B. UNE INSTITUTION EN MANQUE DE PILOTAGE
1. Une tutelle perçue comme inadaptée
• L'enseignement supérieur est piloté dans le cadre d'un portefeuille ministériel identifié depuis 197437(*), et d'une direction générale ministérielle dédiée depuis 1993 - aujourd'hui la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (Dgesip).
En application de l'article 13 du décret n° 2014-133 du 17 février 201438(*), le champ de compétence de la Dgesip comporte cinq ensembles de missions, parmi lesquelles figurent l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique relative aux formations supérieures, assorties de l'accompagnement des établissements dans l'exercice de leur autonomie ; l'exercice de la tutelle des établissements, incluant la répartition des moyens entre eux ; la mise en cohérence de la politique menée en matière d'enseignement supérieur avec celle conduite en matière de recherche et le pilotage du programme des investissements d'avenir (PIA)39(*).
Ces deux dernières compétences sont exercées de manière conjointe avec la direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI). La Dgesip et la DGRI disposent à ce titre d'un service commun, chargé de coordination des stratégies de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Le pilotage est assuré, à l'échelon déconcentré, par les recteurs de région académique40(*), assistés, dans sept régions comportant plusieurs académies41(*), par un recteur délégué pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation. Ils sont chargés, outre leur mission régalienne de contrôle budgétaire et de légalité pour les établissements du supérieur, du paiement des bourses sur critères sociaux, de la définition des CPER ainsi que du suivi des opérations immobilières des établissements. Il leur revient également de fixer les orientations stratégiques de la politique de la région académique pour l'enseignement supérieur.
• Le jugement porté, au cours des auditions, sur l'organisation et la qualité de la relation entre les établissements et ces différents acteurs a globalement été sévère. Les rapports avec la Dgesip, directement chargée de la tutelle des opérateurs, ont été fréquemment décrits comme pauvres, voire absents, tandis que l'accompagnement assuré par les rectorats a été jugé excessivement centré sur des aspects administratifs. Le pilotage assuré par les services du MESR a au total été considéré comme inadapté aux besoins des établissements, pour trois séries de raisons.
En premier lieu, les échanges entre les établissements et l'administration centrale et déconcentrée sont perçus comme étant de nature essentiellement bureaucratique.
Les établissements universitaires sont soumis à de nombreuses obligations d'évaluation et de production documentaire, qui mobilisent fortement leurs équipes administratives et leurs organes de direction - notamment sur le plan comptable, dans le cadre du suivi des Comp ou à l'occasion des contrôles opérés par la Cour des comptes et le Haut conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Or, les acteurs entendus par les rapporteurs estiment dans leur ensemble que les résultats produits dans ces différents contextes ne sont pas mis au service d'une réflexion approfondie sur l'amélioration de la politique universitaire. Ils regrettent en particulier que les alertes remontées, dans le cadre de ces évaluations sur la situation budgétaire des établissements, ne paraissent rencontrer aucun écho aux stades de la préparation des lois de finances et de la répartition des crédits.
En second lieu, un sentiment de « solitude » des présidents d'université face aux défis qu'ils rencontrent, notamment dans le calibrage de leurs capacités d'accueil et leur gestion immobilière, a été mentionné à de nombreuses reprises. Ce sentiment semble résulter en partie du retrait relatif des services du MESR après la première phase de mise en oeuvre de l'autonomie des établissements, qui contraste avec l'accompagnement renforcé déployé au cours de cette période initiale.
Cette perception apparaît plus prégnante chez les établissements de petite taille que dans les grandes universités, dont certaines ont estimé que leur absence de relation quasi-complète avec la Dgesip au cours des dernières années n'était pas problématique dans la mesure où elles n'avaient pas besoin d'un accompagnement particulier.
Cette appréciation est en troisième lieu nourrie par les frustrations fréquemment rencontrées dans l'interaction avec les rectorats. Il a en particulier été regretté que ces derniers ne disposent pas d'une véritable capacité d'accompagnement, et que leur intervention auprès des établissements se limite souvent à un ergotage sur des aspects techniques - le rectorat étant dès lors davantage identifié comme un censeur que comme un auxiliaire potentiel.
La commission des finances du Sénat, dans ses récents travaux relatifs à la contractualisation à la performance dans l'enseignement supérieur42(*), relevait sur ce point que l'« articulation [entre les rôles respectifs de l'administration centrale et des rectorats] n'est pas toujours lisible, y compris pour les établissements et pour les rectorats. Les cas de rectorats « court-circuités » par l'administration centrale sont revenus à plusieurs reprises au cours des auditions. La Dgesip traite ainsi en direct avec les établissements sur divers domaines, par exemple sur les enjeux liés à la dévolution, alors même que d'autres établissements relèvent la valeur ajoutée des rectorats sur les sujets immobiliers. Certains rectorats ont indiqué ne pas avoir connaissance de la manière dont l'administration centrale élaborait ses arbitrages budgétaires ».
