II. POUR QU'UN PACTE DE CONFIANCE PUISSE SE NOUER AVEC L'AVAL, LE MAILLON DE LA PRODUCTION DOIT IMPÉRATIVEMENT ÊTRE SÉCURISÉ DANS SON ACTIVITÉ ET SES REVENUS
A. LE COROLLAIRE D'UNE ATTENTION PLUS FORTE À LA DEMANDE NE PEUT ÊTRE QUE LA SÉCURISATION DES REVENUS DE L'AMONT PAR LA MOBILISATION DES OUTILS DU DROIT NATIONAL ET EUROPÉEN
À l'instar d'autres filières agricoles, la filière viticole est confrontée à une difficulté de taille : réussir à assurer un revenu a minima décent à tous les viticulteurs. Si l'objectif est défendu par tous, force est néanmoins de constater que la filière viticole peine à assurer une construction en avant du prix du vin, en dépit de l'existence de nombreux dispositifs visant à poursuivre cet objectif, et notamment du fait de la quasi-inexistence de publications relatives aux coûts de production en viticulture.
1. Les coûts de production sont difficiles à connaître, mal connus et insuffisamment pris en compte
Le premier obstacle à la prise en compte des coûts de production dans le cadre de la construction du prix du vin est d'abord leur méconnaissance par les différents acteurs de la filière.
Comme le révèle une étude menée par le cabinet de conseil Ceresco, les freins à la connaissance des coûts de production agricole sont nombreux. Cette connaissance suppose d'abord la récolte de nombreuses données, ce qui peut s'avérer extrêmement chronophage. Le recours à un tiers pour la collecte des données, s'il peut s'avérer utile, reste coûteux.
Une fois les données collectées, encore faut-il arriver à déterminer le coût de production. Or, l'établissement des coûts de production suppose de recueillir des données issues d'un nombre suffisant d'exploitations comparables, faute de quoi l'échantillon ne sera pas représentatif. Cette mission peut s'avérer plus difficile qu'il n'y paraît en raison de la segmentation de la production viticole. En effet, les paramètres pouvant influer sur le coût de production du vin sont très nombreux, entre la couleur, l'appellation, le degré d'exigence du cahier des charges, les cépages utilisés, les standards environnementaux observés, la taille de l'exploitation ou encore le type de vendange. En raison de cette hyper-segmentation, les études portant sur les coûts de production sont souvent réalisées à des échelles réduites et par des organismes dont les moyens financiers dédiés à l'observation économique ne sont pas forcément très développés. Il faut enfin relever que le particularisme de la filière viticole, dont la production est intimement liée au terroir, justifie qu'aucune initiative n'ait été prise afin de déterminer le coût moyen de production du vin au niveau national. C'est d'ailleurs aussi pour cela qu'il n'existe aucun indice des prix d'achat des moyens de production agricoles (Ipampa)162(*) viticole, à la différence des filières d'élevage.
En dépit de ces difficultés, certaines initiatives ont pu être prises. Tel est notamment le cas des chambres d'agriculture. Ainsi, Chambres d'agriculture France publie chaque année, un guide relatif aux coûts des fournitures en viticulture et oenologie. Certaines chambres d'agriculture régionales ou départementales publient elles « le référentiel économique du vigneron », un document lisible, d'une dizaine de pages, listant les coûts de production selon des hypothèses déterminées163(*). Certaines interprofessions publient également des études relatives aux coûts de production, avec un niveau de détail parfois très important164(*).
Néanmoins, ces coûts peuvent varier significativement en fonction de nombreux facteurs. Et, de l'aveu de certains acteurs auditionnés, les coûts de production viticoles sont difficiles à connaître dans le détail et, par suite, trop souvent mal connus, rendant plus difficile la construction du prix en avant.
Quand bien même ces coûts de production seraient connus, les producteurs dénoncent régulièrement, et notamment à Bordeaux, des prix pratiqués par certains distributeurs qui ne prendraient pas en compte les coûts165(*). Le sujet est à l'origine de conflits fréquents entre producteurs et acheteurs.
Pourtant, le législateur national, tout comme le législateur européen, a pu prendre de nombreuses mesures visant à assurer la construction du prix en avant.
2. Les lois Égalim visent à favoriser la construction du prix en avant des produits agricoles, mais celles-ci ne sont que partiellement applicables à la filière viticole
Pour encourager la construction du prix en avant des produits agricoles, le législateur a prévu, dans le cadre des différentes lois dites « Égalim » certaines règles spéciales applicables à la vente de produits agricoles. Sont ainsi rendues obligatoires par l'article L. 631-24 du CRPM la forme écrite, la formulation de la première proposition par le producteur, la présence de clauses relatives au prix et aux modalités de révision automatique de ce prix, à la quantité totale, à l'origine et à la qualité des produits concernés, aux modalités de collecte ou de livraison et aux modalités relatives aux procédures et délais de paiement. Enfin, le contrat doit prévoir une durée obligatoire de trois ans a minima.
