PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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RÉPRESSION DE L'ACTIVITÉ DE MERCENAIRE

Adoption d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire
Art. unique

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 287, 2001-2002) relatif à la répression de l'activité de mercenaire. [Rapport n° 142 (2002-2003).]

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le mercenariat est une pratique aussi ancienne que les armées organisées. C'est aussi une pratique qui s'est révélée parfois dangereuse pour ceux qui y ont recours. Souvenez-vous de la révolte des mercenaires de Carthage décrite par Flaubert dans Salammbô !

M. André Dulait, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, et M. Michel Pelchat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Et les Suisses !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Depuis une dizaine d'années, les bouleversements de l'ordre international donnent au mercenariat une actualité toute particulière en raison de la conjonction de deux phénomènes.

D'une part, avec les changements d'orientation des principales institutions financières, qui ont des répercussions sur un certain nombre de pays en voie de développement, et la fin des subventions liées à la guerre froide, de nombreux Etats en voie de développement se sont trouvés affaiblis. Les conflits de basse intensité s'y multiplient, notamment en Afrique. Les événements actuels de Côte d'Ivoire le démontrent suffisamment.

D'autre part, la réduction de format des armées de l'hémisphère nord et le désengagement militaire des grandes puissances sur certains continents, liés à la fin de la guerre froide, ont réduit la stabilité de vastes régions. De surcroît, de nombreux professionnels des armées se sont trouvés disponibles sur ce que l'on peut appeler le marché de la guerre.

Dans ce contexte, le mercenariat a pris une ampleur dangereuse, contre laquelle la France se doit de lutter. Et elle doit le faire en adoptant une législation ferme et équilibrée.

Le mercenariat est un phénomène dangereux. Il déstabilise les Etats en entretenant des foyers de conflits. Il entraîne une dilution du concept de défense tel que la France l'a toujours entendu, en favorisant la privatisation des forces armées.

C'est ainsi que sont apparues de véritables entreprises de guerre, souvent d'origine anglo-saxonne, d'ailleurs. A l'inverse du mercenariat « classique », elles proposent à des Etats dont la structure est délabrée des prestations à caractère militaire, qui contribuent à la « marchandisation » des conflits et qui attisent les passions.

La France entend lutter contre le mercenariat, car il est de son devoir moral de contribuer à la lutte contre ce phénomène.

La France se reconnaît des obligations en matière de protection de la paix. Celles-ci valent tout particulièrement pour le continent africain, le plus touché par ce phénomène et avec lequel nous avons des liens historiques et affectifs. C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous avons fait pression sur le gouvernement ivoirien pour qu'il renonce à l'emploi de mercenaires.

Mais cette action politique que nous pouvons mener ponctuellement doit être complétée par un arsenal juridique approprié.

Par ailleurs, il convient de noter que, lorsqu'ils sont français, les mercenaires suscitent parfois une confusion préjudiciable aux intérêts de notre pays, surtout lorsqu'ils interviennent dans des conflits où nos propres armées se trouvent impliquées. L'exemple que je citais tout à l'heure en est une démonstration.

La France entend donc appréhender ce phénomène de façon ferme, mais mesurée. Il ne saurait en effet être question de dénier aux Etats le droit de se défendre en renforçant à cet effet leur appareil militaire et en recrutant les personnels dont ils ont besoin. Ce serait aller à l'encontre du souci de stabilité et de paix qui est celui de la France.

Il convient donc d'encadrer le phénomène du mercenariat en sanctionnant ses manifestations les plus condamnables, mais sans entraver toute possibilité de renforcer la protection des Etats.

Ce n'est pas à ce souci d'équilibre que nous paraît répondre la convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires adoptée le 4 décembre 1989. C'est pourquoi la France n'a pas ratifié cette convention. En effet, en incriminant toute participation à des conflits armés, ce texte n'apporte pas au phénomène du mercenariat la réponse nuancée qu'il convient.

