TRAVAUX DE LA COMMISSION

I - Audition de M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, et de M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, porte-parole du Gouvernement, sur les orientations budgétaires pour 1997, le mardi 7 mai 1996, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président

M. Christian Poncelet, président, a rappelé que la commission avait demandé que le débat d'orientation budgétaire ait lieu au Parlement avant l'envoi aux ministres des lettres de cadrage, afin que les débats parlementaires puissent être pris en compte dans les grandes orientations arrêtées pour le budget de 1997.

Après avoir souligné que l'initiative de ce débat d'orientation revenait à la commission des Finances du Sénat, M. Jean Arthuis a rappelé d'emblée la nécessité absolue de procéder à des réformes structurelles qui se traduiraient dans le budget de 1997.

Le ministre de l'économie et des finances a insisté sur la valeur pédagogique que revêtait le rapport déposé par le Gouvernement en vue du débat d'orientation budgétaire, dont l'un des principaux enseignements devait être l'impossibilité pour l'État de retrouver une indépendance financière sans enrayer la dynamique de l'accroissement de l'endettement. Le ministre a, par ailleurs, estimé que les craintes d'un alourdissement des prélèvements obligatoires et l'hypertrophie des secteurs public et parapublic créaient des blocages importants dans l'opinion publique.

Les orientations du budget de 1977 devraient donc prendre en compte l'impopularité croissante de la dépense publique, dont seule la réduction permettra l'allégement des prélèvements obligatoires selon un cheminement défini par le Président de la République. M. Jean Arthuis a estimé que l'action menée par le Gouvernement depuis le mois de mai 1995 était déjà très positive, car elle avait permis notamment une baisse très importante des taux d'intérêt à court terme.

Le ministre de l'économie et des finances a ensuite insisté sur quelques points forts contenus dans le rapport préparatoire au débat d'orientation budgétaire. Ainsi, pour la première fois, le budget de l'État y est présenté en sections de fonctionnement et d'investissement, ce qui permet de constater l'existence d'un déficit de 109 milliards de francs de la section de fonctionnement, s'accompagnant de la nécessite d'emprunter pour financer les charges de personnel et même de la dette, ainsi que la réduction continue des dépenses d'investissement de l'État opérée depuis plusieurs années.

M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances, a identifié les quatre raisons majeures justifiant la réduction de l'endettement public: le poids excessif des emplois publics dans l'économie, l'effet d'éviction opéré sur les marchés obligataires par la dette de l'État, la nécessité de redonner des marges de manoeuvre au budget de l'État, et enfin l'obligation de respecter les engagements du Traité de Maastricht.

Le ministre de l'économie et des finances a rappelé l'effet mécanique, au sein du budget de l'État, de l'évolution des charges de la dette et des dépenses de personnel qui avaient abouti, en 1996, à l'obligation -a législation constante - de réduire les autres dépenses de 6 milliards de francs, et il a souligné l'anomalie que représentait l'absence, dans le budget de l'État, de dotations pour charges imprévues, ce qui conduisait régulièrement à la nécessité de geler des crédits au lendemain du vote du budget.

M. Jean Arthuis a ensuite présenté les différentes hypothèses retenues dans le rapport préparatoire au débat d'orientation budgétaire, selon que les charges de la dette, de personnel et d'intervention continueraient à augmenter en 1997 au rythme des années précédentes, séparément ou ensemble, ce dernier scénario aboutissant à la nécessité de réaliser des économies budgétaires supérieures à 60 milliards de francs sur les autres postes de dépenses.

Le ministre de l'économie et des finances a enfin rappelé que la réunion du Gouvernement, tenue le 2 mai sur l'initiative du Premier ministre, avait abouti à la décision collégiale d'adopter des mesures d'économie dont le débat d'orientation budgétaire permettrait d'affiner les contours.

M. Jean Arthuis a conclu par la nécessité de maintenir la confiance dans l'économie française, non pas par le creusement des déficits dont les effets avaient montré leurs limites, mais bien par la réduction de la dépense publique.