Néanmoins, la filière viticole, en raison de ses particularités, n'est pas soumise à l'intégralité de ces règles.
D'abord, les dispositions relatives à la durée minimale du contrat ne sont pas applicables aux raisins, moûts et vins dont ils résultent. De manière générale, la règle de durée minimale n'est pas applicable aux contrats de vente de boissons alcooliques166(*).
Ensuite, par dérogation, en vertu d'un accord interprofessionnel étendu ou, en l'absence d'un tel accord étendu, en vertu d'un décret en Conseil d'État qui précise les produits ou catégories de produits concernés, il peut être dérogé à l'obligation de recourir à un contrat écrit167(*). Cette dérogation concerne une large majorité des AOP et IGP viticoles. En particulier, les vins de Bourgogne et du Bordelais ne sont pas soumis à la contractualisation écrite obligatoire. Les vins de France ainsi que les vins de la région languedocienne, de la vallée du Rhône, de la Provence de la Loire, d'Alsace et de Champagne sont quant à eux soumis à la contractualisation écrite obligatoire168(*).
Dans le cas où le contrat serait toutefois écrit, il doit respecter les règles précitées quand bien même l'écrit n'était pas obligatoire.
Cette large non-application des dispositifs issus des lois Égalim est bien la résultante de la volonté des professionnels. En effet, beaucoup d'entre eux estiment que ces dispositifs sont inadaptés à la filière, aux motifs que le vin est un produit agricole spécifique.
Néanmoins, les rapporteurs sont d'avis qu'une réflexion sur une généralisation de la contractualisation écrite obligatoire et l'application des règles Égalim à la filière viticole demeure nécessaire. Cette réflexion est par ailleurs en cours, et nombre d'interprofessions semblent elles aussi convaincues de l'intérêt de la contractualisation écrite. En effet, de nombreuses interprofessions, y compris là où la contractualisation écrite n'est pas obligatoire, proposent des contrats types169(*) comprenant les mentions précitées, offrant ainsi plus de sécurité juridique aux parties prenantes, et encourageant la formulation de la première proposition par le producteur.
Si la contractualisation écrite favorise dans une certaine mesure la construction du prix en avant, la clé résidera toutefois dans la publication des indicateurs de coûts de production. Néanmoins, cette faculté reste insuffisamment utilisée à ce stade.
3. Le droit de l'Union européenne et la loi prévoient des instruments nombreux et variés pour orienter les prix, mais ceux-ci sont insuffisamment mobilisés
a) La possibilité de publier des indicateurs de coûts de production n'est pas utilisée par la filière
S'agissant du prix, la loi rend obligatoire la « [prise en compte] d'un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts pertinents de production en agriculture et à l'évolution de ces coûts » au moment de la proposition du contrat. À cette fin, les organisations interprofessionnelles sont habilitées à élaborer et publier des indicateurs, qui servent d'indicateurs de référence171(*).
Le règlement OCM autorise aussi la publication de tels indicateurs. Précisément, l'article 210 du règlement OCM prévoit que la prohibition des ententes172(*) ne s'applique pas aux accords, décisions et pratiques concertées des organisations interprofessionnelles qui sont nécessaires pour « améliorer les connaissances et la transparence de la production et du marché, y compris en publiant des données statistiques agrégées relatives aux coûts de production »173(*). Ces accords, décisions et pratiques concertés ne peuvent toutefois comprendre des « fixations de prix »174(*).
La publication de ces indicateurs présente un intérêt certain, alors que, ainsi qu'il a été vu, la connaissance des coûts de production par les producteurs est souvent limitée ou incomplète. En outre, la publication de ces indicateurs, et leur connaissance par tous « oblige » d'une certaine manière leur prise en compte, en particulier lorsqu'ils sont déterminés par un tiers à la négociation, à savoir l'interprofession. En effet, il peut être raisonnablement considéré que l'acheteur, supposé vouloir le prix le plus bas possible, n'ira pas en dessous de ces coûts de production, sauf à assumer la pratique d'un comportement de nature à asphyxier le producteur. En outre, la loi impose la « prise en compte » de tels indicateurs et la violation de cette obligation peut conduire à la caractérisation d'un prix abusivement bas, prohibé par le code de commerce175(*).
Toutefois, alors que certaines interprofessions agricoles176(*) publient des indicateurs de coûts de production, aucune interprofession viticole n'a publié de tels indicateurs à ce jour177(*).
