II. LES TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION
A. LE CONSEIL (Rapporteur : M. Aymeri de Montesquiou)
a) Communication
Si la
Conférence intergouvernementale d'Amsterdam n'a pas réussi
à réformer les institutions de l'Union, elle a du moins
établi un lien entre élargissement de l'Union et réforme
des institutions. Le Conseil européen de Cologne (3 et 4 juin 1999)
a indiqué que la Conférence intergouvernementale qui doit, en
2000, régler ce problème, devait se concentrer sur le
" reliquat d'Amsterdam " : nombre de membres de la Commission,
pondérations des votes au Conseil, extension du domaine de la
majorité qualifiée.
On voit que le Conseil tient une place importante dans ce programme, et cette
place est justifiée. Aujourd'hui, à quinze, le Conseil fonctionne
difficilement. La perspective de l'adhésion de douze nouveaux pays rend
nécessaire une évolution, d'autant que le Conseil reste le pivot
des institutions européennes. Il est en effet la seule institution
à disposer d'un pouvoir de décision pour les trois
" piliers " de l'Union (dans les deuxième et troisième
" piliers ", les pouvoirs de la Commission et du Parlement
européen sont en effet relativement réduits).
Le rôle du Conseil est donc fondamental sur le plan politique. Or, il me
semble que la finalité de l'Union est appelée à devenir de
plus en plus politique. A l'origine, la Communauté était un
traité de commerce, et c'est d'abord dans le domaine économique
que s'est affirmée une identité européenne. Mais nous
voyons bien, aujourd'hui, que les échanges sont marqués par un
fort mouvement de mondialisation et que, sous l'égide de l'OMC, les
barrières commerciales ont tendance à se réduire
considérablement. Cela n'ôte nullement son utilité à
la construction communautaire, qui permet aux Européens de
dégager des positions communes et d'avoir plus de poids dans les
négociations. Cependant, dans un tel contexte, l'Europe tirera de moins
en moins sa consistance du domaine économique et commercial. Les aspects
politiques joueront donc un plus grand rôle pour cimenter l'Union.
Dans cette optique, il est nécessaire que le Conseil -institution
politique essentielle de l'Union- préserve et même améliore
son efficacité, et qu'il conserve sa capacité de décision
au-delà de l'élargissement.
A cet égard, trois principaux problèmes se posent :
- tout d'abord, celui de la pondération des votes,
c'est-à-dire du nombre de voix dont dispose chaque Etat membre au sein
du Conseil ;
- ensuite, celui de la majorité qualifiée : pour que le
Conseil décide plus facilement, il faut manifestement réduire
autant que possible le nombre de cas où l'unanimité est
nécessaire. Dans le même ordre d'idées, se pose le
problème du seuil de la majorité qualifiée :
actuellement pour atteindre la majorité qualifiée, il faut
71 % des voix ; abaisser ce seuil permettrait de prendre plus
facilement des décisions ;
- enfin, dernier point, le fonctionnement actuel du Conseil fait
problème : il est devenu une institution très lourde, dont
les travaux sont mal coordonnés. Ce problème nous concerne moins
directement, car certaines évolutions pourraient se faire sans modifier
les traités, mais c'est un aspect qu'on ne peut néanmoins passer
sous silence.
*
Sur la
pondération des votes, je rappelle que la situation actuelle est la
suivante :
- l'Allemagne, la France, l'Italie et le Royaume-Uni ont chacun
10 voix ;
- l'Espagne a 8 voix ;
- la Belgique, la Grèce, les Pays-Bas, le Portugal ont chacun
5 voix ;
- l'Autriche et la Suède ont chacune 4 voix ;
- le Danemark, l'Irlande et la Finlande ont chacun 3 voix ;
- le Luxembourg a 2 voix.
Le total des voix est de 87. Le seuil de la majorité qualifiée
est fixé à 62 voix (soit environ 71 % des voix) ;
la minorité de blocage est donc de 26 voix.
La principale raison de revoir la pondération actuelle est le risque de
voir, avec l'élargissement, se dégrader la capacité de
décision et même la légitimité du Conseil.
