B. LA DÉLIVRANCE DES VISAS : LEVIER DES NÉGOCIATIONS MIGRATOIRES ?

La politique des visas figure parmi les principaux vecteurs de la dimension extérieure des migrations. Par conséquent, dans le cadre d'une politique migratoire globale, l'instrument de la délivrance des visas est apparu, au cours des dernières années, comme un levier de négociations avec les pays d'immigration ou de transit.

À titre d'exemple, entre septembre 2021 et décembre 2022, le Gouvernement a pris la décision de restreindre la délivrance des visas dans les trois pays du Maghreb, afin d'inciter ces derniers à une plus ample coopération en matière de réadmission de leurs ressortissants présents illégalement sur le territoire. Le Gouvernement avait, dans ce cadre, fixé des objectifs de taux de refus de délivrance de 30 % pour la Tunisie et 50 % pour l'Algérie et le Maroc. Comme l'avait souligné la Cour des comptes dans un rapport sur la politique de lutte contre l'immigration irrégulière97(*), l'efficacité de cette mesure avait été limitée et le conflit a été débloqué par des initiatives diplomatiques plus larges. Le déplacement de la mission de contrôle au Maroc a confirmé cette analyse dont il ressort que :

- cette cible entrait en contradiction avec les objectifs d'attractivité fixés aux services consulaires, qui se sont vus obligés de refuser des visas à des profils attractifs (étudiants, chercheurs, médecins, entrepreneurs...) ;

- la marge de manoeuvre dont disposent les services d'instruction est limitée par critères fixés par le droit européen et le droit interne.

Ces deux facteurs avaient empêché les services consulaires d'atteindre les cibles de taux de refus fixées. L'image de la France auprès des demandeurs de visa, disposant de liens substantiels avec la France, s'était en outre trouvé particulièrement dégradée. S'agissant du Maroc, les représentants du secteur économique rencontrés par la mission de contrôle lors de son déplacement ont rappelé leur déception à l'égard de cette mesure.

Sans volonté de reproduire les mesures restrictives déployées à l'égard des pays du Maghreb en 2021-2022, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'intérieur ont indiqué aux rapporteurs spéciaux travailler au déploiement d'instruments permettant de mobiliser la délivrance des visas en matière de coopération migratoire de manière plus ciblée :

- d'une part, au niveau de l'Union européenne, la France propose de faciliter le recours au dispositif du « levier visa-réadmission » prévu à l'article 25 bis du code communautaire des visas98(*). Utilisé à deux reprises à l'encontre de la Gambie et de l'Éthiopie, l'article 25 bis permet à la Commission européenne, lorsqu'elle considère qu'un pays tiers ne coopère pas suffisamment en matière de réadmission, de suspendre l'application de certaines dispositions du code communautaire des visas99(*). L'effet de ce mécanisme est cependant affaibli par la faible portée des mesures restrictives, limitées à un allongement des délais de délivrance, une hausse des frais de visas et une suspension des accords de facilitation. La France propose par conséquent de faciliter le recours à l'article 25 bis tout en renforçant les mesures restrictives (notamment en permettant une suspension de la délivrance des visas) et en ouvrant aux États membres la possibilité d'adopter des mesures additionnelles ;

- d'autre part, au niveau interne, l'article 47 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration (dite loi CIAI) a ouvert la possibilité de refuser la délivrance d'un visa de court séjour au titulaire d'un passeport diplomatique ou d'un passeport de service, d'une part, et la possibilité de refuser la délivrance d'un visa de long séjour pour tout type de demandeur, d'autre part, pour les ressortissants d'un État « coopérant insuffisamment en matière de réadmission de ses ressortissants en situation irrégulière ou ne respectant pas un accord bilatéral ou multilatéral de gestion des flux migratoires. » Le comité interministériel de contrôle de l'immigration (Cici) du 26 février 2025 a validé les instructions interministérielles d'application de cette disposition.

La position conjointe des deux ministères est de privilégier la mise en oeuvre de mesures au niveau européen, pour renforcer leur impact et limiter le coût réputationnel et politique pour la France. Si des mesures restrictives devait être menées au niveau national, elles devraient être proportionnées, ciblées et réversibles. En ce sens, le rapport Hermelin recommandait d'exclure des mesures de restriction les personnes reconnues d'intérêt pour la France et ne représentant pas de risques sécuritaires ou migratoires.


* 97 Cour des comptes, « La politique de lutte contre l'immigration irrégulière », rapport public thématique, janvier 2024.

* 98 Introduit par le règlement (UE) 2019/1155 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 portant modification du règlement (CE) no 810/2009 établissant un code communautaire des visas (code des visas).

* 99 Paragraphe 5 de l'article 25 bis du CCV.

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