SECONDE TABLE RONDE
CONCURRENCE, RÉGULATION
ET COMPÉTITIVITÉ :
LEVER LES FREINS STRUCTURELS À TOUS
LES NIVEAUX
M. Jérôme Philippe, avocat, vice-président de ISLE, modérateur de la table ronde. - Après avoir évoqué les leviers de soutien aux entreprises, nous allons aborder des sujets qui peuvent irriter, à savoir les freins et les entraves qui peuvent brider les économies ultramarines, avec parfois comme conséquence des marchés fragmentés et des coûts structurels trop élevés.
Nous allons tenter de comprendre comment la concurrence et la régulation, souvent perçues comme des contraintes, peuvent être transformées en leviers de compétitivité. Outre le financement, qui est certes important, il convient de mettre en place des structures et des règles adaptées aux besoins.
Nous avons fait le choix de la diversité des points de vue pour cette seconde table ronde. Madame Audrey Bélim, vous êtes sénatrice de La Réunion, vous avez une connaissance fine des contraintes et des défis auxquels sont confrontés les territoires ultramarins. Quels sont selon vous les principaux freins à l'émergence d'une concurrence favorable aux consommateurs et aux entreprises, de nature à répondre à la problématique de la vie chère ?
Mme Audrey Bélim, vice-présidente de la délégation aux outre-mer, sénatrice de La Réunion. - Je ne suis experte que pour ce qui concerne La Réunion et j'écoute mes collègues pour les autres territoires, tant nos situations sont singulières et appellent des solutions différenciées.
En évoquant les enjeux de concurrence, de régulation et de compétitivité, nous nous demandons finalement comment nos territoires pourront générer de la croissance à l'avenir. De ce point de vue, notre cadre législatif est insuffisant et surtout très contraignant, en ce qu'il ne permet pas, à des milliers de kilomètres, d'assurer une régulation économique efficace.
Nous aurions besoin d'une réflexion globale sur les moyens que nous pourrions employer pour renforcer cette régulation et relancer la concurrence dans nos territoires, sujets qui sont au coeur des travaux de notre délégation.
Depuis la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique (loi Erom), très peu d'actions globales ont été engagées. Certes, des propositions de loi ont émané de l'Assemblée nationale comme du Sénat, mais l'instabilité politique a pour effet de les bloquer, faute de navette. De plus, quand bien même ces textes sont intéressants, ils sont insuffisants, soit parce qu'ils ne portent que sur un aspect particulier, soit parce qu'ils viennent répondre à des urgences ; une réflexion globale fait donc malheureusement défaut, alors qu'elle serait nécessaire pour élaborer des mécanismes de régulation adaptés à nos réalités.
Nous avons porté des propositions dans le cadre du projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer, actuellement bloqué. Insuffisant, ce texte comportait néanmoins quelques éléments intéressants, notamment sur la conditionnalité des aides aux entreprises.
Un amendement a également été déposé afin de distinguer deux bassins géographiques dans le cadre de « l'outre-merisation » de l'Autorité de la concurrence, mais, encore une fois, ce n'est pas suffisant, car les décisions continueront à être prises à Paris, bien trop loin de nos territoires. Or le monde économique n'est pas structuré de la même façon dans l'océan Indien, aux Antilles ou en Polynésie : il faut donc approfondir cette idée.
Il nous faut également améliorer la compétitivité de nos entreprises, en particulier en donnant plus de force à nos PME et à nos TPE, qui représentent 90 % du tissu économique. Il a été question d'un Small Business Act : à La Réunion, nous parlons plutôt de la stratégie du bon achat (SBA), mais, là encore, nous nous heurtons à un blocage, alors que cet outil peut permettre de faciliter l'accès des PME-TPE aux marchés publics.
Certaines normes européennes devraient également être adaptées. La loi du 13 juin 2025 expérimentant l'encadrement des loyers et améliorant l'habitat dans les outre-mer, voté à l'unanimité au Sénat comme à l'Assemblée nationale, porte entre autres sur l'adaptation des normes de construction pour les territoires ultramarins, mais force est de constater que les budgets correspondants ne sont pas inscrits, ce qui ne permet pas de déployer les « comités référentiels construction » dans le bassin indo-océanique et dans le bassin des Antilles. Le coût de la mise en place de chacun d'entre eux n'est pourtant estimé qu'à 143 500 euros, et ces instances permettraient d'ouvrir une réflexion globale sur la manière dont nous construisons dans nos territoires : une fois encore, nous ne vivons pas de la même façon et ne pouvons pas appliquer les mêmes normes que la métropole.
Au-delà du SBA et de l'adaptation normative, la relance de la compétitivité devra s'appuyer sur des fonds pour aider à l'innovation et à la montée en gamme des entreprises, sans conditionner leur accès à des schémas de verdissement, comme le remarquait Teva Rohfritsch : laissons de la liberté à nos chefs d'entreprise.
Enfin, il conviendrait de renforcer la coopération dans nos bassins de vie : nous n'avons pas la faculté d'échanger directement avec les pays qui s'y trouvent - Madagascar pour La Réunion, par exemple -, ce qui est extrêmement frustrant alors qu'ils entrent en concurrence avec nos petites entreprises.
Il nous faut donc adopter une vision globale permettant de mettre en oeuvre une régulation et un cadre législatif adaptés à nos territoires. Nous devons également avoir du culot et nous ouvrir : pour reprendre l'exemple de La Réunion, nous avions l'habitude, par le passé, de consommer du riz et du boeuf en provenance du Botswana et de Madagascar, produits qui ont disparu du fait de la multiplication des normes. Nous devons donc consommer des produits d'importation qui coûtent très cher, avec une palette de choix plus réduite pour le consommateur et un éloignement par rapport à nos bassins de vie.
Cela illustre la tendance à vouloir imposer un mode de vie hexagonal - que nous adorons, car nous nous sentons Français -, mais qui nous freine dans cette volonté de générer de la croissance dans nos territoires.
Les modes de vie et les mentalités ont évolué depuis la loi Erom, notre jeunesse est bien plus audacieuse et les initiatives se multiplient : nous devons avancer sur cette base et ne pas nous contenter d'entendre le discours : « C'est la loi, c'est le cadre, il est impossible d'en sortir. »
Nous voulons donc une différenciation et des solutions adaptées à nos territoires, élaborées bien sûr avec notre mère patrie, la France.
M. Jérôme Philippe. - La liste des défis à relever est longue. Madame la sénatrice de la Guadeloupe, Solanges Nadille, la réglementation nationale est souvent adoptée pour l'ensemble des outre-mer. Qu'est-ce qui relève, selon vous, de l'échelon national d'une part, et d'une approche plus locale d'autre part ?
Mme Solanges Nadille, sénatrice de la Guadeloupe. - En préalable, il me semble nécessaire d'abandonner tous les clichés sur les outre-mer : ceux-ci n'ont plus cours et le monde entier, à commencer par nos gouvernements successifs, doivent se mettre à la page. La délégation sénatoriale aux outre-mer effectue un important travail et publie régulièrement des rapports qu'elle élabore en allant au contact des populations ultramarines, car il est nécessaire de bien connaître les territoires afin d'éviter d'adopter un arsenal législatif inadapté.
Pour ce qui concerne la Guadeloupe, je suis arrivée au Sénat en 2023 et j'ai eu un mal fou à faire comprendre qu'il s'agit d'un archipel et non pas d'une seule île comme la Martinique. Or un arsenal législatif ne peut en aucun cas s'appliquer de la même manière aux Abymes, à Morne-à-l'Eau, à Terre-de-Bas et à l'île de la Désirade ; il convient de comprendre ces spécificités avant de proposer une réglementation.
Pour en revenir aux enjeux de régulation, de concurrence et de compétitivité, je suis intervenue dans le cadre de la commission d'enquête sur l'utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants et m'interroge : comment comprendre l'absence de contrôles ? Certains sont gracieusement servis tandis que d'autres doivent se contenter de faire preuve de « résilience », mot que je n'aime guère, car nous sommes des Français comme les autres. Pourquoi faut-il davantage se battre dans les territoires ultramarins alors que nous obéissons aux mêmes lois ?
