B. LA NECESSITE D'UNE DEFENSE EUROPÉENNE

1. Pour une Europe de la défense

Le fait que l'Europe soit tributaire des Etats-Unis pour assurer sa propre sécurité fragilise considérablement sa crédibilité internationale.

Il faut accepter désormais de construire l'Europe de la défense : des prémices existent déjà -dans le cadre de l'UEO, avec l'Eurocorps-. Le traité d'Amsterdam lui-même marque une évolution plus que symbolique par rapport au texte de Maastricht en prévoyant que " la politique étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union, y compris la définition progressive (8( * )) d'une politique de défense commune, si le Conseil en décide ainsi ".

On peut voir des signes tangibles de cette évolution dans la réunion informelle des ministres européens de la défense qui s'est tenue à Vienne les 3 et 4 novembre derniers. Sans être officiellement baptisée " Conseil " par la présidence autrichienne, cette réunion de travail a été l'occasion d'initier un projet de force de protection militaire à la mission des vérificateurs déployés au Kosovo par l'OSCE (8( * )) pour surveiller l'application des résolutions du Conseil de sécurité. Associant la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas, cette force de 1.500 hommes devrait être capable d'intervenir dans un délai bref d'une à deux heures après la transmission d'alerte par les responsables de l'OSCE.

Ainsi que l'a indiqué M. Werner Fasslabend, ministre autrichien de la Défense, les européens " devront être déterminés et capables de s'atteler aux conflits qui se déroulent en Europe, y compris avec [leurs] propres moyens " : même si le Conseil permanent de l'Alliance atlantique est à l'origine de ce projet et en revendique la paternité, celui-ci témoigne d'une capacité nouvelle des Quinze à réagir face aux crises.

L'exemple de la SFOR

La force multinationale présente en Bosnie compte 32.205 hommes (8( * )) répartis en trois divisions :

- la division sud-ouest, sous commandement britannique

- la division nord, sous commandement américain

- la division sud-est, sous commandement français, basée à Mostar

Son mandat d'un an a été renouvelé le 20 juin 1998 pour la mise en oeuvre des aspects civils des accords de Dayton.

La division sud-est comprend près de 11.000 hommes, dont 2.900 français, soit la nationalité la plus représentée en son sein. Cette division est un " exemple européen ", jusque et y compris au niveau de l'état-major, contrairement aux autres divisions. Pratiquement tous les bataillons sont composés de nationalités différentes (France, Italie, Allemagne, Espagne, Portugal et Maroc). Le problème essentiel est celui de la langue : le français n'est généralisé qu'au niveau de l'état-major. Le bon fonctionnement de cette division constitue un exemple et une bonne illustration de ce que peut être, demain, la sécurité européenne. Il ne faut toutefois pas sous-estimer le fait qu'elle agit aujourd'hui dans un contexte de crise, mais pas de guerre, ce qui évite de poser avec acuité le problème de son commandement.

2. L'avenir de l'UEO

a) La confirmation du rôle de l'UEO

• Des affirmations de principe

Le traité d'Amsterdam a repris, et amplifié, les dispositions figurant déjà au traité de Maastricht sur le rôle de l'UEO dans le développement de l'Union :

" L'Union de l'Europe occidentale fait partie intégrante du développement de l'Union en donnant à l'Union l'accès d'une capacité opérationnelle, notamment... pour les missions humanitaires et d'évacuation, les missions de maintien de la paix et les missions des forces de combat pour la gestion des crises, y compris les missions de rétablissement de la paix (9( * )) ".

L'UEO est chargée d'assister l'Union dans la définition des aspects de politique étrangère et de sécurité commune ayant trait à la défense et pour l'élaboration et la mise en oeuvre de ses décisions et actions dans ce domaine.

