1. Un sous-calibrage des fonctions support

D'un point de vue opérationnel, la possibilité d'une autonomisation et d'une différenciation stratégique des universités découle concrètement de leur capacité à assurer puis à transformer l'exercice de leurs différentes fonctions dites « support » - qui recouvrent notamment la gestion de leurs personnels, l'accompagnement administratif et financier des démarches d'appels à projets, ou encore l'entretien de leur parc immobilier.

Le sous-calibrage patent de ces fonctions constitue dès lors un obstacle majeur au repositionnement stratégique des universités, quand il n'entrave pas la seule marche quotidienne des établissements.

a) Une technicité croissante appelant des compétences spécialisées

(1) Les lacunes des services dans la gestion budgétaire et salariale

ï Les universités gèrent dans leur ensemble des budgets très conséquents, qui atteignent 856 millions d'euros dans le cas de l'Université d'Aix-Marseille (AMU), soit un montant comparable au budget primitif d'une ville comme Toulouse ou de celui du CHU de Clermont-Ferrand. Ces budgets couvrent des fonctions très vastes, allant de la rémunération des personnels à la gestion du parc immobilier, en passant le suivi des dispositifs relatifs à la vie étudiante. La tendance au renforcement de la technicité de ces différentes fonctions appelle des compétences de plus en plus spécialisées.

ï Dans ses réponses au questionnaire des rapporteurs, la Dgesip souligne les marges d'évolution des établissements en matière de gestion financière. Si des progrès importants ont été réalisés, au cours des dernières années, dans le suivi des dépenses -en ce qui concerne notamment la démarche de programmation et de vision pluriannuelle et la mise en oeuvre d'un contrôle interne financier-, de nombreux changements doivent être opérés en matière de suivi et de maîtrise de la masse salariale -de la mise en place d'une cartographie des emplois et d'un schéma directeur des ressources

ï humaines à la définition d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC).

La Dgesip relève par ailleurs que les difficultés financières rencontrées par les établissements « résultent au moins partiellement de problématiques non financières. C'est la raison pour laquelle les établissements concernés font l'objet d'un accompagnement et d'un suivi rapproché, de la part des rectorats au premier chef, du ministère ainsi que, si besoin est, à travers des missions d'accompagnement de l'IGESR. Dans les situations les plus détériorées, il peut être envisageable d'aller jusqu'à la désignation d'administrations provisoires. »

ï De l'avis généralement exprimé au cours des auditions, et en dépit de l'engagement des personnels rencontrés par les rapporteurs, les difficultés de gestion observées dans les établissements sont largement imputables au sous-dimensionnement quasiment généralisé des fonctions support des universités, qui ne disposent pas à ce jour des ressources humaines qui leur permettraient d'assurer un véritable pilotage de leurs moyens financiers.

(2) De forts besoins pour la mobilisation et la gestion des financements compétitifs

On l'a vu, la capacité à mobiliser des ressources propres, notamment les financements issus des appels à projets compétitifs, est devenue cruciale pour les universités. Cet exercice suppose cependant la mobilisation de compétences et de moyens dédiés pour identifier les appels à projets susceptibles d'être remportés, confectionner les dossiers de candidature, et enfin assurer le suivi et la gestion des financements remportés.

Ces compétences sont réparties de manière inégale entre les universités. En témoignent les forts écarts relevés quant à la proportion des ressources propres dans le budget des établissements, qui varie, en 2023, de 5 % à 33 % selon les établissements. L'université Paris-Saclay tire ainsi 27 % de ses ressources totales des contrats de recherche, contre 1,2 % pour l'université d'Artois.

Les contrastes observés de ce point de vue recouvrent largement les catégorisations évoquées supra : ce sont généralement les établissements de grande taille et disposant des ressources sélectives les plus importantes qui parviennent à structurer et intégrer leurs services support de manière à renforcer leur développement, tandis que les établissements les moins performants sont confrontés à une forme de « double peine ». Ces contrastes résultent de plusieurs éléments :

- les établissements de petite taille se voient contraints de concentrer leurs ressources humaines sur leurs fonctions indispensables ;

- - certains établissements subissent la concurrence d'organismes de recherche (ONR), dont la spécialisation dans la recherche leur permet de disposer d'équipes support mieux outillées. C'est particulièrement le cas des universités implantées sur les territoires éloignés des ONR, qui ne peuvent pas nouer de partenariats leur permettant de tirer profit de l'expérience acquise par ces organismes ;