L'imprécision de la définition du concept de mercenaire contenue dans cette convention fait ainsi courir le risque que les Français présents dans le pays en conflit aux côtés des forces armées en présence soient qualifiés de mercenaires.

Par ailleurs, les règles de compétence prévues par cette convention permettraient à des Etats parties à ce texte, bien qu'étrangers au conflit en cause, de juger des Français pour des faits de mercenariat au nom d'une compétence juridictionnelle universelle.

Un tel texte risque de provoquer des conflits de compétence entre juridictions nationales et il ne garantit pas les droits de nos ressortissants.

Il convient donc d'adopter un dispositif équilibré. C'est le cas du présent projet de loi.

Ce texte vise à instituer une incrimination à la fois rigoureuse dans ses éléments constitutifs et large dans son champ d'application.

Il repose, d'abord, sur une définition précise du mercenariat. Seule sera prise en compte la participation directe à un conflit armé.

Ne seront concernées que les personnes spécialement recrutées à cet effet en vue d'obtenir un avantage personnel ou une rémunération importante. Ces personnes ne devront être ni ressortissantes d'un Etat partie au conflit, ni membres des forces armées de cet Etat, ni envoyées en mission auprès d'une des parties au conflit.

Le projet de loi tend également à répondre à la diversité des situations rencontrées. Les types de conflits visés ne concernent pas les seuls conflits armés internationaux. Sont également intégrés - ils se sont développés au cours de ces dernières années - les conflits armés internes et les actes concertés de violence destinés à renverser les institutions ou à porter atteinte à l'intégrité territoriale d'un Etat.

Les activités répréhensibles sont celles des mercenaires, mais aussi celles qui sont relatives à l'organisation même du mercenariat, à sa direction, à son recrutement et à son financement. En effet, des agences de recrutement et de placement des mercenaires se sont développées ces dernières années et c'est cela qui est visé.

Pourront être poursuivis les Français, mais aussi des étrangers résidant habituellement en France. Le projet de loi permet l'incrimination non seulement des personnes physiques, mais également des personnes morales qui participent à l'organisation du mercenariat.

Ce projet de loi répond à une demande pressante et justifiée de pays amis, principalement africains, de réprimer une activité qui contribue fortement à la déstabilisation de leurs équilibres internes et à la pérennisation des conflits.

Il faut reconnaître que ce texte comble également une lacune de notre propre droit interne. Il présente donc un intérêt à la fois national et international.

J'espère, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il recueillera un large consensus au sein de votre Haute Assemblée. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Pelchat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire, dont nous débattons aujourd'hui, est un texte important, même s'il se résume à un article unique et à un dispositif relativement succinct. Il est heureux qu'en dépit d'un ordre du jour chargé - et j'en remercie le bureau du Sénat - l'examen de ce texte ait pu être maintenu au programme des travaux de notre assemblée, car il renvoie à la réalité des conflits qui, malheureusement, perdurent dans de nombreuses régions du monde, et tout particulièrement, comme l'a dit Mme la ministre, en Afrique.

Le contexte international actuel offre effectivement un terreau favorable au développement du mercenariat. Les crises régionales et les foyers de tension se multiplient dans des pays instables qui ne disposent plus du soutien militaire des grandes puissances. A l'augmentation de la demande répond celle de l'offre, puisque la réduction du format des armées, tant à l'Ouest qu'à l'Est, a laissé disponibles des professionnels bien formés, parfois tentés d'offrir leurs services à des commanditaires étrangers. Ces professionnels sont souvent issus des forces spéciales de ces différents pays.

Les dérives qui résultent de ces pratiques alimentent l'instabilité dans plusieurs régions du monde. La politique que mène notre pays sur la scène internationale a pu se trouver, en bien des occasions, contrariée par l'action de certains de nos ressortissants impliqués dans des activités de mercenariat.

Il était donc important de renforcer une législation actuellement très imparfaite face à ce type de phénomène et de montrer clairement la détermination de la France à lutter contre ces pratiques.