Les Etats membres de l'Union sont très inégaux sur le plan
démographique et peuvent être répartis en deux
groupes :
- le groupe des " grands " Etats, qui comprend un pays d'environ
40 millions d'habitants, l'Espagne, trois pays d'environ 60 millions
d'habitants (France, Italie, Grande-Bretagne) et un pays d'à peu
près 80 millions d'habitants, l'Allemagne ;
- le groupe des " petits " Etats, au nombre de 10, dont la
population va de 400.000 habitants (Luxembourg) à environ
15 millions (Pays-Bas).
Depuis les débuts de la Communauté, il a toujours
été admis que cette situation devait conduire à une
certaine sur-représentation des " petits " Etats.
L'application d'un critère purement démographique aboutirait en
effet à une domination des " grands " Etats qui, à eux
cinq, rassemblent 294 millions d'habitants, c'est-à-dire les quatre
cinquièmes de la population de l'Union à Quinze.
Seulement, à mesure de ses élargissements, l'Union a
compté de plus en plus de " petits " Etats membres : la
sous-représentation des " grands " Etats est donc allée
en s'accentuant. Ainsi, les trois plus grands Etats, qui représentent
ensemble plus de 53 % de la population de l'Union, ont moins de 35 %
des droits de vote.
Or, l'élargissement à l'Est va nécessairement aggraver ce
phénomène : en effet, sur les douze pays candidats, un seul,
la Pologne, est un " grand " Etat. Si l'on ne modifie pas les
règles actuelles de pondération, l'on obtiendra, à l'issue
du processus d'élargissement, une Union de vingt-sept Etats où
six " grands " Etats, avec 71 % de la population, auront
42 % des droits de vote, tandis qu'une coalition de douze
" petits " Etats pourra constituer une minorité de blocage
tout en rassemblant seulement 10,5 % de la population de l'Union.
La sur-représentation accrue des " petits " Etats que va
entraîner l'élargissement à l'Est posera également
un problème de légitimité de la décision
budgétaire. En effet, les futurs adhérents verseront peu au
budget communautaire et en recevront beaucoup, tout en disposant ensemble d'un
grand nombre de voix si l'on conserve les règles actuelles de
pondération. Avec ces règles, les futurs adhérents, qui
ont au total 106 millions d'habitants et représentent une faible
capacité contributive, auront 45 voix, alors que les quatre plus grands
Etats parmi les membres actuels, qui ont ensemble 255 millions d'habitants
et assurent 75 % des recettes du budget communautaire, n'auront que 40 voix.
Quelle réforme peut-on envisager ?
On doit souligner, tout d'abord, qu'on ne peut espérer corriger les
disparités extrêmes que je viens d'évoquer, seulement les
atténuer. La pondération au sein du Conseil est un compromis qui
ne peut être modifié qu'à l'unanimité. Les
" petits " Etats admettent aujourd'hui que, dans l'optique de
l'élargissement, une évolution est inévitable : ils
ne sont pas prêts, pour autant, à accepter une modification
très sensible de l'équilibre entre " grands " et
" petits " Etats. Notre objectif doit être plutôt
d'empêcher que l'élargissement ne dégrade encore
l'équilibre entre " grands " et " petits " ;
l'idéal -mais c'est un idéal sans doute hors d'atteinte- serait
de retrouver, et de pérenniser, l'équilibre qui existait dans
l'Europe des Douze, car le passage de douze à quinze membre a
déjà sensiblement fait pencher la balance au détriment des
" grands ".
Une première solution possible serait le système de la
" double majorité ".
Lors de la précédente Conférence intergouvernementale, la
présidence néerlandaise avait étudié une telle
formule qui consiste à ajouter une condition de majorité
démographique pour les décisions du Conseil.
Dans le système envisagé par la présidence
néerlandaise, la pondération actuelle était
conservée et, dans l'optique de l'élargissement,
extrapolée aux nouveaux membres ; le seuil de la majorité
qualifiée était conservé à son niveau actuel
(71 % des voix) ; une condition démographique était
ajoutée, à savoir que les Etats émettant un vote positif
regroupent 60 % au moins de la population de l'Union.
