3. La mise en place d'un dispositif de maintien du revenu agricole face à une compensation partielle de la baisse des prix

La compensation partielle du rapprochement des prix communautaires vers les prix mondiaux, proposée par la Commission Européenne, pose le problème des baisses de revenu que subiront les producteurs, et de l'instabilité croissante des revenus en fonction des prix de marché.

Les marges de manoeuvre pour répondre à des baisses de prix non compensées sont très variables selon les secteurs. Elles sont a priori plus importantes en grandes cultures, du fait de la croissance moyenne des rendements et de la possibilité de réduire le taux de jachère pour augmenter la production.

La plus grande instabilité du revenu des producteurs, davantage exposé aux fluctuations des cours, devrait rendre nécessaire l'utilisation de dispositifs de gestion du risque (marchés à terme, programmes d'assurance-récolte ou d'assurance-revenu, etc.). La question se pose du coût et du financement de ces dispositifs (secteur privé, pouvoirs publics ou combinaison des deux).

a) Des expériences étrangères intéressantes : les concepts d'assurance " récoltes " et " revenu "

Alors qu'en France, le dispositif de protection des exploitants agricoles contre les aléas climatiques et épidémiques repose sur les contrats d'assurance, le régime des catastrophes naturelles et celui des calamités agricoles, certains pays étrangers, ont retenu une approche différente en matière de protection de l'agriculture face aux risques climatiques.

Ces dispositifs qui privilégient l'assurance sont relativement nombreux et concernent des pays aussi différents que le Mexique, le Japon ou l'Afrique du Sud. Cependant, trois pays -le Canada, les Etats-Unis et l'Espagne- semblent avoir pris, en ce domaine, une avance importante.

Au préalable, il convient de définir deux concepts, à savoir ceux d'assurance " récoltes " et d'assurance " revenu ".

L'assurance " récoltes " couvre des événements de nature catastrophique dont ni la fréquence, ni l'importance, ne sont connues. Elles consiste en l'indemnisation des pertes de récoltes dues à des aléas naturels, c'est-à-dire, climatiques ou épidémiques. L'assurance " récoltes " est donc une garantie de rendements.

En matière d'assurance " revenu ", peu importe la nature du risque. L'exploitant s'assure contre une diminution de recette, qu'elle soit provoquée par un aléa naturel ou économique. Cette protection offre donc une garantie de rendement pour une garantie de prix 52( * ) . Il serait ainsi plus opportun de parler d'assurances " recettes ".

Le Canada : un encouragement à l'épargne

Le système de protection canadien cherche à encourager l'épargne en période de hauts revenus par le versement d'une cotisation volontaire doublée par le Gouvernement fédéral et les provinces.

Le Canada a mis en place, en 1959, un régime d'assurance " récoltes " dont l'objectif dont l'objectif était de protéger les exploitants agricoles contre les aléas climatiques. Mais, dans les années 1980, la politique agricole canadienne était devenue trop coûteuse. En 1991, les aides gouvernementales concouraient à plus de 75 % des recettes des agriculteurs. Un vaste réaménagement de la politique agricole canadienne s'est donc imposé.

Une loi du 12 avril 1992 a assuré à chaque exploitant un revenu stable et prévisible en le protégeant des fluctuations de rendement et de prix. Elle devait permettre non seulement la cohérence de la plupart des programmes existants mais aussi, à moyen terme, d'assurer un découplage des aides de la production, afin de les rendre compatibles avec les dispositions du GATT.

Après plusieurs adaptations successives, rendues notamment nécessaires par le désengagement financier de l'Etat fédéral, le système de protection actuel comporte trois étages :

- un programme de stabilisation du revenu net (CSRN) ;

- un régime d'assurance " récoltes " ;

- des programmes complémentaires provinciaux.

Le montant de chaque versement est doublé par le Gouvernement fédéral (pour les deux tiers) et les provinces. Les dépôts de l'exploitant bénéficient d'intérêts bonifiés supérieurs de 3 % au taux pratiqué par la Banque du Canada.