Une proposition issue du Congrès des élus départementaux et régionaux et des maires de Guadeloupe porte sur l'adaptation et l'exercice d'un pouvoir normatif autonome. Nous y sommes prêts, car nous vivons une réalité bien distincte de celle de l'Hexagone, mais nous avons souvent des difficultés à nous faire comprendre sur ce point.
Pour prendre un exemple, nous sommes continuellement attaqués sur l'octroi de mer, qui est le seul outil fiscal sur lequel nous avons la main. Certes, le dispositif présente des faiblesses, notamment du fait que son taux ne varie pas en fonction de la provenance des marchandises. Travaillons de concert à des évolutions, mais en nous laissant la faculté d'intervenir.
En résumé, l'adaptation me semble être la solution à nos difficultés, même si l'État doit prendre ses responsabilités pour les fonctions régaliennes qu'évoquait Pierre-Yves Chicot : nous ne demandons pas plus, mais pas moins que les autres.
M. Jérôme Philippe. - Au-delà du cas français, les petits territoires isolés géographiquement sont un sujet d'intérêt pour la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Madame Teresa Moreira, pouvez-vous nous faire part de l'expérience de cette institution et des éventuelles solutions qui pourraient présenter un intérêt pour les territoires ultramarins ?
Mme Teresa Moreira, cheffe de la division de la concurrence et des politiques de consommation, Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement. - Désormais plus connue sous l'appellation « ONU Commerce et développement », la Cnuced a été créée il y a soixante et un ans pour aider les pays en développement à mieux utiliser le commerce international, l'investissement, la finance et la technologie comme des vecteurs d'un développement inclusif et durable et d'une meilleure intégration dans l'économie mondiale.
Depuis plusieurs années, la Cnuced étudie les questions spécifiques aux petits États insulaires en développement et a publié une série de rapports sur lesquels je souhaite attirer votre attention. De plus, l'organisation a développé, depuis 2024, une stratégie spécifique pour ces pays, stratégie qui s'appuie sur un fonds spécial et qui se décline en différents chantiers.
Parmi eux figurent le développement des capacités productives, l'amélioration de la connectivité, la réduction des frais de transport, la modernisation des douanes, le soutien à l'investissement, le développement du potentiel de l'économie océanique, la facilitation du commerce international et bien sûr le renforcement de la coopération Sud-Sud.
L'un de nos principaux rapports est consacré au transport maritime et présente un grand intérêt pour les territoires ultramarins ; je cite également notre travail consacré l'année dernière à l'économie numérique dans le Pacifique, qui aborde notamment le développement des entreprises familiales, en particulier celles dirigées par des femmes, car nous soutenons une plus grande égalité des genres.
En ce qui concerne la concurrence, les territoires d'outre-mer français partagent des caractéristiques communes, dont une forte dépendance logistique, une concentration sectorielle faisant que les services essentiels sont assurés par des entreprises publiques ou des entreprises dominantes, une forte dépendance aux importations et un tissu économique dominé par les PME.
Cette dépendance implique que le pouvoir économique se situe souvent hors du territoire considéré, notamment chez des fournisseurs de la métropole, mais aussi chez des fournisseurs étrangers - parfois des multinationales -, ce qui pose des problèmes pour l'application des règles nationales de la concurrence.
J'en viens à quelques recommandations, à commencer par la nécessité d'adapter la politique de concurrence aux réalités des petits marchés, adaptation dont le caractère essentiel a été évoqué à juste titre par d'autres intervenants. Cette démarche passe par la lutte contre la concentration excessive, mais aussi par l'utilisation d'indicateurs adaptés en matière de marges et de parts de marché réelles.
Nous préconisons également une réduction des surcoûts liés à l'insularité, ce qui peut passer par une transparence accrue sur les coûts logistiques et les marges, tout en encourageant la diversification des approvisionnements afin de réduire la dépendance.
En outre, encourager la digitalisation comme levier de concurrence est bien sûr fondamental, tant pour les entreprises que pour les administrations ; parallèlement, il importe de développer l'e-commerce local.
Sur le plan institutionnel, nous plaidons en faveur d'un renforcement des institutions locales afin de consolider la régulation économique. Plus particulièrement, je souligne l'importance d'une coopération fluide entre les autorités régulatrices locales et l'Autorité de la concurrence : des initiatives conjointes, des ateliers et des échanges de personnels peuvent contribuer à aplanir les différences d'approche et à stimuler le travail en commun.
De manière générale, nous pensons qu'il faut s'appuyer sur une approche régionale : comme les différents sénateurs l'ont souligné, chacun des territoires s'insère d'une manière bien spécifique dans sa zone géographique, et le lancement de discussions - même informelles - avec vos voisins permettrait de conjuguer les efforts face aux défis rencontrés.
La Cnuced encourage la coopération Sud-Sud, les petits États insulaires en développement ayant des points communs, notamment en matière d'énergie, de transports et de logistique. Les échanges entre territoires peuvent permettre d'identifier des solutions.
M. Jérôme Philippe. - Nous commençons à voir certaines idées revenir d'une intervention à l'autre : il ne faut pas faire obstacle à une meilleure intégration au sein des économies régionales ; et il ne faut pas appliquer de manière uniforme et sans adaptation des textes conçus pour des ensembles plus vastes que les territoires ultramarins.
Je me tourne vers M. Simon Genevaz, conseiller politique du directeur général à la concurrence de la Commission européenne. L'UE compte plusieurs centaines de millions d'habitants et constitue la plus grande zone économique développée mondiale. La très forte réglementation de la concurrence est un pilier de l'UE. Ce logiciel peut-il s'appliquer à de petits territoires ayant des structures et des problématiques particulières ? De petits territoires sont aussi du ressort de la Commission ; quelle est votre expérience en la matière ? Peut-on y appliquer les mêmes règles qu'ailleurs ?
M. Simon Genevaz, conseiller politique du directeur général à la concurrence de la Commission européenne. - Ma réponse fera écho aux différentes interventions, notamment celles de Mmes Audrey Bélim et Solanges Nadille, mais en prendra aussi le contre-pied.
Notre logiciel repose sur le principe d'une concurrence libre et non faussée, qui a été établi par le traité instituant la Communauté économique européenne de 1957. Ce principe repose sur deux piliers : l'interdiction des pratiques anticoncurrentielles, qui figure dans le traité et à laquelle on a ajouté un peu plus tard le contrôle des concentrations ; et le contrôle des aides d'État. La Commission européenne doit être la gardienne des traités et faire appliquer ce droit.
Ce droit a l'avantage d'être très plastique dans son application. Il définit des règles générales qui s'adaptent à toutes les situations de marché. Rien n'est prédéfini, ni le type de marché ni le type de comportements auxquels notre contrôle et nos instructions s'appliquent. Ce droit n'a donc pas vraiment besoin d'être modifié pour s'appliquer aux outre-mer. Je fais ici abstraction des aides d'État, auxquelles je reviendrai. Cette façon de faire ne signifie pas que nous ignorons les différences entre les territoires, mais que nous avons les moyens de nous y adapter, par définition. Les marges d'interprétation et d'adaptation sont présentes partout dans le droit de la concurrence.
En ce qui concerne la définition des marchés, la Commission européenne s'intéresse à des affaires touchant des marchés qui peuvent être globaux, européens, locaux, voire très locaux. Bien sûr, un marché insulaire a vocation à être considéré de manière distincte.
Depuis Bruxelles, nous sommes capables de prévenir des risques pouvant affecter les outre-mer. Ainsi, en 2024, quand la Compagnie maritime d'affrètement Compagnie générale maritime (CMA CGM) souhaitait racheter Bolloré Transport & Logistics, nous avons estimé que la concurrence risquait d'être restreinte dans les territoires de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane. Nous sommes donc intervenus et avons rendu obligatoire la cession des activités de service de transit dans ces territoires. Le droit européen ne s'applique qu'aux États membres de l'UE, mais nous travaillons en coopération étroite avec d'autres autorités, notamment avec l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) et l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie (ACNC), qui prennent elles aussi des mesures, en coopération avec nous, dans les mêmes logiques, mais pour protéger leur propre territoire.
En 2014, la fusion de Holcim et Lafarge était globale, mais affectait des marchés locaux. À Bruxelles, nous avons estimé que cette opération risquait de porter atteinte à de nombreux marchés locaux dans de nombreux États membres. En France, nous sommes intervenus, notamment pour protéger les marchés réunionnais, sur lesquels Lafarge a dû céder la quasi-totalité de ses activités à un opérateur indépendant, pour préserver la concurrence au niveau local.
