2. La volonté d'échapper aux prélèvements fiscaux et sociaux français

Pour un nombre croissant d'entrepreneurs et de cadres, la recherche d'une fiscalité moins pénalisante demeure la motivation essentielle de leur expatriation. Les prélèvements obligatoires français sont, en effet, parmi les plus élevés, non seulement en Europe, mais dans le monde.

TAUX DE PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES EN 1998

 

Taux de prélèvements obligatoires

(en % du PIB)

Belgique

48,7

France

44,9

Pays-Bas

44,6

Italie

43,8

Zone euro

43,1

Allemagne

42,4

Royaume-Uni

38,8

Canada

37,4

OCDE

36,8

Espagne

36,5

Etats-Unis

34,4

Japon

30,8

Source : Rapport économique, social et financier du projet de la loi de finances pour 2000

En 1998, le taux des prélèvements obligatoires s'élevait en France à 44,9 %, soit 1,8 point de PIB au dessus de la moyenne de la zone Euro et 8,1 points de PIB au dessus de la moyenne des pays de l'OCDE.

Certains prélèvements pèsent plus particulièrement sur les cadres et les entrepreneurs tels que les impositions sur le patrimoine et les revenus des personnes physiques, d'autres concernent les entreprises.

a) La fiscalité du patrimoine constitue pour les chefs d'entreprises innovantes qui réussissent une des principales causes d'expatriation

Un certain nombre d'entrepreneurs qui ont particulièrement bien réussi en France s'établissent à l'étranger pour échapper à l'impôt sur la fortune ou à la fiscalité française des plus-values .

Un impôt sur la fortune qui incite ceux qui réussissent à partir

La délocalisation de certains patrimoines en vue d'échapper à l'ISF est aussi ancienne que cet impôt introduit en France en 1982, et qui n'a d'équivalent ni dans la majorité des pays de l'Union européenne, ni aux Etats-Unis.

Six pays de l'Union ont constitué un impôt sur la fortune. La France est celui où l'imposition est la plus lourde. Le régime français avec sa forte progressivité, son taux marginal et un seuil de plafonnement élevés est particulièrement rigoureux et conduit le Conseil des impôts à estimer que : " l'impôt français (l'ISF) semble cumuler tous les défauts des impôts sur la fortune " 50( * ) .

L'ISF, qui est depuis longtemps à l'origine des délocalisations de nombreuses grandes fortunes, provoque aujourd'hui le départ d'une génération de créateurs d'entreprises innovantes.

Les règles de l'ISF relatives aux biens professionnels subordonnent leur exonération à deux conditions : le contribuable doit être le dirigeant de l'entreprise et posséder plus de 25 % de son capital. Si cette dernière condition n'est pas remplie, un dirigeant d'entreprise peut néanmoins être exonéré sur les parts qu'il détient dans sa société, si celles-ci représentent plus de 75 % de son patrimoine. Ces dispositions qui peuvent se justifier pour les entreprises patrimoniales traditionnelles, sont mal adaptées aux nouvelles entreprises innovantes qu'elles pénalisent.

Leur développement passe, en effet, par trois phases successives qui s'enchaînent en général rapidement : fonds d'amorçage, intervention du capital risque, recours aux marchés de capitaux par l'introduction en bourse. Les apports successifs de capitaux extérieurs qui interviennent à chaque " tour de table ", ont pour contrepartie la cession des parts qui, au démarrage, appartiennent aux principaux dirigeants. Ceux-ci perdent progressivement, mais rapidement, le contrôle de l'entreprise qu'ils ont créée.

Ils acceptent de perdre le contrôle capitalistique de leur société pour en financer la croissance et en assurer la valorisation dont eux-mêmes bénéficient à concurrence des parts qu'ils conservent. En " fin de cycle ", c'est à dire après l'introduction en bourse, le ou les principaux dirigeants ne détiennent souvent pas plus de 10% de l'entreprise fondée quelques années plus tôt. Dès lors, ces dirigeants sont imposés à l'ISF alors même que leur société, quoique très bien valorisée par le marché, ne dégage pas ou peu de revenu.