D'abord, ainsi qu'il a été vu, la définition des coûts de production en viticulture s'avère certes peu aisée, en raison de difficultés techniques et méthodologiques. Mais, outre des difficultés techniques et méthodologiques, les acteurs auditionnés ont surtout invoqué des difficultés juridiques pour justifier l'absence de publication d'indicateurs de coûts de production dans le secteur viticole.
Il est vrai que certaines interprofessions et organisations viticoles ont pu, par le passé, être condamnées sur le fondement de la prohibition des ententes anticoncurrentielles178(*) pour avoir, de concert, élaboré et publié des recommandations de prix dans la presse spécialisée179(*). En effet, l'Autorité de la concurrence, tout comme la Cour d'appel de Paris, ont jugé que la publication de ces recommandations de prix était illicite dès lors qu'elles avaient pour objet d'uniformiser les prix, en violant la liberté de fixation des prix180(*). Il importe de préciser et d'insister sur le fait que l'Autorité de la concurrence, comme la Cour d'appel de Paris, n'ont sanctionné aucune pratique liée à la seule élaboration ou la publication d'indicateurs de coûts de production, mais bien la diffusion de recommandations de prix.
En outre, les interprofessions peuvent aussi, avant la publication d'indicateurs de coûts de production, saisir la Commission européenne a priori, qui se prononcera sur la conformité de la publication envisagée dans un délai de quatre mois181(*). Pour ne prendre qu'un exemple, le comité national interprofessionnel de la pomme de terre a déjà pu saisir la Commission européenne à ce titre, sans que cette dernière soulève d'objections182(*).
Ainsi, et eu égard à ce contexte et à l'intérêt que présente la publication des coûts de production pour la filière, les rapporteurs considèrent que la crainte de la violation du droit de la concurrence peut être relativisée et surmontée.
b) Le droit de l'Union européenne autorise certaines orientations de prix, faculté que le Pays d'Oc a utilisé pour la première fois en 2025
En outre, le règlement OCM a été modifié en 2021183(*) afin de prévoir deux nouvelles dérogations à la prohibition des ententes.
Le nouvel article 210 bis du règlement OCM prévoit ainsi en son premier paragraphe que la prohibition des ententes anticoncurrentielles ne s'applique pas « aux accords, décisions et pratiques concertées des producteurs de produits agricoles qui ont trait à la production ou au commerce des produits agricoles et qui visent à appliquer une norme de durabilité184(*) supérieure à celle imposée par le droit de l'Union ou le droit national ».
Pour consolider juridiquement le recours à ce dispositif, la Commission européenne a publié des lignes directrices précisant les modalités de cet article185(*). Il est également possible de solliciter l'avis de la Commission européenne sur la compatibilité de l'accord envisagé, celle-ci devant répondre dans un délai de quatre mois186(*).
Ces dispositions offrent une marge de manoeuvre encore plus grande aux interprofessions, puisqu'elles permettent la publication de prix d'orientation. En effet, sur demande des Vignerons coopérateurs de France, la Commission européenne a donné, le 15 juillet 2025, un avis favorable187(*) à la demande d'adoption d'un projet d'accord visant à l'élaboration et la publication des prix d'orientation, et non simplement de coûts de production, sur les vins en vrac188(*) issus de six cépages189(*) produits dans la région Occitanie. Cet accord de durabilité ne concerne que les vins issus de l'agriculture biologique et les vins certifiés HVE.
Dans le détail, il est prévu, pour les deux prochaines années, que les producteurs de vin issus de l'agriculture biologique et HVE, représentés par l'ODG des vins de Pays d'Oc, conviennent avec les négociants et autres acheteurs de vin en vrac de la fixation de prix recommandés, appelés prix d'orientation (accord vertical). Ces prix n'auront aucun caractère obligatoire, mais auront vocation à constituer une base de négociation. Si aucun accord vertical ne peut être trouvé avec les acheteurs, les producteurs concluraient uniquement un accord entre eux (accord horizontal) et utiliseraient les prix d'orientation convenus dans leurs négociations individuelles avec les acheteurs190(*). L'interprofession des vins de Pays d'Oc jouera elle un rôle de facilitateur. En particulier, celle-ci aura pour mission de fournir aux parties les données économiques nécessaires à la définition des prix d'orientation, et devra évaluer l'efficacité de l'accord mis en oeuvre191(*).