Le système de la " double majorité " présente
certains avantages : il permet de contourner la difficulté
politique d'une repondération des votes ; par ailleurs, il permet,
malgré l'élargissement, de conserver toujours le même seuil
démographique : quoi qu'il arrive, une mesure ne peut être
adoptée qu'avec le soutien de gouvernements représentant ensemble
une large majorité de la population de l'Union.
Cependant, un mécanisme de double majorité compliquerait beaucoup
le processus de décision, puisqu'il faudrait remplir deux conditions de
majorité au lieu d'une. Comme notre but doit être au contraire de
faciliter la prise de décision, il y a là un inconvénient
très fort.
De ce fait, le système de la double majorité, qui avait beaucoup
de partisans en 1997, en a beaucoup moins aujourd'hui, dans la mesure où
les problèmes de fonctionnement d'une Europe élargie sont
beaucoup plus présents dans les esprits.
Il paraît donc plus judicieux de prévoir une nouvelle
pondération des votes.
Lors de la précédente Conférence intergouvernementale, la
présidence néerlandaise avait proposé, en vue d'une
éventuelle repondération, une formule qui me paraît
demeurer une référence intéressante.
Elle consiste à augmenter le nombre des voix de tous les Etats,
l'augmentation étant plus forte pour les Etats les plus peuplés.
Le nombre des voix serait multiplié par 2,5 pour l'Allemagne, l'Espagne,
la France, l'Italie et le Royaume-Uni ; par 2,4 pour les Pays-Bas, et par 2
pour les autres Etats membres, sauf le Luxembourg pour lequel le coefficient
multiplicateur serait de 1,5. Ces règles seraient ensuite
appliquées aux pays candidats.
Je pense que nous pourrions, à titre indicatif, nous prononcer pour une
formule de ce type, qui aurait pour effet de préserver
l'équilibre actuel entre " grands " et " petits "
Etats au-delà de l'élargissement.
Un problème particulier se pose dans le cas de l'Espagne. Ce pays est
assimilé aux " grands " Etats dans le cas de la Commission
européenne, puisqu'il nomme deux commissaires, mais au sein du Conseil,
il dispose de huit voix, contre dix aux " grands " Etats. Si les
" grands " Etats perdent leur second commissaire, comme il en est
assez fortement question, l'Espagne décrochera complètement du
groupe des " grands " ; pour éviter cela, elle sera
amenée à demander d'être intégrée, au
Conseil, au groupe des " grands ". Il me semble que cette
revendication devrait être examinée dans un esprit constructif,
surtout si l'on raisonne en termes d'équilibre Nord/Sud de la
Communauté.
*
Comme je
l'ai indiqué au début de mon propos, un renforcement de la
capacité de décision du Conseil passe également par une
réforme du régime de la majorité qualifiée.
Le premier élément possible d'une réforme serait
l'abaissement du seuil de la majorité qualifiée. Ce seuil est
actuellement de 71 % des voix. Retenir un seuil plus bas (les deux tiers,
voire les trois cinquièmes) faciliterait à l'évidence
l'obtention d'une majorité.
On doit souligner qu'il y a un lien nécessaire entre l'abaissement du
seuil de la majorité qualifiée et une repondération des
votes. En effet, avec un seuil plus bas pour la majorité
qualifiée, en l'absence de repondération, on pourrait aboutir
après l'élargissement à une situation où la
majorité qualifiée représenterait une minorité de
la population, ce qui serait évidemment inacceptable.
Sous réserve de cette question de la repondération, je vous
propose de soutenir une telle réforme, qui rendrait plus difficile la
formation de minorités de blocage.
Deuxième aspect possible d'une réforme, l'extension du domaine
des décisions prises à la majorité qualifiée.
Quelque quarante-six articles des traités, selon un premier recensement,
prévoient encore des décisions à l'unanimité.
Il est clair qu'une plus grande efficacité suppose d'en réduire
le nombre.
On peut sans doute juger vain d'entrer dans un vaste débat sur une
généralisation de la majorité qualifiée à
tous les domaines, puisqu'il n'y a aucune chance qu'il y ait unanimité
sur une telle formule.