C'est l'objet du présent texte. Déposé durant les derniers jours de la précédente législature, il a été repris par le Gouvernement, qui a souhaité ainsi montrer tout à la fois l'actualité du problème et la nécessité d'y apporter rapidement une première réponse.

La commission des affaires étrangères a pleinement approuvé ce projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire, qui présente, à nos yeux, quatre mérites.

Premièrement, ce texte comble un vide juridique. En effet, comme nous avons pu le constater à l'occasion d'affaires récentes, notre code pénal ne comporte pas de dispositions suffisamment efficaces pour réprimer ce type d'agissements qui se produisent, de surcroît, hors du territoire national. Je ne rappellerai pas ici les aventures de Français qui, engagés aux Comores, sont aujourd'hui accusés d'association de malfaiteurs, chef d'inculpation qui s'adapte assez mal à la réalité des faits pouvant leur être reprochés. Deuxièmement, le texte qui nous est proposé fonde l'incrimination de l'activité de mercenaire sur une définition extrêmement précise et rigoureuse et qui repose sur six critères largement reconnus par le droit international, puisqu'ils sont repris du protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949. La précision de la rédaction proposée doit permettre d'éviter que certaines situations, qui n'ont rien d'illégitime, ne soient abusivement assimilées au mercenariat.

Troisièmement, le texte s'applique à un ensemble très varié de situations, et pas seulement aux conflits internationaux. Sont ainsi visés les conflits internes, mais également certaines situations troublées qui, sans constituer, à proprement parler, des conflits, mettent cependant en cause la stabilité des Etats, comme les tentatives de coup d'Etat, que vous avez mentionnées, madame la ministre.

Enfin, le texte prévoit des peines aggravées pour ceux qui organisent ou dirigent les activités de mercenaires et permet la mise en cause de la responsabilité pénale des personnes morales, ce qui nous paraît essentiel pour éviter que ne se développent des activités illégales sous le paravent de sociétés opérant dans le domaine de la sécurité, du gardiennage, ou autre vocable de ce style.

Ce dispositif nous a donc paru satisfaisant, d'autant qu'un mécanisme est prévu pour faciliter l'exercice des poursuites, les conditions habituellement exigées lorsque le délit est commis à l'étranger étant levées.

Certes, ce projet de loi demeure limité dans son objet. Il n'a pas vocation à aborder tous les aspects de l'intervention, dans le domaine militaire, d'éléments privés, qu'il s'agisse d'individualités ou d'opérateurs spécialisés en matière de sécurité.

Le débat qui est engagé en Grande Bretagne, de manière très approfondie, entre Gouvernement et Parlement, démontre la complexité du sujet et la grande variété des questions soulevées par le rôle croissant d'organisations privées dans les activités de sécurité, y compris celles qui ont une vocation militaire. J'ai brièvement présenté dans mon rapport écrit l'état actuel de ce débat outre-Manche. Nos homologues de la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes témoignent, sur la question des « sociétés militaires privées », d'un grand pragmatisme, tout en soulignant l'intérêt et la nécessité de contrôler de telles activités.

Pour ce qui concerne la France, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui constitue incontestablement une avancée, mais il sera nécessaire d'aller plus loin dans la réflexion et, sans doute, d'engager une concertation entre partenaires européens, tant nos législations et nos approches paraissent aujourd'hui disparates. En conclusion, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées approuve pleinement ce projet de loi. Il permet, en effet, de combler rapidement un vide juridique pour doter notre pays de moyens plus efficaces en vue de réprimer des agissements non seulement dangereux pour la stabilité internationale, mais aussi contraires aux intérêts de la France et aux principes qu'elle défend dans les relations internationales. Aussi, au nom de la commission, je vous demande, mes chers collègues, de l'adopter. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.

M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire déposé par le précédent gouvernement avait pour objet de combler les lacunes du droit français en matière de prévention et de répression de l'activité des mercenaires. Il n'avait pu être inscrit à l'ordre du jour du Sénat du fait de la longue période électorale du premier semestre 2002.