Néanmoins, je vous rassure : les affaires concernant spécifiquement les outre-mer ne constituent pas le quotidien de la Commission européenne. En effet, le droit de la concurrence européen s'applique seulement quand le commerce intracommunautaire est affecté, ce qui n'est pas le cas quand nous avons affaire à des pratiques locales et infranationales, comme sur les marchés ultramarins. Ces pratiques relèvent davantage de la compétence de l'Autorité de la concurrence, qui peut appliquer le droit national en la matière, très similaire au droit européen.
Par sa plasticité, le droit de la concurrence est aussi bien adapté à de très grands territoires, comme celui de l'UE, qu'à des territoires beaucoup plus étroits, comme les marchés ultramarins. Ce qui fait la différence entre les deux dimensions, au-delà de la taille, ce sont les enjeux économiques, auxquels nous nous adaptons. En outre-mer, du point de vue de la concurrence, ces enjeux sont liés à l'exposition à la dépendance aux importations et à des obstacles très concrets au développement des industries locales.
L'application des règles de concurrence sur ces territoires joue un rôle important pour atténuer leur vulnérabilité. Ainsi, notre rôle consiste à empêcher les opérateurs ayant un pouvoir de marché de créer des obstacles artificiels à la concurrence, au détriment des consommateurs. Ils peuvent par exemple retarder l'entrée de concurrents ou leur développement sur un territoire, en adoptant des comportements anticoncurrentiels.
Dans une économie insulaire, dès lors que l'activité économique est libre, la politique de concurrence est une alliée naturelle qui permet d'assurer, de manière concrète, que le marché reste accessible et compétitif.
J'en viens au contrôle des aides d'État, qui est déjà très adapté à la situation particulière des outre-mer. Pour être précis, je dois distinguer les territoires soumis au droit de la concurrence européen - les Drom - des territoires comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française, qui ressortent plutôt de la décision européenne de 2021 relative à l'association des pays et territoires d'outre-mer.
Pour les territoires relevant du droit de la concurrence européen, je rappelle que l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'UE impose de prendre en considération l'éloignement, l'insularité et la faible superficie des territoires ultramarins. En pratique, nous avons donc prévu des flexibilités dans presque tous les textes applicables.
Une mesure de soutien qui n'affecte pas les échanges entre États membres n'est pas une aide d'État soumise aux dispositions du traité. Dans quantité de cas, nous avons considéré qu'une mesure de soutien ne produisant ses effets qu'à un échelon local n'affectait pas les échanges entre États membres et ne constituait donc pas une aide d'État au sens du traité. Elle n'est donc pas soumise au contrôle de la Commission européenne. On comprend facilement comment ce raisonnement s'applique aux outre-mer.
Admettons que nous soyons face à une mesure de soutien au territoire ultramarin qui remplirait les conditions pour caractériser une aide d'État au sens du droit européen. Dans ce cas, des règles de compatibilité sont adaptées à leur situation. Je pense en particulier aux aides à finalité régionale, qui visent spécifiquement la situation des entreprises ultramarines. Des lignes directrices s'appliquent alors, qui prévoient que tous les coûts additionnels encourus par les entreprises, parce qu'elles sont situées en outre-mer et pas dans l'Hexagone, peuvent être compensés par l'État, sans aucune limite. Nous couvrons ainsi les problèmes liés aux plus faibles économies d'échelle, aux difficultés d'amortissement dues à l'étroitesse des marchés, à l'absence de certains métiers spécialisés ou à des coûts supplémentaires de transport ou de maintenance.
Mme Solanges Nadille évoquait le régime de l'octroi de mer. Ce dernier est régulièrement notifié par la France à la Commission européenne, qui l'approuve régulièrement, parce qu'elle applique cette règle.
D'autres régimes approuvés par la Commission sont plus sectoriels. C'est le cas du soutien à la production de rhum, du soutien à certains investissements productifs ou du soutien relatif au logement en outre-mer.
En outre, d'autres lignes directrices sectorielles ou des règlements d'exemption par catégorie prennent aussi en compte la situation particulière des territoires d'outre-mer. Ces textes prévoient généralement un bonus, c'est-à-dire une aide plus élevée. Ces bonus sont prévus quand l'activité ou l'investissement concerné par l'aide se situe dans un territoire ultramarin.
Par ailleurs, un régime spécifique s'applique pour les services, celui des services d'intérêt économique général (Sieg). Le droit européen autorise l'État à compenser intégralement les opérateurs chargés de tels services pour les surcoûts qui en résultent. Les principaux domaines concernés sont les transports, la santé, le logement ou les services postaux.
En droit de la concurrence européen, le paysage juridique est donc déjà très adapté à ces situations.
J'en viens aux pays et territoires d'outre-mer dans lesquels les règles du traité sur les aides d'État ne sont pas directement applicables. La décision d'association s'applique alors, qui prévoit un principe de transparence. Ces territoires adoptent des législations qui visent à assurer la transparence des subventions affectant des marchandises qui ont une incidence négative importante sur les échanges avec l'UE.
Concrètement, au sein l'Union, la Commission européenne et les autorités nationales tiennent des registres qui donnent accès, aux entreprises et aux citoyens, à des informations sur les aides d'État octroyées. Grâce à ces registres, il est possible d'avoir accès facilement au montant de l'aide, au nom du bénéficiaire ou à sa localisation. Le but de cette transparence est de promouvoir la responsabilité des autorités qui accordent des aides. La transparence sur les aides constitue souvent le premier pas vers leur maîtrise. Elle permet aussi d'aider à identifier et à éviter des allocations inefficaces.
Enfin, si certains pays et territoires d'outre-mer s'intéressent à un aspect particulier du contrôle des aides d'État, nous partagerions notre expérience avec plaisir.
M. Jérôme Philippe. - Ainsi, pour la partie concentration et pratiques anticoncurrentielles, le logiciel fonctionne naturellement, quelle que soit la taille du marché. Pour les aides d'État, les choses sont un peu différentes, mais les adaptations sont déjà présentes dans les textes. Le registre de transparence constitue un outil qui n'est pas assez utilisé et mériterait d'être plus connu. En matière de pratiques anticoncurrentielles, vous considérez donc qu'il n'y a pas de raisons d'utiliser des règles différentes.
Je me tourne à présent vers vos deux voisins, qui sont chargés tous les deux, dans des cadres différents, d'identifier les pratiques faisant obstacle à la concurrence, à la règle de loyauté du commerce ou aux droits du consommateur. Concernant ces pratiques, sont-elles les mêmes dans les outre-mer que dans l'Hexagone ? Y a-t-il des spécificités ? Si c'est le cas, comment sont-elles traitées par les actions respectives de vos deux institutions ?
M. Vivien Terrien, vice-président de l'Autorité de la concurrence. - Mesdames les sénatrices, d'une certaine manière, vos interventions ont interpellé les autorités de la concurrence. Vous avez dit : « Nous sommes différents. » Bien sûr, les îles sont différentes. Vous avez également parlé d'adaptation. Le droit de la concurrence, dont M. Simon Genevaz a souligné la plasticité, se caractérise précisément par ses capacités d'adaptation. Appliquer le droit de la concurrence, c'est comprendre, parce que c'est considérer un marché et en saisir les spécificités.
Mène-t-on des activités spécifiques dans les outre-mer ? Beaucoup des décisions de l'Autorité de la concurrence concernent l'outre-mer. Nous n'avons pas besoin d'avoir des « décisions outre-mer » pour qu'elles concernent ces territoires. Cependant, au sein de l'Autorité, nous avons un intérêt pour les outre-mer, comme le montre la présence aujourd'hui de nombre de ses représentants, présents et passés.
Depuis sa création en 2008, l'Autorité a adopté une cinquantaine de décisions spécifiques à l'outre-mer. À ce titre, nous avons imposé environ 250 millions d'euros d'amendes.
Nous retrouvons en outre-mer toute la panoplie des pratiques anticoncurrentielles, des ententes aux abus de position dominante, en passant par des infractions procédurales. Ces dernières sont essentielles, car elles nous empêchent d'appliquer le droit de la concurrence et, par conséquent, de faire fonctionner les marchés.
