B. UN OBJECTIF D'AUTONOMISATION SANS MOYENS OPÉRATIONNELS
Le paysage universitaire se caractérise en second lieu par des établissements présentant un degré d'autonomie limité au regard des objectifs tracés par les pouvoirs publics. Alors que la logique de contractualisation tend à déplacer la fonction stratégique à l'échelle de chaque établissement, ceux-ci ne disposent pas des moyens opérationnels qui leur permettraient de s'engager dans cette voie.
La mission s'est principalement intéressée à ce titre aux difficultés posées par le sous-calibrage des fonctions supports des établissements, ainsi qu'à celles résultant du cadre actuel de la dévolution immobilière.
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Près de vingt ans après la loi LRU, une autonomie « en trompe-l'oeil » Le principe et le cadre de l'autonomie des universités ont été tracés en 2007 par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « LRU », ouvrant la voie à un alignement de la France sur le reste du monde en matière d'organisation de l'enseignement supérieur universitaire. Le passage aux « responsabilités et compétences élargies » prévues par ce texte visait à donner aux établissements les marges de manoeuvre leur permettant de définir une stratégie propre. Il s'est notamment traduit par une présidentialisation accrue de leur gouvernance, l'intégration de la masse salariale à leur budget, une maîtrise renforcée de leur carte d'emplois, ou encore la création d'outils destinés à augmenter leurs ressources propres. Les principes définis par ce texte n'ont jamais été remis en cause, ni par les gouvernements qui se sont succédé depuis lors, ni par les établissements eux-mêmes. Pour autant, cette autonomie est loin d'être pleinement aboutie. La Cour des comptes a ainsi évoqué, dans son rapport de 2021 précité, l'autonomie « en trompe-l'oeil » des universités. Laurent Batsch a évoqué devant la mission d'information une « déconcentration de gestion » plutôt qu'une véritable autonomisation des établissements. Ce constat est confirmé au niveau international : une étude réalisée en 2023 par l'association européenne des universités (EUA) a mis en évidence une dégradation de la position relative de la France, par rapport à 2017, en ce qui concerne l'autonomie institutionnelle de ses universités (24ème place sur 35, -4 places), leur autonomie financière (27ème, - 3 places), la gestion autonome de leurs ressources humaines (31ème, -4 places) et leur autonomie académique (32ème, -5 places). Près de vingt ans après l'adoption de la LRU, l'autonomie des universités demeure ainsi un objectif plus qu'une réalité pour la plupart des établissements. Pour l'ensemble de ceux entendus par la mission, cette situation résulte du fait que l'autonomie a été reconnue aux établissements sans transfert des moyens opérationnels correspondants. |
1. Un sous-calibrage des fonctions support
D'un point de vue opérationnel, la possibilité d'une autonomisation et d'une différenciation stratégique des universités découle concrètement de leur capacité à assurer puis à transformer l'exercice de leurs différentes fonctions dites « support » - qui recouvrent notamment la gestion de leurs personnels, l'accompagnement administratif et financier des démarches d'appels à projets, ou encore l'entretien de leur parc immobilier.
Le sous-calibrage patent de ces fonctions constitue dès lors un obstacle majeur au repositionnement stratégique des universités, quand il n'entrave pas la seule marche quotidienne des établissements.
a) Une technicité croissante appelant des compétences spécialisées
(1) Les lacunes des services dans la gestion budgétaire et salariale
• Les universités gèrent dans leur ensemble des budgets très conséquents, qui atteignent 856 millions d'euros dans le cas de l'Université d'Aix-Marseille (AMU), soit un montant comparable au budget primitif d'une ville comme Toulouse ou de celui du CHU de Clermont-Ferrand. Ces budgets couvrent des fonctions très vastes, allant de la rémunération des personnels à la gestion du parc immobilier, en passant le suivi des dispositifs relatifs à la vie étudiante. La tendance au renforcement de la technicité de ces différentes fonctions appelle des compétences de plus en plus spécialisées.
• Dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs, la Dgesip souligne les marges d'évolution des établissements en matière de gestion financière. Si des progrès importants ont été réalisés, au cours des dernières années, dans le suivi des dépenses -en ce qui concerne notamment la démarche de programmation et de vision pluriannuelle et la mise en oeuvre d'un contrôle interne financier-, de nombreux changements doivent être opérés en matière de suivi et de maîtrise de la masse salariale -de la mise en place d'une cartographie des emplois et d'un schéma directeur des ressources humaines à la définition d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).
