B. UNE DÉMARCHE DE REGROUPEMENT QUI DOIT ÊTRE PROLONGÉE DE MANIÈRE PLUS VOLONTARISTE

1. Une solution écartée par la France : la mutualisation des centres d'instruction de visas au niveau européen

En matière de délivrance des visas, le code communautaire des visas permet une coopération consulaire entre les États membres. Son article 40 précise que si « chaque État membre est responsable de l'organisation des procédures relatives aux demandes »45(*), ces derniers « coopèrent avec un ou plusieurs autres États membres dans le cadre d'accords de représentation ou de toute autre forme de coopération consulaire. »46(*)

L'ancien article 41 du code communautaire des visas, récemment supprimé47(*), ouvrait la possibilité de recourir à deux modalités de coopération communautaire en matière de délivrance des visas. La direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire estime que la suppression de cet article n'emporte pas d'incidence sur le fond.

D'une part, l'ancien article 41 permettait une colocalisation des services des visas, en prévoyant que « le personnel des consulats d'un ou de plusieurs États membres exécute les procédures ayant trait aux demandes (y compris le recueil des identifiants biométriques) qui lui parviennent dans les locaux du consulat d'un autre État membre, dont il partage l'équipement. »

D'autre part, il autorisait la création d'un centre commun de traitement des demandes entre au moins deux États membres. Ces derniers peuvent ainsi regrouper leurs services des visas dans une même localisation et partager les coûts de gestion. Le centre commun de traitement permet une mutualisation du recueil des demandes de visas, les demandeurs étant ensuite dirigés vers l'État membre responsable de la demande.

Le rapport d'information d'Éric Doligé et Richard Yung48(*), publié au nom de la commission des finances du Sénat, recommandait, en 2015, d'envisager la mise en place de centres uniques de traitement des visas pour l'ensemble des États membres de l'espace Schengen dans quelques sites pilotes. Le choix des sites concernés répondait à des critères précis en excluant :

- en premier lieu, les pays où les postes consulaires connaissent une faible demande et où tous les États membres de l'espace Schengen ne sont pas représentés ;

- en second lieu, les postes consulaires de première importance, installés dans des pays où la « concurrence » pour les publics cibles est intense et où les services consulaires disposent des moyens matériels et immobiliers les plus conséquents.

Les États envisagés par les rapporteurs spéciaux de la commission des finances en 2015 correspondaient à des sites symboliques, où les représentations consulaires des États membres sont confrontées à des difficultés analogues et où une mutualisation des moyens présente des avantages logistiques et politiques, comme l'Iran ou la Birmanie.

Dans le même sens, le rapport de la mission gouvernementale confiée à Paul Hermelin envisageait, pour les petits services de visas, de recourir à une mutualisation avec d'autres pays de l'espace Schengen49(*).

Interrogée par les rapporteurs spéciaux sur la mise en oeuvre de ces recommandations, la direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire a indiqué que le MEAE n'y était pas favorable. Plusieurs arguments sont avancés par le ministère au soutien de cette position.

La principale justification tient à la crainte d'une concurrence entre États membres pour la délivrance des visas ; les publics cibles des politiques d'attractivité des États membres présentent de fait des profils similaires. Conserver un consulat autonome permet de capter des flux de travailleurs qualifiés qui répondent aux besoins des États européens.

En outre, le ministère juge que le recours au centre commun de dépôt des demandes de visas soulève des difficultés pratiques : la démarche d'externalisation et le recours aux prestataires de services extérieurs seraient difficile à concilier avec cette mutualisation et l'organisation interne de centres communs impliquerait des surcoûts de gestion (afin d'organiser la répartition des droits de visas sur le plan comptable et la gestion des ressources humaines).

Par ailleurs, la France, comme d'autres États de l'espace Schengen, envisage son réseau consulaire comme un attribut de souveraineté. La délivrance des visas constitue une compétence régalienne par laquelle un État maîtrise les entrées sur son territoire. De plus, les chefs de postes consulaires disposent d'une marge de manoeuvre ponctuelle pour les dossiers les plus politiques.

En matière de coopération consulaire, la France s'est donc davantage orientée vers des modalités plus souples.

Tout d'abord, elle pratique, dans plusieurs pays, un partage des locaux, comme à Dacca (Bengladesh) avec l'Allemagne. Cette pratique se distingue de la colocalisation en ce que le partage ne porte que sur les locaux consulaires. Les équipements demeurent séparés entre les services des deux États.