Cet accord, qui ne résoudra pas à lui seul l'intégralité des difficultés par les filières bios et HVE dans le Pays d'Oc, présente de nombreux avantages. En effet, les coûts de production sont définis conjointement, par l'amont et l'aval, avec l'accompagnement des interprofessions. Cette définition conjointe permet ainsi une fixation des coûts de production qui se veut la plus objective et précise possible. Enfin, cet accord ne porte pas seulement sur la publication d'indicateurs de coûts de production, mais de prix d'orientation, permettant ainsi d'assurer une marge au producteur. Le prix déterminé n'a évidemment pas de caractère obligatoire, auquel cas l'accord violerait la liberté de fixation de prix. Néanmoins, il peut être espéré que celui-ci sera suivi dans une large mesure, dès lors que celui-ci a été fixé conjointement par l'amont et l'aval.
Ainsi, si l'expérience menée dans le Pays d'Oc s'avère concluante, la publication de prix d'orientation devra être envisagée dans d'autres bassins. Les rapporteurs suggèrent même de ne pas attendre pour engager les discussions au sein des bassins.
Dans le même esprit, l'article 172 ter du règlement OCM prévoit que, par dérogation à la prohibition des ententes, les interprofessions du secteur viticole peuvent fournir des indicateurs facultatifs sur l'orientation des prix concernant la vente de raisins destinés à la production de vins bénéficiant d'une AOP ou d'une IGP, à condition que ces orientations n'aient pas pour effet d'éliminer la concurrence pour une proportion substantielle des produits en question.
Toutefois, ce dispositif n'a jamais été utilisé, et n'a été que très rarement évoqué par les acteurs auditionnés. En effet, le champ d'application de cet article est très restreint, dès lors qu'il ne concerne que la vente de raisins. Néanmoins, si l'expérience tirée du premier accord de durabilité s'avère concluante, il pourrait être envisagé de porter l'ambition d'étendre le champ d'application de l'article 172 ter à la vente de vins AOP et IGP. Dans un premier temps, cette extension pourrait être limitée aux vins vendus en vrac, sur le modèle de l'expérience menée dans le Pays d'Oc, afin de limiter le potentiel effet anticoncurrentiel de telles orientations de prix.
c) Le droit de l'Union européenne et la loi permettent la constitution d'organisation de producteurs...mais celle-ci est rendue impossible par l'absence d'intervention du pouvoir règlementaire
Le règlement OCM permet en outre, à certaines conditions, la reconnaissance par les États membres d'organisation de producteurs (OP) opérant dans un secteur agricole précis192(*), dont le secteur viticole. Les conditions de reconnaissance sont prévues par le règlement.
D'abord, l'OP opérant dans un secteur précis doit être constituée à l'initiative des producteurs et exercer au moins l'une des activités listées par le règlement OCM193(*), dont la transformation conjointe, la distribution conjointe, ou encore l'emballage, l'étiquetage ou la promotion conjointe de produits agricoles.
Puis, l'OP doit, pour être reconnue, poursuivre l'un ou plusieurs des onze objectifs prévus par le règlement194(*). Ces objectifs sont :
- des objectifs d'ordre économique tels que le fait d'assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande, notamment en termes de qualité et de quantité, la concentration de l'offre et la mise sur le marché de la production des membres de l'OP, l'optimisation des coûts de production ;
- des objectifs d'ordre environnemental ou relatifs à l'amélioration de la qualité de la production, tels que la promotion et l'assistance technique nécessaires à la mise en oeuvre de pratiques de production respectueuses de l'environnement et du bien-être animal, ou le développement de produits bénéficiant d'une appellation d'origine protégée, une indication géographique protégée ou couverts par un label de qualité national.
Il y a lieu de préciser que le rôle des OP est sensiblement différent des interprofessions. Alors que le rôle principal des organisations interprofessionnelles est de faciliter les négociations contractuelles des producteurs avec les échelons présents à l'aval, les OP ont pour objet le renforcement de l'échelon amont de la production195(*). De même, le rôle des OP doit être distingué de celui des ODG, dont l'objet principal est de contribuer à la mission d'intérêt général de préservation et de mise en valeur des terroirs, des traditions locales et des savoir-faire ainsi que des produits qui en sont issus196(*).
Ce renforcement de l'amont que permet la constitution d'OP est d'autant plus nécessaire dans un contexte où l'offre des producteurs est assez atomisée, tandis que la demande de l'aval est plus concentrée. Ainsi, l'Autorité de la concurrence elle-même considère le regroupement des producteurs « comme une des voies pertinentes permettant l'amélioration de la compétitivité du secteur agricole et le rééquilibrage des négociations commerciales entre les producteurs et leurs acheteurs »197(*). Si les propos de l'Autorité ici repris concernaient l'ensemble de l'amont agricole, la filière viticole ne fait pas ici figure d'exception, bien au contraire.