La Dgesip relève par ailleurs que les difficultés financières rencontrées par les établissements « résultent au moins partiellement de problématiques non financières. C'est la raison pour laquelle les établissements concernés font l'objet d'un accompagnement et d'un suivi rapproché, de la part des rectorats au premier chef, du ministère ainsi que, si besoin est, à travers des missions d'accompagnement de l'IGESR. Dans les situations les plus détériorées, il peut être envisageable d'aller jusqu'à la désignation d'administrations provisoires. »
• De l'avis généralement exprimé au cours des auditions, et en dépit de l'engagement des personnels rencontrés par les rapporteurs, les difficultés de gestion observées dans les établissements sont largement imputables au sous-dimensionnement quasiment généralisé des fonctions support des universités, qui ne disposent pas à ce jour des ressources humaines qui leur permettraient d'assurer un véritable pilotage de leurs moyens financiers.
(2) De forts besoins pour la mobilisation et la gestion des financements compétitifs
On l'a vu, la capacité à mobiliser des ressources propres, notamment les financements issus des appels à projets compétitifs, est devenue cruciale pour les universités. Cet exercice suppose cependant la mobilisation de compétences et de moyens dédiés pour identifier les appels à projets susceptibles d'être remportés, confectionner les dossiers de candidature, et enfin assurer le suivi et la gestion des financements remportés.
Ces compétences sont réparties de manière inégale entre les universités. En témoignent les forts écarts relevés quant à la proportion des ressources propres dans le budget des établissements, qui varie, en 2023, de 5 % à 33 % selon les établissements. L'université Paris-Saclay tire ainsi 27 % de ses ressources totales des contrats de recherche, contre 1,2 % pour l'université d'Artois.
Les contrastes observés de ce point de vue recouvrent largement les catégorisations évoquées supra : ce sont généralement les établissements de grande taille et disposant des ressources sélectives les plus importantes qui parviennent à structurer et intégrer leurs services support de manière à renforcer leur développement, tandis que les établissements les moins performants sont confrontés à une forme de « double peine ». Ces contrastes résultent de plusieurs éléments :
- les établissements de petite taille se voient contraints de concentrer leurs ressources humaines sur leurs fonctions indispensables ;
- certains établissements subissent la concurrence d'organismes de recherche (ONR), dont la spécialisation dans la recherche leur permet de disposer d'équipes support mieux outillées. C'est particulièrement le cas des universités implantées sur les territoires éloignés des ONR, qui ne peuvent pas nouer de partenariats leur permettant de tirer profit de l'expérience acquise par ces organismes ;
- de nombreux appels à projets entraînent une augmentation de l'activité des établissements sans accroissement net de leurs ressources, en raison de l'importance des tâches de suivi et de gestion qu'ils induisent, et que le préciput associé ne permet pas de couvrir. Seuls les plus grands établissements ont dès lors la capacité humaine et financière d'absorber ces coûts indirects des appels à projets ;
- l'AMU a souligné le caractère volontariste de la démarche qui lui a permis de transformer et structurer les fonctions support nécessaires à la mobilisation des financements compétitifs, par la mobilisation de ressources humaines et financières et la mise à disposition de locaux.
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La mission Europe pour la recherche (MER) de l'université d'Aix-Marseille L'AMU s'est dotée en 2024 d'un service d'appui dédié à l'accompagnement des unités de recherche dans leurs activités d'obtention et de mise en oeuvre de projets européens de recherche et d'innovation. Cette mission Europe pour la recherche (MER) comporte une vingtaine d'agents en poste à l'AMU et dans les organismes de recherche partenaires (filiale de l'université Protisvalor, CNRS, Inserm, IRD). Elle offre un guichet unique, transparent pour les chercheurs quel que soit leur organisme de rattachement, et proposant une offre d'accompagnement intégrée allant du sourcing des projets au coaching pour les oraux, en passant par la rédaction des dossiers de réponse. |
b) Un cadre d'exercice mal défini et peu attractif
(1) L'absence de corps professionnel dédié
• Le principe général, en matière d'administration des universités, est celui de leur gestion par des universitaires.