Ensuite, la France assure la représentation d'autres États membres dans des pays tiers50(*), dans le cadre d'accords bilatéraux de représentation. Cette faculté, ouverte par l'article 8 du code communautaire des visas, consiste pour un État à « représenter un autre État membre compétent (...) en vue d'examiner les demandes et de se prononcer sur celles-ci pour le compte de cet autre État membre. Un État membre peut aussi représenter un autre État membre de manière limitée aux seules fins de la réception des demandes et du recueil des identifiants biométriques. »51(*) En 2024, la France assurait la représentation de 23 États de l'espace Schengen dans 62 pays tiers. En miroir, elle était représentée par 14 partenaires Schengen dans 36 États tiers.

Enfin, elle a pu s'engager dans la coopération locale au titre de Schengen entre les consulats des États membres, ou « coopération locale Schengen » (CLS), organisée par le titre V du code communautaire des visas. Dans ce cadre, sous l'égide de la délégation de l'Union européenne dans le pays hôte, les services consulaires des États membres peuvent partager leurs expériences, bonnes pratiques et statistiques dans le but d'harmoniser les pratiques de traitement des demandes (par la détermination d'une liste harmonisée des justificatifs devant être produits par les demandeurs, la traduction commune du formulaire de demande, une information commune des demandeurs ou la mise en oeuvre locale de la délivrance de visas à entrées multiples). Les consulats des États membres proposent des adaptations locales qui sont transmises par la délégation de l'Union à la Commission européenne pour l'adoption de décisions d'exécution, sur avis du comité des visas.

Modalités de coopération consulaire entre États membres de l'espace Schengen

Modalité de coopération consulaire

Caractéristiques

Colocalisation

- Partage des procédures et des équipements ;

- Répartition des droits de visas.

Centre commun de traitement des visas

- Partage des locaux et des coûts de gestion ;

- Mise en commun du dépôt des demandes et orientation des demandeurs vers l'État membre responsable de la décision ;

- Un seul État chargé des relations diplomatiques avec le pays hôte.

Partage des locaux

- Partage des locaux consulaires ;

- Pas de partage des équipements.

Représentation

- Représentation d'un autre État pour l'examen des demandes et la délivrance des visas.

Coopération locale Schengen

- Partage de bonnes pratiques ;

- Harmonisation des listes de documents justificatifs au niveau local ;

- Dérogation aux règles générales de délivrance des visas à entrées multiples.

Source : commission des finances d'après le code communautaire des visas et les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux

Pour autant, la recommandation déjà formulée par la commission des finances en 2015, à savoir mutualiser les services de visas avec nos partenaires Schengen sur des postes avec une faible demande, apparait toujours d'actualité dans des États à forte dimension symbolique et où la concurrence pour les publics cibles est faible.

Recommandation : pour les postes où la demande de visa est faible, envisager une mutualisation des services des visas avec nos partenaires Schengen (direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire).

De manière générale, les rapporteurs spéciaux notent que la coopération Schengen pourrait être encore approfondie. À l'occasion de son entretien avec la mission de contrôle, le consul général d'Espagne à Rabat a ainsi émis le souhait d'organiser des échanges et visites mutuelles entre services de visas pour comparer et potentiellement dupliquer les pratiques des États membres52(*).

2. Le regroupement de l'instruction des visas : une adaptation bienvenue et à poursuivre
a) Une démarche qui vise à atteindre un « seuil critique » d'effectifs dans les services d'instruction des visas

Plutôt que de s'engager dans une démarche de mutualisation des moyens entre les pays de l'espace Schengen, la France a amorcé dans plusieurs pays un regroupement des services de visas sur un ou plusieurs sites, en fonction de la taille du réseau consulaire dans le pays hôte. Cette démarche vise à disposer de services d'instruction d'une taille suffisante pour répondre aux variations du volume de demandes ; des services disposant d'effectifs limités ne sont en effet pas en mesure de répondre aux pics d'activité. Comme l'externalisation du recueil des demandes de visas, cette réforme du réseau des services consulaires permet de répondre à la double contrainte pesant sur l'instruction des visas : l'augmentation continue des demandes et la nécessaire limitation de la progression des effectifs du programme 151. Cette rationalisation permet une meilleure mobilisation du personnel instructeur à l'échelle du pays hôte, sans création de nouveaux ETP.