Afin d'en étendre encore le pouvoir, le législateur européen a prévu en 2017198(*) une dérogation à la prohibition des ententes au bénéfice des OP, sous certaines conditions. Désormais, une OP reconnue « peut planifier la production, optimiser les coûts de production, mettre sur le marché et négocier des contrats concernant l'offre de produits agricoles, au nom de ses membres, pour tout ou partie de leur production totale », tout en échappant à la prohibition des ententes. Le bénéfice de cette dérogation est notamment conditionné au fait que « l'organisation de producteurs concentre l'offre et met sur le marché les produits de ses membres, qu'il y ait ou non transfert de la propriété des produits agricoles concernés des producteurs à l'organisation de producteurs »199(*).
En outre, le règlement OCM comprend un certain nombre de dispositions relatives aux statuts des OP200(*) et à l'octroi de la reconnaissance de ces organisations201(*). Le règlement OCM rend nécessaire l'intervention du pouvoir législatif ou règlementaire des États membres, puisqu'il appartient aux États membres de définir le nombre minimal de membres et/ou un volume minimal ou une valeur minimale de production commercialisable nécessaire à l'octroi de la qualité d'OP.
La partie législative du code rural et de la pêche maritime prévoit ainsi les principales règles relatives à la reconnaissance des OP202(*). Le Gouvernement a également prévu, dans de nombreux secteurs, les règles nécessaires à la reconnaissance d'OP203(*). Ainsi, au 1er janvier 2025, tous secteurs confondus, l'on comptait 609 OP et 35 associations reconnus par le ministère de l'agriculture204(*), signe de l'intérêt que portent les producteurs à cet instrument.
Toutefois, le Gouvernement n'a jamais adopté les dispositions règlementaires nécessaires à la reconnaissance des OP viticoles. Ainsi, la constitution de telles organisations est aujourd'hui impossible, et ce, en dépit de l'intérêt majeur que représentent les OP pour rééquilibrer les relations entre l'amont et l'aval. Le Gouvernement prive ainsi la filière d'un outil utile, aux mains des producteurs, et dont le coût est négligeable.
Les rapporteurs insistent donc : l'adoption des dispositions règlementaires nécessaires à la reconnaissance des OP viticoles, souvent réclamée par la filière, paraît ainsi indispensable et doit intervenir à bref délai.
d) Une fausse bonne idée : le durcissement de l'interdiction de faire pratiquer des prix de cession abusivement bas
Un autre instrument visant à assurer la construction du prix en avant des produits agricoles est l'article L. 442-7 du code de commerce, qui prohibe « le fait pour un acheteur de produits agricoles ou de denrées alimentaires de faire pratiquer par son fournisseur un prix de cession abusivement bas ». L'auteur de la pratique s'expose alors à la seule réparation du préjudice causé. L'action en réparation peut être exercée par toute personne justifiant d'un intérêt (et notamment la victime), par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou encore, sous certaines conditions, par le président de l'Autorité de la concurrence.
Les conditions prévues sont donc strictes : d'abord, doit être démontrée une certaine contrainte ou une action intentionnelle de l'acheteur (« faire pratiquer »), ainsi qu'un prix « abusivement bas », un prix « très bas » ne pouvant ainsi être sanctionné.
Or, la démonstration de la contrainte de l'acheteur s'avère, en pratique, difficile. Si certaines directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) ont pu réaliser des enquêtes, notamment dans le secteur laitier et de la viande, et ont pu, dans certains cas, considérer que les prix de cession étaient abusivement bas, la DGCCRF indique toutefois que les éléments de preuve de la contrainte n'étaient, en pratique, pas réunis205(*). Ainsi, la DGCCRF n'a jamais intenté d'action visant à faire sanctionner l'imposition de prix de cession abusivement bas206(*).
En outre, l'article L. 442-7 du code de commerce précise que, pour caractériser un prix de cession abusivement bas, il est tenu compte notamment des indicateurs de coûts de production ou, le cas échéant, de tous autres indicateurs disponibles. Dans le cas d'une première cession, il est également tenu compte des indicateurs figurant dans la proposition de contrat du producteur agricole.
Or, ainsi qu'il a été vu, la filière viticole ne publie pas d'indicateurs de coûts de production, rendant d'autant plus difficile la caractérisation de la pratique prohibée par l'article L. 442-7.
Néanmoins, le tribunal de commerce de Bordeaux a, par un jugement très remarqué du 22 février 2024, condamné pour la première fois deux acheteurs à indemniser le préjudice d'un viticulteur sur le fondement de l'article L. 442-7 du code de commerce207(*). D'abord, pour caractériser la première condition (« faire pratiquer »), le tribunal de commerce a principalement relevé que la proposition de prix n'avait pas été formée par le producteur, mais par l'acheteur. Puis, pour caractériser un prix abusivement bas, en l'absence de publication d'indicateurs de coûts de production, le tribunal de commerce a comparé le prix de vente avec le prix de vente moyen sur les marchés, sur la base d'estimations établies par un courtier assermenté208(*).
