2. L'utilisation de la trésorerie « non disponible » en question

a) Une forte progression des recettes affectées

L'analyse de ce mécanisme est partagée par l'ensemble des acteurs entendus par la mission d'information, qui s'accordent en conséquence sur le fait qu'une partie de la trésorerie des établissements, issue notamment des ressources des appels à projets, est constituée de recettes destinées au financement d'opérations précises. Cette part de leur trésorerie est désignée sous les termes de « trésorerie fléchée », « trésorerie non libre d'emploi » ou

« trésorerie gagée ».

La Cour des comptes relève ainsi, dans sa note précitée, que « les opérateurs rattachés au programme 150 présentent une trésorerie en forte hausse [...], ce qui s'explique par la hausse de la part potentiellement fléchée de la trésorerie ». La part jugée mobilisable de la trésorerie est corollairement en forte baisse : sur l'échantillon de 116 opérateurs du programme 150 mentionné supra, elle se replierait de 1,1 milliard d'euros en 2019 à 228,8 millions d'euros en 2024 2, soit une baisse de 80 % en cinq ans 3. Dans cette approche, la trésorerie libre d'emploi représente 6 % de la trésorerie globale de l'échantillon en 2024.

1 Il semble en outre que les de versement tendent à évoluer dans le contexte de resserrement budgétaire. Des établissements ont ainsi indiqué que l'ANR privilégiait désormais plus fréquemment les paiements sur facture acquittée aux avances globales de fonds.

2 La Cour indique qu'il est probable « que le niveau de trésorerie libre d'emploi soit sous-estimé en raison de la méthode d'estimation retenue ».

3 Par une analyse plus fine, la Cour estime que « sur un sous-ensemble de 94 EPSCP, [...] la trésorerie potentiellement libre d'emploi diminuerait de 843,3 millions d'euros en 2019 à - 78,2 millions d'euros en 2024. Plus précisément, pour 64 universités présentes dans le périmètre d'analyse, les montants seraient respectivement de 775,5 millions d'euros en 2019 et 72,3 millions d'euros en 2024 ». Dans les deux cas, la baisse est de l'ordre de 90 % en cinq ans.

La direction du budget indique également, dans sa réponse au questionnaire des rapporteurs, que « la hausse de la trésorerie s'explique principalement par l'augmentation de la trésorerie dite « fléchée », qui est celle liée aux opérations financées, au moins partiellement, sur recettes fléchées. Il s'agit de recettes ayant une utilisation prédéterminée, généralement par le financeur, destinées à des dépenses explicitement identifiées, potentiellement réalisées sur un exercice différent de leur encaissement, telles qu'un projet d'investissement élu à un financement dans le cadre des dépenses d'avenir ou un contrat de recherche ».

b) La trésorerie « fléchée » ne constitue pas un outil de gestion pertinent

Alors que, comme indiqué supra, la direction du budget s'appuie sur le montant de la trésorerie des opérateurs pour construire le programme 150 du budget de l'État, les établissements souhaitent unanimement que soit également prise en compte, voire y soit substituée, l'évaluation de leur trésorerie libre d'emploi. Ils soulignent en effet qu'elle constitue le seul indicateur susceptible de rendre compte de la faiblesse de leurs marges de manoeuvre financières.

Cette prise en compte soulève cependant deux difficultés.

(1) Une évaluation comptable limitée et hétérogène

En premier lieu, aucun agrégat comptable ne permet actuellement de disposer d'une évaluation exhaustive du montant de la trésorerie non disponible.

ï Cette situation résulte tout d'abord de l'absence d'indicateur comptable couvrant la totalité du périmètre de la trésorerie fléchée.

La direction du budget indique en effet qu'aucun indicateur de la liasse ne permet à ce jour d'identifier les « opérations pluriannuelles autofinancées n'ayant pas encore fait l'objet d'engagement juridique », en précisant que « cette dimension est actuellement discutée dans le cadre de la refonte de la liasse budgétaire des EPSCP faisant suite à l'entrée en vigueur du décret GBCP ».