À l'issue de cet exposé, M. Alain Lambert, rapporteur général, a tout d'abord souligné la divergence d'appréciation existant entre le Gouvernement et les instituts de prévision sur le niveau des déficits publics atteints en 1996, et s'est interrogé sur la prise en compte de la réduction des déficits sur l'économie dans les prévisions du Gouvernement pour 1997.

Le rapporteur général a ensuite demandé des précisions sur le niveau et la nature des recettes attendues en 1997, compte tenu du ralentissement de la croissance en 1996 et de son faible contenu en recettes pour l'État.

M. Alain Lambert s'est ensuite interrogé sur la possibilité de prolonger le recours à des recettes non reconductibles ou à certaines modifications de nomenclature budgétaire, mises en évidence par la Cour des Comptes pour l'exercice 1995, tout en soulignant la difficulté évidente de réduire le déficit du budget de l'État en période de ralentissement des recettes. Enfin, le rapporteur général a souhaité connaître les scénarios possibles de réduction de la dépense publique envisagés par le Gouvernement, et s'est interrogé sur le rôle que celui-ci souhaitait voir jouer par le Parlement dans le débat d'orientation budgétaire.

En réponse à M. Alain Lambert, rapporteur général, M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, porte-parole du Gouvernement, a rappelé que les prévisions du Gouvernement relatives à la croissance, de + 1,3 % en 1996, et entre + 2,5 et 3 % en 1997, étaient proches de la moyenne des prévisions des experts français et des organisations internationales. M. Alain Lamassoure a ensuite estimé qu'après le ralentissement économique observé au cours des trois derniers trimestres de 1995, on assistait à un "redécollage en douceur", comme permettaient de le penser la meilleure orientation de la consommation, le haut niveau des intentions d'investissement et la bonne tenue des exportations. Par ailleurs, les mesures annoncées le 30 janvier dernier et contenues dans la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier devraient permettre d'amplifier cette évolution spontanée positive.

Le ministre chargé du budget a rappelé que les prévisions des instituts sur le niveau des déficits en 1997 étaient effectuées à politique constante, sans prendre en considération des mesures aussi importantes que l'achèvement de la réforme de la Sécurité sociale, ce qui expliquait leur divergence avec les prévisions du Gouvernement.

Par ailleurs, M. Alain Lamassoure a souligné que la réduction des dépenses publiques, dans l'état où se trouvait l'économie française, ne pourrait avoir qu'un effet favorable sur la croissance.

S'agissant des prévisions de recettes pour 1997, le ministre délégué au budget a rappelé que l'exécution du budget de 1995 s'était révélée décevante pour les recettes fiscales, dont le produit n'avait progressé que de + 2 % en valeur contre + 3,9 % pour le PIB, à législation constante. Ainsi, le produit de l'impôt sur le revenu des personnes physiques n'avait augmenté que de + 0,7 %, à cause notamment d'un recours croissant des ménages à la déduction des frais engagés pour les emplois familiaux. De même, le produit de l'impôt sur les sociétés n'avait progressé que de + 3.3 %, du fait du provisionnement, par les grandes entreprises, des pertes liées à la récession économique.

M. Alain Lamassoure a estimé que ces phénomènes devraient disparaître au cours de l'année 1996, le coefficient d'élasticité fiscale par rapport à l'activité économique paraissant se normaliser au vu des résultats du mois d'avril, et il a affirmé qu'au total, l'évaluation d'un montant de recettes fiscales de 1.300 milliards de francs pour 1997 paraissait raisonnable.

Le ministre délégué au budget a ensuite fait part de l'intention du Gouvernement d'appliquer les recommandations de la Cour des Comptes en vue d'une meilleure présentation du budget. Dès 1997, une présentation du budget de l'État en sections de fonctionnement et d'investissement sera réalisée, et plusieurs catégories de recettes extrabudgétaires n'apparaissant jusqu'à présent qu'en loi de règlement figureront désormais dans la loi de finances initiale.