Ce jugement, qui a été frappé d'appel, illustre les difficultés que génère l'absence de publication des coûts de production. Alors que le coeur de la définition du « prix abusivement bas » repose sur la comparaison avec les coûts de production, le producteur n'a pas réussi à les établir, conduisant ainsi que le tribunal de commerce à choisir le prix de marché comme prix de référence, par défaut.
Après ce jugement, certaines voix se sont fait entendre pour une activation plus fréquente de l'article L. 442-7 du code de commerce209(*). D'autres, à l'instar des députés, souhaitent une modification de la définition du « prix abusivement bas », afin de la clarifier et de l'assouplir210(*).
Néanmoins, les rapporteurs ne préconisent pas de telles solutions. D'abord, il apparaît assez vain de multiplier les actions sur ce fondement, alors qu'il est très difficile d'en réunir les conditions. En outre, modifier la seule définition du prix abusivement bas ne règlera pas à elle seule la problématique liée à la contrainte exercée par l'acheteur (« faire pratiquer »). Enfin, et surtout, la filière viticole, qui traverse une crise sans précédent, a besoin d'unité et de rassembler l'amont, l'aval et les pouvoirs publics. La facilitation des actions sur le fondement de l'article L. 442-7 risquerait ainsi de conduire à un accroissement évitable des tensions entre les différents acteurs, sur un sujet très clivant.
Plutôt que ce chemin, les rapporteurs ne peuvent qu'encourager la filière à publier des indicateurs de coûts de production et, si besoin, des orientations de prix.
Recommandation : Faire un bond décisif sur la connaissance des coûts en viticulture et la contractualisation en :
• publiant les indicateurs de coûts de production prévus par l'article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime ;
• envisageant, sur le modèle de l'IGP Pays d'Oc, la conclusion d'accords de durabilité comprenant la publication de prix d'orientation sur le fondement de l'article 210 bis du règlement OCM.
Recommandation : publier sans délai le décret nécessaire à la reconnaissance d'organisations et associations d'organisations de producteurs viticoles.
e) Soutenir les coopératives dans une période très difficile
La viticulture est indissociable de l'histoire des coopératives. Aujourd'hui encore, elles représentent 560 coopératives et unions (dont environ 130 en Champagne), auxquelles sont attachées 35 000 exploitations. Les coopératives représentent près de 40 % de la production viticole et 60 % des exploitants, avec un impact social de 60 000 emplois directs et indirects211(*). Les coopératives produisent en outre, sur la période 2016-2019, près de 67 % du total des volumes de vins IGP (36 % des AOP), et sont à l'origine de 58 % de la production totale de rosé. En Occitanie, les coopératives sont à l'origine de la production d'environ 70 % des volumes. Comme l'indique VCF dans sa contribution écrite : « Globalement les caves coopératives sont d'assez petite taille (quasiment toutes sont des PME et aucune n'atteint 500 M€ de CA.) et très nombreuses. La restructuration pour limiter les coûts de production et faire des économies d'échelle reste peu importante ».
Là où le taux d'évolution annuel, sur la période 2010-2019 des volumes produits en France était de - 0,96 %, ce taux atteignait - 1,79 % pour les coopératives, témoignant d'une dynamique baissière plus importante.
À l'automne 2024, il y aurait plus d'une centaine de caves en grande difficulté, soit plus de 20 % des entreprises coopératives de la filière vin. Cette part des caves dans l'impasse financière atteint 37 % en Occitanie, 40 % à Bordeaux et 50 % dans la vallée du Rhône. La dynamique de fusions-absorptions est déjà bien engagée puisque les coopératives étaient plus de 700 en 2010 et 960 en 2 000.
Les caves souffrent en effet de l'évolution structurelle de la consommation, produisant historique des volumes en vrac et peu en bouteilles. Elles ont en outre souffert de la concurrence qu'elles ont pu exercer les unes envers les autres lorsque dans un périmètre très réduit cohabite plusieurs coopératives.
À l'occasion de chacun de leur déplacement, les rapporteurs ont tenu à rencontrer les représentants de la coopération. S'ils ont pu y voir parfois de grandes difficultés voire de la détresse, ils ont aussi pu observer le dynamique de certaines structures pour mieux adresser la demande.
