1. Une tutelle perçue comme inadaptée

ï L'enseignement supérieur est piloté dans le cadre d'un portefeuille ministériel identifié depuis 1974 1, et d'une direction générale ministérielle dédiée depuis 1993 - aujourd'hui la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip).

En application de l'article 13 du décret n° 2014-133 du 17 février 2014 2, le champ de compétence de la Dgesip comporte cinq ensembles de missions, parmi lesquelles figurent l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique relative aux formations supérieures, assorties de l'accompagnement des établissements dans l'exercice de leur autonomie ; l'exercice de la tutelle des établissements, incluant la répartition des moyens entre eux ; la mise en cohérence de la politique menée en matière d'enseignement supérieur avec

1 Le gouvernement Chirac I du 28 mai 1974 comprenait un secrétaire d'État aux Universités de plein exercice, Jean-Pierre-Soisson. Depuis cette date, ce portefeuille a été confié à des ministres ou des secrétaires d'État tantôt de plein exercice, tantôt rattachés au ministre chargé de l'Éducation nationale, avec un champ de compétence le plus souvent élargi à la recherche.

2 Décret n° 2014-133 du 17 février 2014 fixant l'organisation de l'administration centrale des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche, modifié par l'article 10 du décret n° 2021-790 du 22 juin 2021.

celle conduite en matière de recherche et le pilotage du programme des investissements d'avenir (PIA) 1.

Ces deux dernières compétences sont exercées de manière conjointe avec la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI). La Dgesip et la DGRI disposent à ce titre d'un service commun, chargé de coordination des stratégies de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Le pilotage est assuré, à l'échelon déconcentré, par les recteurs de région académique 2, assistés, dans sept régions comportant plusieurs académies 3, par un recteur délégué pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation. Ils sont chargés, outre leur mission régalienne de contrôle budgétaire et de légalité pour les établissements du supérieur, du paiement des bourses sur critères sociaux, de la définition des CPER ainsi que du suivi des opérations immobilières des établissements. Il leur revient également de fixer les orientations stratégiques de la politique de la région académique pour l'enseignement supérieur.

ï Le jugement porté, au cours des auditions, sur l'organisation et la qualité de la relation entre les établissements et ces différents acteurs a globalement été sévère. Les rapports avec la Dgesip, directement chargée de la tutelle des opérateurs, ont été fréquemment décrits comme pauvres, voire absents, tandis que l'accompagnement assuré par les rectorats a été jugé excessivement centré sur des aspects administratifs. Le pilotage assuré par les services du MESR a au total été considéré comme inadapté aux besoins des établissements, pour trois séries de raisons.

En premier lieu, les échanges entre les établissements et l'administration centrale et déconcentrée sont perçus comme étant de nature essentiellement bureaucratique.

Les établissements universitaires sont soumis à de nombreuses obligations d'évaluation et de production documentaire, qui mobilisent fortement leurs équipes administratives et leurs organes de direction - notamment sur le plan comptable, dans le cadre du suivi des Comp ou à l'occasion des contrôles opérés par la Cour des comptes et le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Or, les acteurs entendus par les rapporteurs estiment dans leur ensemble que les résultats produits dans ces différents contextes ne sont pas mis au service d'une réflexion approfondie sur l'amélioration de la politique universitaire.

1 S'y ajoutent, d'une part, la fixation du cadre national des formations et de la structure des niveaux, la mise en oeuvre d'une politique d'orientation et de préparation à l'insertion professionnelle, le suivi des questions relatives aux établissements privés, la promotion de la réussite et de l'amélioration des conditions de vie étudiantes, l'exercice de la tutelle sur le centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous), d'autre part, la coordination de l'ensemble de ces politiques à l'échelle européenne. 2 Dont les compétences sont prévues par l'article R. 222-16 du code de l'éducation.

3 Il s'agit, en application de l'article R. 222-16-3, de l'Auvergne-Rhône-Alpes, du Grand Est, des Hauts-de-France, de l'Île-de-France, de Nouvelle-Aquitaine, de l'Occitanie et de la Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Ils regrettent en particulier que les alertes remontées, dans le cadre de ces évaluations sur la situation budgétaire des établissements, ne paraissent rencontrer aucun écho aux stades de la préparation des lois de finances et de la répartition des crédits.

En second lieu, un sentiment de « solitude » des présidents d'université face aux défis qu'ils rencontrent, notamment dans le calibrage de leurs capacités d'accueil et leur gestion immobilière, a été mentionné à de nombreuses reprises. Ce sentiment semble résulter en partie du retrait relatif des services du MESR après la première phase de mise en oeuvre de l'autonomie des établissements, qui contraste avec l'accompagnement renforcé déployé au cours de cette période initiale.

Cette perception apparaît plus prégnante chez les établissements de petite taille que dans les grandes universités, dont certaines ont estimé que leur absence de relation quasi-complète avec la Dgesip au cours des dernières années n'était pas problématique dans la mesure où elles n'avaient pas besoin d'un accompagnement particulier.

Cette appréciation est en troisième lieu nourrie par les frustrations fréquemment rencontrées dans l'interaction avec les rectorats. Il a en particulier été regretté que ces derniers ne disposent pas d'une véritable capacité d'accompagnement, et que leur intervention auprès des établissements se limite souvent à un ergotage sur des aspects techniques - le rectorat étant dès lors davantage identifié comme un censeur que comme un auxiliaire potentiel.

La commission des finances du Sénat, dans ses récents travaux relatifs à la contractualisation à la performance dans l'enseignement supérieur 1, relevait sur ce point que l'« articulation [entre les rôles respectifs de l'administration centrale et des rectorats] n'est pas toujours lisible, y compris pour les établissements et pour les rectorats. Les cas de rectorats « court-circuités » par l'administration centrale sont revenus à plusieurs reprises au cours des auditions. La Dgesip traite ainsi en direct avec les établissements sur divers domaines, par exemple sur les enjeux liés à la dévolution, alors même que d'autres établissements relèvent la valeur ajoutée des rectorats sur les sujets immobiliers. Certains rectorats ont indiqué ne pas avoir connaissance de la manière dont l'administration centrale élaborait ses arbitrages budgétaires ».

Les acteurs entendus regrettent enfin que les modalités actuelles de l'organisation du pilotage tendent à opposer les universités et les organismes nationaux de recherche (ONR), qui relèvent respectivement de la Dgesip et de la DGRI. Plusieurs présidents ont au contraire mis en avant les effets vertueux des rapprochements fonctionnels effectués sur le terrain entre les

1 Rapport d'information n° 723 (2024-2025) du 11 juin 2025 sur la contractualisation à la performance dans l'enseignement supérieur, fait au nom de la commission des finances du Sénat par Mme Vanina Paoli-Gagin.

établissements et les ONR voisins, notamment dans la structuration des réponses aux appels à projets.

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