Une spécificité réside dans les interdictions des accords exclusifs d'importation. Pour sanctionner ces accords, nous avons rendu une dizaine de décisions et imposé des amendes dont le montant total s'élève à environ 2 millions d'euros. Nous tenons à faire respecter cette interdiction.
Les spécificités proviennent aussi de facteurs structurels. Les causes sont multiples et très bien représentées dans le document produit par la délégation sénatoriale aux outre-mer, intitulé La lutte contre la vie chère. Outre-mer : pansements ou vrais remèdes ? On y retrouve l'étroitesse des marchés, la faible concurrence, les barrières à l'entrée et la forte dépendance aux importations.
L'étroitesse des marchés crée un frein au développement de la production locale. Combinée à l'isolement, cette étroitesse entraîne une forte dépendance aux importations. À cet égard, il existe des pratiques anticoncurrentielles spécifiques. Nous nous concentrons par exemple sur le fonctionnement des importateurs grossistes et des distributeurs. Des spécificités existent aussi en matière de transport maritime. Quand je parle d'isolement, je ne parle pas forcément d'insularité, puisque l'isolement de certains Drom est dû à un manque d'infrastructures.
De plus, l'étroitesse décourage l'arrivée de nouveaux entrants et freine donc le développement d'une dynamique concurrentielle. À cet égard aussi, nous observons certaines spécificités des pratiques anticoncurrentielles. Sans nouvelles entrées sur le marché, le risque d'abus de position dominante est plus élevé. Mme Johanne Peyre a rappelé les risques provoqués par les monopoles dans les outre-mer.
Enfin, l'étroitesse entraîne une plus grande concentration des marchés, qui facilite les ententes. Là encore, c'est un facteur structurel qui se trouve à l'origine des spécificités des pratiques anticoncurrentielles.
Quelle réponse apporte l'Autorité de la concurrence ? D'abord, dans notre feuille de route pour 2025-2026, figure cette priorité : la protection de la concurrence et du pouvoir d'achat dans les outre-mer. Par conséquent, l'année 2026 comptera de nombreuses décisions s'y rapportant. Quand je parle de décision, j'inclus aussi notre activité consultative, à laquelle je reviendrai.
Au titre de notre compétence, notre réponse est répressive. Je l'ai rappelé : une cinquantaine de décisions concernant les outre-mer ont été prises, ce qui représente 10 % de notre activité depuis notre création. Sur les 250 millions d'euros d'amendes imposés, 180 millions d'euros concernent des pratiques anticoncurrentielles, 50 millions d'euros des infractions procédurales et 2 millions d'euros des accords exclusifs d'importation.
Ces décisions portent sur de nombreux secteurs, mais je me focaliserai sur deux d'entre eux, les transports et l'alimentation au sens large, qui sont particulièrement importants dans la problématique de la vie chère.
D'abord, nous avons pris un certain nombre de décisions touchant le secteur des transports : le transport aérien inter-îles de passagers a été sanctionné en fin d'année dernière, et nous avons aussi sanctionné un abus de position dominante dans le cadre des contrôles techniques des poids lourds en Guadeloupe.
J'évoquerai aussi le grand secteur de l'alimentation. À La Réunion, nous avons sanctionné des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de la pêche, mais aussi dans le secteur de l'approvisionnement en mélasse, pour favoriser la production de rhum local.
Dans ce secteur, nous avons aussi une grande activité en termes de droit des concentrations. C'est important, car nous essayons d'empêcher des problèmes qui pourraient survenir à la suite d'opérations de concentration.
À La Réunion, nous avons facilité l'entrée d'un nouvel acteur, venu de l'île Maurice. Une telle action contribue à dynamiser la concurrence.
Beaucoup de décisions en matière de concentration portent sur les engagements. Quand ceux-ci ne sont pas respectés, nous en faisons le suivi. Il s'agit des infractions procédurales dont je parlais.
À cet égard, en Martinique, nous venons de sanctionner le non-respect d'un engagement après une opération de concentration que nous avions autorisée. Le montant de l'amende était de 7 millions d'euros.
Il s'agit aussi de maintenir l'intensité concurrentielle. À Saint-Martin, dans le secteur des examens de biologie médicale, nous avons demandé des engagements pour autoriser une opération de concentration.
Enfin, nous répondons au moyen de notre activité consultative. Nous rendons des avis qui permettent d'avoir une meilleure connaissance de certains sujets. Le problème des données a été évoqué : nous tentons d'y répondre avec nos avis sectoriels et nos avis qui se concentrent spécifiquement sur le fonctionnement des marchés ultramarins.
En 2019, nous avons publié un avis concernant le fonctionnement de la concurrence en outre-mer. Cet avis est très riche et comporte de nombreuses recommandations, sur lesquelles j'attire votre attention.
Un autre avis sortira début 2026 sur la problématique des marges des importateurs grossistes et des distributeurs en Martinique.
Depuis notre création, nous avons émis 17 avis spécifiques aux outre-mer.
M. Jérôme Philippe. - Je note que 10 % des décisions prises par l'Autorité de la concurrence depuis sa création sont spécifiques à l'outre-mer. C'est beaucoup.
Il faut aussi mentionner un aspect essentiel : la coopération entre les autorités.
M. Vivien Terrien. - Nous travaillons main dans la main avec l'Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie (ACNC) et l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC), ainsi qu'avec la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
M. Jérôme Philippe. - Je me tourne donc vers vous, Monsieur Éric Maurus. Effectivement, la DGCCRF joue un grand rôle de détection des fraudes et des pratiques anticoncurrentielles locales. Y a-t-il des spécificités ultramarines en la matière ?
M. Éric Maurus, sous-directeur de la communication, de la programmation, de l'analyse économique et des relations avec le mouvement consumériste à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Nous observons à la fois des spécificités et des éléments qui sont très proches de ceux que l'on retrouve dans l'Hexagone. Cependant, à titre liminaire, je voudrais rappeler dans quels domaines la DGCCRF intervient, puisqu'elle est très complémentaire de l'Autorité de la concurrence.
La DGCCRF a pour objectif d'assurer le respect de l'ordre public économique. Ses actions prennent trois directions. Premièrement, la DGCCRF s'assure de la protection économique des consommateurs. Pour ce faire, elle vérifie notamment la prise de certaines mesures en matière d'information et de prix. Deuxièmement, elle veille à la sécurité des produits non alimentaires. Enfin, elle s'occupe des relations interentreprises. Il s'agit à la fois de recueillir des indices de pratiques anticoncurrentielles, mais aussi de se pencher sur les relations commerciales, par exemple entre la grande distribution et les fournisseurs ou les grossistes, dans le cadre de leur activité.
L'action de la DGCCRF est à la fois répressive, puisqu'il s'agit de sanctionner des pratiques, mais aussi pédagogique, puisqu'il s'agit parfois d'encourager à corriger des actions ou d'orienter vers de nouveaux comportements.
Les pratiques observées par nos agents dans les différents territoires ultramarins sont globalement les mêmes que celles qu'on observe sur le territoire hexagonal. Cependant, il existe des spécificités structurelles, liées à l'insularité ou à l'éloignement, qui sont analysées.
De plus, certaines spécificités sont liées à des réglementations particulières. Je pense notamment au bouclier qualité prix. Par conséquent, nos agents mènent une action assez forte dans ce domaine.
Ces spécificités des territoires ultramarins justifient une vigilance particulière et expliquent que la question de la vie chère en outre-mer soit une priorité forte pour la DGCCRF.
Les pratiques observées sont assez classiques. Nous les retrouvons dans le domaine des relations commerciales entre les grossistes, les importateurs, les fournisseurs et les distributeurs. Nous observons des pratiques similaires dans le territoire hexagonal, avec des spécificités, liées par exemple à des phénomènes d'intégration verticale de certains acteurs.
Nous constatons également de nombreux manquements récurrents au formalisme commercial traditionnel. Il peut s'agir de problèmes liés à la facturation ou à l'information sur les prix. De plus, nous identifions des risques d'atteinte à la concurrence, qui présentent des spécificités en outre-mer, en raison de la concentration des territoires et de réglementations parfois différentes.
Nous comptons notamment de nombreux cas liés à l'exclusivité d'importation. Ces cas sont souvent jugés par l'Autorité de la concurrence sur la base d'indices relevés par nos enquêteurs sur le terrain.
