2. La massification des effectifs étudiants n'est pas régulée

Cette absence de boussole est notamment visible dans la régulation des activités de formation. Les filières universitaires se trouvent en effet fortement contraintes par la massification des effectifs accueillis, sans que les différents principes encadrant l'accès à ces formations fassent aujourd'hui l'objet d'une véritable conciliation stratégique.

Si l'entrée dans le supérieur se fait selon un principe d'orientation a priori, assimilé dans sa mise en oeuvre à un droit d'accès à l'université, les étudiants massivement accueillis en premier cycle se trouvent confrontés à de forts mécanismes de sélection dans la poursuite de leur parcours.

Il en résulte une régulation de fait, a posteriori et par l'échec des effectifs accueillis dans certaines filières, hautement préjudiciable aux étudiants, aux établissements et aux finances publiques.

a) Une contrainte pesant d'abord sur les universités

ï La croissance rapide des effectifs de l'enseignement supérieur, qui compte aujourd'hui neuf fois plus d'étudiants que dans les années 1960, a été principalement absorbée par les universités.

Selon les données de l'EESRI 2, 54% des effectifs des formations post-baccalauréat sont inscrits à l'université, soit 1,6 millions d'étudiants à la rentrée 2023. La plupart d'entre eux sont des étudiants de premier cycle : 60 % sont inscrits en licence, tandis que 3 % seulement préparent un doctorat. Près d'un tiers des 672 400 néo-bacheliers de 2023, soit 216 500 étudiants 3, sont entrés en licence au terme d'un processus d'orientation et d'inscription par le biais de la plateforme Parcoursup.

Ces effectifs se répartissent de manière contrastée dans les différentes filières. Avec 31 % des inscrits, ce sont les filières d'arts, lettres, langues et sciences humaines et sociales qui représentent les premières formations universitaires ; leur évolution est cependant orientée à la baisse (- 3,6 % entre 2018 et 2023). Viennent ensuite les filières scientifiques, qui

1 Le rectorat académique de la région Île-de-France, dans laquelle sont passés 39 Comp, insiste cependant sur la nécessité d'une mise en oeuvre échelonnée de la réforme ainsi que du renforcement et de la montée en compétence de ses ressources humaines.

2 État de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en France n° 18, publié sur le site Internet du MESR.

3 Note Flash du SIES n° 12, juin 2024.

rassemblent 24 % des inscrits à l'université et dont les effectifs sont orientés à la hausse (+ 4,6 %). Les formations en santé, en économie et en administration (AES), et enfin en droit et sciences politiques comptent respectivement 15 %, 14 % et 13 % des étudiants de l'université, avec toutefois un dynamisme variable (respectivement + 1 %, - 8,6 % et + 3 %). Les sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) représentent enfin 4 % des effectifs universitaires, avec une évolution positive (+ 4,6 %).

ï Cette massification des effectifs universitaires résulte de la conjugaison de plusieurs éléments.

L'élargissement des cohortes de bacheliers au cours des dernières décennies en est le premier facteur explicatif, sous l'effet de la croissance démographique, de la diversification des voies d'accès au baccalauréat et de la hausse continue du taux de réussite à cet examen. Après la création du baccalauréat professionnel en 1985, la proportion de bacheliers dans une génération est ainsi passée de 33 % à 63 % entre 1987 et 1995, puis de 65 % en 2010 à 80 % en 2023.

Alors que la loi prévoit l'ouverture du premier cycle universitaire à tous ses titulaires 1, la progression du taux de réussite au baccalauréat fait par ailleurs profondément évoluer la fonction de ce diplôme, qui agit de moins en moins comme une barrière à l'entrée des études supérieures. Les formations universitaires dites « non sélectives » sont dès lors accessibles à la très grande majorité d'une classe d'âge.