Le premier regroupement a été réalisé entre 2012 et 2015 en Russie. Depuis lors, des regroupements ont été opérés aux États-Unis, au Maroc, au Canada et en Afrique du Sud. De nouvelles réorganisations sont en cours au Congo (pour un regroupement sur Brazzaville à l'automne 2025), en Chine (pour un regroupement sur les trois sites de Pékin, Shanghai et Canton à l'été 2026), en Inde (pour un regroupement sur Bangalore et New Dehli entre l'été 2026 et l'été 2027) et au Cameroun (pour un regroupement sur Yaoundé à l'automne 2026). Le Quai d'Orsay a identifié d'autres pays où les services des visas pourraient être regroupés dans les années à venir (le Nigéria, l'Algérie, le Vietnam et l'Arabie Saoudite).

Si le regroupement sur un seul site est privilégié, une réorganisation sur plusieurs sites peut être opérée, en raison des spécificités du pays hôte : la taille de l'État concerné (comme dans le cas de l'Inde ou de la Chine) ou le nombre et la diversité des demandes (comme dans le cas du Maroc).

Le regroupement des services visas au Maroc

Le réseau consulaire français au Maroc s'étend sur six postes consulaires (Agadir, Casablanca, Fès, Marrakech, Rabat et Tanger).

Depuis le regroupement de l'instruction des visas, finalisé en 2020, seuls les postes de Rabat et Casablanca sont dotés d'un service de visas. Ces deux services disposent chacun de 35 agents et assurent l'ensemble de l'instruction des demandes de visas pour le Maroc. La répartition du traitement des demandes entre les deux postes est de nature géographique ; le poste de Rabat assure le traitement des demandes de la zone nord et le poste de Casablanca celui de la zone sud. Une spécialisation thématique des postes a également été opérée avec une concentration du traitement des demandes de visa pour les travailleurs saisonniers sur le poste de Casablanca.

Selon les données de la plateforme France visas, pour les demandes de visa de court séjour depuis le Maroc, l'instruction nécessite sept à dix jours minima et jusqu'à trois semaines en haute saison. Pour les demandes de visa de long séjour, l'instruction peut durer entre trois semaines et trois mois.

En matière d'attractivité, les services consulaires se sont saisis de la possibilité de nouer des partenariats avec des acteurs de référence issus de la société civile et des milieux économiques pour mieux identifier les « publics prioritaires », tel que la chambre française de commerce et d'industrie du Maroc.

Depuis 2014, le recueil des demandes de visas est confié au Maroc à la société TLS contact, qui gère sept centres d'accueil des demandeurs dans le pays (Agadir, Casablanca, Marrakech, Fès, Oujda, Rabat, et Tanger)53(*).

Dans le contexte de la reconnaissance par la France de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, le prestataire de services extérieurs TLS devrait étendre son service de recueil des demandes de visas à Laayoune et à Dakhla, principales villes de ce territoire54(*). Cette extension prendra la forme, à Laayoune, d'un point de collecte ouvert tous les quinze jours et, à Dakhla, d'un recueil direct des demandes auprès des entreprises et des particuliers.

Source : commission des finances d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux

L'initiative du regroupement est partagée entre les remontées des postes et l'administration centrale, qui identifie préalablement les potentiels de réorganisation. La décision d'opérer un regroupement associe la direction des Français de l'étranger et de l'administration consulaire, la direction générale de l'administration et de la modernisation, l'inspection générale des affaires étrangères, la direction géographique concernée et les postes visés55(*).

Une fois prise la décision de regrouper l'instruction des visas dans un pays, un comité de pilotage technique est mis en place. Il associe les services du MEAE (DFAE, direction des ressources humaines, direction de la sécurité diplomatique, direction des immeubles et de la logistique, direction du numérique, direction géographique concerné), la sous-direction des visas du ministère de l'intérieur et les postes.

b) Un bilan positif qui devrait être prolongé par des regroupements au niveau régional

Les regroupements réalisés depuis 2012 permettent désormais de disposer d'une première évaluation in itinere de cette démarche dont le bilan apparaît essentiellement positif.

Sur le plan organisationnel, le regroupement de l'instruction des visas permet aux services d'instruction d'atteindre une taille critique, nécessaire à leur bon fonctionnement. À cet égard, le rapport Hermelin identifie un dimensionnement minimal des services des visas à cinq ETP instructeurs et au double d'agents de droit local. L'atteinte de ce seuil critique facilite la gestion, par le service, des ressources humaines disponibles et de mieux répondre aux pics d'activité résultant de la saisonnalité de certaines catégories de demandes de visas (visas touristiques et étudiants notamment). Il en résulterait une plus grande qualité de service, du fait de la réduction des délais de traitement.