Le fonctionnement pratique du CSRN connaît des variations suivant les provinces, notamment en ce qui concerne les taux de contribution. En revanche, l'utilisation des sommes épargnées est soumise à un régime unique. Les retraits ne peuvent intervenir que lorsque la marge brute de l'exploitation (c'est-à-dire la différence entre les recettes nettes et les charges) est inférieure à la marge brute moyenne des cinq années précédentes et lorsque le revenu imposable de l'agriculture tombe sous un seuil préalable fixé. Dans chacune de ces deux hypothèses, les retraits sont limités au montant de cette perte de marge ou de revenu.

Les pouvoirs publics canadiens ont dépensé 97 millions de dollars canadiens (407 millions de francs) au titre du CSRN en 1993. Au terme de l'année fiscale 94/95, le montant cumulé des dépôts s'élevait à 677 millions de dollars (soit environ 2,8 milliards de francs) dont 366 millions épargnés par les agriculteurs (1,5 milliard). On estime qu'environ 80 % exploitations " professionnelles " admissibles adhèrent au CSRN et que la plupart le font à hauteur du montant maximum pouvant bénéficier de l'aide publique.

Les Etats-Unis : la garantie d'une recette minimale

Le dispositif américain vise à garantir aux agriculteurs une recette minimale par culture basée sur le rendement moyen de leurs fonds et sur le prix du marché attendu.

La protection des récoltes contre les aléas naturels est très ancienne aux Etats-Unis.

On retiendra simplement qu'en 1978, 7 % des exploitants étaient assurés, ce qui représentait 2 % de la valeur totale de la production. Au début des années 1990, 800.000 agriculteurs, soit 30 % avaient recours à l'assurance " récoltes ". Si la progression ainsi enregistrée est remarquable, elle reste toutefois insuffisante.

Le Gouvernement a modifié très profondément, en 1996, la philosophie générale du système. Jusqu'alors, en effet, l'assurance " récoltes " était un programme accessoire. La loi sur l'amélioration et la réforme de l'agriculture (FAIR Act), votée le 29 mars 1996, applicable pour la période 1996-2002, en favorisant une plus grande fluctuation des prix et des revenus et en imposant le principe d'un découplage total des aides des surfaces et des prix du marché, a fait de la gestion du risque l'une des préoccupations majeures du Gouvernement fédéral et des agriculteurs.

Il s'agit avec le dispositif de garantir aux exploitants une recette minimale par culture et par hectare, en se fondant sur le rendement moyen de leur fonds et sur le prix de marché attendu. Une aide est versée quand la recette réelle est inférieure à la recette garantie.

Il ne fait guère de doute que la gestion du risque devrait se développer dans les années à venir. Les produits d'assurance offerts aux agriculteurs seront de plus en plus sophistiqués et devraient couvrir à la fois les risques naturels et les risques économiques. Le partenariat entre les Pouvoirs publics et les assurances ayant porté ses fruits, celui-ci devrait être maintenu.

L'assurance " récoltes " américaine comprend deux volets : le " CAT program " et ses garanties " buy up " et le " nomisured crop disaster assistance program " (NAP).

Ces dispositifs ne couvrent jamais des pertes provoquées par la négligence, une pratique agricole non conforme, le vol, la baisse des prix, etc.. En cas de défaut de toute souscription alors qu'elle est possible, ce qui est le cas pour soixante quatre cultures, l'exploitant renonce à toute éligibilité à l'assistance d'urgence pour des récoltes sinistrées. Il conserve, en revanche, la possibilité d'obtenir des frais d'urgence ou de recevoir des indemnités du NAP.

La garantie minimum accordée (" catastrophic converage " -CAT) est limitée à 50 % du rendement moyen de l'exploitation, calculé à partir d'un historique de quatre ans ou plus. En cas d'impossibilité de calculer ce rendement historique, seule la production antérieure connue sera retenue comme base et on lui appliquera un taux de rendement transitoire.

L'indemnisation des pertes s'élève à 60 % du prix de marché escompté. Cela signifie que, pour chaque unité de production, le rendement effectif et le rendement garanti sont comparés. Si le premier est inférieur au second, une indemnité sera versée.

