est un enjeu. Nous devons approfondir cette question.

Mme Catherine Dumas. - Notre commission doit en effet être vigilante sur ce point.

Le rapport d'information est adopté à l'unanimité.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page