C. UNE PROBLÉMATIQUE DE L'EAU QUI DEVIENT URGENTE
1. La vigne, plante méditerranéenne, est traditionnellement peu irriguée
La vigne, plante originaire du Moyen-Orient, connaît une tolérance naturelle à ces épisodes de chaleur, ce qui explique l'absence d'irrigation traditionnelle de cette culture. On observe, par exemple, des vignobles historiques (Côtes-de-Provence, Graves bordelais103(*)) reposant sur des sols caillouteux ou peu profonds. Si un déficit hydrique raisonnable permet certains effets bénéfiques sur la qualité organoleptique du vin (teneur en sucre, taille des baies, maturité du raisin)104(*), les déficits prolongés bouleversent la phénoménologie de la vigne et la composition de ses baies de raisins. En effet, le changement climatique produit une hausse des températures accélérant le phénomène naturel d'évapotranspiration105(*) des vignobles. Lorsque cette croissance dépasse les capacités de recherche en eau des sols par les pluies, en particulier l'été, elle crée des épisodes de déficit hydrique prolongés aux conséquences diverses pour les vignes (capacité à la photosynthèse, formation des arômes...)106(*).
L'intensification d'épisodes de déficit hydrique cause la répétition d'un phénomène menaçant les vignobles : la sécheresse. La sécheresse est un déficit anormal, sur une période prolongée, d'une (au moins) des composantes du cycle hydrologique terrestre107(*). Les effets de la sécheresse agricole sont négatifs à de multiples égards pour la viticulture : elle diminue la qualité des sols (érosion, vies organiques), impacte le développement de la plante (santé, pérennité et rendement de la vigne), vulnérabilise la filière (anticipations économiques perturbées, complexification du recrutement) et attise les risques pour l'environnement (biodiversité, incendies).
L'irrigation de la vigne n'est donc pas une pratique historique en Europe, mais une adaptation récente des pratiques culturales aux effets du changement climatique, qui pourrait toutefois, paradoxalement, augmenter la vulnérabilité des vignes à la sécheresse en l'habituant à des hydratations régulières108(*). Dans le sud de la France, l'irrigation de la vigne s'est ainsi développée au début des années 2000. Aujourd'hui, le principal bassin de production irrigué est celui du Languedoc-Roussillon avec 26 000 ha, soit 11 % de la superficie viticole, suivi par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur avec 10 000 ha de vigne irriguée109(*). La France n'est pas un cas isolé, puisque sous l'effet de la hausse des températures, l'Espagne a largement développé son irrigation viticole depuis les années 2000 jusqu'à irriguer 31 % de son vignoble national en 2022110(*).
2. Des zones où le choix entre l'irrigation et l'arrêt pur et simple de la viticulture sont à venir
La mission d'information sur l'usage durable de l'eau constatait, dans son rapport d'information pour une politique de l'eau ambitieuse, responsable et durable111(*), la diminution de 14 % des ressources nationales en eau renouvelable depuis les années 1990, et identifiait à l'horizon 2050 une évolution de la variabilité saisonnière des précipitations (une hausse de l'ordre de 15 % en hiver et une baisse de l'ordre de 10 % en été), une diminution de la vitesse de recharge des nappes phréatiques de 10 à 25 % et la hausse constante de l'évapotranspiration réduisant le volume d'eau disponible pour les végétaux. Également identifiée dans la stratégie de la filière viticole face au changement climatique112(*) de l'Inao, l'Inrae, FranceAgriMer et l'IFV, la problématique de l'eau est une des conditions de production risquant d'être la plus impactée par le changement climatique.