La composition de leur conseil d'administration, fixée par l'article L. 712-3 du code de l'éducation, fait ainsi une large place aux enseignants-chercheurs. Il revient à ce conseil d'administration d'élire un président aux prérogatives particulièrement larges : en application de l'article L. 712-2 du code de l'éducation, il est ainsi « ordonnateur des recettes et des dépenses de l'université » (3°) et exerce « au nom de l'université, les compétences de gestion et d'administration qui ne sont pas attribuées à une autre autorité par la loi ou le règlement » (8°). Des vice-présidents coordonnent ensuite l'action de l'université sur chacun des domaines de compétence et des priorités qu'elle définit, qui peuvent aller de la politique immobilière des établissements à la gestion de ses ressources humaines, en passant par la lutte contre les discriminations.
Initialement recrutés sur le fondement de leur excellence académique, pédagogique et sur la qualité de leurs travaux de recherche dans leur domaine de spécialisation, ces élus assument ainsi des responsabilités extrêmement larges sur des sujets particulièrement techniques, auxquelles ils ne sont initialement pas préparés. Le cursus honorum traditionnellement observé avant l'accession au poste de président, avec des responsabilités progressivement prises dans les divers conseils, pallie en partie ce manque de formation initiale.
• Ces élus ne peuvent par ailleurs pas s'appuyer sur un corps de personnels dédié et spécifiquement structuré pour leur apporter l'assistance technique nécessaire. Contrairement aux hôpitaux ou aux collectivités territoriales, les universités ne disposent pas d'une fonction publique dédiée. En outre, au contraire du statut donné aux directeurs d'hôpitaux, le rôle du responsable administratif des services n'est pas clairement défini dans les textes.
Le rapport de la Cour des comptes de 2021 précité relevait ainsi que, « alors qu'un régime électif confie à des enseignants-chercheurs des charges de gestion complexes, ceux-ci ne sont en rien préparés aux responsabilités qu'ils exercent. Les conseils d'administration, dans de trop nombreux cas, laissent peu de place à la représentation de membres extérieurs à l'université. [...] Les directeurs généraux des services (DGS), maillons essentiels d'une gouvernance éclairée, sont encore trop souvent relégués à un rôle subalterne et leur statut demeure précaire. Leurs équipes administratives sont rarement l'objet de recrutements prioritaires. »
• L'absence d'un corps de personnels dédiés aux fonctions administratives des établissements ne signifie pas pour autant que les établissements sont libres de leur gestion, qui relève des grandes catégories de la fonction publique.
Cette situation a été déplorée au cours des auditions, plusieurs acteurs ayant souligné qu'une autonomie véritable des universités ne pouvait se concevoir sans que leur soient conférées de véritables marges de manoeuvre dans la gestion de leurs personnels - qui tendraient à les rapprocher de la situation des ONR.
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Des marges de manoeuvre réduites dans la
gestion Les universités ne disposent d'aucune autonomie véritable dans la gestion de leurs personnels relevant de la fonction publique, dont la masse salariale constitue la principale contrainte de leurs dépenses. Un président d'université a ainsi estimé que les modalités actuelles de la gestion de leurs personnels condamnaient les universités à « courir avec des boulets aux pieds ». La Cour des comptes souligne, dans son rapport de 2021 précité, qu' « on ne peut qualifier d'autonome une université qui ne maîtrise ni ses recrutements ni la gestion des promotions et évolutions de carrière de ses personnels », et que « la gestion des carrières des personnels administratifs par les rectorats et le ministère [prive] les chefs d'établissement de leviers essentiels en matière de management »88(*). En ce qui concerne spécifiquement les enseignants-chercheurs, comme pour l'ensemble des fonctionnaires, plusieurs règles sont fixées au niveau national : - les recrutements des différents corps d'enseignants et de chercheurs sont déterminés au niveau national et répartis entre les différents établissements de manière centralisée. L'arrêté du 24 février 2025 fixe ainsi à 799 le nombre de professeurs d'université à recruter et à 1 546 celui de maîtres de conférences ; - les grilles de salaires des maîtres de conférences et professeurs d'université sont fixées au niveau national par le décret du 10 avril 201389(*). La France, à la différence par exemple des universités américaines qui sont libres de fixer la rémunération de leur personnel, a ainsi privilégié un système unifié qui garantit l'homogénéité du corps, mais prive de facto les établissements de toute marge de manoeuvre une fois le recrutement effectué. Enfin, l'évolution du point d'indice applicable à l'ensemble des agents de la fonction publique est décidée par l'État. Ces dernières années, les décisions prises au niveau national n'ont été que partiellement prises en compte dans les dotations allouées aux établissements (voir infra). |
(2) Un faible niveau de rémunération
Les établissements rencontrent ainsi de fortes difficultés pour assurer le bon fonctionnement de leurs services support, dont relèvent l'ensemble de leurs personnels non enseignants, désignés sous l'acronyme de Biatss (pour personnels de bibliothèque, ingénieurs, administratifs, techniques, de santé et sociaux). Le sous-dimensionnement de ces services support ainsi que la difficulté à recruter puis fidéliser des profils compétents pour l'exercice de missions de plus en plus techniques a été souligné tout au long des auditions.