Les acteurs entendus regrettent enfin que les modalités actuelles de l'organisation du pilotage tendent à opposer les universités et les organismes nationaux de recherche (ONR), qui relèvent respectivement de la Dgesip et de la DGRI. Plusieurs présidents ont au contraire mis en avant les effets vertueux des rapprochements fonctionnels effectués sur le terrain entre les établissements et les ONR voisins, notamment dans la structuration des réponses aux appels à projets.
2. Des inflexions en cours sur le positionnement de l'État
• L'organisation de la relation entre l'administration d'État et les établissements fait actuellement l'objet de multiples initiatives de la part du MESR.
Il semble tout d'abord que le renouvellement récent à la tête de la Dgesip ait marqué une inflexion dans le rapport avec les établissements, le directeur général en poste depuis 2024 étant à l'initiative d'un accroissement et d'un approfondissement des échanges globalement salué.
Le MESR a par ailleurs publié, au cours de l'été 2025, deux circulaires relatives respectivement aux missions de la Dgesip et de la DGRI43(*) et à la déconcentration en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation44(*), témoignant ainsi d'une attention portée à la thématique du pilotage au sommet de l'État. Ces deux textes prévoient un repositionnement marqué des différents services de l'État chargés d'assurer cette mission.
Ce repositionnement est d'abord celui du champ de compétence du ministère dans son ensemble, qui doit se replacer « comme ministère de l'enseignement supérieur, et non plus seulement des universités », dans le contexte de forte progression des effectifs étudiants de l'enseignement supérieur privé. Cette évolution appelle la mise en place d'une « doctrine en matière de régulation de l'enseignement supérieur privé et de positionnements respectifs du privé et du public ».
Les textes clarifient ensuite la répartition de la mission de tutelle des établissements entre les services de l'État. Ils prévoient à ce titre un accroissement du rôle des rectorats, en affirmant de manière corollaire la subsidiarité du recours à l'échelon central :
- la circulaire du 5 septembre rappelle que l'exercice de la tutelle et du pilotage des opérateurs « ne saurait se réduire à un simple suivi administratif », mais constitue « le coeur de la compétence » des directions centrales du ministère, et doit être assurée de manière à la fois « effective, stratégique, étayée et différenciée » ;
- la circulaire du 11 août affirme l'engagement d'une « nouvelle étape de déconcentration » et appelle les recteurs à « assurer désormais un rôle accru et notamment à conduire un dialogue stratégique exigeant avec les établissements [...], en fédérant le plus grand nombre d'acteurs locaux, notamment les collectivités territoriales ». Les rectorats auront en particulier un rôle de premier plan dans la préparation, le pilotage et le suivi des nouveaux COMP. Il leur est enfin demandé de préparer pour le 1er octobre 2025 une « feuille de route régionale » précisant leurs priorités d'accompagnement des établissements.
• Tout en saluant la volonté d'apporter ainsi un nouveau souffle à l'exercice de la mission de pilotage du MESR, ainsi que l'affirmation claire de la nécessité de mieux y associer les collectivités territoriales, les rapporteurs demeurent interrogatifs quant à la portée concrète de ces instructions.
La mise en lien d'un objectif de déconcentration renforcée avec celui d'un accroissement de l'autonomie des universités ne semble en effet pas aller de soi. Les auditions ont permis de constater que, quel que soit l'échelon territorial de leur tutelle par l'État, les établissements attendent avant tout de pouvoir disposer des marges de manoeuvre réglementaires et financières leur permettant d'exercer véritablement leur autonomie. Si l'inscription de certaines décisions de gestion au plus proche des réalités du terrain est certainement bienvenue, elle ne saurait cependant être confondue avec une évolution de fond sur ce point. Le texte de la circulaire entretient d'ailleurs un certain flou à ce sujet, en prévoyant par exemple que devront être examinés la possibilité et l'intérêt de « déconcentrer » certains actes de gestion en matière de ressources humaines « vers les rectorats ou les établissements ».
La circulaire ne comporte par ailleurs aucune orientation susceptible de lever certaines limites actuelles de l'accompagnement exercé par les rectorats, qui semblent largement tenir à la faiblesse de leurs effectifs, à l'absence de clarification des objectifs assignés à l'enseignement supérieur, ainsi qu'au manque d'expertise des équipes rectorales sur certains sujets techniques telle que la gestion immobilière.