Le PLF pour 2025 avait acté la création d'un fond de 10 M€ en soutien à la restructuration des caves coopératives. Ce fond n'a jamais vu le jour, remplacé par une mission d'inspection du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) pour réaliser un diagnostic de ces structures. Selon le Masa, cette mission a pour objet :
- « d'identifier et quantifier les difficultés actuelles, ainsi que celles à venir, notamment en lien avec la mesure d'arrachage définitif en déploiement ou les problèmes rencontrés à l'export.
- d'identifier les différents leviers dont disposent les caves coopératives viticoles pour prévenir et amortir les crises conjoncturelles, mais aussi structurelles rencontrées par la filière.
- déterminer si les mesures du plan de soutien envisagé par les caves coopératives ainsi que leur calibrage financier sont pertinentes pour répondre aux problèmes rencontrés, et dans quelle mesure d'autres vecteurs, y compris non budgétaires, pourraient utilement s'y substituer le cas échéant ».
Les conclusions de la mission devraient être rendues fin 2025. Les rapporteurs appellent alors l'État, au regard des conclusions et des recommandations du rapport, à prendre ses responsabilités et à tenir les engagements pris devant les coopérateurs et la représentation nationale.
Recommandation : Dans le cadre des recommandations à venir du rapport du CGAAER sur les coopératives viticoles, assurer le soutien financier de l'État à leur restructuration, conformément aux engagement pris en PLF pour 2025.
* 162 L'Ipampa est un outil global pour mesurer les coûts d'achat des moyens de production des agriculteurs.
* 163 V. p. ex., dans le Bordelais, dans le vignoble de Sancerre ou encore en Saône-et-Loire.
* 164 V. pour un exemple d'étude détaillée, l'étude réalisée en 2022 par le bureau national interprofessionnel du Cognac.
* 165 V. p. ex, à l'été 2025, la polémique provoquée par la vente de bouteilles de vins de Bordeaux pour 1,39€...
* 166 14ème alinéa du III de l'article L. 631-24 du CRPM.
* 167 Article L. 631-24-2 du CRPM.
* 168 Article R. 631-6-1 du CRPM.
* 169 En particulier, la DGCCRF relève dans sa contribution « [qu'au] niveau interprofessionnel, on note une tendance favorable à la contractualisation avec la mise à disposition par 17 interprofessions viticoles170 sur 24 de contrats types écrits, alors même que dans le ressort de 11 d'entre elles, la contractualisation écrite est facultative ».
* 171 Ibidem.
* 172 Article 101 § 1 du TFUE.
* 173 Article 210 § 1, qui vise l'article 157 § 1 c) du règlement OCM.
* 174 Article 210 § 4 d) du règlement OCM.
* 175 Sur la question du prix « abusivement bas » et sa sanction, voir infra.
* 176 Pour la liste des interprofessions publiant des indicateurs de coûts de production, v. ce tableau récapitulatif de l'observation de la formation des prix et des marges, à jour du 18 octobre 2023.
* 177 Contribution écrite de la DGCCRF.
* 178 Les ententes anticoncurrentielles sont prohibées par l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi que par l'article L. 420-1 du code de commerce.
* 179 La différence entre le prix référence et le coût de production réside dans le fait que le prix référence est un prix recommandé de vente. La publication d'indicateurs de coûts de production ne constitue pas en soi un prix référence.
* 180 Autorité de la concurrence, 23 mai 2018, n° 18-D-06 du 23 mai 2018 ; cour d'appel de Paris, 12 mai 2022, n° RG20/156 067.
* 181 Article 210 § 2 du règlement OCM.
* 182 Comm. eur., 30 juin 2017, C (2017) 4417 final ; ADLC, 3 mai 2018, avis 18-A-04, § 197.
* 183 Règlement (UE) 2021/2117 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021.
* 184 On entend par « norme de durabilité » une norme qui vise à contribuer à un ou plusieurs des objectifs suivant des objectifs environnementaux ou la production de produits agricoles selon des méthodes moins consommatrices de pesticides ou encore la santé et le bien-être des animaux (Art. 210 bis § 3 du règlement OCM).
* 185 Commission européenne, 8 décembre 2023, Lignes directrices sur l'exclusion de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne pour les accords de durabilité des producteurs agricoles en vertu de l'article 210 bis du règlement (UE) n° 1308/2013.
* 186 Article 210 bis, § 6, du règlement n° 1308/2013.
* 187 Commission européenne, 15 juillet 2025, Avis sur la demande d'avis formée conformément à l'article 210 bis, paragraphe 6, du règlement (UE) n° 1308/2013 présentée par Vignerons Coopérateurs de France, C (2025) 4863 final (seule la version en langue français fait foi, quoique seule la version en langue anglaise ait fait l'objet d'une publication).