Certains secteurs sont particulièrement sensibles, tels que ceux des transports - notamment du transport aérien régional -, de l'agriculture, de l'alimentation, des pièces automobiles et des cosmétiques. Tous ces secteurs sont surveillés avec une vigilance particulière dans le cadre de nos actions.
Pour donner un panorama complet, j'insisterai enfin sur les moyens consacrés à ces missions. Nous comptons une centaine d'agents en fonction dans les territoires d'outre-mer. Il s'agit d'enquêteurs et de personnels d'encadrement qui se trouvent dans les directions de l'administration déconcentrée locale. Au regard du poids économique de ces territoires, cette présence est surpondérée. Il s'agit d'une volonté de la part de la direction, pour répondre à des spécificités fortes.
En plus de ces agents, des brigades travaillent à l'échelon hexagonal. Je songe notamment à une brigade de contrôle des pratiques anticoncurrentielles, qui se trouve en Île-de-France et irradie dans l'océan Indien. Une autre brigade s'occupe de ces pratiques dans les Antilles et en Guyane.
De plus, des travaux sont menés par l'administration centrale. Au sein de ma sous-direction se trouve le bureau de l'analyse économique, qui compte une équipe dédiée à ces questions ultramarines. C'est notamment cette équipe qui est chargée de travailler au bilan du protocole d'objectifs et de moyens de lutte contre la vie chère en Martinique, en examinant l'ensemble des données.
Ainsi, notre action est menée au niveau déconcentré et au niveau central. Les interactions doivent être aussi fortes que possible entre les deux, pour que la régulation et l'enquête soient au plus proche du terrain. Compte tenu des outils que nous mettons en place, nous menons une action forte.
La question de la vie chère en outre-mer constitue l'une des principales priorités de la DGCCRF, à la fois dans notre plan stratégique pour les quatre prochaines années, mais aussi dans le cadre de notre programme national d'enquête, qui comprend une centaine d'enquêtes chaque année, dont certaines sont dédiées à des questions ultramarines et à des questions liées à la vie chère en outre-mer. Notre présence sur ce sujet répond à une volonté forte.
M. Jérôme Philippe. - De l'action de la DGCCRF, je passe au rôle de l'État de manière plus générale, en me tournant vers Olivier Jacob, directeur général des outre-mer (DGOM).
Comment réagissez-vous aux propos tenus et aux solutions esquissées ? Par ailleurs, l'État semble omniprésent : il régule, subventionne, taxe et intervient parfois directement. La puissance publique intervient aussi à travers des régies ou des sociétés d'économie mixte. Comment analyser ce rôle de l'État ? Quels sont ses atouts et les difficultés qu'il engendre ?
M. Olivier Jacob, directeur général des outre-mer. - Je voudrais commencer par saluer les sénateurs et sénatrices, et remercier ISLE pour l'organisation de ce colloque sur un sujet très sensible dans l'ensemble des outre-mer français, auquel nous travaillons ardemment.
Plus que l'État, ce sont les pouvoirs publics qui jouent un rôle important. J'y reviendrai.
Concernant les freins à la concurrence, je voudrais insister sur certains points qui n'ont pas été mis en lumière par les orateurs précédents. Nous avons évoqué les défauts structurels liés aux économies ultramarines. L'éloignement s'entend par rapport à l'Hexagone, puisque les économies ne sont pas éloignées de leur environnement régional. À cet égard, il faut travailler à l'ouverture de ces économies vers cet environnement, ce qui n'est pas évident. Les efforts menés en ce sens peuvent se heurter à certaines réticences ou résistances locales.
J'en viens au sujet des barrières à l'entrée, que le sénateur Teva Rohfritsch connaît bien en Polynésie française et qui est ô combien sensible en Nouvelle-Calédonie, où nous travaillons au redressement de l'économie. C'est un sujet lié à celui de l'octroi de mer, très sensible lui aussi. L'octroi de mer peut décourager certains investisseurs, qui souhaiteraient réinvestir dans les économies ultramarines. Cependant, l'octroi de mer a aussi un rôle que je pourrais qualifier d'identitaire, puisqu'il donne une autonomie fiscale aux outre-mer. Ces notions de barrières à l'entrée sont très importantes et il faut y travailler. L'État a un rôle à jouer en la matière, comme l'Autorité de la concurrence et la DGCCRF. Ces sujets concernent aussi les gouvernements locaux, en particulier en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.
Je souhaiterais aussi insister sur l'insuffisance de la diversification de l'économie des outre-mer. Elle est souvent due à un héritage historique, à une caractérisation des économies qui vient de loin et repose sur certaines industries ou activités traditionnelles. Pour parvenir à développer la concurrence, il faut diversifier l'économie. Cette tâche est la plus difficile. Le poids de ces activités historiques et traditionnelles est extrêmement lourd et peut prévenir, freiner et handicaper le développement d'un dynamisme économique.
J'en viens à ce sur quoi nous essayons de travailler, au sein du Gouvernement. De vifs débats ont eu lieu au Sénat lors de l'examen du projet de loi de lutte contre la vie chère dans les outre-mer, dont l'Assemblée nationale devrait se saisir début 2026. Permettez-moi de rappeler les grands objectifs poursuivis par ce texte.
D'abord, il s'agit de renforcer le rôle des autorités de la concurrence. À titre personnel, je pense que nous devrions nous inspirer des exemples de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie, où il existe des autorités spécifiques. Nous n'y arrivons pas pour les Drom, notamment peut-être pour des raisons de moyens. Cependant, ce projet de loi visera à renforcer le rôle de l'Autorité de la concurrence et à renforcer la place des outre-mer au sein de cette dernière, même si, comme l'a souligné Vivien Terrien, cette place est déjà importante.
Par ailleurs, le texte vise à renforcer la transparence dans le fonctionnement des économies ultramarines, en particulier dans la communication d'un certain nombre de données venant des entreprises.
Le projet de loi a aussi pour objectif de renforcer le rôle des boucliers qualité-prix, notamment pour élargir leur usage à d'autres produits, qui n'étaient pas encore couverts, ou aux notions de service. En effet, la cherté de la vie et le défaut de concurrence touchent les produits de grande consommation, mais aussi un certain nombre de services.
Il s'agit enfin de travailler sur les questions de notification et sur les seuils de concentration pour certaines entreprises, notamment dans le secteur du commerce de détail.
De nombreux éléments figurent dans ce projet de loi, qui a vocation à être encore enrichi à l'occasion de son examen à l'Assemblée nationale.
En matière de diversification des économies ultramarines, le Gouvernement intervient fortement, par exemple pour alléger la fiscalité relevant de l'État. Ainsi, parfois, le taux de TVA est nul, comme c'est le cas à Mayotte et en Guyane, ou très réduit, comme en Martinique et en Guadeloupe.
De plus, il existe un régime de défiscalisation pour les investissements productifs, qui a fait l'objet de nombreuses discussions à l'Assemblée nationale et au Sénat, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2026. Comme l'a rappelé Teva Rohfritsch, l'article qui prévoyait de faire des économies sur ce régime a été supprimé.
Les outre-mer comptent aussi des régimes de zone franche, notamment les zones franches d'activité nouvelle génération (ZFANG), qui permettent de profiter d'abattements fiscaux sur les impôts sur les sociétés et sur les bénéfices.
L'objectif est de créer un environnement favorable au développement de l'activité économique.
L'État aide aussi au financement des entreprises, soit directement, soit au travers de certains de ses opérateurs, comme Bpifrance, qui vise à soutenir les entreprises dans nos outre-mer, singulièrement dans les Drom.
Pour soutenir les entreprises dans les Drom, un régime d'exonérations est également en place depuis l'adoption de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer (Lodéom), qui a fait l'objet de nombreux débats au Parlement. Comment parvenir à baisser le coût du travail dans les outre-mer ? Il s'agit d'une question très importante puisque la cherté du coût du travail peut parfois expliquer le défaut de concurrence dans les outre-mer. Le coût du travail est cher par rapport à l'Hexagone, mais aussi par rapport à l'environnement régional. Les exonérations de la Lodéom constituent un outil puissant pour réduire ce coût et soutenir l'activité économique.