Le groupe socialiste de l'Assemblée nationale a donc déposé, le 18 décembre dernier, sur l'initiative de M. Paul Quilès, une proposition de loi reprenant ce texte ; il nous est aujourd'hui proposé en première lecture.

Mes collègues et moi-même ne pouvons que nous féliciter de l'inscription à l'ordre du jour d'un projet de loi qui traduit une véritable volonté politique de lutter contre un phénomène ancien, mais dont les contours ont sensiblement évolué, et qui, loin de disparaître, se redéploie aujourd'hui sous des formes plus difficiles à appréhender, dans un flou juridique croissant.

En effet, l'appréhension du mercenariat, tel qu'il est défini par l'article 47 du protocole I du 8 juin 1977 additionnel aux conventions de Genève, s'avère complexe et pose actuellement problème, puisque, au mercenariat traditionnel, voire artisanal, de l'après-décolonisation, se juxtapose aujourd'hui une nouvelle forme de mercenariat reposant sur des sociétés privées pouvant fournir des services militaires « clé en mains ».

Ces sociétés militaires privées peuvent organiser et assurer, à la demande d'un Etat ou d'une entreprise, des tâches de sécurité, de logistique, de renseignement, de formation des militaires, pour suppléer, le cas échéant, les forces gouvernementales.

Ces sociétés, comme la société américaine MPRI, se distinguent par l'éventail des services qu'elles sont en mesure de proposer - du conseil, en passant par la formation, jusqu'à l'intervention armée directe - et par leur notoriété, puisque la plupart d'entre elles ont pignon sur rue. Ainsi, la société MPRI est dirigée en grande partie par d'anciens officiers militaires américains et organise des programmes d'appui à la sécurité pour le compte de gouvernements du monde entier.

Au Nigeria, par exemple, à la suite du rétablissement de la démocratie, en 1999, après la mort du général Sani Abacha, cette entreprise a remporté le marché pour aider les responsables nigérians de la défense à élaborer un plan d'action en matière de défense, le gouvernement américain et le gouvernement du Nigeria se partageant, de façon égale d'ailleurs, le financement des contrats qui lui sont confiés.

En Croatie également, avec l'agrément du Département d'Etat américain, cette société a pu fournir une assistance logistique et stratégique en 1995.

Dans ce contexte, le Royaume-Uni, pays membre de l'Union européenne, développe, lui aussi, une approche particulière de la question du « mercenariat ». En effet, plusieurs de ces « entreprises de sécurité », qu'il s'agisse des sociétés militaires privées ou encore des sociétés de sécurité privées, y sont implantées et bien connues. Plusieurs cas d'implication directe de ces sociétés britanniques dans des conflits armés en Angola, en Sierra Leone, en Papouasie-Nouvelle-Guinée ou en Croatie, notamment, ont d'ailleurs défrayé la chronique britannique depuis 1995.

Les autorités britanniques tendent aujourd'hui à considérer le travail de ces entreprises privées comme naturel, allant de soi. Dans une réponse à la commission des affaires étrangères de la Chambre des communes, le ministre des affaires étrangères constatait d'ailleurs : « Nous nous trouvons dans un monde où les guerres sont à petite échelle et où les Etats sont faibles. Nombre de ces Etats ont besoin d'aide extérieure pour maintenir l'ordre chez eux. Il se peut aussi que la communauté internationale ressente le besoin d'intervenir davantage. Dans le même temps, dans les pays développés, le secteur privé est en train de s'impliquer de plus en plus dans des activités militaires et de sécurité. »

La Grande-Bretagne cherche donc actuellement à fixer les règles du jeu, afin que ces sociétés militaires privées puissent mener leurs activités dans un cadre légal. Il s'agit aussi, de manière concomitante, de permettre aux ministères concernés de bénéficier des informations récoltées par ces sociétés militaires privées. Loin de vouloir entraver leur action, le gouvernement britannique tente donc de créer une sorte de symbiose entre l'action extérieure de défense officielle étatique et celle des sociétés privées. Cela mérite que nous nous interrogions.