* 188 L'accord porte uniquement sur les vins en vrac, dès lors que les prix de ces vins sont beaucoup plus homogènes. En outre, le prix des vins en bouteilles dépend plus largement des facteurs qui ne sont pas liés aux coûts de production (renommée, marketing). Ainsi, pour limiter les effets sur la concurrence, les Vignerons Coopérateurs de France, qui ont saisi la Commission européenne, ont limité leur demande aux vins en vrac (avis préc., § 9).
* 189 Merlot, Cabernet-Sauvignon, Grenache, Cinsault, Chardonnay and Sauvignon (avis préc., § 13). Ces six cépages représentent environ 80 % de la production de l'IGP Pays d'Oc (contribution écrite du syndicat des producteurs des vins de Pays d'Oc).
* 190 Comm. eur., avis préc., §§ 10-13.
* 191 S'agissant enfin de la détermination du prix d'orientation, il est prévu une méthodologie en deux temps. D'abord, les parties à l'accord devront déterminer les coûts de production, qui comprennent tant les coûts de production de la vigne en elle-même, que les coûts de vinification. Les coûts de production par hectare seront déterminés à partir des comptes audités d'exploitation. Puis, le rendement moyen par hectare sera déterminé sur la base des déclarations des exploitants, permettant d'obtenir un coût moyen de production à l'hectolitre. Les coûts de vinification seront, eux, enfin établis à partir d'hypothèses standardisées. Une fois les coûts de production déterminées, il conviendra de déterminer la marge revenant au producteur, dans la limite de 20 % des coûts de production. Cette marge a un double objet, à savoir protéger le producteur contre des variations imprévues de coûts et lui assurer une marge suffisante l'incitant à poursuivre une production HVE ou en agriculture biologique.
* 192 Article 152, § 1, du règlement OCM. Précisément, les États membres peuvent reconnaître les organisations de producteurs à condition qu'elles se composent de producteurs dans un secteur précis énuméré à l'article 1er, § 2, et, conformément à l'article 153, § 2, c, sont contrôlées par ceux-ci.
* 193 La liste exhaustive des activités pouvant être poursuivie est définie à l'article 152, § 1, b) du règlement OCM.
* 194 Article 152, § 1, c) du règlement OCM.
* 195 Autorité de la concurrence (ADLC), avis n° 18-1-04 du 3 mai 2018 relatif au secteur agricole, § 34 ; v. égal. les articles 152 et suiv. et l'article 157 du règlement OCM.
* 196 Article L. 642-22 du code rural et de la pêche maritime.
* 197 ADLC, avis préc., § 36.
* 198 Article 4, § 10, b) du règlement (UE) 2017/2393 du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2017.
* 199 Article 152, § 1 bis, b) du règlement OCM.
* 200 Article 153 du règlement OCM.
* 201 Article 154 du règlement OCM.
* 202 Articles L. 551-1 à L. 554-1 du CRPM.
* 203 Pour les produits relevant du champ de l'OCM des produits agricoles, ces règles sont prévues aux articles D551-1 à D551-88 du CRPM.
* 204 Ministère de l'agriculture, 2 septembre 2025, « Organisation économique : les organisations de producteurs ».
* 205 Contribution écrite de la DGCCRF.
* 206 L'article L. 442-4 du code de commerce permet en effet au ministre chargé de l'économie ou le ministère public de demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques prohibées par l'article L. 442-7. Ils peuvent également, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la restitution des avantages indument obtenus, dès lors que les victimes de ces pratiques sont informées, par tous moyens, de l'introduction de cette action en justice. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile.
* 207 T. com. Bordeaux, 6e ch., 22 févr. 2024, n° RG2022F01 972.
* 208 Dans le détail, les tonneaux de vin en AOC Médoc vendus par le producteur étaient vendus à 1 157 € et 1 184 €. Les estimations du courtier assermenté sur les ventes de tonneaux AOC Medoc à la même période se situaient entre 1 300 et 1 800€. Le tribunal de commerce a alors retenu une valeur médiane pour établir un prix de marché de référence à 1 550 €, puis a jugé que les prix de 1 157 € et 1 184 € étaient abusivement bas.
* 209 Lucas Bettoni, « Insuffisance du revenu agricole : plaidoyer pour une activation de l'article L. 442-7 du code de commerce », Recueil Dalloz, 2024, p. 553.
* 210 Recommandation n° 15 du rapport d'information n° 1269 déposé par M. Sylvain Carrière et Mme Sandra Marsaud, députés, sur les stratégies de marché de la filière viticole.
* 211 Les données de cet encadré sont issues de la contribution écrite des Vignerons coopérateurs de France (VCF) et de l'édition spéciale filière vinicole de 2023 de l'Observatoire économique et financier du Haut conseil de la coopération agricole.