M. Alain Lamassoure a ensuite présenté les principales masses budgétaires subissant jusqu'à présent un effet "boule de neige", et dont la maîtrise se révélait indispensable pour ne pas dépasser le plafond de 1.552 milliards de francs imparti aux dépenses de l'État en 1997.

Outre la charge de la dette liée au montant du déficit et au niveau des taux d'intérêt, les dépenses de personnel demeurent difficiles à réduire, malgré les gains de productivité permis par l'informatisation et les transferts de compétence liés à la décentralisation, ce qui justifie un examen plus attentif des possibilités de réduction d'effectifs.

En troisième lieu, les aides à l'emploi représentent un volume de 138 milliards de francs, en progression de quelque 20 milliards de francs par an, se répartissant entre 44 régimes différents devenus parfois impossibles à déchiffrer. La remise à plat de ces aides, jugée nécessaire par toutes les parties au sommet social du 21 décembre 1995, est d'ailleurs effectuée par une commission d'enquête de l'Assemblée nationale.

En quatrième lieu, les aides au logement se révèlent également être un poste de dépenses difficilement compressibles, car elles sont issues de la juxtaposition de différents régimes dont le coût progresse de 15 à 20 % par an, alors que les mises en chantier de logements reculent et que le nombre de sans-abri augmente. Enfin, les crédits de la défense, qui ont fait l'objet d'importantes mesures d'économie, devront également être réexaminés a l'aune des décisions portant sur les mesures d'accompagnement des restructurations d'unités, sur la recapitalisation des industries d'armement et sur la réforme du service national.

Un large débat s'est alors instauré.

M. René Ballayer a souhaité savoir si la baisse des taux d'intérêt à court terme était mise à profit pour renégocier la dette publique.

Mme Marie-Claude Beaudeau, après avoir souligné que la hausse des prélèvements obligatoires intervenue en 1995 avait été utilisée pour financer les charges de la dette et les allégements de cotisations patronales, ce qui constituait un transfert réalisé aux dépens des ménages et comportant des effets économiques néfastes, s'est demandé si l'objectif retenu par le Gouvernement d'accroître la déconcentration des contrôles financiers avait un lien avec ses projets de réforme de l'État.

M. René Trégouët s'est inquiété pour l'avenir de France-Télécom des rumeurs selon lesquelles le Gouvernement projetait de prélever une soulte d'un montant de 50 milliards de francs sur cette entreprise, rappelant que le secteur des télécommunications en Europe s'ouvrait à la concurrence et qu'il importait donc de préserver la compétitivité de la France dans ce domaine.

M. Yann Gaillard a estimé que le document présenté par le Gouvernement à l'occasion du débat d'orientation budgétaire représentait une certaine révolution culturelle, dans le sens où l'État s'y trouvait "banalisé" en tant qu'agent économique. Puis, il a indiqué que l'inflexion des dépenses publiques supposait, pour être durable, une réflexion approfondie sur le rôle et les missions de l'État.

M. Philippe Adnot, après avoir souscrit à la démarche du Gouvernement, a souhaité que celle-ci prenne en compte l'ensemble des charges publiques et, en particulier, que ne soit pas éludée la question des transferts de charges de l'État vers les autres agents économiques et plus particulièrement les collectivités locales.

M. Henri Collard a rappelé la nécessité pour l'État de respecter le pacte de stabilité financière passé avec les collectivités locales.

M. Joël Bourdin a jugé que la démarche économique empruntée par le Gouvernement obéissait à une conception économique classique et s'est demandé si, à court terme, elle ne risquait pas de produire d'effets déflationnistes, d'autant que les contraintes financières pesant sur les collectivités locales contraindraient celles-ci à modérer leurs investissements.

Il a ensuite exprimé le souhait que le Gouvernement s'attache à promouvoir un "pacte de non-agression" de l'État vis-à-vis des collectivités locales dont un élément fondamental serait qu'aucun bouleversement des règles s'appliquant à elles n'intervienne sans que des délais leur soient octroyés pour y faire face.