Je voudrais également insister sur les délais de paiement, qui jouent aussi un rôle en matière de développement de la concurrence. Les délais de paiement aux entreprises sont parfois très longs, ce qui est spécifique aux outre-mer. Ces délais concernent les sommes dues par les pouvoirs publics en général, l'État et les collectivités locales. Ils peuvent gêner les entreprises dans la gestion de leur trésorerie et dans leur développement économique.
Enfin, j'évoquerai deux thématiques qui font l'objet d'un soutien puissant de l'État : les transitions énergétique et numérique, qui peuvent servir au développement économique des outre-mer.
D'abord, l'État apporte son aide à la transition énergétique des territoires. On oublie parfois une aide ancienne, la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui vise à faire en sorte que le coût de l'électricité soit le même dans les Drom et dans l'Hexagone, et qui repose sur une cohésion entre les outre-mer et la métropole. Les territoires qui n'en bénéficient pas savent à quel point le surcoût de l'électricité peut avoir des conséquences importantes pour la compétitivité des entreprises ; je songe notamment au secteur du nickel en Nouvelle-Calédonie. De plus, l'État accompagne fortement le développement des énergies renouvelables, même s'il reste encore beaucoup à faire.
Concernant l'accompagnement à la transition numérique des outre-mer, pour développer l'activité des entreprises, il est essentiel qu'on puisse avoir la 5G, la fibre et des câbles numériques permettant un débit suffisant.
Mme Annick Girardin. - On n'est pas au rendez-vous sur ce sujet !
M. Olivier Jacob. - C'est vrai pour Saint-Pierre-et-Miquelon, madame la sénatrice.
Mme Annick Girardin. - C'est vrai de manière générale !
M. Olivier Jacob. - On n'est pas au rendez-vous, mais il y a des progrès et des aides importantes sont apportées. Je pense notamment au développement de la fibre et au déploiement de la 5G à Mayotte. Il s'agit d'un exemple parmi d'autres.
M. Jérôme Philippe. - Nous en venons à nos deux derniers intervenants, qui représentent les deux régulateurs de l'énergie et des télécommunications. Il s'agit de deux secteurs clés impactant toutes les entreprises fonctionnant dans les territoires ultramarins. Toutes consomment de l'énergie et ont besoin de télécommunications.
Ces domaines nécessitent de forts investissements, ce qui impose de mutualiser une partie de l'infrastructure. Cette façon de mutualiser, qui est une façon de monopoliser, appelle une régulation. Par ailleurs, ces domaines sont très dynamiques et voient arriver de nouveaux concurrents.
Je m'adresse à vous deux, Emmanuel Massa et Anne Yvrande-Billon. Comment articuler les choses entre ce qu'on choisit de laisser monopoliser et ce qu'on ouvre à la concurrence ? Il s'agit d'un vieux débat, mais il se décline peut-être dans des termes un peu différents pour les outre-mer. Par ailleurs, que peut faire le régulateur pour favoriser ces transitions énergétique et numérique ? Je soulignerai pour terminer une grande différence entre ces deux domaines : les gains de productivité sont beaucoup plus rapides dans le domaine de la transition numérique.
Mme Anne Yvrande-Billon, directrice économie, marchés et numérique de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse. - L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) est une autorité indépendante et un régulateur technico-économique des infrastructures numériques.
Notre rôle est d'accompagner partout le déploiement des réseaux pour les communications électroniques, qu'ils soient fixes ou mobiles. De plus, nous devons définir et faire respecter des règles d'accès à ces réseaux, pour permettre une concurrence sur le marché de détail et offrir aux consommateurs un accès à des services numériques de qualité.
Comment faire en sorte que cet accès aux réseaux soit assuré par des entreprises qui seront ensuite en concurrence pour offrir aux consommateurs des services de détail sur le marché ? Nous avons une boîte à outils, adaptable à certaines spécificités.
En matière d'infrastructures et de réseaux, certaines spécificités sont liées à la taille du marché, puisque nous sommes confrontés à des coûts fixes et à une masse critique. D'autres spécificités sont d'ordre météorologique ou géographique. En effet, l'entretien des réseaux a un coût, qu'il faut pouvoir supporter et dont il faut tenir compte lorsqu'on régule et qu'on tente d'assurer l'accès aux réseaux. Enfin, dans le domaine des télécommunications, nous faisons face à une autre spécificité : la nécessité d'assurer une continuité numérique entre les outre-mer et l'Hexagone, ce qui implique de mener une action spécifique en matière de câbles sous-marins.
Concrètement, nous avons une boîte à outils, qui est la même pour les outre-mer et l'Hexagone, mais qui permet de prendre en compte certaines spécificités pour oeuvrer à l'émergence d'acteurs locaux.
Dans le cas des télécommunications mobiles, nous attribuons des fréquences, qui sont des ressources rares. Nous attribuons une fréquence pour chaque territoire. Les processus permettent de tenir compte des spécificités et de l'émergence d'acteurs locaux, comme Outre-mer Télécom.
Des obligations sont attachées à l'autorisation et à l'utilisation de fréquences, qui sont similaires à celles imposées aux opérateurs de l'Hexagone, car il est question de l'uniformité des services dont bénéficient les citoyens partout sur les territoires. Il s'agit d'obligations en termes de couverture à l'intérieur des bâtiments, de couverture mobile dans les véhicules ou de couverture de zones prioritaires.
Cependant, certaines obligations sont adaptées aux spécificités, notamment aux reliefs, aux grandes distances et à la dispersion de la population. Ainsi, les obligations en termes de pourcentage de population couverte peuvent être un peu différentes. En Guyane, où la dispersion est grande, ce pourcentage est un peu inférieur à celui des autres territoires.
Les modalités d'attribution peuvent aussi changer un peu pour tenir compte des spécificités. Dans les attributions de fréquences, on peut définir un certain nombre d'opérateurs. Dans les outre-mer, ces opérateurs sont entre trois et cinq selon les territoires. Encore une fois, nous essayons de dynamiser la concurrence. Nous tenons compte aussi de la taille du marché, ce qui peut se traduire par l'établissement d'un prix de réserve nul lors des enchères.
Par ailleurs, nous nous adaptons dans le temps. Ainsi, nous avons attribué des fréquences temporaires à Mayotte après le passage du cyclone Chido, de façon très rapide.
J'en viens au fixe, c'est-à-dire aux réseaux cuivre et aux réseaux de nouvelle génération fibre. Nous régulons les marchés de gros, c'est-à-dire les réseaux et leurs conditions d'accès par des entreprises qui fournissent ensuite des services au consommateur final. Notre périmètre géographique compte le territoire hexagonal, les Drom et les COM.
Nos critères d'analyse de la concurrence sont les mêmes pour tous ces territoires. Il faut établir si des opérateurs ont une position dominante et détiennent des infrastructures essentielles, telles que des infrastructures de génie civil, des réseaux ou des câbles, de telle sorte que cette position leur confère un avantage qui peut freiner le développement de la concurrence s'ils ne donnent pas un accès aux réseaux dans des conditions transparentes et non discriminatoires.
Nous définissons des règles d'accès à ces réseaux et des conditions tarifaires d'accès précises. Ces règles s'appliquent partout où il y a un opérateur en position dominante qui détient des infrastructures et occupe une position significative.
Nous pouvons aussi nous adapter et mettre en place un accompagnement spécifique. Je pense notamment à la reconstruction des réseaux après le passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, où nous avions adapté ces règles pour tenir compte de la situation.
L'une des spécificités, ce sont les câbles sous-marins.
Jusqu'en 2017, l'Arcep assurait la régulation de l'accès aux stations d'atterrissement et aux capacités de ces câbles reliant les différents territoires. Cette régulation en amont a été progressivement levée, le code des communications électroniques posant désormais une obligation à l'endroit des détenteurs de câbles et des opérateurs de stations d'atterrissement de faire droit aux demandes raisonnables d'accès.
L'Arcep peut cependant toujours être saisie d'une demande de règlement de différend par un acteur qui considérerait que sa demande d'accès n'a pas été honorée ou que les obligations en la matière n'ont pas été respectées par le gestionnaire des infrastructures d'accueil. Depuis 2017, nous n'avons été sollicités par aucun opérateur ultramarin pour défaut de respect de ces obligations d'accueil.
Quels résultats le régulateur obtient-il ?