Le gouvernement travailliste n'est donc pas hostile à l'emploi de sociétés militaires privées dans le cadre d'opérations de maintien de la paix, d'accompagnement des opérations humanitaires, de soutien à des opérations militaires de l'ONU ou encore de déminage : bref, tout ce qui est un peu « l'après-guerre ».

Cette politique s'inscrit dans le prolongement d'un processus, déjà en cours au sein du ministère de la défense britannique, d'externalisation des services vers des sociétés privées.

Or la situation née des conflits postérieurs à la chute du mur de Berlin semble devoir entraîner un recours accru à des forces privées et donc marquer le passage à l'instauration d'un véritable « marché de la violence », marché qui échappe, dans une certaine mesure, au contrôle des Etats, tout au moins les plus faibles. Ainsi, force est de le constater, entre le délitement des Etats et un libéralisme économique non maîtrisé, la place existe aujourd'hui pour le développement d'un domaine militaire privé au bénéfice de ceux qui peuvent financer un service naguère pris en charge par les Etats.

La France voit à son tour se développer de telles sociétés qui tentent d'occuper ce nouveau créneau. Nous avons notamment pu constater la présence, en Côte d'Ivoire - la presse s'en est fait l'écho ces derniers jours -, d'entreprises privées qui ont organisé l'évacuation des ressortissants étrangers pour le compte de sociétés françaises.

Est-ce une évolution souhaitable ? La question mérite d'être posée.

En effet, les services proposés par ces sociétés privées peuvent s'articuler, comme je l'ai évoqué précédemment, autour d'un champ d'activités large et varié : conseil, formation, soutien logistique, déminage, renseignement, fourniture de personnel de surveillance, mais aussi fourniture de personnel pour les opérations de combat.

Cependant, la distinction qui peut s'opérer entre les opérations de combat et les autres activités reste ténue, voire artificielle. En effet, les hommes qui acheminent des soldats et du matériel sur le champ de bataille, ceux qui collaborent à l'entretien, à l'entraînement, au renseignement, à la planification, à l'organisation participent autant à l'opération militaire que ceux qui font directement usage de leurs armes. La distinction devra donc être affinée.

Actuellement, on peut constater que les sociétés privées intervenant dans le domaine de la défense, qu'elles utilisent des mercenaires ou qu'elles soient de simples prestataires de services, sont souvent des sociétés de droit privé, majoritairement anglo-saxonnes, mais aussi françaises, obéissant à la logique économique du secteur privé et intervenant dans des conditions et des lieux où les Etats, les organisations internationales, les organisations non gouvernementales ou les grandes entreprises multinationales ne veulent ou ne peuvent s'engager en tant que tels.

Cette privatisation de la violence peut aussi servir, le cas échéant, à nourrir des trafics divers - diamants, matières premières - ou à entreprendre des opérations dont la finalité politique est plus subversive, ainsi que vous l'avez évoqué dans votre intervention.

Madame la ministre, mes chers collègues, la violence dite légitime ne serait donc plus le monopole des Etats et une violence extra-étatique, accessible au plus offrant, pourrait ainsi devenir légitime... Cette dérive est périlleuse ; elle constitue une menace pour les droits de l'homme et représenterait sans aucun doute un recul dangereux, non seulement du droit international, mais aussi de la démocratie et de l'Etat de droit.

Cette « privatisation de la violence » ne peut donc pas être approuvée, en tout cas pas par les socialistes. Voilà pourquoi le groupe socialiste soutient ce projet de loi repris par l'actuel gouvernement.

La France marque ainsi sa volonté de s'inscrire dans une logique différente : ni privatisation de la sécurité quand elle doit être l'affaire de la coopération entre les Etats ; ni délégation au secteur privé d'une telle fonction de souveraineté, d'une telle fonction régalienne.

La sous-traitance généralisée de la force armée réservée aux Etats ne peut pas être le choix de la France.

