B. L'INCERTITUDE SUR L'AVENIR DU PROCESSUS : UNE SOLUTION ALTERNATIVE ?
1. Les difficultés liées au non-respect des échéances.
Lorsque
votre délégation s'est rendue à Laâyoune pour y
rencontrer les responsables régionaux marocains et les personnels de la
MINURSO, ses membres ont eu le sentiment que par-delà un nouveau report
inéluctable de l'échéance référendaire,
c'est l'ensemble du processus qui pouvait être remis en cause. Cette
perspective est préoccupante : un engagement aussi long et significatif
de la communauté internationale, qui aboutirait à une impasse,
serait un mauvais signal pour tout le monde. Des
voies alternatives sont
parfois évoquées, susceptibles de répondre au voeu des
populations concernées
, à condition évidemment
qu'elles puissent faire l'objet d'un
agrément partagé par tous
les intervenants
.
Au demeurant le processus de négociation et du plan de règlement
élaboré dans le cadre de l'ONU est assez souple : le plan
lui-même, comme les nombreux aménagements auxquels il a
donné lieu depuis dix ans, ne relève pas d'une résolution
du Conseil de sécurité qui -comme la résolution n°
1244 appliquée au Kosovo- inscrit dans le marbre des dispositifs souvent
complexes, difficilement applicables et pratiquement inamendables. Ce sont,
dans le cas précis, des rapports du secrétaire
général qui ont
mis en forme des agréments souscrits
préalablement par les parties
. Le plan initial, tout comme les
accords dits de Houston de 1997, ont été d'abord le
résultat de négociations entre le Maroc et le Polisario
principalement, le Conseil de Sécurité se bornant à en
prendre acte, à " rester saisi de l'affaire ", à
surveiller son évolution et, ce qui est un aspect non
négligeable, à assurer le financement du système en
général et de la MINURSO en particulier.
Plusieurs raisons plaideraient en faveur d'une " remise à
plat " de la question.
En premier lieu, l'étalement du processus dans le temps aggrave les
aspects humanitaires de ce qui fut un conflit et qui reste une situation de
" guerre froide " entre le Maroc, le Polisario et l'Algérie.
Les
réfugiés de Tindouf
en Algérie, répartis
dans des camps -qui portent symboliquement les noms de villes du Sahara
occidental : Laayoune, Smara, Dakhla...- vivent, en plein désert,
dans des conditions plus que précaires. Le HCR rencontre parfois des
difficultés pour visiter les camps et ceux qui voudraient les quitter ne
peuvent guère le faire librement.
La question des
prisonniers de guerre
n'est toujours pas résolue.
Le plan prévoit que leur libération ou leur échange
devrait intervenir au début d'une période de transition s'ouvrant
quelque 6 mois avant la date prévue du référendum :
l'ajournement répété de cette dernière rallonge
d'autant la durée de la détention. Or sur les 1 800
prisonniers de guerre marocains détenus par le Polisario, la plupart le
sont depuis vingt ans, dans des conditions difficiles qui expliquent que les
quelques prisonniers récemment libérés par le Polisario
(191), se trouvent dans un état physique déplorable.
La deuxième raison tient à la
nature même du choix
soumis aux électeurs
: l'indépendance ou
l'intégration. On imagine difficilement le Polisario et l'Algérie
qui le soutient laisser s'échapper la perspective d'une
souveraineté sur un territoire vaste et non dépourvu de richesses
au profit, pour l'Algérie et notamment ses militaires, de leur rival de
toujours. On imagine encore plus difficilement le Maroc devoir abandonner un
territoire qu'il occupe depuis près d'un quart de siècle, pour le
développement duquel il a consenti des efforts financiers très
considérables et dont surtout la " marocanité " est un
credo
partagé par tout l'éventail politique et social du
Royaume. Or la question posée au référendum suppose un
choix à la fois clair et brutal où, pour reprendre une expression
du jeu de poker, " le vainqueur rafle tout ".
La troisième raison tient à la capacité de la
communauté internationale de continuer à consentir des efforts
financiers et politiques dont elle ne perçoit pas le terme. Certes,
l'expérience chypriote démontre que l'ONU -et les Etats qui
composent le Conseil de Sécurité- peuvent faire preuve d'une
longue patience. Il reste que ces situations, qu'on le déplore ou non,
ne grandissent pas l'institution. Au demeurant, l'action de la MINURSO, depuis
quelques années, n'est possible que grâce à des sursis
successifs, que de trois mois en trois mois, le Conseil de
Sécurité accepte de lui accorder à la demande pressante de
son secrétaire général. Le mandat actuel de la MINURSO n'a
été renouvelé que pour trois mois le 15 septembre dernier
et une nouvelle décision devra être prise le 14 décembre
prochain, pour combien de temps ?