Mais je crois que nous pourrions soutenir sans irréalisme une large
extension du domaine de la majorité qualifiée, je pense en
particulier aux matières suivantes relevant du traité sur la
Communauté européenne :
- certains aspects de la politique sociale communautaire (une partie de
celle-ci relève déjà de la majorité
qualifiée),
- l'accès aux professions réglementées,
- les aides d'Etat,
- l'harmonisation de la fiscalité indirecte,
- le rapprochement des législations ayant une " incidence
directe " sur le fonctionnement du marché intérieur,
- l'assistance financière exceptionnelle à un Etat membre,
- la politique culturelle,
- la politique industrielle,
- les fonds structurels,
- certains aspects de la politique de l'environnement, à
l'exception des choix énergétiques.
En revanche, il me paraît guère possible de décider
à la majorité qualifiée dans des domaines touchant au
fonctionnement des institutions.
*
J'en
viens au fonctionnement du Conseil. Je n'entrerai pas très en
détail dans cette problématique, puisqu'elle n'entre pas
directement dans le champ de la CIG.
Les problèmes sont au demeurant bien connus :
- trop de questions remontent vers le Conseil européen, affectant
le sérieux de ses travaux ;
- le Conseil " Affaires générales ",
absorbé par la PESC, n'assure plus la coordination des travaux du
Conseil ;
- les formations du Conseil se sont multipliées (il y en avait
trois à l'origine : affaires générales, affaires
économiques et financières, agriculture ; il y en a une
vingtaine aujourd'hui) et il n'existe aucune hiérarchie entre ces
différentes formations ; cette multiplication des conseils
spécialisés favorise l'inflation législative, en
méconnaissance du principe de subsidiarité ;
- la rotation de la présidence tous les six mois nuit à la
continuité des travaux du Conseil, et constitue une charge de plus en
plus lourde pour l'Etat qui l'assume, à mesure que l'Union
s'élargit.
Le débat sur ces difficultés est déjà ancien, et
une mesure importante a été prise avec la création du Haut
représentant pour la PESC, dont le rôle sera notamment de
favoriser la continuité de l'action du Conseil dans le domaine des
relations extérieures.
Mais d'autres mesures sont aujourd'hui évoquées, en
particulier :
-
la réduction du nombre des formation du Conseil
,
-
l'octroi au Conseil " Ecofin " d'un pouvoir d'arbitrage
chaque fois que le budget communautaire est en jeu
,
-
la nomination par chaque Etat d'un ministre siégeant à
Bruxelles
, pour constituer une formation du Conseil spécialement
chargée de coordonner les travaux du Conseil et d'assurer leur
cohérence.
Je pense que nous devrions soutenir ces propositions qui donneraient au Conseil
un fonctionnement plus efficace, plus proche de celui d'un Gouvernement.
Il paraît en effet difficilement acceptable que des ministres
spécialisés puissent se réunir et prendre certaines
décisions sans que la nécessaire disponibilité
budgétaire ait été suffisamment examinée par les
formations compétentes du Conseil.
De même, si l'on veut que les citoyens comprennent quelque chose aux
institutions européennes, il faut éviter que le Conseil
" éducation " adopte sans débat une décision
concernant la pêche, comme c'est périodiquement le cas, le Conseil
étant réputé un et indivisible quelles que soient les
formations dans lesquelles il siège.
Il faut donc une coordination effective, qui rende intelligible le processus de
décision et qui permette d'identifier les responsabilités. Cette
coordination, à mon sens, permettrait également de mieux
appliquer le principe de subsidiarité, en contrôlant les
initiatives des Conseils spécialisés.
Surtout, donner un rôle de coordination à des ministres
spécialement chargés de cela et siégeant à
Bruxelles aiderait à rétablir la primauté du politique,
alors que la complexité actuelle du fonctionnement et
l'éparpillement des responsabilités ne laissent parfois
aujourd'hui aux responsables ministériels qu'un rôle assez
limité.
Or, l'autorité très forte dont dispose le Conseil européen
dans le système institutionnel de l'Union montre bien que, quand le
politique est en situation de jouer son rôle, il retrouve toute sa
capacité d'impulsion.
