Teva ROHFRITSCH,
sénateur de la Polynésie française,
vice-président de la délégation sénatoriale aux outre-mer

M. Teva Rohfritsch, vice-président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, sénateur de la Polynésie française. - C'est un réel plaisir, doublé d'un honneur, d'ouvrir ce colloque consacré à la croissance des économies ultramarines ici, au Sénat, dans cette enceinte où se construit la parole publique au titre des territoires de la République.

Je remercie mes collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer ainsi que les membres de l'ISLE pour cette initiative. Je salue également l'ensemble des intervenants qui apporteront leur éclairage sans détour, ainsi que nos collègues députés qui nous font l'honneur et l'amitié de leur présence. Je remercie enfin le public, nombreux, présent à la fois in situ et en ligne.

Si nous sommes réunis ce matin, c'est pour dépasser les constats que nous connaissons tous : la petite taille des marchés, l'éloignement, les difficultés logistiques ou encore la structure concentrée des acteurs économiques. Ces contraintes ne doivent pas être conçues comme une fatalité, mais au contraire comme le point de départ d'une réflexion exigeante sur les leviers concrets susceptibles de transformer la trajectoire de nos économies.

C'est là la raison première de l'intervention de l'État, et de l'action publique en général, destinée à corriger ou compenser dans toute la mesure du possible ces difficultés, à la fois singulières et plurielles, liées à notre géographie. Cette intervention s'inscrit au titre des principes d'égalité et de solidarité nationale, principes qui s'expriment de manière différenciée selon le rattachement constitutionnel de nos territoires, conformément aux articles 73 et 74 de la Constitution.

Chers amis, j'ai la conviction que la croissance ultramarine ne peut reposer uniquement sur des dispositifs budgétaires de soutien ou de compensation. Ceux-ci demeurent nécessaires, voire essentiels, et il est important de le rappeler en ce jour d'examen de la mission « Outre-mer » dans le cadre, très contraint, du PLF pour 2026. Nous les évoquerons lors de la première table ronde pour en apprécier la portée, la pertinence et l'efficience. Il s'agit également d'en mesurer l'accessibilité et de définir les éventuelles marges de progression, notamment au plan fiscal.

Notre croissance économique doit aussi s'appuyer sur des mécanismes structurels, tels que l'accès à des financements adaptés aux cycles économiques locaux, une montée en compétences durable, une commande publique jouant pleinement son rôle d'entraînement avec équité, des infrastructures de qualité et en nombre suffisant, un système réglementaire et administratif simplifié et une régulation économique lisible, protectrice des consommateurs comme incitative à l'investissement.

Sur ce dernier point, il nous faut sortir collectivement d'une logique de confrontation entre consommateurs et entreprises, secteur public et secteur privé. Dans les territoires ultramarins, la performance économique et l'intérêt général doivent avancer ensemble, à condition que l'un ne cherche pas à se substituer à l'autre. La durabilité de nos économies repose sur cette capacité à fédérer autour de projets de territoires communs, berceaux essentiels de notre agilité et de l'efficacité des moyens déployés. L'état des finances publiques nous y appelle.

Une régulation moderne ne consiste ni à sanctionner pour rassurer, ni à déréguler pour séduire : elle vise à créer les conditions de la confiance, en offrant visibilité aux investisseurs, transparence au marché et protection aux ménages. C'est cette alliance qui permet l'arrivée de nouveaux acteurs, l'innovation, la baisse des coûts et, in fine, l'amélioration du pouvoir d'achat.

Dans un contexte de radicalisation du débat public, où les postures l'emportent trop souvent sur les solutions, nous avons, ici, la responsabilité d'introduire de la nuance, de remettre les faits et les résultats au centre, et de démontrer que l'action publique peut être à la fois exigeante et apaisée.

Nos territoires savent, mieux que d'autres, que l'on ne gouverne pas durablement par l'invective ni par le symbole. Nous avons appris, parfois dans l'adversité, que le pragmatisme vaut mieux que le dogme, et que les réformes les plus efficaces sont celles qui s'ancrent dans le réel, dans l'écoute des acteurs et la compréhension fine des contraintes locales.

Dans l'ensemble des outre-mer, comme dans l'ensemble des territoires de la République, nous savons qu'aucune transformation durable ne se fait « contre », mais toujours « avec » : avec les collectivités, avec les entreprises, avec les consommateurs, et avec celles et ceux qui, chaque jour, créent de la valeur et de l'emploi ; en somme, avec les citoyens de nos territoires, au sens premier et noble du terme. La question n'est pas tant de choisir entre protéger et développer que de concilier ces deux exigences.

C'est cette équation fine et complexe que nous devons résoudre. Il s'agit non pas d'importer des modèles, mais d'adapter les outils pour que la régulation devienne un levier de croissance et non un facteur de fragilisation des opérateurs locaux. C'est le coeur de nos débats : comment y parvenir ensemble ? Quelles pistes ouvrir ? Quelle route proposer à nos économies vertes et bleues ?

Dans certains secteurs - le transport, l'énergie, les télécommunications -, la vraie question n'est pas « plus ou moins de régulation », mais « quelle régulation, avec quelle visibilité, au service de quels objectifs de développement, et à quel prix » ?

Nous ne saurions éluder cet éléphant dans la pièce : le fléau de la vie chère. Nous en traitions dans une mission flash de la délégation sénatoriale aux outre-mer en avril dernier, et ce combat demeure immanent et criant.

Gardons à l'esprit que nos territoires disposent d'atouts considérables. Le dynamisme de la jeunesse, l'abondance des ressources naturelles et maritimes, la capacité d'innovation sont autant de forces que nous pouvons mobiliser pour réussir ce développement harmonieux tant espéré par nos populations.

Puis, nous devons apprendre à considérer notre taille comme un avantage. Combien de fois avons-nous entendu que les territoires insulaires sont trop petits, qu'ils n'avaient pas la taille critique, que l'échelle était trop restreinte ? Pourtant, cette réalité peut être envisagée comme un levier : quand on est petit, on est plus agile, on est capable de se mettre en mouvement plus aisément et d'expérimenter ce que d'autres ne peuvent réaliser à grande échelle.

Montesquieu, qui a inspiré tant de concepts à notre République, le soulignait déjà au XVIIIe siècle : les petites républiques ont l'avantage de pouvoir être mieux gouvernées, parce que leur taille réduite permet plus de réactivité, de proximité et d'efficacité. C'est d'ailleurs le sens du concept de subsidiarité, cher à l'Union européenne (UE), qui trouve une traduction concrète dans les statuts d'autonomie de certaines collectivités, notamment la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie.

Sous ce prisme, les outre-mer forment de véritables laboratoires économiques pour la France et pour l'Europe, sur la transition énergétique, l'économie bleue, le numérique, la souveraineté alimentaire ou encore la connectivité des territoires isolés. Valorisons nos atouts ! Le colloque d'aujourd'hui n'a pas pour vocation d'ajouter un rapport de plus, mais il a pour finalité de faire émerger des solutions opérationnelles, partageables entre territoires et mises en oeuvre concrètement.

En Polynésie française, nous avons une expression, na roto i te hoeraa, e riro mai ai te manuia, que l'on peut traduire littéralement par « c'est ensemble que le chemin vers la victoire devient possible ». Je veux croire que c'est dans cet état d'esprit que vous êtes venus ce matin, pour avancer ensemble dans une logique de responsabilité partagée.

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