France Universités indique quant à elle accueillir cette circulaire « avec une certaine circonspection », « dans la mesure où les universités ont une dimension qui dépasse l'empan de leur implantation territoriale », qui se déploie notamment à l'échelle internationale. Elle souligne par ailleurs qu'il importe « que les recteurs, en leur qualité de représentants de l'État, aient une ligne claire en phase avec les objectifs nationaux. L'intervention rectorale doit s'inscrire dans une logique de réglages et non dans une politique académique autonome ».
3. La faiblesse du ministère de l'enseignement supérieur dans le jeu interministériel
Au-delà de ces aspects organisationnels, la capacité de la Dgesip à structurer et à mettre en oeuvre une véritable stratégie universitaire a été mise en doute du fait de son faible poids dans le jeu interministériel, et de son retrait sur la question de l'allocation des moyens des établissements. Cette faiblesse a été mise en lien avec l'absence de relais d'influence du monde universitaire dans l'administration évoqué infra.
Cette faiblesse a notamment été pointée à l'égard de la direction du Budget, qui est perçue comme le véritable décideur de la politique universitaire. Certaines universités ont par ailleurs indiqué avoir développé des relations directes, et parfois plus efficaces, avec des directions ministérielles relevant d'autres ministères, notamment la direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l'économie et des finances ou les services compétents du ministère des armées.
De l'avis généralement exprimé, la Dgesip dispose pourtant d'une bonne connaissance des situations et des difficultés locales, et partage bien souvent le diagnostic porté par les établissements sur les défis auxquels ils ont face. Elle n'a cependant pas la main sur les leviers, notamment budgétaires, pour agir sur ces situations, de sorte que cette lecture commune n'est pas retrouvée dans le processus d'allocation des moyens.
Ce retrait du MESR dans le jeu interministériel se traduit également par des lourdeurs et des difficultés de coordination sur les sujets transversaux. Il a ainsi été regretté que le MESR ne joue pas le rôle d'interface nécessaire à la mise en cohérence des différentes missions assignées aux établissements d'enseignement supérieur, notamment avec le ministère chargé de l'emploi ; il en résulte une contradiction dommageable dans les objectifs de politique publique affichés par les deux ministères, source d'incompréhensions sur le terrain pour les établissements et les étudiants. Ces pesanteurs sont également sensibles en ce qui concerne l'immobilier universitaire, toute évolution sur ce point, notamment en ce qui concerne la dévolution, devant être prise avec l'accord de la direction de l'immobilier de l'État (DIE).
* 37 Le gouvernement Chirac I du 28 mai 1974 comprenait un secrétaire d'État aux Universités de plein exercice, Jean-Pierre-Soisson. Depuis cette date, ce portefeuille a été confié à des ministres ou des secrétaires d'État tantôt de plein exercice, tantôt rattachés au ministre chargé de l'Éducation nationale, avec un champ de compétence le plus souvent élargi à la recherche.
* 38 Décret n° 2014-133 du 17 février 2014 fixant l'organisation de l'administration centrale des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de l'enseignement supérieur et de la recherche, modifié par l'article 10 du décret n° 2021-790 du 22 juin 2021.
* 39 S'y ajoutent, d'une part, la fixation du cadre national des formations et de la structure des niveaux, la mise en oeuvre d'une politique d'orientation et de préparation à l'insertion professionnelle, le suivi des questions relatives aux établissements privés, la promotion de la réussite et de l'amélioration des conditions de vie étudiantes, l'exercice de la tutelle sur le centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous), d'autre part, la coordination de l'ensemble de ces politiques à l'échelle européenne.
* 40 Dont les compétences sont prévues par l'article R. 222-16 du code de l'éducation.
* 41 Il s'agit, en application de l'article R. 222-16-3, de l'Auvergne-Rhône-Alpes, du Grand Est, des Hauts-de-France, de l'Île-de-France, de Nouvelle-Aquitaine, de l'Occitanie et de la Provence-Alpes-Côte d'Azur.
* 42 Rapport d'information n° 723 (2024-2025) du 11 juin 2025 sur la contractualisation à la performance dans l'enseignement supérieur, fait au nom de la commission des finances du Sénat par Mme Vanina Paoli-Gagin.
* 43 Circulaire du 5 septembre 2025, non publiée et communiquée à la mission d'information.
* 44 Renforcer la déconcentration en matière d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation, circulaire du 11 août 2025, NOR : MENG2523527C.