- de nombreux appels à projets entraînent une augmentation de l'activité des établissements sans accroissement net de leurs ressources, en raison de l'importance des tâches de suivi et de gestion qu'ils induisent, et que le préciput associé ne permet pas de couvrir. Seuls les plus grands établissements ont dès lors la capacité humaine et financière d'absorber ces coûts indirects des appels à projets ;

- l'AMU a souligné le caractère volontariste de la démarche qui lui a permis de transformer et structurer les fonctions support nécessaires à la mobilisation des financements compétitifs, par la mobilisation de ressources humaines et financières et la mise à disposition de locaux.

La mission Europe pour la recherche (MER) de l'université d'Aix-Marseille

L'AMU s'est dotée en 2024 d'un service d'appui dédié à l'accompagnement des unités de recherche dans leurs activités d'obtention et de mise en oeuvre de projets européens de recherche et d'innovation.

Cette mission Europe pour la recherche (MER) comporte une vingtaine d'agents en poste à l'AMU et dans les organismes de recherche partenaires (filiale de l'université Protisvalor, CNRS, Inserm, IRD). Elle offre un guichet unique, transparent pour les chercheurs quel que soit leur organisme de rattachement, et proposant une offre d'accompagnement intégrée allant du sourcing des projets au coaching pour les oraux, en passant par la rédaction des dossiers de réponse.

b) Un cadre d'exercice mal défini et peu attractif

(1) L'absence de corps professionnel dédié

ï Le principe général, en matière d'administration des universités, est celui de leur gestion par des universitaires.

La composition de leur conseil d'administration, fixée par l'article

L. 712-3 du code de l'éducation, fait ainsi une large place aux enseignants-chercheurs. Il revient à ce conseil d'administration d'élire un président aux prérogatives particulièrement larges : en application de l'article L. 712-2 du code de l'éducation, il est ainsi « ordonnateur des recettes et des dépenses de l'université » (3°) et exerce « au nom de l'université, les compétences de gestion et d'administration qui ne sont pas attribuées à une autre autorité par la loi ou le règlement » (8°). Des vice-présidents coordonnent ensuite l'action de l'université sur chacun des domaines de compétence et des priorités qu'elle définit, qui peuvent aller de la politique immobilière des établissements à la

gestion de ses ressources humaines, en passant par la lutte contre les discriminations.

Initialement recrutés sur le fondement de leur excellence académique, pédagogique et sur la qualité de leurs travaux de recherche dans leur domaine de spécialisation, ces élus assument ainsi des responsabilités extrêmement larges sur des sujets particulièrement techniques, auxquelles ils ne sont initialement pas préparés. Le cursus honorum traditionnellement observé avant l'accession au poste de président, avec des responsabilités progressivement prises dans les divers conseils, pallie en partie ce manque de formation initiale.

ï Ces élus ne peuvent par ailleurs pas s'appuyer sur un corps de personnels dédié et spécifiquement structuré pour leur apporter l'assistance technique nécessaire. Contrairement aux hôpitaux ou aux collectivités territoriales, les universités ne disposent pas d'une fonction publique dédiée. En outre, au contraire du statut donné aux directeurs d'hôpitaux, le rôle du responsable administratif des services n'est pas clairement défini dans les textes.

Le rapport de la Cour des comptes de 2021 précité relevait ainsi que,

« alors qu'un régime électif confie à des enseignants-chercheurs des charges de gestion complexes, ceux-ci ne sont en rien préparés aux responsabilités qu'ils exercent. Les conseils d'administration, dans de trop nombreux cas, laissent peu de place à la représentation de membres extérieurs à l'université. [...] Les directeurs généraux des services (DGS), maillons essentiels d'une gouvernance éclairée, sont encore trop souvent relégués à un rôle subalterne et leur statut demeure précaire. Leurs équipes administratives sont rarement l'objet de recrutements prioritaires. »

ï L'absence d'un corps de personnels dédiés aux fonctions administratives des établissements ne signifie pas pour autant que les établissements sont libres de leur gestion, qui relève des grandes catégories de la fonction publique.

Cette situation a été déplorée au cours des auditions, plusieurs acteurs ayant souligné qu'une autonomie véritable des universités ne pouvait se concevoir sans que leur soient conférées de véritables marges de manoeuvre dans la gestion de leurs personnels - qui tendraient à les rapprocher de la situation des ONR.