L'accueil des étudiants étrangers dans les filières universitaires contribue également à l'augmentation des effectifs. Selon les données de l'Eesri, dans l'ensemble de l'enseignement supérieur, la croissance annuelle moyenne du nombre d'étudiants internationaux était plus dynamique en 2023 (+ 2,4 % sur cinq ans) que celle de l'ensemble des étudiants (+ 0,7 %). La majorité (65 %) de ces étudiants sont inscrits à l'université : les filières universitaires comptaient ainsi 264 168 étudiants étrangers en 2023, en hausse de 21% en dix ans. Dans l'ensemble du supérieur, les étudiants marocains et algériens sont les plus représentés, suivis par les étudiants chinois ; un peu moins d'un étudiant chinois sur deux (46%) est inscrit à l'université, contre neuf étudiants algériens sur dix, qui sont fortement représentés en master.

À ces facteurs mécaniques s'ajoute l'aspiration croissante des jeunes et de leurs familles à la détention d'un diplôme de l'enseignement supérieur, alors que 48 % des 25-49 ans étaient diplômés de l'enseignement supérieur en 2023, contre 27 % en 2003.

La concentration des effectifs de l'enseignement supérieur dans les universités résulte enfin et surtout de l'absence de régulation à l'entrée des études universitaires.

1 L'article L. 612-3 prévoit en effet que « le premier cycle est ouvert à tous les titulaires du baccalauréat ».

Les trois types de formation universitaire accessibles par Parcoursup

Trois types de formation universitaires peuvent être distingués :

- les formations non sélectives : il s'agit des licences, des parcours spécifiques accès santé (PASS) et des parcours préparatoires au professorat des écoles (PPPE) ;

- les formations sélectives : en application du VI de l'article L. 612-3, il s'agit notamment des instituts universitaires de technologie (IUT) et des doubles licences ;

- les formations sous statut d'apprenti, qui sont rattachées aux parcours sélectifs et non sélectifs.

b) Une formation ouverte à tous les bacheliers

(1) En droit, la procédure Parcoursup assure une conciliation des principes encadrant l'accès à l'enseignement supérieur

ï Le choix fait par notre pays de proposer un accès ouvert à l'université, sans procédure de sélection préalable, constitue l'une des modalités possibles de la conciliation des différents principes et objectifs de politique publique déterminant les conditions d'accès à l'enseignement supérieur.

Il s'agit en premier lieu de l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction, qui découle du treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 1.

Cette exigence n'est pas, en droit, synonyme d'interdiction de toute sélection, dès lors qu'elle est organisée de manière à garantir l'égale admissibilité de tous les candidats. La jurisprudence du Conseil constitutionnel 2 a ainsi établi que ce principe « ne fait pas obstacle à ce que le législateur [...] puisse [...] établir les conditions dans lesquelles les bacheliers peuvent être inscrits dans une formation du premier cycle de l'enseignement supérieur ». Les conditions actuelles de son application, développées infra, tendent cependant à l'assimiler à un droit d'accès à l'enseignement supérieur, dont les filières non sélectives de l'université sont les premières à absorber les effets.

1 Le treizième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui relève du bloc de constitutionnalité, dispose que « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture ».

2 Décision n° 2018-763 DC du 8 mars 2018, par laquelle le Conseil constitutionnel a retenu, au sujet de la mise en place de Parcoursup par la loi ORE de 2018, que le législateur n'a pas méconnu le principe d'égal accès à l'instruction en prévoyant que les établissements publics d'enseignement supérieur peuvent tenir compte des caractéristiques de la formation ainsi que des acquis et compétences des candidats afin, le cas échéant, de subordonner leur inscription à l'acceptation par eux de dispositifs d'accompagnement et de formation.

Ce principe s'articule avec des objectifs législatifs relatifs, notamment, à l'insertion professionnelle des étudiants et à la capacité de l'offre de formation à répondre aux besoins en compétences de notre pays 1, d'une part, et à l'orientation et à la réussite étudiante d'autre part - la loi dite

« Fioraso » de 2013 ayant fait de « la réussite de toutes les étudiantes et de tous les étudiants » l'objectif cardinal des établissements publics d'enseignement supérieur.