Cette couverture CAT prend un compte les dommages provoqués par la sécheresse, l'humidité excessive, la grêle, le vent, le feu, les insectes et les maladies. L'exploitant assuré s'engage à respecter la date limite de souscription, à fournir un historique de production à déclarer les surfaces qu'il cultive, les pertes subies dans un délai rapide, à certifier exact le montant et la cause de la perte et à stipuler la production finalement obtenue. Il ne paye pas de rime mais des frais administratifs, ou de gestion, de 50 dollars par culture. La gestion de cette garantie est, en principe, de la compétence des compagnies privées.

Les compagnies d'assurances proposent aux exploitants de souscrire des garanties supplémentaires " buy up " qui peuvent aller jusqu'à 75 % du rendement historique à 100 % du prix du marché. Ces primes afférentes à ces garanties bénéficient de polices d'assurance à des prix attractifs, couvrant les frais de nouvelle plantation ou des pertes de qualité.

Le programme " NAP " propose aux exploitants une protection contre les aléas naturels touchant des productions non assurables . Il s'agit d'une assistance locale, indépendante des procédures d'urgence qui est alimentée par des fonds fédéraux. La seule contrainte, impérative, pour l'exploitant, consiste à fournir une déclaration d'assolement à l'administration.

Les récoltes éligibles sont celles dont le rendement local attendu est inférieur à 65 % de la normale, avec application d'un plafond de 100.000 $ par récolte annuelle. Il existe, de surcroît, trois façons de définir la zone éligible - le comté, au moins 320.000 âcres ou une superficie où la valeur totale des récoltes excède 80 millions de $- ce qui permet de cibler l'assistance en fonction des besoins.

Aucun système global d'assurance " revenu " n'est actuellement mis en oeuvre aux Etas Unis. Tout au plus assiste-t-on, depuis quelques années, à des expérimentations, toutes fondées sur le volontariat, et différentes d'un Etat à l'autre. Le grand débat suscité par la préparation du Farm Bill a permis d'officialiser certaines initiatives et expériences.

Le programme dit " Income protection " est une initiative privée, approuvée par le FCIC, Federal Crop Insurance Corporation. Expérimenté en 1996 sur le maïs, le coton et le blé de printemps dans un petit nombre de comtés, il a été étendu au blé d'hiver en 1997. L'agriculteur qui désire participer à cette expérimentation bénéficie d'une garantie de recette égale à son rendement historique multiplié par le taux de couverture choisi (de 50 à 75 % du rendement historique) et multiplié par le prix du marché projeté.

Le revenu historique est le rendement moyen défini par l'assurance " récoltes ". Le prix du marché projeté est le prix constaté sur le marché à terme de Chicago.

Le " Crop Revenu Coverage " (CRC) élaboré par le Gouvernement fédéral, a été testé sur le maïs et le soja dans deux Etats en 1996. L'extension de son expérimentation au blé d'hiver dans six Etats a été autorisée en 1997. L'agriculteur qui souscrit au CRC bénéficie d'une recette garantie égale à son rendement historique multiplié par le taux de couverture choisi, multiplié par 95 % du plus haut des deux prix suivants : le prix du marché projeté avant les semis, le prix de récolte à Chicago. Le dispositif permet donc un accroissement de la recette garantie si les cours augmentent entre la période des semis et l'époque de la moisson.

La recette garantie s'accroît si les cours augmentent entre le semis et la récolte. L'exploitant conserve la possibilité de prévendre sa récolte au moment des semis, minimisant ainsi le risque d'une éventuelle mauvaise récolte. Si les cours montent, l'augmentation de l'aide compensera ses éventuelles pertes de production. Mais cet avantage du dispositif à un coût, puisque le montant de la prime est 60 % plus élevé que dans le programme " Income protection ".

Il est important de souligner que le département américain de l'agriculture a annoncé début avril une série de mesures destinées à aider les agriculteurs à mieux se prémunir contre la volatilité des prix et les variations météorologiques.

Les initiatives de l'administration portent sur l'assouplissement des règles en matière d'octroi d'assurance pour les nouvelles productions et surfaces cultivées et le développement de programmes pilotes pour renforcer la protection sociale des agriculteurs. Le secrétaire à l'agriculture, Dan Glickman, a ainsi proposé au congrès un projet de loi visant à étendre la durée de prêts agricoles en période de creux des marchés et à permettre aux agriculteurs une plus grande liberté de plantations lorsque leurs premières récoltes sont perdues.