Cette tendance climatique peut amener à voir les cartes des principaux bassins de production viticole évoluer dans les années à venir. En effet, le stress hydrique et l'excès de chaleur pourront contraindre certains vignobles du sud de la France, sans apport d'eau ou de restructuration des sols, à la réduction, voire l'abandon, de la culture de la vigne sur le pourtour méditerranéen tandis qu'au contraire ils offriront de nouvelles opportunités dans les territoires encore peu viticoles bénéficiant de conditions de culture renouvelées en Europe du Nord113(*). Il est à préciser que le fort potentiel d'adaptativité de la vigne à des conditions difficiles de culture pourrait permettre de s'adapter, dans certaines limites, à certaines nouvelles conditions de culture. Dans le passé, la culture de la vigne a pu être adaptée à des terrains arides et caillouteux (vallée du Rhône), en versant de zones montagneuses (Alpes) ou dans des sols peu profonds (Bourgogne)114(*).
Dans les Pyrénées-Orientales, territoire viticole composé à 80 % d'appellations d'origine protégées, la chambre d'agriculture rapportait, en 2023, qu'en raison des sécheresses successives et de la non-compensation des départs de viticulteurs, les rendements ont été divisés par deux en vingt ans : de <40hl/ha en 2004 à 20hl/ha en 2023.
À propos de cette situation locale, Jean-Marc Touzard, directeur de recherche à l'Inrae, estimait que « la région est en quelque sorte un laboratoire. Ce qui se passe aujourd'hui dans les Pyrénées-Orientales pourrait se produire dans dix ans dans la vallée du Rhône »115(*). En 2025, la chambre d'agriculture Occitanie confirme, dans son dernier bilan de santé du végétal sur le Languedoc-Roussillon116(*), une pluviométrie régionale déficitaire consécutive à un manque de pluie durant l'hiver à peine compensé par un printemps pluvieux avec une moyenne de - 143 mm, en rebond après 2023 (- 197 mm). Dans les pays européens exposés davantage aux conséquences de la hausse des températures, comme l'Espagne, l'Italie et la Grèce, les régions viticoles seraient à 90 % menacées d'extinction d'ici la fin du XXIe siècle ; au niveau mondial, 49 à 70 % des régions productrices actuelles perdraient l'aptitude à la viticulture117(*).
* 103 Source : cahiers des charges de l'Inao.
* 104 Les conséquences d'un stress hydrique prolongé sur le vin.
* 105 D'après l'Office national des forêts, l'évapotranspiration désigne le processus par lequel l'eau liquide terrestre est renvoyée dans l'atmosphère environnante sous forme gazeuse.
* 106 Nathalie Ollat, Jean-Marc Touzard, Vigne, vin et changement climatique.
* 107 Selon l'Inrae, on distingue la sécheresse météorologique, qui correspond à un déficit prolongé de précipitations, de la sécheresse agricole, résultant d'un manque d'eau disponible dans le sol pour les plantes, ainsi que de la sécheresse hydrologique qui correspond à un déficit de début des cours d'eau, des niveaux des nappes et de retenues à des niveaux inférieurs aux moyennes correspondant à la période donnée.
* 108 Le changement climatique va chambouler la géographie du vin, souligne une étude - ladepeche.fr.
* 109 Ojeda H., Saurin N., L'irrigation de précision de la vigne : méthodes, outils et stratégies pour maximiser la qualité et les rendements de la vendange en économisant de l'eau.
* 110 Contribution écrite du conseiller agricole à l'ambassade de France à Madrid.
* 111 Mission d'information sur la "Gestion durable de l'eau : l'urgence d'agir pour nos usages, nos territoires et notre environnement" | Sénat.
* 112 DP Inao - Stratégie de la filière viticole face au changement climatique.pdf.
* 113 van Leeuwen, C., Sgubin, G., Bois, B. et al. Climate change impacts and adaptations of wine production. Nat Rev Earth Environ 5, 258-275 (2024).
* 114 Ollat N., Touzard J-M, Vigne, vin et changement climatique.
* 115 Faute de pluie, les Pyrénées-Orientales craignent de maigres vendanges - La Revue du vin de France
* 116 Bulletin de santé du végétal Viticulture (territoire Languedoc-Roussillon) - Bilan de la campagne 2024 - Chambre d'agriculture - Occitanie.
* 117 Van Leeuwen, Ibid.