Taux d'emploi à dix-huit mois des diplômés de master
(hors enseignement)
Source : commission de la culture à partir des données de l'Eesri 2025
1 Selon la terminologie mentionnée par Pierre Lemistre dans « Démocratisations ségrégatives et parcours éducatifs des bac+5 : une étude pour trois générations de diplômés de bac+5 », Lien social et Politiques, (89), 2022.
L'étude « Génération » conduite par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) 1, qui suit les premières années de vie active des jeunes sortis diplômés de master en 2017, établit un diagnostic plus fin :
- le nombre de jeunes entrant sur le marché du travail avec un diplôme national de master atteint aujourd'hui son plus haut niveau. Malgré une diminution du taux de poursuite d'études en master depuis la réforme de 2017, ce nombre a en effet plus que doublé entre 2000 et 2010 2, pour s'établir à 140 000 en 2020 contre 57 000 en 2005 3. En 2023, plus d'un quart (26 %) des 25-34 ans détenaient un master ou un diplôme équivalent, soit un niveau nettement supérieur à la moyenne de l'OCDE (16 %) ;
- un effet protecteur de ce diplôme sur l'emploi 4 est toujours observé : trois ans après leur sortie de l'enseignement supérieur, 85 % des diplômés de master en 2017 sont en emploi, contre 71 % des jeunes entrés sur le marché du travail au même moment ;
- toutefois, l'emploi occupé ne correspond pas toujours au niveau cadre attendu. Philippe Lemistre pointe à ce titre, dans l'étude mentionnée supra, réalisée à partir des données de l'enquête « Génération », une forte hiérarchie entre les filières de l'enseignement supérieur : tandis que le taux de cadres à trois ans est de 89 % pour les diplômés d'école d'ingénieurs, de 73 % pour les diplômés d'école de commerce et de 72 % pour les titulaires d'un master de filière scientifique et technique, il ne s'établit qu'à 61 % pour les titulaires de masters en LSHS.
ï Ces différentes tendances peuvent par ailleurs être mises en relation avec la faible maîtrise des compétences fondamentales par les étudiants et les diplômés de l'enseignement supérieur, qui a été soulignée par plusieurs acteurs universitaires et serait en dégradation selon les travaux de l'OCDE.
L'OCDE évalue à ce titre la littératie des diplômés du supérieur, définie comme l'aptitude à comprendre et à utiliser l'information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité. Dans l'ensemble de l'OCDE, 13 % des diplômés du supérieur obtiennent un score au niveau 1 5
1 Les données de cette étude portent sur les « primo sortants » de formation initiale entre octobre 2016 et octobre 2017, interrogés en 2020. Les données relatives aux titulaires d'un master excluent les jeunes ayant obtenu un autre type de diplôme non universitaire conférant le grade de master (exemples : mastère, diplôme de grandes écoles, etc.).
2 Selon Philippe Lemistre, l'évolution constatée sur la décennie 2000-2010 résulte notamment de l'impulsion du ministère, qui a accrédité nombre de masters.
3 Données Insee.
4 Cet effet protecteur n'est cependant pas observé pour les diplômés de licence. L'Eesri relève à ce propos que « les trajectoires des sortants de licence générale, en particulier à l'issue des filières LSH, se caractérisent par leurs difficultés sur le marché du travail, au point d'être parfois comparables aux parcours des non-diplômés de l'enseignement supérieur ».
5 Sur une échelle de 0 à 5, une faible compétence se caractérise par un classement au niveau 1, qui correspond à une compréhension limitée à de très courts textes contenant peu d'informations parasites.
ou en dessous en 2023 ; cette proportion est de 8 % en France, avec une tendance à la diminution du score moyen entre 2015 et 2023.
La définition de la réussite étudiante en question
Selon la Cour des comptes, la stratégie de lutte contre l'échec en licence « se heurte à une absence de définition claire de l'échec ». Les recueils de données publiques comptabilisent à ce titre les étudiants défaillants sortant sans diplôme de l'enseignement supérieur ainsi que les étudiants « fantômes ou décrocheurs » - qui constitue une catégorie mal appréhendée selon la Cour. Le MESR considère ainsi qu'un étudiant est en situation d'échec lorsqu'il n'a pas « pu valoriser son passage en L1 par une diplomation ultérieure à l'université ou dans un autre établissement de formation ». La Cour souligne que cette définition ne prend pas en compte « certains aspects de l'échec, tels que l'allongement des parcours lié au redoublement ».
À l'inverse, France Universités insiste sur la nécessité d'évaluer plus finement les situations d'échec, l'obtention de notes insuffisantes ne pouvant être analysée de la même manière qu'une défaillance ou que la réorientation résultant d'une mauvaise projection initiale dans la formation demandée. Dans ses réponses au rapport public de la Cour pour 2025, le MESR souligne par ailleurs qu'« un redoublement ayant permis à un étudiant d'obtenir son diplôme national de licence peut être perçu, tout autant, comme une situation d'échec ou comme un dispositif ayant contribué à la réussite avec un coût supplémentaire ».