Cette situation résulte de la faible attractivité salariale de ces fonctions, qui n'apparaît plus en lien avec leur technicité croissante, notamment en ce qui concerne la gestion immobilière et financière des établissements. Le montant moyen de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) s'élevait ainsi en 2022, pour un agent de catégorie B de la filière recherche et formation, à 5 651 euros par an au sein de l'enseignement supérieur, à 6 965 euros au sein de l'éducation nationale et à 9 211 euros dans les autres ministères90(*).
Les difficultés de recrutement et de fidélisation sont en conséquence plus prégnantes dans les grandes agglomérations, où les universités font face à la concurrence non seulement d'autres établissements d'enseignement supérieur, mais également des recrutements contractuels des collectivités. Cette tension sur les métiers de gestion des universités a en particulier été pointée par les universités parisiennes.
Certaines universités disposant de moyens relativement plus importants, telle que Aix-Marseille Université, ont en conséquence mis en place des politiques autonomes destinées à accroître l'attractivité de leurs fonctions support, notamment par le développement d'une offre de logement de transition.
2. Des impulsions contradictoires dégradant l'attractivité de la dévolution immobilière
Les difficultés opérationnelles de repositionnement des universités sont spécifiquement observées sur la gestion de leur parc immobilier, qui constitue un véritable cas d'école de l'absence de cap donné par l'État.
Les universités ne sont que marginalement propriétaires du patrimoine immobilier qui leur est affecté, qui est essentiellement détenu par l'État (82%) et les collectivités territoriales (12%). Alors que sa gestion représente le deuxième poste budgétaire des établissements91(*), sa transformation et sa valorisation constituent un enjeu stratégique majeur : la rénovation énergétique des bâtiments représente un important gisement d'économies de fonctionnement, tandis que la transformation de l'usage de certains bâtiments pourrait permettre de dégager des ressources additionnelles significatives.
C'est dans cette perspective que la loi LRU a introduit la possibilité pour les universités de bénéficier de la dévolution immobilière, c'est-à-dire du transfert à leur bénéfice de la propriété du patrimoine immobilier de l'État dont ils sont affectataires. Initialement conçu comme un levier majeur de l'autonomie des établissements, ce dispositif a fait l'objet d'un pilotage hésitant qui a obéré son attractivité et n'a pas permis sa généralisation.
Le financement de ce dispositif, qui porte sur un parc immobilier globalement vieillissant et appelant une réhabilitation d'une ampleur colossale, a en effet été réévalué en cours de route, de sorte que seuls les bénéficiaires de la première vague de dévolution bénéficient des moyens d'assurer la gestion et la transformation de leur patrimoine.
a) La dégradation du patrimoine universitaire appelle un investissement massif
(1) Des besoins de réhabilitation colossaux
• Avec 13,7 millions de mètres carrés, auxquels s'ajoutent 6 000 hectares de foncier non bâti, le patrimoine immobilier affecté aux établissements d'enseignement supérieur constitue le deuxième parc de l'État, dont il représente un quart du patrimoine. En dépit de fortes différences entre les établissements, une large partie de ce patrimoine se trouve dans un état dégradé et appelle des opérations de réhabilitation d'ampleur.
Les entretiens menés par les rapporteurs ont largement souligné sa vétusté, qui est à l'origine de dysfonctionnements quotidiens en matière de sécurité, d'accessibilité, de fonctionnalité et de performance énergétique. Selon la Dgesip, un tiers du patrimoine immobilier universitaire se trouve dans un état jugé peu ou pas satisfaisant. Il s'agit principalement des bâtiments construits dans les années 1960 à 1980, qui posent aujourd'hui d'importantes difficultés sur le plan de la régulation thermique.