Cette politique doit respecter les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour les Etats membres dont la défense commune est réalisée dans ce cadre. En conséquence, l'Union encourage l'établissement de relations institutionnelles plus étroites avec l'UEO en vue de son intégration dans l'Union si le Conseil européen en décide ainsi. On peut même légitimement considérer que l'efficacité du dispositif voudrait qu'à terme, " Monsieur ou Madame PESC " soit également le secrétaire général de l'UEO.

Les points réellement nouveaux tiennent à la mention spécifique des missions de Petersberg (10( * )) et à l'éventualité d'une intégration, à terme, de l'UEO dans l'Union. Le traité d'Amsterdam corrige ici quelques approximations qui figuraient dans le texte du précédent traité.

• des réalisations quasi-nulles

Il faut malheureusement observer que si, globalement, tous les éléments nécessaires figuraient déjà dans le traité de Maastricht, il n'ont jamais réellement été mis en oeuvre par les présidences successives. Plusieurs exemples peuvent être trouvés de ce manque d'intérêt de l'Union pour les possibilités de l'UEO :

- pour le règlement de la crise albanaise de 1997, il aurait été nécessaire d'établir une force de stabilisation sur place : aucune intervention de l'UEO n'a été suscitée et c'est l'Italie qui s'est engagée individuellement dans cette zone ;

- pour l'arrêt des conflits au Kosovo, engagés depuis septembre 1998, l'UEO n'a pas apporté sa contribution à la force sur place.

L'absence de crédibilité de l'UEO, des performances qui restent en-deçà des espérances les plus modestes, posent avec plus d'acuité encore la question récemment soulevée par le Royaume-Uni de l'avenir de cette institution.


Les décisions du Conseil impliquant une intervention de l'UEO

1. Décision du 27 juin 1996, relative à l'évacuation des ressortissants des Etats membres lorsque leur sécurité est en danger dans un pays tiers :

Adopté en dépit des résistances britanniques, ce texte n'a trouvé aucune application sur le terrain, malgré l'existence de domaines d'actions potentiels (Congo-Brazzaville...)

2. Décision du 22 novembre 1996, demandant à l'UEO d' " examiner de toute urgence la manière dont elle peut contribuer, pour ce qui concerne, à l'utilisation optimale des moyens opérationnels disponibles " dans la région des grands lacs. Il s'agissait de la première demande opérationnelle réelle à l'UEO.

La réponse de l'UEO n'est intervenue que trois mois plus tard et la décision de dissoudre la force multinationale a sur le terrain, de facto , mis fin à toute possibilité d'intervention.

3. L'action commune du 28 novembre 1997, relative au déminage, pourrait être mise en oeuvre, via l'UEO, en Croatie d'ici la fin de l'année. Il s'agirait alors de la première traduction concrète, sur le terrain, de la collaboration UE-UEO.

4. La décision du 22 septembre 1998, demandant à l'UEO " d'achever d'urgence ses travaux sur l'étude de faisabilité pour des options éventuelles d'opération de police en Albanie ".

b) Des évolutions politiques spectaculaires

• des déclarations britanniques nouvelles

Lors du sommet de Pörtschach, le 23 octobre dernier, l'élément de surprise est venu de la Grande-Bretagne, le premier ministre Tony Blair ayant indiqué que son pays était désormais disposé à s'engager en faveur d'une identité européenne de défense, qui pourrait constituer un quatrième pilier au sein de la construction européenne -si tant est qu'elle ait besoin d'encore plus de complexité. Il fallait y voir une évolution de l'attitude britannique pour reprendre l'initiative sur un terrain où elle avait jusqu'alors davantage freiné que conduit.

La position britannique a ensuite semblé en recul lors de la conférence informelle de défense : le représentant britannique y confirmait cette intention, mais se prononçait implicitement pour la suppression de l'UEO, ses compétences politiques revenant à l'Union tandis que son potentiel militaire serait transféré à l'OTAN. On pouvait alors en conclure nettement que le Royaume-Uni misait sur l'Alliance atlantique et s'opposerait à toute " duplication de l'OTAN " reposant sur une armée européenne.