En outre, un seuil minimal d'agents ouvre la voie à une spécialisation par catégorie de visas, en particulier pour celles qui présentent une technicité plus importante (visas de regroupement familial ou de réunification familiale ou visas de long séjour passeport talent). Un rassemblement des instructeurs sur un nombre limité de postes consulaires devrait également contribuer à renforcer leur niveau d'expertise et le partage des bonnes pratiques, notamment en matière de détection de la fraude.

Sur le plan des méthodes de travail, limiter le nombre de services d'instruction des demandes de visas d'entrée conduit à éviter des divergences dans les méthodes de traitement des dossiers. Le regroupement offre une vision d'ensemble des différents types de demandes de visa et leurs spécificités respectives. De plus, lorsque plusieurs postes sont maintenus (comme en Russie ou au Maroc) les échanges se trouvent simplifiés.

Toutefois, les retours sur expérience des regroupements déjà réalisés ont également permis d'identifier plusieurs points d'attention :

- tout d'abord, s'agissant des agents, le regroupement des instructeurs sur un seul site peut demander un temps d'adaptation et de familiarisation à l'égard du contexte local. Dans le cas plus spécifique des agents de droit local, ces derniers n'ont pas toujours la volonté ou la possibilité de déménager ce qui implique de nouveaux recrutements et un temps de formation ;

- ensuite, si le regroupement permet de simplifier la gestion des relations avec les prestataires de services extérieurs (qui voient le nombre de leurs interlocuteurs dans les postes diminuer), la distance entre le lieu de regroupement et les centres d'accueil des PSE peut soulever une difficulté. Le suivi et le contrôle des activités des PSE devient plus coûteux et nécessite de mobiliser davantage d'agents pour les visites sur place ;

- enfin, les demandeurs de visas doivent s'acquitter d'un surcoût de frais de services, pour financer le transfert des dossiers depuis les centres des PSE vers les services d'instruction (compris entre un et deux euros). Pour autant, le maillage territorial assuré par les centres de recueil des demandes animés par les PSE demeure identique et le regroupement de l'instruction des visas n'impose, en principe, pas de frais de déplacement additionnels pour les demandeurs.

Recommandation : poursuivre la démarche de regroupement de l'instruction des visas pour atteindre un seuil critique d'effectifs et de moyens par poste et envisager, pour les plus petits postes, un regroupement régional (direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire).

À noter que le regroupement des services d'instruction des visas ne constitue pas la seule modalité de rationalisation de l'organisation des services consulaires. D'autres États, à l'instar du Royaume-Uni et des Pays-Bas, ont fait le choix de centraliser l'instruction des visas en administration centrale. L'adoption d'une telle organisation implique cependant de confier l'instruction des demandes de visas au ministère chargé de l'immigration, en contradiction avec le caractère bicéphale de la politique française des visas.


* 45 Point 1 de l'article 40 du code communautaire des visas.

* 46 Point 2 de l'article 40 du code communautaire des visas.

* 47 Par le règlement UE 2019/1155 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 portant modification du règlement (CE) n° 810/2009 établissant un code communautaire des visas.

* 48 Rapport d'information n° 127 (Sénat, 2015-2016) fait par Éric Doligé et Richard Yung, au nom de la commission des finances, sur la délivrance des visas, 29 octobre 2015.

* 49 Recommandation n° 40 du rapport de M. Paul Hermelin à l'attention du ministre de l'intérieur et des Outre-mer et de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, « Propositions pour une amélioration de la délivrance des visas », avril 2023.

* 50 À noter que, jusqu'en 2023 et la dénonciation d'accords de représentation, la France assurait également la représentation de huit États africains pour la délivrance des visas de court séjour (Burkina Faso, République Centrafricaine, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Mauritanie, Sénégal et Togo).

* 51 Point 1 de l'article 8 du code communautaire des visas.

* 52 Entretien avec M. Alfonso Barnuevo, consul général d'Espagne à Rabat, 3 septembre 2025.

* 53 Soit six centres ouverts dans les villes où siègent les consulats généraux à Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech, Agadir, Fès, ainsi qu'un centre délocalisé à Oujda, actuellement rattaché au consulat général à Fès.

* 54 Actuellement, le centre le plus proche de TLS se situait à Agadir, à plusieurs centaines de kilomètres du Sahara occidental.

* 55 Sur la base d'une liste préalablement validée par le cabinet du ministre.

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