Le développement des réseaux fixes est très avancé dans les territoires ultramarins. Dans certains de leurs marchés, en particulier celui de La Réunion, il l'est même davantage que dans l'Hexagone.
Les déploiements de la fibre optique y sont soutenus. Le taux de couverture moyen de ces territoires est de 81 %, contre 93 % dans l'Hexagone, mais ils enregistrent une croissance de 7 points par rapport à l'année dernière, tandis que cette croissance tend à stagner en France métropolitaine. Il existe évidemment des disparités entre les territoires : atteignant 95 %, le taux de couverture de la fibre optique à La Réunion est supérieur à celui de l'Hexagone, alors que Mayotte, où le déploiement en est encore à sa phase de démarrage, n'est pas couverte.
L'Arcep contrôle le respect par les opérateurs d'infrastructures de leurs obligations de couverture des territoires. Cette année et l'année dernière, elle a mis plusieurs d'entre eux en demeure de s'y conformer et a dû prononcer, faute de réponse, une sanction à l'encontre d'Orange.
L'Arcep veille à ce qu'il y ait un niveau de concurrence satisfaisant en matière d'infrastructures fixes, avec au moins deux opérateurs présents dans tous les territoires. Ces derniers bénéficient, de plus, du plan France Très Haut Débit, lequel permet la constitution de réseaux d'initiative publique adaptés aux spécificités les plus locales.
Pour la téléphonie mobile, la progression est forte, avec plus de 99,9 % de la population ultramarine couverte par le réseau 4G et au minimum un opérateur mobile 4G par territoire. De nombreux opérateurs de réseau mobile virtuel MVNO (Mobile Virtual Network Operators) viennent s'ajouter, et ce sont en définitive de deux à quatre opérateurs qui sont présents sur chaque marché de détail. Enfin, 77 % du parc 4G est actif en outre-mer, contre 89 % dans l'Hexagone.
L'action du régulateur a donc contribué au développement de la connectivité des territoires ultramarins, avec des adaptations aux spécificités de chacun d'entre eux. S'il y a encore des marges de progression - mais c'est aussi le cas dans l'Hexagone -, nous notons de grands progrès en matière de connectivité, fixe comme mobile.
M. Jérôme Philippe. - Vous êtes donc plutôt optimiste. Qu'en est-il du régulateur de l'énergie ?
M. Emmanuel Massa, directeur adjoint des marchés et de la transition énergétique de la Commission de régulation de l'énergie. - La Commission de régulation de l'énergie (CRE) est active dans l'accompagnement des territoires d'outre-mer sur le volet énergétique de leurs politiques publiques, et elle intervient plus particulièrement en matière de péréquation tarifaire. Il s'agit que, dans ces territoires, les consommateurs bénéficient d'un prix de l'électricité équivalent à celui de l'Hexagone, alors même que les coûts de production y sont beaucoup plus élevés.
Ce sont ainsi plus de 3 milliards d'euros, soit environ 1 000 euros par habitant des outre-mer, qui, chaque année, au titre de la solidarité nationale, permettent de soutenir cet effort de péréquation tarifaire.
La péréquation tarifaire est un facteur important de l'équilibre économique local. Elle contribue fortement à atténuer pour les ménages le problème de la vie chère. Elle soutient aussi la compétitivité des entreprises, même si la plupart des territoires ultramarins ne comprennent pas d'entreprises pour lesquelles la facture énergétique s'avère absolument déterminante en raison d'une consommation électro-intensive, comme ce peut être le cas de certaines industries hexagonales.
La péréquation tarifaire suppose, pour être soutenable financièrement, une action sur les coûts de production, avec l'intervention des pouvoirs publics et du régulateur, un effort sur l'efficacité énergétique et l'utilisation du levier de la transition énergétique.
À l'exception de la Guyane, où l'hydroélectricité occupe une place prépondérante grâce au barrage de Petit Saut, l'électricité est encore essentiellement produite en outre-mer par des moyens thermiques. Il s'agit, historiquement, du charbon et du fioul, et, de plus en plus, de biocombustibles - de la biomasse solide et des bioliquides. Ces combustibles de substitution ne permettent cependant qu'une décarbonation partielle de la production d'électricité, car ils restent importés et nécessitent donc d'être transportés ; ils sont de plus très coûteux, davantage encore que le charbon et le fioul.
Or ces territoires jouissent de possibilités très importantes d'énergies renouvelables locales. Ce sont des territoires très ensoleillés et, à l'évidence, le photovoltaïque doit y jouer un rôle majeur. L'éolien est également envisageable ainsi que, dans certains d'entre eux, la géothermie. Les gisements d'énergies renouvelables étant partout différents, chaque territoire doit élaborer une réponse différente.
Ces énergies renouvelables, en particulier la géothermie qui est une énergie pilotable, se substituent très bien aux moyens de production conventionnels dont on dispose aujourd'hui. Outre qu'elles décarbonent, elles ont la vertu d'être beaucoup moins onéreuses. Ainsi, accélérer la transition énergétique - et il incombe aussi aux pouvoirs publics et au régulateur de l'encourager - permet de réduire le coût de la péréquation tarifaire.
Comment en encourager l'essor ? À la CRE, nous sommes convaincus que cela passe par la visibilité donnée aux acteurs locaux des filières de productions renouvelables. Ils ont besoin de savoir quelle direction chaque territoire entend prendre, afin de s'installer et d'organiser dans la durée leurs équipes en conséquence, de recruter et peut-être former localement une main-d'oeuvre qualifiée.
Le gestionnaire du réseau est en outre-mer comme dans l'Hexagone un gestionnaire unique, car, dans les deux cas, l'électricité constitue un monopole naturel. La spécificité de l'outre-mer tient à ce que ce gestionnaire est en plus le seul fournisseur, le prix de vente étant imposé. La concurrence est encouragée sur tous les autres aspects de l'activité : production, stockage et maîtrise de l'énergie.
Il échoit à ce gestionnaire de réseau d'adapter le système électrique aux projets de production d'énergies renouvelables. Ces énergies, qui sont intermittentes, présentent, chacune, des spécificités qui ne peuvent être traitées de la même manière. Les processus d'adaptation sont onéreux et requièrent des investissements de long terme. Il appartient une nouvelle fois au régulateur de contrôler que les investissements se fassent aux meilleurs coûts et avec des opérateurs les plus efficients possible.
L'anticipation est indispensable. À cet égard, nous croyons beaucoup à l'outil de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui, introduit par la loi en 2015, est censé donner une visibilité de cinq à dix ans pour chaque territoire. Cependant, à ce jour, seul un territoire ultramarin offre une telle visibilité ; pour tous les autres, nous ne l'avons pas encore.
Le choix d'un nouveau système énergétique s'avère complexe. Les collectivités territoriales, qui ont d'abord eu du mal à les appréhender, ont considérablement progressé sur les questions de politique énergétique et de PPE. L'État doit aussi valider ces PPE, mais les difficultés actuelles de la politique nationale française en ont quelque peu ralenti l'adoption et cet objet de visibilité pour les acteurs tarde à être mis en oeuvre.
Le secteur de l'énergie se caractérise par des projets qui s'inscrivent dans un temps très long. Nous pensons donc que, si de la visibilité est nécessaire à cinq ou dix ans, elle l'est également à plus long terme : quelle est, pour chaque territoire, sa cible de mix énergétique en 2050 ?
Il nous revient ensuite, à nous régulateur, de sélectionner les projets de production, de stockage et de maîtrise de l'énergie qui contribueront à l'atteindre au meilleur coût possible. La régulation doit être stable et présenter un niveau d'exigence à la hauteur des enjeux financiers, sans décourager les porteurs de projet. Nous privilégions les appels à manifestation d'intérêt, les appels à projets et les appels d'offres, susceptibles de réunir le plus grand nombre possible d'acteurs, afin de pouvoir ensuite sélectionner ces derniers sur des critères de compétitivité. Pour mettre en place ce type de procédures concurrentielles, nous avons besoin de temps. Elles ne sont guère compatibles avec l'obligation de parer au plus pressé, dans une situation qui serait devenue critique pour le système électrique, faute de prévisibilité suffisante.
