N° 58
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 octobre 2025
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de
l'éducation, de la communication
et du sport (1) par la mission
d'information sur les relations
stratégiques
entre
l'État et les
universités,
Par Mme Laurence GARNIER et M. Pierre-Antoine LEVI,
Sénatrice et Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Marie-Jeanne Bellamy, Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, M. Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Mireille Conte Jaubert, Evelyne Corbière Naminzo, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Pauline Martin, Paulette Matray, Catherine Morin-Desailly, M. Georges Naturel, Mme Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, François Patriat, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane.
L'ESSENTIEL
La mission d'information sur les relations stratégiques entre l'État et les universités est née de la volonté de comprendre les raisons du décalage observé, lors des derniers débats budgétaires, entre l'appréciation respectivement portée par les autorités ministérielles et les universités sur la situation financière de ces dernières.
Au terme de travaux qui leur ont permis de recueillir l'éclairage d'une grande diversité d'acteurs, et notamment des représentants de 25 établissements, les rapporteurs constatent que ce diagnostic non partagé constitue un indicateur avancé de la défiance qui s'est installée entre les universités et leur tutelle administrative, sous l'effet de l'insuffisante structuration de la stratégie universitaire de notre pays.
De la carence de l'État dans la définition de sa politique universitaire découle un pilotage erratique, dont les établissements sont contraints d'absorber les conséquences. Cette absence de boussole a de multiples effets sur la cohérence du paysage universitaire, de plus en plus fragmenté, ainsi que sur son financement, dont la soutenabilité apparaît compromise. Face à l'essor du secteur privé, elle tend également à dégrader la qualité perçue de la formation universitaire, parfois regardée comme une orientation par défaut.
La mission d'information a défini cinq axes de recommandations visant à recréer une relation de confiance entre les acteurs et avec les citoyens, l'université étant un bien public dont la préservation constitue un impératif national. Ces 12 recommandations se déploient à la fois sur le long terme, au travers de la clarification du rôle assigné aux universités, et sur le court terme, par l'indispensable stabilisation des conditions de financement des établissements.
I. FAUTE DE CAP FIXÉ PAR LA PUISSANCE PUBLIQUE, UN PAYSAGE UNIVERSITAIRE ILLISIBLE
A. L'UNIVERSITÉ, UN BIEN PUBLIC SANS BOUSSOLE
1. Une institution en manque de stratégie
a) L'ambition de notre pays pour son université n'est pas définie
Progressivement sédimentés aux articles L. 123-1 à L. 123-9 du code de l'éducation, les objectifs et missions confiés par le législateur aux universités constituent un ensemble disparate d'items de portée inégale et dépourvu de priorisation. Cette accumulation d'objectifs multiples, difficilement conciliables et manifestement inapplicables dans leur entièreté, fait courir le risque de la dilution de l'action des établissements et du saupoudrage de moyens déjà fortement contraints.
La faiblesse de ce cadre législatif est aggravée par la carence du ministère dans l'élaboration quinquennale d'une stratégie nationale de l'enseignement supérieur (Stranes) concertée avec l'ensemble des acteurs, prévue par l'article L. 123-1. Cette disposition n'étant plus appliquée depuis 2020, date à laquelle la première Stranes adoptée en 2015 aurait dû être révisée, notre pays ne dispose actuellement d'aucun cap actualisé et partagé à l'échelle nationale pour son université.
Cette lacune ne peut être compensée par la montée en puissance de l'outil contractuel, sur lequel le ministère indique reporter l'ensemble de son travail stratégique. Alors que les faibles financements associés aux actuels contrats d'objectifs, de moyens et de performance (Comp) ne leur confèrent pas la portée adéquate, leur redimensionnement annoncé sous la forme des « Comp à 100 % », dont les contours restent à clarifier, intégrera des priorités définies par le seul ministère, sans nécessaire cohérence d'ensemble entre des instruments par nature multiples.
b) Les parcours de formation sont régulés a posteriori et par l'échec
Cette absence de boussole est notamment visible dans la régulation des activités de formation. Les établissements se trouvent en effet fortement contraints par la massification de leurs effectifs, qui résulte à la fois de l'évolution de la fonction du baccalauréat - qui n'agit plus comme un filtre à l'entrée du supérieur - et de l'absence de conciliation stratégique des principes constitutionnels et législatifs encadrant l'accès aux filières universitaires - le principe d'égal accès à l'instruction étant aujourd'hui mis en oeuvre comme un droit d'accès à l'université.
Le principe d'orientation matérialisé par la plateforme Parcoursup est ainsi associé à la définition par les rectorats de capacités d'accueil universitaires permettant en pratique l'accès de tous les bacheliers au premier cycle. Les étudiants se trouvent cependant confrontés à de forts mécanismes de sélection dans la poursuite de leur cursus. Il en résulte une régulation de fait, a posteriori et par l'échec des parcours universitaires, hautement préjudiciable aux étudiants, aux établissements et aux finances publiques.
2. Une institution en manque de pilotage
Les modalités de la tutelle exercée par le ministère sont perçues comme inadaptées par les universités. Si le récent renouvellement à la tête de la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip) a marqué une inflexion positive, ses rapports avec les établissements ont globalement été décrits comme pauvres, voire absents. Le faible poids de la Dgesip dans le jeu interministériel crée par ailleurs le doute quant à sa capacité à structurer et à mettre en oeuvre une véritable stratégie universitaire. L'accompagnement assuré par les rectorats, enfin, apparaît excessivement centré sur des aspects administratifs.
3. Une institution en manque de (re)connaissance
Ces difficultés peuvent être mises en lien avec le déficit d'influence de l'université auprès des décideurs publics, qui sont principalement recrutés parmi les diplômés de grandes écoles, tandis que le doctorat reste peu valorisé.
En dépit de ses réussites objectives, l'université pâtit en outre d'une mauvaise image persistante. Alors que l'originalité du modèle universitaire est largement méconnue, son activité de formation est vue comme peu exigeante et professionnalisante.
Cette perception se double d'un « signal prix » négatif : la modicité des tarifs universitaires semble avoir, de manière paradoxale, un effet négatif sur l'attractivité de certaines filières - y compris pour certains étudiants étrangers, la modulation des tarifs pour les étudiants extracommunautaires n'étant que partiellement mise en oeuvre par les établissements.
Face à la concurrence accrue des formations privées, le positionnement de l'université dans l'offre d'enseignement supérieur tend au total à se dégrader.