Par ailleurs, l'agence de gestion des risques de l'USDA (RMA) a été chargée d'envisager de nouveaux types d'assurance permettant aux agriculteurs de mieux se prémunir contre les risques de la profession. En cas de désastres successifs, une couverture insuffisante des récoltes peut en effet limiter la capacité d'un producteur à emprunter les fonds nécessaires à la reprise de son activité. La RMA devrait mener un programme pilote de renforcement de la couverture des agriculteurs des régions de plaines dans les contés du Nord.

De plus, la politique agricole américaine encourage les agriculteurs à semer en fonction des signaux du marché, ce qui a fortement augmenté la variabilité des récoltes. Dans le but de subvenir à la demande croissante d'assurance pour ces cultures alternatives, le RMA veut moderniser la législation et accélérer les procédures.

Espagne : un programme ambitieux d'assurance récoltes

La loi du 28 décembre 1978 a introduit l'assurance " récoltes " en Espagne. Ce dispositif est très ambitieux, puisque, dès l'origine, son champ d'application s'est étendu à l'ensemble du territoire de l'Etat espagnol et à l'ensemble des risques naturels.

L'assurance-récoltes espagnole concerne aujourd'hui une cinquantaine de productions végétales, l'élevage des bovins, des ovins et, depuis cette année, celui des caprins, ainsi que l'élevage des truites et l'aquaculture marine (dorades, bars et turbots). En ce qui concerne les productions végétales, les contrats couvrent des aléas climatiques prédéfinis, au minimum la grêle, le gel, la tempête. Quelques productions particulières bénéficient d'une couverture " tous risques naturels ". Il s'agit de l'oignon de l'île de Lanzarote par exemple ou des céréales d'hiver non irriguées. De très nombreux aléas naturels sont pris en compte par l'assurance " récoltes ". La couverture est toutefois plus ou moins étendue, selon les productions et les zones géographiques. Le taux de couverture varie en fonction des risques assurés. Il est en général de 100 % de la valeur de la production mentionnée au contrat pour l'incendie et la grêle et de 80 % pur le gel, la tempête, le vent, la pluie et l'inondation.

En cas de sinistre, dans des conditions normales, une franchise de 10 % reste à la charge de l'exploitant. mais pour les risques de grande intensité, notamment les inondations, s'applique une franchise de 30 %, qualifiée " d'absolue ".

Les pouvoirs publics espagnols ne se contentent pas de créer les conditions favorables à la mise en place et à l'essor de l'assurance " récoltes " ; ils participent très largement au financement du dispositif, notamment en prenant une partie du montant de la prime payée par l'exploitant.

On évalue souvent cette participation au paiement de la prime à hauteur de 50 % de son montant. En réalité, le dispositif est beaucoup plus complexe, les taux de subvention applicables dépendant à la fois de la situation de l'exploitant et de la nature des productions assurées. La participation de l'Etat se décompose toujours en trois tranches : une subvention de base, une subvention pour contrat collectif et une subvention additionnelle. Il résulte du jeu des combinaisons possibles que certaines cultures, céréalières par exemple, bénéficient d'une taxe de subvention plus proche de 25 ou 30 % que de 50 %.

Le coût total moyen (c'est-à-dire national) de l'assurance, exprimé en pourcentage de la valeur du capital assuré, est bien entendu variable selon la nature de la production. Il serait de 1,7 % pour les pommes, de 1,9 % pour les céréales d'hiver, de 3,4 % pour le colza et de 7,1 % pour les tomates.

Le rythme très rapide auquel les nouvelles options ont vu le jour provoquera d'importantes pertes qui ont mis le système en danger. Pour la période allant de 1980 à 1993, l'assurance " récoltes " a généré un déficit évalué à plus de 35 milliards de pesetas (1,4 milliards de francs).

Le dispositif espagnol s'inscrit dans la durée. Il progresse depuis plusieurs années à un rythme très régulier et il est clair que l'objectif final reste de parvenir à un système unique de protection applicable partout, à toutes les cultures et pour tous les risques naturels. La dernière conférence nationale des assureurs agricoles, qui s'est tenue à Madrid le 13 mars 1997, a confirmé cette ambition d'universalisation progressive de la protection du secteur agricole.

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