• la position française

A l'inverse, la position française initiale soutenait la fusion de l'UEO et de l'Union et l'instauration d'un pilier européen de défense au sein de l'OTAN " séparé, mais non séparable ", selon le ministre de la Défense Alain Richard, qui ajoutait : " personne ne conteste l'importance du lien transatlantique pour notre sécurité, mais personne ne doute non plus qu'une Europe dotée d'une monnaie unique ne peut longtemps se passer d'une dimension réelle de défense et de sécurité " (11( * )) La France souhaite en effet que l'Union puisse prendre des décisions, sans avoir à requérir l'aval préalable de l'Alliance atlantique. Cette position doit être appréciée dans le contexte des déclarations du Président Chirac annonçant le retour éventuel de la France au sein de l'organisation militaire intégrée de l'OTAN, si les partenaires acceptent un rééquilibrage sensible des commandements au profit des Européens. Le prochain sommet de l'Alliance atlantique à Washington, en avril 1999, constituera une étape essentielle dans l'évolution du processus.

• le rapprochement franco-britannique de Saint-Malo

Une étape majeure dans la construction d'une identité européenne de défense a été franchie lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo du 4 décembre 1998. Dans une déclaration commune publiée à l'issue de cette réunion (12( * )), la France et la Grande-Bretagne ont affirmé ensemble la nécessité, pour l'Europe, de se doter d'une capacité militaire : " l'Union doit avoir une capacité autonome d'action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales ". Ce document constitue, pour le premier ministre britannique, M. Tony Blair, " un accord historique parfaitement compatible avec les alliances de chacun et leurs relations avec les Etats-Unis ".

Après un long débat portant sur l'opportunité de dissoudre l'UEO ou de l'intégrer à l'Union européenne, les parties ont opté pour un compromis consistant à mettre à la disposition de l'Union les moyens actuels de l'UEO en matière de renseignement, d'évaluation des situations et de planification stratégique. Il est désormais envisagé le recours à des moyens militaires européens aussi bien dans l'OTAN que hors de l'OTAN.

Le Conseil européen de Vienne, tenu une semaine plus tard, s'est montré très satisfait que cette déclaration, qui constitue désormais un document cohérent de référence des objectifs de l'Union en matière de défense.

En effet, les petits Etats éprouvaient jusqu'alors une certaine difficulté à faire concilier ces points de vue très divergents. La Belgique, le Luxembourg soutenaient à la fois la position française et la nécessité d'une capacité opérationnelle pour l'Europe, tout en réaffirmant le rôle essentiel de l'OTAN dans la défense européenne. La Suède, la Finlande et, plus encore, le Danemark, n'avaient à l'inverse pas été convaincus de l'utilité de créer une structure européenne nouvelle, mais plutôt de rendre opérationnelle et crédible la coopération avec l'OTAN.

Enfin, la nouvelle présidence allemande a, par la voix du ministre des Affaires étrangères, M. Joschka Fischer, affirmé que le développement de la PESC exigeait une identité européenne de sécurité et de défense. D'ici le sommet de Cologne, la Présidence entend rédiger un rapport sur ce thème. L'Allemagne considère également que si l'Union veut promouvoir une identité européenne de défense, elle doit aussi se préoccuper de créer une industrie européenne d'armement afin que l'Europe puisse compter sur ses propres moyens militaires.

*

Il est désormais clair que le débat sur la défense européenne n'en restera pas à ce stade et qu'il est un élément majeur de la prochaine évolution institutionnelle de l'Union , dans laquelle le couple franco-britannique jouera, avec l'Allemagne, un rôle essentiel. Il est également de plus en plus probable que les pays les plus impliqués en matière de défense définiront, comme pour l'Union économique et monétaire, des " critères de convergence " dans ce domaine qui s'imposeront à ceux désireux de rejoindre le processus .

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