*
Je vous
propose donc, au total, les trois grandes orientations suivantes :
-
une repondération des votes
doit être la base d'une
réforme ;
- elle doit s'accompagner d'
un abaissement du seuil de la
majorité qualifiée et, surtout, d'une large extension du domaine
des décisions à la majorité qualifiée
;
-
le fonctionnement du Conseil doit être
réformé
pour le rendre à la fois plus efficace et plus
compréhensible ; pour cela, il serait notamment nécessaire
de confier une tâche de coordination à des ministres
désignés à cet effet et siégeant à
Bruxelles.
b) Compte rendu sommaire du débat
M. Hubert Haenel :
Je rappelle quelle sera notre méthode de travail. Lorsque les différentes communications auront été présentées -chacune abordant un des principaux aspects de la CIG- nous aurons un débat de synthèse, qui débouchera sur le rapport de la délégation.
M. Jean-Pierre Fourcade :
Les propositions du rapporteur sont précises et claires. Elles ne constitueraient pas un bouleversement, mais permettraient d'avancer. Nous devons aborder la CIG avec un souci d'efficacité. On ne peut trop demander aux " petits " Etats : il y a un lien à trouver entre la réforme de la Commission et celle du Conseil pour qu'ils n'aient pas le sentiment que l'on cherche à les marginaliser.
M. Hubert Haenel :
Il est généralement envisagé qu'en contrepartie d'une nouvelle pondération au Conseil, les " grands " Etats pourraient perdre leur second commissaire.
M. Aymeri de Montesquiou :
Dans le domaine de la pondération des votes, un statu quo est impensable. Pour prendre un exemple extrême, l'écart démographique est de 1 à 200 entre le Luxembourg et l'Allemagne, tandis que l'écart en nombres de voix au Conseil est de 1 à 5. La proposition que j'ai avancée ferait passer cet écart de 1 à 8 : il me semble que c'est bien le moins !
M. Robert Badinter :
Il est souhaitable qu'avant l'adoption de notre rapport définitif, nous soyons mieux informés sur les positions des autres Etats membres. Ces questions doivent être abordées avec tact : le Luxembourg est un des membres fondateurs de la Communauté. Essayons de savoir " jusqu'où l'on peut aller trop loin ".
M. Aymeri de Montesquiou :
Nous savons tous que les institutions européennes ont été dessinées pour six Etats. A douze, les Etats étaient serrés aux entournures ; à quinze, le costume commence à craquer : au-delà, il restera un short ! On ne peut faire l'économie d'une réforme. Bien entendu, la négociation doit porter sur les différents aspects de l'équilibre entre Etats membres. J'observe par ailleurs que les Etats qui frappent à la porte ont souvent une attitude ouverte en matière d'institutions.
M. Louis Le Pensec :
Je ne
critique pas notre méthode de travail : il est bon d'examiner les
différents sujets un par un. Mais tout se tient : la
pondération des votes, le nombre des commissaires, et aussi le
problème des " coopérations renforcées ".
Faciliter le fonctionnement d'une Europe à plusieurs vitesses, avec des
groupes d'Etat jouant un rôle moteur, est aussi un aspect de cet
approfondissement qui doit précéder l'élargissement.
Je crois cependant que le Gouvernement a raison de ne pas vouloir trop
" charger la barque " de la CIG. Les propositions de notre
rapporteur, apparemment modestes, représenteraient déjà en
réalité un changement conséquent : en particulier, ce
qu'il suggère pour l'extension de la majorité qualifiée
-à quoi j'aurais tendance à souscrire- représenterait un
transfert de souveraineté important. L'idée de prévoir des
ministres siégeant à Bruxelles peut être
intéressante, mais je m'interroge sur la manière dont cette
nouvelle formation du Conseil pourrait jouer son rôle.
M. Aymeri de Montesquiou :
Le problème, me semble-t-il, est que les différentes formations du Conseil sont trop autonomes, permettant parfois une politique du fait accompli. Il faut une remise en ordre, pour plus de cohérence et d'efficacité. Cela suppose qu'il y ait une formation du Conseil capable d'assurer une coordination, et qu'il y ait un contrôle exercé par le Conseil Ecofin sur les engagements pris. Au fond, cela se résume au fait que le Conseil devrait fonctionner davantage comme un Gouvernement, de manière à restaurer la primauté du politique.
