À condition qu'ils disposent, à chaque échéance, de la trésorerie nécessaire pour effectuer leurs dépenses programmées, rien n'interdit donc aux établissements de faire contribuer la part dite « affectée » de leur trésorerie à leur gestion courante.
ï C'est en ce sens que la direction du budget estime que le concept même de trésorerie libre d'emploi « contribue à alimenter une conception rigide de la trésorerie par les établissements ».
Bernard Dizambourg a également relevé que l'introduction de la notion de trésorerie fléchée, initialement pensée comme une précaution visant à prévenir la mauvaise utilisation de certaines ressources encaissées, a finalement « pulvérisé le budget » : le recours abusif à cette notion aboutit en effet à une fragmentation du budget remettant en cause son unicité 1.
ï Relevant que la trésorerie importante dont disposaient encore les établissements en 2024 n'a pu être efficacement mobilisée au service de leurs besoins d'investissement, la Dgesip entend en conséquence faciliter la
« gestion dynamique des marges de gestion ». Elle annonce à ce titre la mise en place, en lien avec les rectorats, d'un accompagnement visant à « avancer vers une approche dynamique de la gestion de [la] trésorerie des établissements ».
La circulaire du 11 août 2025 précitée affirme ainsi qu'il revient aux rectorats, « dans le cadre du contrôle financier et du dialogue stratégique avec les établissements, de veiller tout particulièrement à les accompagner dans la mobilisation de leur trésorerie afin de réduire l'argent dormant et de financer, dans le respect de leur soutenabilité budgétaire, des opérations qui le nécessitent ».
3. Les conditions d'une gestion dynamique de la trésorerie ne sont pas réunies
L'absence de consensus autour d'une telle mobilisation de la trésorerie des établissements, défendue par les pouvoirs publics mais suscitant un très fort rejet de la part des établissements, constitue la traduction concrète des limites du système actuel d'allocation des moyens, amplifié par le climat de défiance décrit supra.
1 Au-delà de la question de la trésorerie, d'autres personnes entendues ont plus largement considéré que la logique générale des appels à projets, en ce qu'elle aboutit à une fragmentation des rentrées d'argent déstabilisatrice pour les budgets des établissements, a été poussée trop avant.
ï Les orientations défendues par le MESR et le ministère de l'économie et des finances visent à améliorer, dans le contexte de maîtrise renforcée des dépenses publiques, l'allocation et la gestion des ressources des établissements.
La démarche de la Dgesip tend à permettre à chaque établissement de retrouver des marges de manoeuvre financières, dans un contexte où le resserrement budgétaire ne permettra pas de dégager de moyens nouveaux à court terme. Le raisonnement tenu par la direction du Budget, qui se développe à l'échelle agrégée des établissements, vise à optimiser la construction du programme 150 en tenant compte de l'objectif de réduction du déficit de l'État.
Ces orientations correspondent à de bonnes pratiques de gestion des finances publiques. Lorsque la trésorerie d'un établissement public excède le montant nécessaire à la couverture des dépenses de l'exercice, il est ainsi courant que l'État effectue un prélèvement sur sa trésorerie ou limite son financement budgétaire, l'obligeant dans ce cas à puiser dans ses disponibilités. En ce qu'elles permettent la diminution des dépenses de l'État, et donc son besoin de recourir à l'emprunt pour l'année concernée, ces opérations participent d'une gestion optimale des deniers publics. Il peut s'entendre, en particulier dans le contexte actuel, qu'on veuille éviter d'accroître l'endettement de l'État alors que des établissements publics disposent d'une trésorerie abondante.
ï À l'échelle de chaque établissement, la mise en oeuvre de ces orientations implique de tenir compte de deux éléments :
- en premier lieu, compte tenu du mécanisme de constitution de la trésorerie des établissements évoquée supra, de telles opérations ne pourraient être conduites que ponctuellement. En effet, alors que le volume des financements sélectifs tend à se stabiliser après plusieurs années de montée en puissance, les disponibilités des universités ne se reconstituent pas nécessairement chaque année ;
- en second lieu, leur mise en oeuvre entraînerait une réduction de la marge de sécurité financière des établissements, ayant pour corollaire une augmentation de leur dépendance au financement budgétaire. Les conséquences de la diminution de leurs disponibilités seraient variables selon les établissements, en fonction notamment du montant de leur trésorerie et de l'importance des engagements pris dans le cadre des appels à projets. Dans le cas où le montant résiduel de leur trésorerie ne permettrait pas de couvrir un décaissement correspondant à l'un de ces engagements, ils devraient pouvoir compter sur le soutien de l'État - sauf à réduire fortement le financement d'un fonctionnement déjà très contraint ou à faire défaut aux engagements pris.
- Dans les conditions actuelles du pilotage budgétaire des établissements et de l'allocation de leurs moyens, une telle réduction de leur marge de sécurité financière se heurterait à trois difficultés :
- elle rendrait tout d'abord nécessaire la construction, par chacun d'entre eux, d'une programmation budgétaire pluriannuelle permettant de prévenir une éventuelle défaillance. Cette opération suppose un pilotage rigoureux des recettes et dépenses affectées, que toutes les universités n'ont pas encore démontré leur capacité à déployer ;
- elle appellerait ensuite une allocation des ressources budgétaires précisément adaptée à la réalité des besoins de chaque université. Au regard des conditions actuelles de la répartition des moyens entre les établissements, il est permis de douter de la capacité des ministères à assurer une articulation fine entre la mise à contribution de la trésorerie à un niveau agrégé et le suivi des conséquences qui en découlent à l'échelle de chaque établissement ;
- elle supposerait enfin que l'État garantisse le financement des dépenses affectées qui ne seraient plus gagées par une trésorerie fléchée, en fonction de la programmation mentionnée supra ou en cas de dégradation inopinée de la situation budgétaire d'un établissement. Le caractère erratique du soutien financier de l'État au cours des dernières années n'est cependant pas de nature à rassurer sur ce point.
ï Les conditions ne semblent donc pas remplies à ce jour pour que l'État oblige les universités, de manière unilatérale, à une gestion dynamique de leur trésorerie. Dans les conditions actuelles du pilotage financier des établissements, une telle évolution des pratiques comporte en effet un risque important d'aboutir à une forme de « cavalerie budgétaire » compromettant gravement la soutenabilité financière des universités au profit d'un gain budgétaire de court terme.
La modification du régime de gestion de la trésorerie des universités suppose au total un important travail préalable permettant, par l'établissement d'un diagnostic partagé et la définition d'engagements réciproques, le retour d'une véritable confiance entre les acteurs.