1. Un déficit d'influence auprès des décideurs publics
Les auditions ont ainsi mis en évidence le sentiment largement partagé, dans le monde universitaire, d'une mauvaise compréhension du fonctionnement de l'institution universitaire par les décideurs publics, mais également d'un désintérêt profond du monde politique pour le modèle de formation offert par les universités - à l'exception de l'attention périodiquement suscitée par les mobilisations étudiantes et les désordres parfois causés.
a) Un recrutement majoritaire de diplômés de grandes écoles
ï Cette situation paraît très largement résulter des parcours de formation des décideurs publics, le plus souvent issus des grandes écoles 1 et ne disposant donc pas d'une connaissance de première main de l'Université. L'institution universitaire demeure ainsi largement inconnue des cadres de la haute fonction publique.
À l'appui de cette hypothèse sociologique, Stéphane Calviac a souligné que les cadres de la direction du budget chargés de l'enseignement supérieur et de la recherche sont principalement diplômés de l'école nationale d'administration (ENA), devenue institut national du service public (INSP), ou encore des grandes écoles d'ingénieurs ou de commerce.
Laurent Batsch, ancien président de l'université Paris-Dauphine, relève en outre que les corps techniques de l'État 2, de même que les anciens grands corps administratifs 3, sont très majoritairement constitués de diplômés de l'École Polytechnique, des écoles normales supérieures et de l'INSP.
Il rappelle également l'échec du rapprochement entre l'université Paris-Saclay et l'École Polytechnique en 2017, en raison de l'opposition de cette dernière, signe de la place et de l'influence prépondérantes des grandes écoles dans le processus de décision sur l'enseignement supérieur. L'université souffre au contraire d'un déficit d'influence dans le processus de
1 L'enseignement supérieur français est organisé, depuis la Révolution française, selon une logique duale : il comprend d'une part des universités, qui délivrent des diplômes nationaux et in fine, le doctorat, d'autre part des grandes écoles, qui recrutent majoritairement des étudiants issus de classes préparatoires. Cette scission résulte à l'origine de la méfiance de la Convention envers des universités alors perçues comme l'incarnation des privilèges et des corporations. Voir à ce propos l'étude de Guillaume Tronchet « Universités et grandes écoles : perspectives historiques sur une singularité française ».
2 Corps des ingénieurs des Ponts et Chaussées, des Mines, des ingénieurs de l'armement et des administrateurs de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
3 Notamment le Conseil d'État, la Cour des comptes et l'Inspection générale des Finances (IGF).
décision publique, en particulier lors de l'élaboration des projets de loi de finances.
ï Cette prépondérance de l'influence des grandes écoles concerne également les cadres dirigeants du secteur privé : seuls trois présidents des sociétés du CAC 40 sont issus de l'université 1, soit moins de 10 % d'entre eux, tandis que plus d'un quart de ces dirigeants sont diplômés de l'École Polytechnique.
Dans un rapport d'octobre 2023 2, l'association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) soulignait ainsi le « positionnement historique des grandes écoles au sein de tous les secteurs socio-économiques, alors que les universités ont privilégié une posture plus introvertie au service d'une recherche fondamentale pure ».
ï Des présidents d'établissement ont souligné que cette absence de culture de l'université, et la méconnaissance des enjeux de la recherche qui en découle, conduisent à des erreurs de positionnement stratégique de la part des pouvoirs publics, notamment du ministère des finances. Une proportion trop importante du soutien financier à l'innovation serait en effet versée aux entreprises plutôt qu'aux laboratoires de recherche, en dépit de leur contribution cruciale au développement des solutions de rupture, et sans considération de leur contribution à la relocalisation des activités industrielles.
b) Une faible valorisation du doctorat
Corollaire de ces observations, les titulaires du doctorat, plus haut grade universitaire, sont peu nombreux parmi les décideurs publics.
(1) Un diplôme moins répandu et moins valorisé qu'à l'étranger
ï D'une manière générale, le doctorat est moins répandu en France que dans les pays comparables.
Dans leurs Recommandations pour la reconnaissance du doctorat dans les entreprises et la société d'octobre 2024 3, Sylvie Pommier et Xavier Lazarus relèvent qu'avec 1% de docteurs dans la population âgée de 25 à 34 ans, la France est en retrait par rapport à la moyenne des pays de l'OCDE (1,3%), la Suisse (3%), les États-Unis (2%), l'Allemagne (1,6%) ou encore le Royaume-Uni (1,5%).
1 Sébastien Bazin, groupe Accor, université Panthéon-Sorbonne ; Florent Menegaux, Michelin, université Paris-Dauphine ; Daniel Julien, Teleperformance, université Paris-Nanterre.
2 ANRT, Pour un grand plan national pour le doctorat, octobre 2023.
3 Ces recommandations sont celles de la mission lancée le 1er décembre 2023 par Sylvie Retailleau, alors ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, et Roland Lescure, alors ministre de l'Industrie.
Cet écart tend en outre à se creuser, le nombre de docteurs formés chaque année ayant augmenté dans la plupart des pays de l'OCDE quand il a stagné en France. De la même façon, l'ANRT indique dans son rapport précité qu' « entre 2011 et 2020, le nombre de docteurs a crû de 43% en Chine, de 19% en Inde et de près 7% aux États-Unis, là où il a diminué de 17% en France ».