M. Jean Cluzel a exhorté le Gouvernement à saisir l'occasion du débat d'orientation budgétaire pour traduire dans les faits les recommandations formulées par le Sénat. Il a rappelé à ce sujet que la Haute assemblée avait souhaité à plusieurs reprises une reconstruction du budget du secteur audiovisuel dont les événements récents, porteurs de vives suspicions dans l'opinion, témoignaient de l'urgente nécessité.

M. Christian Poncelet, président, s'est alors félicité de l'enrichissement apporté par le Gouvernement à la rénovation de la présentation du budget de l'État à travers la distinction faite entre dépenses de fonctionnement et d'investissement.

Puis, il a souhaité recueillir le sentiment du ministre délégué au budget sur les observations de la Cour des Comptes selon lesquelles 14 % des crédits prévus pour financer le revenu minimum d'insertion étaient détournés de leur objet.

Il a ensuite souligné qu'à la lecture du rapport du Gouvernement, les effets des dévaluations des monnaies anglaise et italienne sur l'emploi dans ces pays apparaissaient mitigés.

Enfin, ayant interrogé le ministre sur les projets du Gouvernement quant à l'incorporation des révisions cadastrales et ayant exprimé son inquiétude face à la croissance des charges supportées par les collectivités locales, il a solennellement appelé à la nécessité de respecter le pacte de stabilité passé par l'État avec celles-ci.

M. Alain Lamassoure, ministre délégué au budget, en réponse a M. Christian Poncelet, président, a indiqué que, s'agissant de l'utilisation des crédits destinés à financer le revenu minimum d'insertion, le Gouvernement prendrait des décisions lorsque lui auraient été remis les rapports des missions parlementaires actuellement en cours sur ce sujet.

Le ministre a par ailleurs souscrit à l'analyse de M. Christian Poncelet quant aux effets des dévaluations sur l'emploi et a souligné que la France se distinguait par rapport à ses voisins par son incapacité à créer des emplois dans le secteur privé.

M. Alain Lamassoure a ensuite indiqué que le pacte de stabilité passé avec les collectivités locales, sur lequel plusieurs autres intervenants dont MM. Philippe Adnot, Joël Bourdin et Henri Collard avaient appelé son attention, ne serait pas remis en cause. Il a, par ailleurs, précisé que les intentions du Gouvernement étaient de mettre en oeuvre, dès le 1er janvier 1998, les résultats de la révision des évaluations cadastrales désormais menées à leur terme, tout en tenant compte de certains problèmes particuliers comme celui de l'évaluation des logements.

En réponse à M. René Ballayer, il a indiqué que le Trésor s'attachait en effet à tirer les conséquences de la baisse des taux en y adaptant les modalités de la gestion de la dette.

Ayant dit son désaccord avec les analyses de Mme Marie-Claude Beaudeau quant aux transferts de charges entre les agents économiques suscités par les prélèvements décidés en 1995, il a observé que la déconcentration des contrôles financiers devrait être la conséquence logique de la déconcentration budgétaire conduite par l'État.

Répondant à M. René Trégouët, il a déclaré que le Gouvernement n'avait pas arrêté sa décision sur le montant de la soulte demandée à France Télécom, mais que celle-ci devrait prendre en considération le transfert de cet établissement vers l'État des charges de pension de son personnel.

Ayant souscrit aux observations de M. Yann Gaillard, il a rappelé que la réforme de l'État actuellement en préparation supposait la mise en place d'indicateurs de gestion dans les administrations publiques.

Ayant répondu à M. Joël Bourdin que la réduction de la dépense publique ne devrait pas avoir d'effets récessifs, il a manifesté son accord avec les observations de M. Jean Cluzel, vice-président, lui indiquant que le Gouvernement prendrait des décisions dans le secteur de l'audiovisuel public après avoir reçu les conclusions de l'audit actuellement en cours.

M. Jean Cluzel s'est alors déclaré convaincu que le Gouvernement aurait certainement à coeur de fonder ses décisions en ce domaine sur la base des conclusions de la commission des Finances du Sénat autant que sur celles d'une commission administrative.

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