Les interlocuteurs du Groupe de Travail ont cité un exemple vécu : une entreprise est valorisée au Nouveau Marché à 250 millions de francs ; le créateur qui la dirige détient 10 % du capital soit 25 millions de francs, dispose d'un autre actif de 5 millions de francs en biens immobiliers, de 5 millions de francs en épargne et autres immobilisations ; son salaire, après déduction des charges patronales, salariales et fiscales, s'élève à 350.000 francs par an ; il est redevable, en application de l'ISF d'une somme égale à l'ensemble de ses revenus salariaux. En effet, il possède moins de 25% des parts de son entreprise et celles-ci représentent moins de 75% de son patrimoine total (35 millions de francs dont 25 millions de francs de biens professionnels et 10 millions de francs de biens non professionnels). Il acquitte l'ISF sur un patrimoine de 35 millions de francs, soit environ 350 000 francs par an, c'est-à-dire l'intégralité de ses revenus annuels.

Pour les entrepreneurs concernés, un tel dispositif est injuste et choquant. Il pénalise les dirigeants d'entreprises à forte croissance par rapport aux autres. Il épargne les oeuvres d'art qui ne créent ni richesse, ni emplois et traite de la même façon un investissement productif et l'achat d'un yacht.

L'impact de l'ISF est accru par un taux marginal élevé et un plafonnement de l'impôt défavorable aux détenteurs de patrimoine. La loi de finances pour 1989 avait instauré un plafonnement de l'ISF pour éviter que cet impôt n'excède les revenus perçus au cours de l'année. Mais en 1996, ce plafonnement qui avait été fixé à 85 % du revenu, a été limité de façon rigoureuse.

Par ailleurs, la loi de finances pour 1999 a édicté trois mesures qui ont contribué à durcir le dispositif :

- l'absence d'actualisation du barème pour la deuxième année consécutive ;

- l'intégration de la majoration spéciale de 10 % introduite par la loi de finances rectificative de 1985 dans la cotisation de l'impôt de solidarité sur la fortune ;

- la création d'une nouvelle tranche marginale au taux de 1,8 % pour la fraction les patrimoines supérieurs à 100 millions de francs.

Comme le souligne M. Jean-Pierre Brard, député, dans un récent rapport sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales " pour les titulaires de patrimoine très élevé (...), le cumul IR et ISF peut ainsi s'avérer confiscatoire. Ce caractère confiscatoire est à l'origine de certains départs à l'étranger . " 51( * ) Ces propos, qui émanent d'un membre de la majorité plurielle, traduisent l'amorce d'une prise de conscience des délocalisations provoquées par l'ISF, phénomène particulièrement marqué dans le secteur des nouvelles technologies où les entreprises sont capitalisées à des niveaux sans rapport avec leur revenu.

Pour certains patrimoines, l'incitation au départ est donc particulièrement forte. Ainsi l'étude menée par la Direction Générale des Impôts sur les délocalisations de contribuables personnes physiques montre que les expatriés dont le patrimoine est supérieur à 60 millions de francs auraient payé en moyenne en France 1,6 million de francs au titre de l'ISF et plus d'un million au titre de l'impôt sur le revenu. La DGI observe que " pour ces contribuables, il paraît crédible que la fiscalité soit à l'origine de la décision d'expatriation, c'est en effet dans le total constitué par l'ISF, l'impôt sur le revenu et la taxation sur les plus values qu'il faut chercher le déclencheur éventuel de la délocalisation " 52( * ) .

La fiscalité des plus-values

Les créateurs d'entreprises rencontrés qui revendent leur société, le font, en général, pour en créer une autre. Ce qui signifie qu'ils sont plus sensibles à la fiscalité des plus-values qu'à l'impôt sur les sociétés.

Or, le régime fiscal français des plus-values, avec un seuil déclenchant l'imposition faible, un taux d'imposition de 26 % élevé par rapport à celui appliqué dans certains Etats de l'Union et l'absence d'exonération ou de taux réduit, n'est pas bien placé. C'est ce que souligne un récent rapport sur " la taxation de l'épargne et les risques de délocalisation " établi par l'Association française des établissements de crédit 53( * ) .

De nombreux entrepreneurs rencontrés par le Groupe de Travail émigrent en Belgique ou au Pays-Bas où les plus-values ne font l'objet d'aucune taxation. Pour des sociétés Internet dont la capitalisation a été multipliée par 10 ou 20, le gain fiscal d'une telle délocalisation peut être considérable.

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