La CRE sollicite ainsi l'initiative privée dans le domaine de la production et du stockage - indispensable pour le photovoltaïque. C'est le moyen, dans ces territoires, d'attirer de nouveaux acteurs, de créer de nouvelles compétences et de l'emploi, pour installer par exemple des batteries ou des stations de transfert d'énergie par pompage. Nous mettons également en place des cadres de compensation pour la maîtrise de la demande. Il s'agit, d'une part, d'encourager les foyers ainsi que les entreprises à engager des actions d'efficacité énergétique aidées par les charges de service public de l'énergie et, d'autre part, de dynamiser les réseaux d'acteurs locaux, en particulier ceux de l'artisanat, qui concrétisent ces actions.
Nous cherchons à favoriser un modèle dans lequel les énergies renouvelables occuperont une place toujours plus importante dans le mix électrique. Cependant, seuls de très petits systèmes parviennent aujourd'hui à ce que leur proportion y atteigne 100 %. Il restera donc une part de production thermique, mais il faut tendre vers cet objectif et ne pas rater ce tournant qui consiste à préparer les systèmes électriques à accueillir beaucoup plus massivement les énergies renouvelables. Il est aussi l'occasion d'un développement économique pour les territoires et ouvre à leur jeunesse des perspectives professionnelles.
M. Jérôme Philippe. - Nous le voyons, les outils existants sont nombreux, et d'autres apparaissent.
M. Tematai Le Gayic, représentant à l'assemblée de la Polynésie française, président de la commission de l'économie, des finances et du budget de l'assemblée de la Polynésie française, ancien député. - À l'assemblée de la Polynésie française, nous avons organisé une mission d'information sur l'efficacité des aides publiques octroyées aux entreprises locales. Trois choses en sont ressorties.
D'une part, nos entreprises sont capables de s'adapter aux difficultés, aux circonstances ainsi qu'à l'évolution de la réglementation. Une fois le cadre normatif posé, elles savent s'engager à la hauteur des enjeux.
D'autre part, elles ont besoin de disposer d'un cap et, donc, de planification. L'exercice en revient à la puissance publique, en l'occurrence au gouvernement polynésien.
Enfin, il importe que l'administration simplifie ses procédures. Il est antinomique qu'une aide soit mise en place sans que personne puisse y recourir du fait de la rigidité de son mécanisme d'attribution. La performance des aides publiques au service du développement de nos entreprises doit être au centre des préoccupations, l'administration doit se remettre en question, s'interroger sur la manière de libérer les énergies, d'encourager les initiatives et de faciliter l'action.
M. Jérôme Philippe. - Vous abordez un problème complexe, celui de la cohérence de l'action administrative. Il ne concerne pas que les outre-mer...
Mme Maymounati Moussa Ahamadi, conseillère départementale du canton de Dzaoudzi-Labattoir à Mayotte, cheffe d'entreprise. - Nous, territoires ultramarins, sommes d'abord des leviers économiques et stratégiques pour le territoire national comme pour l'Europe. Par leur situation géographique, Mayotte et La Réunion sont un relais majeur dans la zone indo-pacifique, au centre de l'attention de la politique étrangère française et d'autres grandes nations.
Les pays qui nous environnent devraient être des partenaires. Or, à Mayotte, en dépit de la proximité de Madagascar, la viande provient de Bolivie ou d'Irlande. Nos litchis partent d'abord à Rungis, avant de revenir à Mayotte pour y être vendus... C'est profondément anormal.
Pour leur développement, nos entreprises ont besoin de trésorerie, fût-elle apportée par des avances qu'il leur faudra ensuite rembourser. Elles ne peuvent, sans cela, engager aucun projet. Elles ont également besoin d'accès simplifiés aux fonds européens qui existent et auxquels elles peuvent en principe prétendre depuis 2014.
Enfin, les politiques publiques relatives à la reconstruction de Mayotte ne devraient pas tant porter sur le nombre de bâtiments à réédifier que sur les moyens de promouvoir la richesse entrepreneuriale et la compétence locale, ainsi que l'emploi durable.
Sachez encore que le Kenya, situé à moins de quatre heures de vol de Mayotte, abrite aujourd'hui les travailleurs de données, ces « petites mains » de l'intelligence artificielle. Comment cet État pourrait-il devenir, pour Mayotte comme pour La Réunion, un allié stratégique, afin que nous prenions notre part du développement de l'ère de l'intelligence artificielle ?
M. Jérôme Philippe. - Merci de souligner de nouveau l'importance, d'une part, de la complémentarité des territoires ultramarins avec les régions économiques qui les environnent et d'autre part, de la nécessité de relations plus fortes avec elles, tout en maintenant, certainement aussi, un certain degré de protection. Il y a un équilibre à trouver.
Mme Hitiura Tchong, conseillère technique pour le numérique auprès du président de la Polynésie française. - En Polynésie française, la régulation des secteurs des postes et télécommunications est directement prise en charge par le conseil des ministres, via la direction générale de l'économie numérique. Pensez-vous qu'une évolution vers la création pour la Polynésie française d'une autorité indépendante sur le modèle de l'Arcep soit incontournable ?
Mme Anne Yvrande-Billon. - C'est à l'État de donner son avis et la décision ne peut émaner que de lui.
M. Jérôme Philippe. - L'existence d'autorités indépendantes apparaît, dans de nombreux pays, comme une clé de fonctionnement et c'est le mode de régulation moderne qui a le mieux fait ses preuves. L'État lui-même, dans ses différentes manifestations, est quelque peu omniprésent et défend aussi ses propres intérêts économiques. À cet égard, un régulateur indépendant présente un grand intérêt, il crée de la transparence et de la confiance. De petits territoires disposent déjà de régulateurs indépendants.
L'idée de régulations sectorielles, comme il en existe en matière de concurrence, ne manque donc pas de sens.
M. Vivien Terrien. - Je renvoie à la lecture des avis de l'APC. Ils abordent cette question de la régulation indépendante et de ses avantages concurrentiels.
Mme Hitiura Tchong. - Les régulateurs ultramarins manquent souvent de moyens techniques pour mener des analyses économiques ou concurrentielles pointues. Les régulateurs nationaux européens envisagent-ils la mise en place de programmes structurés destinés à les appuyer, par des actions de formation, des détachements d'experts ou le partage de données ?
Mme Anne Yvrande-Billon. - C'est une question de ressources disponibles, mais des échanges d'avis techniques ou de bonnes pratiques existent déjà. L'Arcep, par exemple, est en contact avec l'APC et l'ACNC, et les trois autorités évoquent ensemble des difficultés qui ont trait à l'accès aux réseaux de communications électroniques de ces territoires du fait de leurs particularités.
M. Jérôme Philippe. - Dans certains territoires, pour des raisons d'organisation et compte tenu de leur taille, prévoir plusieurs régulateurs peut s'avérer compliqué. En Polynésie française comme en Nouvelle-Calédonie, il serait peut-être plus judicieux d'accroître les moyens du régulateur indépendant déjà existant dans le domaine de la concurrence, plutôt que de créer de nouveaux régulateurs.
Mme Angélina Simoni. - Je m'adresserai de nouveau aux entrepreneurs au sujet de leurs besoins de trésorerie et des délais de règlement. Bpifrance, dont c'est le premier métier, finance les créances publiques, qu'elles soient détenues auprès de ministères, de collectivités, d'hôpitaux publics ou d'offices publics de HLM. Elle peut les financer dès le départ.
Par ailleurs, une entreprise est une entité vivante, qui évolue et dans laquelle la dimension humaine est déterminante. Nous avons créé des programmes de conseil et d'accompagnement sur mesure, dits « accélérateurs ». L'un de ces programmes a été lancé l'année dernière aux Antilles et en Guyane. Nous partons du constat que les entrepreneurs sont trop isolés et nous cherchons à les mettre en relation entre eux. Des experts et consultants interviennent dans l'accélérateur antillo-guyanais sur les aspects de stratégie de l'entreprise, de productivité et de cycle industriel. Ce programme s'adresse aux entreprises de tout secteur dont le chiffre d'affaires annuel est compris entre 2 et 10 millions d'euros. Nous tâchons de déployer ces accélérateurs dans d'autres territoires d'outre-mer. Des entrepreneurs bien informés et conseillés sont, à notre avis, la pierre angulaire du développement économique de ces territoires.
De plus, le site bpifrance-universite.fr offre des formations en ligne gratuites pour les dirigeants d'entreprise.