Ces différents principes sont complétés par les ambitions affichées par les pouvoirs publics quant à l'évolution du nombre de diplômés de l'enseignement supérieur. En septembre 1985, le ministre de l'Éducation Jean-Pierre Chevènement fixait l'objectif d'un doublement de la proportion de bacheliers dans une classe d'âge, afin d'atteindre un taux de 80 % de titulaires du baccalauréat dans une génération. La loi d'orientation sur l'école de 2005 2 a ensuite défini celui de 50 % de titulaires d'un diplôme de l'enseignement supérieur dans une classe d'âge, porté à 60 % par la Stranes mentionnée supra. Cette stratégie, qui visait de manière plus précise 50 % de diplômés de niveau Licence et 25 % de niveau Master, inscrivait cette ambition dans l'impératif de « répondre aux besoins de montée en gamme de l'économie et au progrès de la société », après que la stratégie de Lisbonne a défini l'objectif de faire de l'Europe « l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde ».

Le dernier document stratégique concerté publié par le ministère, la Stranes, affirme enfin que « la sélection n'[est] pas une solution ». Ce refus de la sélection est resté prégnant dans les débats qui se sont développés autour de la réforme de l'accès au Master en 2017, qui a consacré un droit à la poursuite d'études pour tous les étudiants, puis de l'adoption de la loi ORE en 2018 3.

ï Ces différents objectifs sont conciliés par la procédure d'orientation

« Parcoursup » 4 créée par la loi ORE de 2018 à l'article L. 612-3 du code de l'éducation, qui prévoit à la fois le principe de l'ouverture de l'accès aux formations universitaires non sélectives à l'ensemble des titulaires du baccalauréat et la possibilité pour les présidents d'université d'ordonner les candidatures présentées en fonction de critères objectifs.

Leur répartition dans les différents établissements et filières universitaires est ensuite organisée selon plusieurs principes :

1 L'article L. 123-2 du code de l'éducation prévoit à ce titre que le service public de l'enseignement supérieur « contribue à la croissance et à la compétitivité de l'économie et à la réalisation d'une politique de l'emploi prenant en compte les besoins économiques, sociaux, environnementaux et culturels et leur évolution prévisible », tandis que l'article L. 123-3 prévoit que les établissements assurant le service public de l'enseignement supérieur ont pour missions « l'orientation, la promotion sociale et l'insertion professionnelle ».

2 Loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école.

3 Loi n° 2018-166 du 8 mars 2018 relative à l'orientation et à la réussite des étudiants.

4 Cette procédure est venue se substituer au dispositif « Admission Post-Bac », qui reposait sur le principe du tirage au sort pour l'admission dans les filières non sélectives les plus demandées.

- les capacités d'accueil de chacune des formations proposées, précisées sur Parcoursup, sont définies par les rectorats en tenant compte « des perspectives d'insertion professionnelle des formations, de l'évolution des projets de formation exprimés par les candidats ainsi que du projet de formation et de recherche de l'établissement ». Les établissements ne sont donc pas compétents sur la définition de ce paramètre central de leur organisation ;

- les inscriptions sont ensuite prononcées par les présidents d'établissement dans la limite de ces capacités d'accueil et « au regard de la cohérence entre, d'une part, le projet de formation du candidat, les acquis de sa formation antérieure et ses compétences et, d'autre part, les caractéristiques de la formation » ;

- une commission d'accès à l'enseignement supérieur (CAES), présidée par le recteur et composée de chefs d'établissement du secondaire et du supérieur ainsi que de représentants des collectivités territoriales, se réunit en fin de processus pour aider les candidats n'ayant pas reçu de proposition d'admission à trouver une formation « au plus près de leur projet en fonction des places disponibles » 1.

Parcoursup et l'exigence d'égal accès à l'instruction

Les modalités d'accès au premier cycle universitaire définies par l'article L. 612-3 du code de l'éducation ont été jugées conformes à l'exigence constitutionnelle d'égal accès à l'instruction par le Conseil d'État.

Dans son avis sur la loi ORE de 2018, il a en effet estimé que ce principe « ne fait pas obstacle à ce que le législateur [...] puisse [...] établir les conditions dans lesquelles les bacheliers peuvent être inscrits dans une formation du premier cycle de l'enseignement supérieur et prévoir, le cas échéant, des modalités d'admission ou de rejet des candidatures à certaines filières universitaires, qui soient fondées sur des critères objectifs en rapport notamment avec le projet, la formation et les compétences des candidats ».