Une démarche interne d'identification de la trésorerie fléchée des EPSCP a par ailleurs été développée par la Dgesip, qui diffuse chaque année un guide méthodologique identifiant les composantes 1 de la trésorerie « gagée, non libre d'emploi ». La direction du Budget, qui souligne que cette approche de la trésorerie est spécifique aux établissements d'enseignement supérieur et ne correspond pas au droit commun de la comptabilité des opérateurs de l'État, relève que l'évaluation ainsi produite constitue un outil méthodologique potentiellement pour identifier, à l'échelle de chaque établissement, ses besoins de trésorerie de l'année. Soulignant que l'application de la méthode proposée par la Dgesip est hétérogène selon les

1 Il s'agit des opérations pluriannuelles, des encaissements et décaissements sur opérations non budgétaires (emprunts), des encaissements exceptionnels en attente d'un dénouement, de la trésorerie nette affectée à des activités particulières (essentiellement les excédents de la taxe d'apprentissage) et des provisions pour risques et charges.

établissements et que son « reporting » se fait en dehors de la liasse budgétaire réglementaire, elle considère en revanche son utilisation comme indicateur comptable d'un niveau agrégé de trésorerie gagée comme « discutable ».

ï Cette situation résulte ensuite des lacunes des établissements dans le renseignement de leur liasse budgétaire. La direction du budget indique en effet que le tableau 8 des recettes fléchées, qui permet une première approche de la trésorerie non libre d'emploi, est complété de manière hétérogène et ne permet pas de disposer d'une information fiable au niveau agrégé.

La Dgesip relève dans le même sens que « les établissements suivent, de manière hétérogène, un niveau de trésorerie libre d'emploi, ce qui révèle l'absence d'une approche standardisée ».

ï Cette difficulté pourrait cependant être levée par le développement d'indicateurs comptables ad hoc au sein de la liasse budgétaire réglementaire, associée à un meilleur suivi de leur information comptable par les établissements.

La direction du budget indique en ce sens que, à condition qu'ils soient correctement renseignés par les établissements, l'agrégation des montants « [du] tableau 8 des recettes fléchées, [du] tableau 4 de l'équilibre financier, plus particulièrement les opérations non budgétaires, et [d']un nouveau tableau, également intégré à la liasse budgétaire, permettant d'identifier les opérations pluriannuelles autofinancées n'ayant pas encore fait l'objet d'engagement juridique [...], permettra de connaître avec certitude le montant de la trésorerie non disponible ».

(2) Une rigidification de la gestion budgétaire

En second lieu, le rapprochement opéré, dans le débat qui se déroule autour de la notion de trésorerie fléchée, entre l'affectation juridique de fonds à un usage prédéterminé et l'impossibilité pour les établissements de disposer de la trésorerie correspondante pour répondre à leurs besoins de financement généraux procède d'une mauvaise compréhension des principes généraux de la comptabilité et de leur articulation avec la logique de gestion financière.

France Université considère ainsi que la trésorerie fléchée « étant gagée sur des opérations ciblées et contractualisées, elle ne peut être réorientée sur des dépenses courantes telles que les factures d'électricité, les salaires des personnels des universités et encore moins les pensions ». Dans leur ensemble, les établissements entendus partagent cette approche : l'absence de souplesse dans l'utilisation des fonds compétitifs a été soulignée tout au long des auditions, plusieurs acteurs ayant souligné le décalage entre le montant très élevé des fonds sélectifs perçus par les établissements et leurs difficultés à assurer leur fonctionnement courant.

Si les financements affectés doivent effectivement être alloués aux opérations programmées, conformément aux engagements juridiques pris auprès des bailleurs de fonds, cela ne signifie cependant pas que les sommes perçues doivent être bloquées dans l'attente de leur décaissement. Conformément au principe d'unité de caisse, la gestion de la trésorerie des établissements est en effet effectuée de manière globale.

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