• Le besoin de financement permettant d'assurer la réhabilitation de ce patrimoine est colossal. La Dgesip évalue les investissements nécessaires à 16 milliards d'euros pour la période 2020-205092(*). France Université considère quant à elle que le « besoin urgent de rénovation dépasserait les 12 milliards d'euros ». Les besoins sont immenses à l'échelle de chaque établissement : l'université Paris-Saclay les évalue à 900 millions d'euros, et l'université de Bretagne Occidentale à 300 millions d'euros.
Sur le plan de la seule transition énergétique des bâtiments, la direction du budget évalue à 7 milliards d'euros au moins l'effort budgétaire permettant d'atteindre l'objectif de réduction de 40% des émissions de gaz à effet de serre d'ici 203093(*). Un document de travail du secrétariat à la planification écologique (SGPI) évalue à 27 milliards d'euros le montant global des opérations à engager à l'horizon 2050 pour le bâti universitaire94(*).
L'adaptation des locaux aux nouveaux usages en matière de pédagogie et de numérique représente un autre chantier. Si la crise sanitaire de 2019-2020 a mis en évidence la nécessité de développer l'enseignement numérique à distance, l'IGESR relève aussi la nécessité de créer des « espaces modulables et bien équipés, notamment en matière de connexion internet à haut débit », pour répondre aux nouvelles pratiques visant à fluidifier l'utilisation des locaux.
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Le Plan Campus L'opération Plan Campus, lancée en 2008, concernait initialement douze établissements sélectionnés par deux vagues d'appels à projets. Elle a été dotée de 5 milliards d'euros sur 25 ans, issus de la vente de 3% des actions du groupe EDF. Le financement des opérations est assuré par les intérêts générés par le dépôt du produit de cette cession sur un compté géré par l'agence nationale de la recherche (ANR). Onze sites supplémentaires ont bénéficié d'un financement budgétaire complémentaire de 455 M€ de crédits budgétaires, tandis que Paris-Saclay s'est vu attribuer un milliard d'euros de crédits. En incluant la participation des collectivités territoriales à haute de 1,25 milliard d'euros, le montant décaissé dépasse aujourd'hui 3,6 milliards d'euros. Selon la Cour des comptes, le Plan Campus a permis une montée en compétence de l'administration et des universités sur les questions immobilières. Sa mise en oeuvre a en outre donné lieu à la création du service des grands projets immobiliers (SGPI) au sein du MESR, ainsi qu'à celle de l'établissement public d'aménagement universitaire de la région Île-de-France (Epauparif). Plusieurs difficultés ont cependant été soulignées par la Cour des comptes. Dix ans après le lancement de l'opération, un quart seulement des opérations prévues avaient été livrées. Le caractère exceptionnel du financement attribué n'a en outre pas été maintenu, l'État ayant concomitamment réduit sa participation au financement des Contrats de plan État-Région (CPER). |
• Les universités présentent à cet égard des situations contrastées qui reflètent largement les catégorisations établies supra. Si la nature du bâti, son âge et sa taille représentent des facteurs de différenciation importante, c'est en effet surtout de la capacité de financement des établissements que dépend leur vulnérabilité immobilière.
Selon la Dgesip, les situations les plus complexes sont ainsi retrouvées dans les universités en sous-financement chronique, dont les questions immobilières n'ont pas été intégrées à la gouvernance et dont la fonction immobilière est insuffisamment professionnalisée. À l'inverse, les universités qui présentent une forte capacité d'autofinancement et ont bénéficié de financements fléchés importants via la première vague de dévolution ou le Plan Campus ont pu mettre en place une fonction immobilière structurée et définir une vision pluriannuelle.
(2) Un sous-financement chronique générateur d'une dette technique
Alors que le rapport d'information sénatorial sur l'optimisation de la gestion de l'immobilier de 202195(*) affirme que « l'immobilier reste un axe porteur de la réussite étudiante », les universités sont ainsi confrontées à des besoins d'investissements massifs mais sans cesse reportés, alourdissant au total la « dette technique » accumulée depuis plusieurs décennies. La Cour des comptes notait ainsi en 2021 que « bien des universités n'ont aucun moyen d'y parvenir, parfois par défaut de compétences en la matière, souvent par manque de financements »96(*).