En élargissant le champ d'application des dispositions d'ordre pénal à tous les conflits armés, sans plus les réserver aux seuls conflits armés internationaux, en prévoyant la responsabilité pénale des personnes morales et en facilitant l'exercice des poursuites pour des faits commis à l'étranger par des ressortissants français ou des résidents habituels sur notre territoire, le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui comble des lacunes de notre législation en la matière et constitue donc, indiscutablement, un premier pas. Nous partageons ici l'analyse de notre rapporteur ainsi que celle de la commission des affaires étrangères.

Mais, ce premier pas franchi, nous soutenons aussi qu'il faudra rapidement élargir le débat sur les réponses de fond à donner à la question de la « privatisation de la violence » et à l'usage de forces armées privées ou de forces militaires non étatiques. Au-delà de ce texte, il faut donc commencer à rechercher des réponses au niveau européen, afin d'aboutir à une législation commune et à un code de conduite au sein de l'Union européenne.

Dans cette même logique, il apparaît nécessaire de poursuivre le travail international, dans le cadre bilatéral et dans le cadre multilatéral, au sein de l'ONU et des organisations régionales, pour aller au-delà d'une simple condamnation de principe et pour parvenir à concrétiser des actions visant à éliminer le recours au mercenariat, sous toutes ses formes, dans les conflits armés.

Pour toutes ces raisons, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe socialiste votera ce projet de loi. (Applaudissements.)

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire
Explications de vote sur l'ensemble (début)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l'article unique.

« Article unique. - Il est inséré, après le chapitre V du titre III du livre IV du code pénal, un chapitre VI ainsi rédigé :

« Chapitre VI

« De la participation à une activité de mercenaire

« Art. 436-1. - Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 EUR d'amende le fait :

« 1° Par toute personne, spécialement recrutée pour combattre dans un conflit armé et qui n'est ni ressortissante d'un Etat partie audit conflit armé, ni membre des forces armées de cet Etat, ni n'a été envoyée en mission officielle par un Etat autre que l'un de ceux parties au conflit en tant que membre des forces armées dudit Etat, de prendre ou tenter de prendre une part directe aux hostilités en vue d'obtenir un avantage personnel ou une rémunération nettement supérieure à celle qui est payée ou promise à des combattants ayant un rang et des fonctions analogues dans les forces armées de l'Etat partie pour lequel elle doit combattre ;

« 2° Par toute personne, spécialement recrutée pour prendre part à un acte concerté de violence visant à renverser les institutions ou porter atteinte à l'intégrité territoriale d'un Etat et qui n'est ni ressortissante de l'Etat contre lequel cet acte est dirigé, ni membre des forces armées dudit Etat, ni n'a été envoyée en mission officielle par un Etat, de prendre ou tenter de prendre part à un tel acte en vue d'obtenir un avantage personnel ou une rémunération importants.

« Art. 436-2. - Le fait de diriger ou d'organiser un groupement ayant pour objet le recrutement, l'emploi, la rémunération, l'équipement ou l'instruction militaire d'une personne définie à l'article 436-1 est puni de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 EUR d'amende.

« Art. 436-3. - Lorsque les faits mentionnés au présent chapitre sont commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, la loi française est applicable par dérogation au deuxième alinéa de l'article 113-6 et les dispositions de la seconde phrase de l'article 113-8 ne sont pas applicables.

« Art. 436-4. - Les personnes physiques coupables des infractions prévues par le présent chapitre encourent également les peines complémentaires suivantes :

« 1° L'interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l'article 131-26 ;

« 2° La diffusion intégrale ou partielle de la décision ou d'un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci dans les conditions prévues par l'article 221-10 ;

« 3° L'interdiction de séjour, suivant les modalités prévues par l'article 131-31.

« Art. 436-5. - Les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, de l'infraction définie à l'article 436-2.

« Les peines encourues par les personnes morales sont :

« 1° L'amende, selon les modalités prévues par l'article 131-38 ;

« 2° Les peines mentionnées à l'article 131-39.