Aix-Marseille Université a enfin souligné le caractère nécessairement pluriel de la réussite et de l'échec, dont les données officielles ne rendent qu'imparfaitement compte. Il importe en particulier de mesurer la qualité de l'insertion professionnelle en prenant en compte à la fois le niveau d'emploi, le niveau de salaire et l'adéquation entre la branche d'insertion et la formation suivie (qui peut faire défaut à l'issue de certaines filières très demandées telles que les Staps).
(2) Un choix dommageable pour les étudiants, les établissements et les finances publiques
Ce mode de régulation a posteriori des effectifs étudiants est au total insatisfaisant à plusieurs titres.
Il pèse en premier lieu sur les étudiants, pour lesquels le report du processus sélectif après l'entrée à l'université est coûteux à la fois en temps et en argent. Cette situation est d'autant plus problématique qu'elle pèse d'abord sur les étudiants les plus défavorisés, qui sont les plus représentés dans les parcours de licence non sélectifs de l'enseignement supérieur (voir encadré). France Universités insiste à ce propos sur la nécessité pour les établissements de ne pas créer d'« illusion » quant aux possibilités de poursuites d'études dans certaines filières très demandées en premier cycle.
Il pèse ensuite sur les établissements. Dans un contexte budgétaire contraint, la massification des effectifs accueillis porte préjudice à la fois à leur mission de transmission des savoirs, rendue difficile par la dégradation du taux d'encadrement qui en découle dans les filières les plus demandées, et à leur mission de recherche, dont les ressources ne peuvent être régulées sur les effectifs étudiants. De nombreux établissements développent d'ailleurs une offre de formation leur permettant de maîtriser leur recrutement dans certaines filières ; il s'agit notamment des doubles licences, des diplômes d'établissement ou encore des cycles pluridisciplinaires d'études supérieures (CPES) 1.
Il pèse également sur la dépense publique. Dans son rapport annuel pour 2025, la Cour des comptes évalue à 534 millions d'euros le coût des redoublements et des sorties sans diplôme sur les trois années du premier cycle - sans même tenir compte des dépenses publiques non directement liées à la formation (prise en charge de la restauration, de l'hébergement ou de la médecine scolaire), ni des coûts indirects des difficultés rencontrées par les jeunes pour intégrer le marché du travail, ainsi que de l'insertion à un faible niveau de salaire.
Il pèse enfin sur la société tout entière. L'inquiétude des familles sur l'investissement à consentir au titre des études supérieures et le risque de déclassement associé aux mauvais choix d'orientation, ainsi que les frustrations des jeunes entrant sur le marché du travail au terme d'un parcours universitaire heurté ou n'aboutissant pas à un emploi en lien avec leurs compétences, ne sont pas sans conséquences sur la cohésion sociale.
Cette dernière situation fait écho au concept de « surproduction d'élites » développé par l'anthropologue américain Peter Turchin 2. Selon ses travaux, le décalage entre l'augmentation du nombre d'individus diplômés aspirant à intégrer l'élite financière ou académique et la stagnation du nombre de postes de pouvoir disponibles contribue à l'émergence de fractures dans l'échelle sociale, favorise l'émergence d'une contre-élite antisystème, et participe in fine à la déstabilisation des sociétés.
1 Il s'agit de cursus généralistes et pluridisciplinaires organisés en partenariat entre des classes préparatoires aux grandes écoles de lycées publics et des établissements d'enseignement supérieur. Environ quarante CPES sont accessibles sur Parcoursup.
2 Peter Turchin, Le Chaos qui vient. Élites, contre-élites, et la voie de la désintégration politique, octobre 2024.
Les étudiants issus des milieux sociaux les moins favorisés sont plus représentés dans les parcours non sélectifs de l'université
Dans une note publiée en septembre 2021, l'Observatoire des inégalités relève que
« socialement parlant, l'entrée à l'université est moins sélective que dans les grandes écoles, mais le tri s'effectue un peu plus tard dans le cursus. 20 % des étudiants de licence sont enfants d'employés, 12 % enfants d'ouvriers [...]. En master, ces données tombent respectivement à 13 % et 9 % et, en doctorat, à 9 % et 6 %. [...] À l'inverse, la proportion de jeunes dont les parents sont cadres supérieurs [...] augmente tout au long du cursus pour se situer à 40 % en master et en doctorat ».
Cette situation est décrite par le concept de « démocratisation ségrégative » proposé par le sociologue Pierre Merle en 2012. Selon l'article de Philippe Lemistre précité, cette notion se traduit de deux manières dans l'enseignement supérieur : les enfants des classes sociales supérieures se distinguent par le choix de filières et de spécialités dont sont en partie exclus les enfants des classes populaires, alors qu'auparavant ils se distinguaient par des durées de scolarité plus longues ; les jeunes issus des classes populaires se tournent le plus fréquemment vers des parcours professionnels ou non sélectifs.
B. UNE INSTITUTION EN MANQUE DE PILOTAGE