M. Jean-Pierre Fourcade :
Il est vrai que la situation actuelle donne un grand poids aux infrastructures administratives. Par ailleurs, j'ai vécu la complexité des Conseils " Jumbo " (réunissant conjointement plusieurs formations du Conseil) où déjà les ministres d'un même pays doivent s'entendre entre eux, ce qui n'est pas toujours simple. Il faut une coordination, mais je crois qu'elle devrait s'exercer sous l'égide des ministres des Affaires étrangères. Des ministres résidant à Bruxelles devraient être placés sous leur autorité.
M. Louis Le Pensec :
A côté des insuffisances -réelles- que recèle le fonctionnement du Conseil, il faut également observer que les résultats obtenus sont remarquables. C'est une mécanique bien rodée, qui parvient souvent à déjouer les pronostics pessimistes. Le Conseil " Affaires générales " assure malgré tout une certaine vision d'ensemble. Par ailleurs, tout ministre siégeant au Conseil représente tout le Gouvernement et peut l'engager. Il faut donc réfléchir avec beaucoup de soin à une éventuelle réforme.
M. Aymeri de Montesquiou :
Il me semble que des ministres résidant à Bruxelles devraient recevoir une autorité spécifique pour pouvoir jouer leur rôle ; sans doute devraient-ils dépendre directement du Premier ministre. De l'avis général, les ministres des Affaires étrangères, accaparés par d'autres tâches, ne parviennent plus à coordonner les travaux du Conseil. Et comment faire comprendre aux citoyens que le Conseil " Education " puisse prendre, par exemple, des décisions concernant la pêche ou l'agriculture ?
M. Louis Le Pensec :
Certes,
mais il s'agit de points " A ", c'est-à-dire de points
adoptés sans débat : un accord existe déjà, et
l'adoption par telle ou telle formation du Conseil est purement formelle.
Par ailleurs, je voudrais souligner que, du moins dans le cas de la France, la
coordination interministérielle est assurée très
efficacement par le SGCI, en liaison avec le Cabinet du Premier ministre, qui
est en position d'arbitrer.
M. Robert Badinter :
Est-ce qu'au fond ces questions relèvent de la révision des traités ou de l'organisation de chaque Etat membre ? Les traités n'ont pas à entrer dans les structures gouvernementales des pays membres. Je doute au demeurant que certains Etats soient disposés à adopter la formule proposée, qui risque de leur paraître un élément de complexité supplémentaire.
M. Aymeri de Montesquiou :
Même si, effectivement, de telles questions ne relèvent pas des traités, la CIG peut être l'occasion de donner une impulsion. Or, tous les pays font le même constat : les formations du Conseil sont trop nombreuses et mal coordonnées. Une instance de coordination dotée d'une réelle autorité serait également une garantie pour les citoyens, qui auraient le sentiment que la machinerie du Conseil est bien contrôlée par des responsables politiques. Par ailleurs, les modalités pratiques de mise en oeuvre pourraient être adaptées aux particularités des structures gouvernementales de chaque pays.
M. Serge Lagauche :
Le maintien de l'unanimité sur les questions institutionnelles est peut-être inévitable, mais, pour ma part, je ne serais pas opposé à ce que la décision à la majorité qualifiée soit introduite dans ce domaine pour certains aspects au moins. Par ailleurs, devons-nous demander l'unanimité pour ce qui concerne l'énergie nucléaire ? Je n'en suis pas persuadé. Nous risquons d'être isolés sur ce point.
M. Aymeri de Montesquiou :
Sur l'énergie nucléaire, je ne suggère pas de demander la règle de l'unanimité : elle existe déjà. Je défend le statu quo , et il me semble que c'est la prudence. Sommes-nous prêts à envisager que la Communauté nous impose à la majorité qualifiée d'abandonner notre industrie nucléaire ? Je ne le crois pas. Je doute d'ailleurs que les autres Etats membres soient disposés à être éventuellement mis en minorité sur leurs choix énergiques essentiels.