Des marges de manoeuvre réduites dans la gestion de leurs personnels par les universités

Les universités ne disposent d'aucune autonomie véritable dans la gestion de leurs personnels relevant de la fonction publique, dont la masse salariale constitue la principale contrainte de leurs dépenses.

Un président d'université a ainsi estimé que les modalités actuelles de la gestion de leurs personnels condamnaient les universités à « courir avec des boulets aux pieds ». La Cour des comptes souligne, dans son rapport de 2021 précité, qu' « on ne peut qualifier d'autonome une université qui ne maîtrise ni ses recrutements ni la gestion des promotions et évolutions de carrière de ses personnels », et que « la gestion des carrières des personnels administratifs par les rectorats et le ministère [prive] les chefs d'établissement de leviers essentiels en matière de management » 1.

En ce qui concerne spécifiquement les enseignants-chercheurs, comme pour l'ensemble des fonctionnaires, plusieurs règles sont fixées au niveau national :

- les recrutements des différents corps d'enseignants et de chercheurs sont déterminés au niveau national et répartis entre les différents établissements de manière centralisée. L'arrêté du 24 février 2025 fixe ainsi à 799 le nombre de professeurs d'université à recruter et à 1 546 celui de maîtres de conférences ;

- les grilles de salaires des maîtres de conférences et professeurs d'université sont fixées au niveau national par le décret du 10 avril 2013 2. La France, à la différence par exemple des universités américaines qui sont libres de fixer la rémunération de leur personnel, a ainsi privilégié un système unifié qui garantit l'homogénéité du corps, mais prive de facto les établissements de toute marge de manoeuvre une fois le recrutement effectué.

Enfin, l'évolution du point d'indice applicable à l'ensemble des agents de la fonction publique est décidée par l'État. Ces dernières années, les décisions prises au niveau national n'ont été que partiellement prises en compte dans les dotations allouées aux établissements (voir infra).

(2) Un faible niveau de rémunération

Les établissements rencontrent ainsi de fortes difficultés pour assurer le bon fonctionnement de leurs services support, dont relèvent l'ensemble de leurs personnels non enseignants, désignés sous l'acronyme de Biatss (pour personnels de bibliothèque, ingénieurs, administratifs, techniques, de santé et sociaux). Le sous-dimensionnement de ces services support ainsi que la difficulté à recruter puis fidéliser des profils compétents pour l'exercice de missions de plus en plus techniques a été souligné tout au long des auditions.

Cette situation résulte de la faible attractivité salariale de ces fonctions, qui n'apparaît plus en lien avec leur technicité croissante, notamment en ce qui concerne la gestion immobilière et financière des établissements. Le montant moyen de l'indemnité de fonctions, de sujétions et

1 Au sujet des autres catégories de personnels des universités, la Cour considère que « le maintien de procédures nationales de recrutement pour les enseignants-chercheurs (qualification par le CNU) obère les politiques de formation et de recherche, en limitant le vivier des candidatures potentielles et en restreignant les possibilités d'évolution professionnelle en interne » et que « les personnels des organismes de recherche présents sur les sites universitaires (chercheurs, ingénieurs, techniciens ou autres personnels administratifs) échappent à la gestion ou, à tout le moins, à une cogestion de la part des universités, faute d'une coordination étroite avec les organismes de recherche gestionnaires de ces ressources humaines. »

2 Relatif à l'échelonnement indiciaire applicable aux corps d'enseignants-chercheurs et personnels assimilés et à certains personnels de l'enseignement supérieur

d'expertise (IFSE) s'élevait ainsi en 2022, pour un agent de catégorie B de la filière recherche et formation, à 5 651 euros par an au sein de l'enseignement supérieur, à 6 965 euros au sein de l'éducation nationale et à 9 211 euros dans les autres ministères 1.

Les difficultés de recrutement et de fidélisation sont en conséquence plus prégnantes dans les grandes agglomérations, où les universités font face à la concurrence non seulement d'autres établissements d'enseignement supérieur, mais également des recrutements contractuels des collectivités. Cette tension sur les métiers de gestion des universités a en particulier été pointée par les universités parisiennes.

Certaines universités disposant de moyens relativement plus importants, telle que Aix-Marseille Université, ont en conséquence mis en place des politiques autonomes destinées à accroître l'attractivité de leurs fonctions support, notamment par le développement d'une offre de logement de transition.

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