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La gestion immobilière des
établissements : Tandis que la maintenance des bâtiments est principalement couverte par la SCSP, les dépenses de gros entretien et de renouvellement (GER) mobilisent une pluralité de financements. Une part du GER est en principe couverte par la SCSP. Au sein de l'enveloppe budgétaire dédiée à la maintenance et à la logistique, d'un montant d'environ 400 millions d'euros annuels depuis 2009, 140 millions d'euros sont identifiés au titre du GER. Ce montant est particulièrement faible : rapporté à la surface de l'immobilier universitaire, il représente 9 euros par mètre carré. Cette enveloppe étant fongible, la Cour des comptes estime en outre que « le montant reçu au titre du GER par les universités n'est pas affecté à ces dépenses par plus du quart d'entre elles »97(*). La majeure partie des crédits alloués à l'investissement immobilier résulte des crédits contractualisés via les contrats de plan État-région (CPER). Dans le cadre du CPER 2015-2021, 925 millions d'euros étaient abondés par l'État en provenance du programme 150, 1 milliard provenait des régions, et 350 millions d'euros des départements et communes. Pour le CPER 2021-2027, l'enveloppe contractualisée par le MESR s'élève à 1,2 milliards d'euros. Les financements sélectifs non récurrents tendent à gagner en importance. Plus de 5 milliards d'euros ont ainsi été apportés via le Plan Campus, tandis que 1,2 milliards d'euros de financements sont issus du plan de relance. Les universités ont enfin la possibilité de mobiliser leurs ressources propres et de recourir à l'emprunt auprès de la BEI et de la Banque des territoires. Ces possibilités sont cependant limitées, les universités s'étant vu interdire par la loi98(*) de contracter auprès d'un établissement de crédit un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois. L'emprunt auprès de la BEI est autorisé par cette même loi, tandis que la CDC n'est pas considérée comme un « établissement de crédit ». |
L'ampleur du sous-financement de la gestion immobilière a été objectivée par la Cour des comptes dans son rapport précité. Alors que la direction de l'immobilier de l'État (DIE) préconise une dépense annuelle de 30 euros par mètre carré pour un bâtiment en état correct, 75 % des établissements sont en dessous de ce seuil, et 26 % y consacrent un montant égal ou inférieur à 5 euros. C'est notamment le cas de l'université d'Angers, dans laquelle s'est rendue la mission.
Le manque de compétences internes pour élaborer et piloter des stratégies immobilières a par ailleurs été évoqué tout au long des travaux de la mission. Si l'IGESR note un « attachement des établissements à internaliser de nombreuses compétences dans le champ immobilier »99(*), la gestion immobilière fait en effet rarement partie de leurs expertises traditionnelles ; les profils compétents sont par ailleurs souvent captés par un secteur privé plus attractif. Exigeant de nombreuses expertises complémentaires (urbanisme, maîtrise d'ouvrage, conduite de travaux, domaines financiers, juridiques et de la commande publique, etc.), la fonction immobilière n'est au total véritablement professionnalisée que dans les universités ayant bénéficié de la dévolution ou des financements du Plan Campus.
b) L'absence de dotation décourage les candidatures à la dévolution
Dans ce contexte, le dispositif de dévolution mis en place en 2007, pour être attractif, doit être assorti de financements en rapport avec l'état du patrimoine immobilier transféré. L'abandon par l'État, à partir de 2019, des conditions financières initialement très favorables aux établissements a cependant fortement dégradé l'intérêt que lui portent les établissements. À ce jour, onze universités seulement bénéficient ainsi de la dévolution de leur patrimoine.
• L'article L. 719-14 du code de l'éducation, issu de la loi LRU de 2007, prévoit la possibilité pour l'État de transférer aux établissements publics d'enseignement supérieur qui en font la demande, à titre gratuit, la pleine propriété des biens immobiliers appartenant à l'État qu'ils utilisent.
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Trois vagues de dévolution aux conditions très inégales La première vague de dévolution a concerné en 2011 les universités de Toulouse Capitole, Clermont-Ferrand-I et Poitiers. Le transfert de leur patrimoine a été assorti d'une dotation annuelle sur 25 ans d'un montant annuel de respectivement 5 millions, 6,1 millions et 10,8 millions d'euros, soit 546 millions d'euros au total sur 25 ans. Cette dotation, qui a remplacé le financement État prévu par les CPER de ces établissements, a permis à ces trois universités de déployer une programmation immobilière pluriannuelle sur 25 ans. La deuxième vague de dévolution, qui a concerné de 2019 à 2021 les universités d'Aix-Marseille, de Bordeaux, de Caen et de Tours, n'a pas été assortie d'une dotation annuelle spécifique. Les établissements concernés financent leurs dépenses immobilières dans le cadre du droit commun. C'est également le cas de la troisième vague de dévolution, qui a permis aux universités de Rennes, Clermont Auvergne, à l'université polytechnique des Hauts de France et à Centrale Supélec d'accéder en 2022 à la propriété de leurs locaux. Certaines universités des deuxième et troisième vagues, comme celles d'Aix-Marseille, ont indiqué pouvoir mitiger l'absence de dotation par d'importantes capacités d'autofinancement, ainsi que par le bénéfice de fonds attribués dans le cadre du Plan Campus ou des PIA. Pour d'autres établissements de la deuxième vague, comme les universités de Caen et Tour, l'IGESR relève que « la gestion de leur patrimoine immobilier s'avère plus complexe en raison de contraintes financières plus importantes ». |
• L'intérêt de ce dispositif, souligné par le rapport d'évaluation de l'IGESR précité, a été souligné tout au long des auditions. Ont en particulier été pointées la flexibilité et la réactivité qu'il confère aux établissements dans la gestion évolutive de leurs missions de recherche et de formation, les potentialités ouvertes du point de vue de leur capacité à dégager des ressources propres, ainsi qu'un renforcement de leur positionnement dans leurs relations avec le rectorat et les collectivités territoriales, face auxquels ils se trouvent élevés au rang de partenaires.
Aucune des universités ayant bénéficié des premières vagues de dévolution ne manifeste d'ailleurs la volonté de revenir en arrière - quoique le rapport de l'IGESR relève que les établissements des deux dernières vagues « regrettent de ne pas bénéficier d'une dotation stable sur 25 ans », et s'inquiètent des perspectives de l' « après-dotation » en raison de l'importance des opérations de réhabilitation énergétique à engager au-delà de cet horizon.
La généralisation du dispositif est dès lors préconisée par l'IGESR à l'horizon 2034, et plusieurs des universités entendues ont manifesté, sur le principe, leur intérêt pour ce dispositif, dans l'objectif de renforcer leur autonomie.
• Si le régime financier de la première vague de dévolution était très favorable, son abandon à compter de la deuxième vague écorne cependant fortement l'attractivité du dispositif et décourage les candidatures.
L'IGESR relève en ce sens que plusieurs universités remplissant les conditions leur permettant de bénéficier de la dévolution renoncent à candidater du fait de l'absence de dotation associée. Cette position est confirmée par France Universités et par l'Auref, qui souligne que des établissements déjà sous-financés ne pourront dans ces conditions gérer les bâtiments dévolus qu'au détriment de leurs autres missions.
Cette absence de dotation financière n'est pas compensée par l'ouverture d'une capacité élargie d'emprunt, ainsi que le demandent plusieurs établissements entendus par la mission. Pour de nombreuses universités, elle n'est pas davantage contrebalancée par la perspective d'une valorisation patrimoniale permettant de dégager des ressources propres, que la Cour des comptes estime limitée et surtout très variable, et qui dans bien des cas ne permet pas de générer des recettes à la hauteur des besoins. Enfin, le bénéfice d'appels à projets ou des CPER, aux financements plus limités dans le temps, n'emporte pas les mêmes effets que la dotation de la première vague100(*), qui a permis la structuration d'une véritable stratégie immobilière sur le temps long.
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L'université Paris Saclay et la dévolution Le refus de l'université Paris-Saclay, qui compte pourtant parmi les établissements en situation très favorable, de candidater à la dévolution de son patrimoine immobilier est emblématique des réticences des établissements à s'engager dans ce processus aux conditions actuellement proposées par les pouvoirs publics. Dans une réponse adressée au ministère en 2021101(*), l'établissement explique l'arbitrage rendu par son conseil d'administration par les raisons suivantes : - l'importance quantitative de son foncier bâti (près de 500 000m²), dont les trois quarts se trouvent dans un état jugé pas ou peu satisfaisant (donnée SPSI 2020) ; - une connaissance encore perfectible de l'état technique des locaux (bâtiments, mais aussi voirie et réseaux divers) ; - l'absence d'accompagnement financier permettant une rénovation significative ; - l'impossibilité d'accéder à une dévolution partielle102(*) ; - les faibles perspectives de valorisation de ces locaux, en raison notamment de leur localisation. |
• Plusieurs solutions alternatives ou complémentaires de la dévolution ont en conséquence été mentionnées devant la mission d'information.
Un renforcement du recours aux filiales universitaires, et notamment aux sociétés universitaires locales immobilières (SULI)103(*), a ainsi été évoqué dans le but de renforcer la valorisation patrimoniale du bâti universitaire. Cette formule permet notamment aux établissements de bénéficier d'une capacité d'emprunt auprès d'un établissement privé de crédit, dès lors que leur participation au capital de la société n'excède pas 50 %. L'université souligne cependant que le recours à ce type de société est soumis à l'accord de la tutelle, ce qui limite fortement la capacité d'initiative des établissements.
L'IGESR a par ailleurs étudié un scénario, spécifique aux universités pour lesquelles la dévolution n'apparaît pas possible, « où une entité externe, une société foncière publique, prendrait la propriété et la gestion immobilière du patrimoine État jusque-là affecté à l'établissement ».
* 88 Au sujet des autres catégories de personnels des universités, la Cour considère que « le maintien de procédures nationales de recrutement pour les enseignants-chercheurs (qualification par le CNU) obère les politiques de formation et de recherche, en limitant le vivier des candidatures potentielles et en restreignant les possibilités d'évolution professionnelle en interne » et que « les personnels des organismes de recherche présents sur les sites universitaires (chercheurs, ingénieurs, techniciens ou autres personnels administratifs) échappent à la gestion ou, à tout le moins, à une cogestion de la part des universités, faute d'une coordination étroite avec les organismes de recherche gestionnaires de ces ressources humaines. »
* 89 Relatif à l'échelonnement indiciaire applicable aux corps d'enseignants-chercheurs et personnels assimilés et à certains personnels de l'enseignement supérieur
* 90 La Cour des comptes a relevé, dans un référé du 19 octobre 2023, que le temps de travail effectif des personnels administratifs des universités est inférieur de 140 heures à l'obligation de 1 607 heures fixée dans la loi. La Cour évalue à un peu plus de 300 millions d'euros le manque à gagner pour les universités.
* 91 Après la masse salariale.
* 92 Proportionnellement aux 80 Md€ estimés pour la rénovation de l'ensemble du parc de l'État d'après la trajectoire inscrite dans le décret éco-énergie tertiaire (DEET).
* 93 Objectif prévu par Loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN).
* 94 La planification écologique dans les bâtiments. SGPI, réunion de travail sur la rénovation énergétique, 12 juin 2023.
* 95 Rapport d'information n° 842 (2020-2021), déposé le 22 septembre 2021, Optimisation de la gestion de l'immobilier universitaire à l'heure de la nécessaire transition écologique et du déploiement de l'enseignement à distance.
* 96 Cour des comptes, « Les universités à l'horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités », note, octobre 2021.
* 97 Cour des comptes, « L'immobilier universitaire du défi de la croissance à celui du transfert de propriété », rapport public thématique, octobre 2022.
* 98 Loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.
* 99 Défis et opportunités dans la gestion du patrimoine immobilier des établissements d'ESR, rapport d'évaluation publié en avril 2024 par l'IGESR.
* 100 L'IGESR relève à ce titre que « les enjeux d'adaptation et de transformation du patrimoine immobilier ne sont pas compatibles avec des financements accordés sur de courtes périodes. [...] Le modèle des CPER, et encore plus celui des appels à projets, tel qu'ils existent actuellement, deviennent inadaptés ».
* 101 Ces éléments figurent dans les réponses écrites de France Universités au questionnaire des rapporteurs.
* 102 L'option de la dévolution partielle n'est pas à ce jour retenue par le ministère.
* 103 Prévues par loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation et la déconcentration (3DS), les SPL Universitaires ou SULI sont des sociétés de droit privé portées conjointement par les universités et les collectivités locales pour valoriser le patrimoine foncier ou immobilier.