« L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. »

Sur l'article unique, je suis saisi d'un certain nombre d'amendements.

 
 
 

ARTICLE 436-1 DU CODE PÉNAL

M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

« Aux deuxième et troisième alinéas (1° et 2°) du texte proposé par cet article pour l'article 436-1 du code pénal, après le mot : "mission", supprimer le mot : "officielle". »

La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Cet amendement vise à prendre en compte le fait que toute personne envoyée en mission par l'Etat ou par une entreprise ne l'est pas toujours de manière officielle ou officialisée. En supprimant le mot « officielle », tout en conservant le mot « mission », qui a un sens fort, nous levons toute ambiguïté.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Michel Pelchat, rapporteur. Favorable.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Plancade. En commission, les socialistes s'étaient interrogés sur le sens de cet amendement. Vos explications nous satisfont, madame la ministre : le mot « officielle » pouvait, en effet, être source de complications ; quant à la notion de « mission », vous venez de lever toute ambiguïté. Nous voterons donc cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Pelchat, au nom de la commission, est ainsi libellé :

« A la fin du deuxième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article 436-1 du code pénal, remplacer les mots : "de l'Etat partie pour lequel elle doit combattre" par les mots : "de la partie pour laquelle elle doit combattre". »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Pelchat, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de précision qui vise à faire référence à la rémunération payée ou promise à la personne concernée par la partie pour laquelle elle doit combattre, et non par l'Etat pour lequel elle doit combattre.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Favorable, bien entendu.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 436-1 du code pénal.

(Ce texte est adopté à l'unanimité.)

ARTICLES 436-2 ET 436-3 DU CODE PÉNAL

M. le président. Je mets aux voix les textes proposés pour les articles 436-2 et 436-3 du code pénal.

(Ces textes sont adoptés à l'unanimité.)

 
 
 

ARTICLE 436-4 DU CODE PÉNAL

M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Pelchat, au nom de la commission, est ainsi libellé :

« Dans le troisième alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article 436-4 du code pénal, remplacer la référence : "221-10" par la référence : "131-35". »

La parole est à M. le rapporteur.

M. Michel Pelchat, rapporteur. Il s'agit, par cet amendement, de préciser une référence. C'est en effet l'article 131-35 du code pénal, et non l'article 221-10, qui définit les conditions dans lesquelles sont assurés l'affichage et la diffusion des jugements ou des condamnations.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable et remercie M. le rapporteur de cette précision... et de son aide.

M. André Dulait, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. De sa vigilance !

M. Alain Gournac. Il surveillait !

M. le président. Il veillait, avec M. le président de la commission ! (Sourires.)

Je mets aux voix l'amendement n° 3.

(L'amendement est adopté à l'unanimité.)

M. le président. Je mets aux voix, modifié, le texte proposé pour l'article 436-4 du code pénal.

(Ce texte est adopté à l'unanimité.)

ARTICLE 436-5 DU CODE PÉNAL

M. le président. Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 436-5 du code pénal.

(Ce texte est adopté.)

Vote sur l'ensemble

Art. unique
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Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'article unique du projet de loi, je donne la parole à M. Robert Bret, pour explication de vote.

M. Robert Bret. Comme cela a été rappelé au cours de la discussion générale, le présent projet de loi, qui avait été déposé par le gouvernement de la gauche, tend à créer dans notre code pénal une incrimination nouvelle relative à l'activité de mercenaire et à l'assortir de peines correctionnelles.

Cela découle d'un double constat que nous partageons.

En premier lieu, il est nécessaire de lutter contre ces pratiques dans les conflits internationaux ou les troubles internes, pratiques que l'on peut, hélas ! observer dans les crises que connaît le continent africain. Vous l'avez souligné, madame la ministre, l'actualité en Côte d'Ivoire est là pour nous le rappeler avec force.