2. Une troisième voie est-elle possible ?
La
recherche d'une issue alternative, qui n'est pas à l'heure actuelle
à l'ordre du jour, supposerait que soient réunies plusieurs
conditions.
La première condition est déjà en partie à
l'oeuvre, qui concerne la méthode appliquée à la gestion
de la question du Sahara occidental. La mise en place, en septembre 1999, d'une
commission spéciale sur cette question -Commission royale de suivi des
affaires sahariennes-, regroupant des personnalités sahraouies, des
civils et des militaires et, en liaison directe avec le Roi, avait
témoigné de la volonté de ce dernier de ne plus en laisser
la maîtrise au seul ministre de l'Intérieur. Le départ de
celui-ci, quelques semaines plus tard, a conforté cette démarche.
Les incidents qui avaient affecté, à la fin du mois de septembre
à Laâyoune, un petit mouvement revendicatif d'une centaine
d'étudiants sahraouis et la réaction violente des forces de
police ont révélé les excès et les limites du
" tout sécuritaire " qui a longtemps prévalu dans la
région.
Cette nouvelle approche de la question saharienne touche également aux
questions de fond : la première réunion de la commission de
suivi des affaires sahariennes a été l'occasion d'évoquer
les urgences sociales, la spécificité religieuse et culturelle
des populations sahariennes, la mise en route d'un processus électoral
permettant de donner leur place aux jeunes élites du territoire au sein
du Conseil royal consultatif pour les affaires marocaines. L'évolution
est importante, démontrant que l'approche exclusivement fondée
sur le comptage des électeurs et la politique de ralliement des notables
sahraouis laisse la place à une démarche nettement plus
constructive.
Ces signes avant-coureurs annoncent-ils la future mise en place, parfois
évoquée, d'un statut spécifique qui serait reconnu aux
provinces du sud dans le cadre d'une régionalisation, annoncée en
1996 pour l'ensemble du pays, mais dont la mise en oeuvre jusqu'alors
concernait, moins que toute autre partie du Maroc, le Sahara occidental ?
Pourrait-on alors concevoir qu'au projet de référendum
" confirmatif " de la marocanité du territoire se substitue
l'idée d'une autonomie " confirmative " de la
spécificité sahraouie, mais sous souveraineté marocaine,
éventuellement sanctionnée elle-même par
référendum ?
En tout état de cause, et c'est la deuxième condition, une
évolution aussi radicale de la question ne pourrait et ne devrait
évidemment se faire que par un nouvel accord entre le Maroc et le
Polisario, sachant que ce dernier considère pour l'heure comme seule
issue possible la réalisation rapide du référendum
d'autodétermination préparé depuis dix ans par la
communauté internationale.
C'est également avec l'Algérie que toute remise à plat de
la question doit être conduite. Sans le soutien multiforme et
indéfectible que ce pays lui apporte, le Polisario aurait
vraisemblablement perdu une large part de son influence et de ses moyens. Or
si, durant sa campagne électorale pour la présidence
algérienne, M. Bouteflika avait exprimé l'hypothèse d'une
solution " sans vainqueur ni vaincus ", l'Algérie
d'aujourd'hui soutient fermement l'application du plan de l'ONU.
En fait, la relation difficile entre le Maroc et son voisin de l'est ne
conditionne pas la seule question du Sahara occidental, elle est la source des
blocages économiques et commerciaux qui empêchent toute
avancée vers une intégration maghrébine pourtant
essentielle au développement de la région. Les quelques espoirs
que le comportement du président algérien, lors des
obsèques d'Hassan II, avait pu soulever sont vite retombés et nos
interlocuteurs marocains ont déploré cette " douche
froide " faite alternativement d'attitudes conciliantes et
d'agressivité verbale de la part des responsables algériens. Les
difficultés intérieures dans lesquelles l'Algérie continue
de se débattre expliquent en partie ces retournements. Il n'est pas
interdit cependant d'espérer que si la politique de
réconciliation intérieure du Président Bouteflika pouvait
enfin aboutir, elle soit de nature à modifier positivement la donne
entre deux pays dont la coopération dans tous les domaines est inscrite
dans la logique du monde d'aujourd'hui.