S'agissant en particulier de l'accès aux formations « en tension », il relève que la procédure prévue « conduit à porter une appréciation d'ensemble fondée sur des critères suffisamment objectifs et rationnels, en relation avec l'objet du projet pour éviter l'arbitraire. Respectueuse du principe constitutionnel d'égal accès à l'instruction, cette mise en regard laisse en même temps aux établissements d'enseignement supérieur une certaine marge d'appréciation pour ordonner les candidatures à leurs formations non sélectives, dans le respect du principe d'autonomie que le législateur a établi au profit des Universités ».

ï À l'échelle nationale, il ne s'agit donc pas d'un mécanisme de sélection, mais d'une procédure d'orientation, dans la seule limite des places disponibles - dont le volume, comme on le verra, est toutefois déterminé de manière à offrir une solution à l'ensemble des bacheliers.

1 Éléments figurant sur la foire aux questions (FAQ) en ligne sur le fonctionnement de Parcoursup.

Il est en ce sens précisé, sur la plateforme Parcoursup, que « l'objectif demeure de remplir les capacités d'accueil des formations universitaires. [...] En revanche, ce qui a changé avec l'apparition de la plateforme, c'est la façon de remplir la capacité d'accueil des formations non sélectives. Auparavant, les inscriptions se faisaient par ordre d'arrivée dans la nuit devant le bureau ou bien par tirage au sort. Désormais, cela se fait à partir de l'examen des dossiers. Il s'agit d'une décision volontaire et assumée, pour plus de méritocratie ».

On peut cependant considérer qu'il existe bien une sélection à l'échelle de chaque formation et de chaque établissement, les formations les plus demandées recrutant les étudiants les mieux classés sur les listes de recrutement établies après analyse des demandes. En 2024, le parcours d'accès spécifique santé (PASS) mention Biologie, physique, chimie de l'université Paris Cité a ainsi satisfait 4,5 % des demandes présentées. D'autres formations moins demandées, tout en présentant un taux d'admission comparable, recrutent des étudiants moins bien classés sur leur liste ou relevant de leur liste complémentaire.

Au cours des tables rondes organisées par la mission d'information, des présidents d'université ont considéré que cette situation aboutissait à la création de fait d'établissements considérés comme « de deuxième zone » par les étudiants et les pouvoirs publics. Ce phénomène serait très marqué dans les établissements situés en petite couronne parisienne, qui se trouvent en périphérie des établissements parisiens plus prestigieux.

(2) En pratique, la définition des capacités d'accueil universitaires crée un droit d'accès à l'université pour tous les bacheliers

ï Dans les faits, ces modalités d'accès au premier cycle universitaire 1 ne permettent de répondre qu'imparfaitement aux différents objectifs mentionnés supra, la régulation exercée par l'État privilégiant l'ouverture des formations à l'insertion professionnelle et à la réussite des étudiants.

Il ressort en effet des auditions que la définition des capacités d'accueil des formations du premier cycle, qui constitue la seule contrainte à l'admission dans les filières universitaires non sélectives, se fait principalement au regard du volume de voeux attendus sur Parcoursup, au détriment de la prise en compte des débouchés professionnels, des projets de formation des établissements et de leurs conditions d'enseignement.

En application du III de l'article L. 612-3 mentionné supra, ces capacités d'accueil sont définies annuellement par les rectorats « après dialogue avec chaque établissement ». Selon le témoignage de plusieurs responsables d'établissement, les demandes d'évolution présentées par les établissements ne sont cependant pas suivies, notamment lorsqu'elles sont orientées à la

1 Les observations qui suivent portent sur les conséquences de ces modalités d'accès dans le cadre universitaire, et non sur le fonctionnement de la plateforme Parcoursup, qui a fait l'objet de nombreux travaux récents - notamment le rapport d'information de Jacques Grosperrin, en date du 28 juin 2023, au nom de la commission de la culture du Sénat.

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