En second lieu, il est indispensable de pallier l'absence, dans la législation française, de dispositions permettant de réprimer efficacement de telles pratiques lorsqu'elles impliquent nos ressortissants ou des personnes, physiques ou morales, résidant sur notre territoire.

Le projet de loi tend également à caractériser précisément les faits qu'il s'agira de réprimer, sur la base de la définition du premier protocole additionnel à la convention de Genève de 1977.

Comme vous, madame la ministre, nous pensons qu'il était urgent de combler ce vide juridique. Vous avez parlé d'un devoir moral pour la France : je crois même qu'il y va de notre crédibilité sur l'échiquier international.

Le projet de loi vient donc enrichir utilement notre législation. Nous le voterons, en espérant qu'il inspirera nos partenaires européens : je pense aux Britanniques, mais aussi, avec l'élargissement de l'Union européenne, à d'autres pays dont les ressortissants fournissent aujourd'hui bon nombre de mercenaires à travers le monde.

M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin, pour explication de vote.

M. Joël Bourdin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement et M. le rapporteur ont très bien exposé les raisons qui rendent aujourd'hui nécessaire le renforcement de notre législation pour mieux réprimer l'activité de mercenaire.

Dans son rapport, notre excellent collègue Michel Pelchat souligne la complexité du phénomène du mercenariat et la diversité des législations étrangères dans ce domaine.

L'activité de mercenaire s'est développée, au cours de ces dernières années, du fait de la multiplication des foyers de tension à travers le monde, foyers attisés par la crise économique et financière que traversent de nombreux pays en voie de développement.

Cette activité est également liée à la fin de la guerre froide, à la réduction du format de la plupart des armées occidentales et de celles des pays de l'Est, ainsi qu'au désengagement politique et financier amorcé par les grandes puissances dans certaines régions.

Le recours croissant aux mercenaires dans les conflits armés aggrave la violence - on le voit tous les jours -, perturbe les efforts diplomatiques, déstabilise les Etats et se traduit souvent par des atteintes aux droits de l'homme.

Face à ce phénomène, la France se devait de réagir. Nous félicitons le Gouvernement d'avoir pris l'initiative d'inscrire à l'ordre du jour de nos travaux ce projet de loi, déposé sous la précédente législature.

Le dispositif proposé comblera un vide juridique et complétera utilement notre code pénal pour clairement identifier et lourdement sanctionner l'activité de mercenaire, de même que son organisation.

Le groupe UMP soutient cette démarche conforme aux principes défendus par la France à l'échelle internationale. Il votera donc le texte tel qu'il résulte des travaux de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)

M. Alain Gournac. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Louis Moinard, pour explication de vote.

M. Louis Moinard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent projet de loi visant à définir et à réprimer l'activité de mercenaire est doublement nécessaire : il comble un véritable vide juridique dans la législation de notre pays en qualifiant précisément le délit et prévoit des sanctions pénales sévères.

Par ailleurs se sont développées ces dernières années, dans certains pays anglo-saxons, des officines privées qui participent directement à des conflits armés : ce fut le cas en Angola de 1993 à 1996 ou en Sierra Leone en 1995. Il importe donc que nous disposions à l'avenir de règles juridiques nous permettant de lutter contre pareilles dérives : tel est précisément l'objet du texte qui nous est soumis et qui concerne tant les personnes physiques exerçant une activité de mercenaire que les groupements qui les emploient.

Pour l'ensemble de ces raisons, madame la ministre, le groupe de l'Union centriste votera le projet tel qu'il vient d'être amendé par le Sénat.

Il me reste à féliciter M. le rapporteur, M. le président de la commission ainsi que l'ensemble des membres de la commission des affaires étrangères de leurs apports au texte. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, de l'UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix, modifié, l'article unique du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté à l'unanimité.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Je voudrais remercier la Haute Assemblée tant du travail qu'elle a effectué que des apports que représentent les amendements qu'elle a adoptés et, bien entendu, de son vote unanime, qui l'honore et, à travers elle, honore la France. (Applaudissements.)

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaire